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C/14639/2024

ACJC/943/2024 du 22.07.2024 sur SQ/774/2024 ( SQP ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14639/2024 ACJC/943/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 22 JUILLET 2024

 

CAISSE DE COMPENSATION A______,

CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES B______,

CAISSE DE PREVOYANCE B______,

CAISSE DE COMPENSATION C______,

FONDATION DE PREVOYANCE D______,

sises ______ [GE], recourantes contre une ordonnance rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 27 juin 2024, représentées par Me Pierre VUILLE, avocat, GVA law , rue des Alpes 15, case postale 1592, 1211 Genève 1,

 


EN FAIT

A. Par acte expédié au Tribunal de première instance le 27 juin 2024, les CAISSE DE COMPENSATION A______, CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES B______, CAISSE DE PREVOYANCE B______, CAISSE DE COMPENSATION C______ et FONDATION DE PREVOYANCE D______ ont formé une requête en séquestre à l'encontre de E______.

Elles ont conclu à ce que soit ordonné le séquestre à concurrence de 300'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2022 à leur profit du salaire et de toute autre forme de rémunération perçus par E______ en tant qu'employé de la société F______ Sàrl, route 1______ no.______, [code postal] G______, ainsi que le séquestre du compte 2______ dont E______ est titulaire auprès de [la banque] H______. La requête est fondée sur l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP.

Elles ont allégué à l'appui de leur requête que E______ avait été administrateur de la société I______ SA, dont la faillite avait été prononcée par la Cour de justice le 28 février 2023. La société était affiliée auprès d'elles pour le paiement de cotisations sociales de ses employés mais elle ne s'était pas acquittée des sommes dues pour les mois de novembre 2021 à septembre 2022. Elles avaient ainsi déposé une demande en paiement à l'encontre de E______, portant sur une somme de 300'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2022, fondée sur l'art. 754 CO, laquelle était actuellement pendante devant le Tribunal.

Elles ont également allégué que E______ était domicilié en France et était employé auprès de la société F______ SA, sise à G______ (GE); il percevait à ce titre un salaire brut de 6'500 fr. et disposait d'un compte auprès de H______.

Elles ont notamment produit à l'appui de leur requête un procès-verbal d'audition de E______ devant le Ministère public genevois du 5 juin 2024 (pce 13) dont il ressort que le précité a une adresse en France, à J______, et qu'il a déclaré être employé par la société F______ Sàrl et percevoir un salaire mensuel brut de 6'500 fr. Elles ont également produit un document (pce 15) qu'elles qualifient de "fiche d'information concernant E______", dont l'auteur et la date à laquelle elle a été établie ne sont pas connus, laquelle mentionne le nom de E______, une ancienne adresse à K______ [France] et une nouvelle à J______ ainsi qu'un numéro de compte [auprès de] H______ suisse, dont le numéro correspond à celui mentionné dans la requête de séquestre; le document comporte par ailleurs ce qui semble être la copie d'un chèque, mais qui n'est que très partiellement reproduit.

B. Par ordonnance du 27 juin 2024, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de séquestre (ch. 1 du dispositif), mis à la charge des requérantes les frais judiciaires (ch. 2), arrêtés à 750 fr. et compensés avec l'avance fournie (ch. 3).

Il ressort de cette ordonnance, qui ne comporte aucun état de fait, que les requérantes ont rendu vraisemblable leur créance et le cas de séquestre (sans préciser lequel), mais que la présence de biens en Suisse ne ressort d'aucune pièce, ni la nouvelle adresse du débiteur. La pièce 15 des requérantes semblait en effet confectionnée pour les besoins de la cause. La requête devait donc être rejetée.

C. Par acte expédié à la Cour de justice le 8 juillet 2024, les caisses ont formé recours contre cette décision. Elles ont conclu, en substance, à ce que soit ordonné à leur profit le séquestre qu'elles avaient requis devant le Tribunal et à ce que les frais soient mis à la charge de l'Etat de Genève.

EN DROIT

1. 1.1. Contre une décision refusant un séquestre, qui est une décision finale en tant qu'elle met fin à l'instance d'un point de vue procédural, seul le recours est ouvert (art. 309 let. b ch. 6 et 319 let. a CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_508/2012 du 28 août 2012 consid. 3.2; Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 1646).

En matière de séquestre, la procédure sommaire est applicable (art. 251 let. a CPC).

1.2 Le recours, écrit et motivé, doit être formé dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

Déposé selon la forme et le délai prescrits, le recours est recevable.

1.3 Au stade de la requête et de l'ordonnance de séquestre, la procédure est unilatérale et le débiteur n'est pas entendu (art. 272 LP; ATF 133 III 589 consid. 1).

Dans le cadre du recours contre l'ordonnance de refus de séquestre, la procédure conserve ce caractère unilatéral, car, pour assurer son efficacité, le séquestre doit être exécuté à l'improviste. Partant, il n'y a pas lieu d'inviter E______ à présenter ses observations, ce qui ne constitue pas une violation de son droit d'être entendue (ATF 107 III 29 consid. 2 et 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_344/2010 du 8 juin 2010 consid. 5, in RSPC 2010 p. 400, et 5A_279/2010 du 24 juin 2010 consid. 4).

1.4 Le recours peut être formé pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). Selon la jurisprudence, des constatations de fait doivent être tenues pour manifestement inexactes lorsqu'elles sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 264 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4D_40/2015 du 13 novembre 2015 consid. 2).

1.5 La procédure de séquestre est soumise dans toutes ses phases à la maxime de disposition et à la maxime des débats (art. 58 al. 2 CPC; art. 255 CPC a contrario).

2. Les recourantes reprochent au Tribunal de ne pas avoir pris en compte le procès-verbal d'audition de E______ devant le Ministère public du 5 juin 2024, dont il ressort qu'il est domicilié en France et travaille pour la société F______ Sàrl. Elles reprochent également au Tribunal d'avoir considéré que le document produit sur lequel figure un numéro de compte [auprès de] H______ suisse ne constituait pas un moyen de preuve suffisant.

2.1
2.1.1
Le séquestre est une mesure conservatoire urgente, qui a pour but d'éviter que le débiteur ne dispose de ses biens pour les soustraire à la poursuite pendante ou future de son créancier (ATF 116 III 111 consid. 3a; 107 III 33 consid. 2).

Le juge du séquestre statue en se basant sur la simple vraisemblance des faits. Les faits à l'origine du séquestre sont rendus vraisemblables lorsque, se fondant sur des éléments objectifs, le juge acquiert l'impression que les faits pertinents se sont produits, mais sans qu'il doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1; en général: cf.
ATF 130 III 321 consid. 3.3). A cet effet, le créancier séquestrant doit alléguer les faits et produire un titre (art. 254 al. 1 CPC) qui permette au juge du séquestre d'acquérir, au degré de la simple vraisemblance, la conviction que la prétention existe pour le montant énoncé et qu'elle est exigible (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2; arrêt 5A_877/2011 du 5 mars 2012 consid. 2.1).

S'agissant de l'application du droit, le juge procède à un examen sommaire du bien-fondé juridique, c'est-à-dire un examen qui n'est ni définitif, ni complet, au terme duquel il rend une décision provisoire (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1; arrêt 5A_925/2012 du 5 avril 2013 consid. 9.2 et les références, publié in SJ 2013 I p. 463).

2.1.2 Selon l'art. 272 LP, le séquestre est autorisé par le juge du for de la poursuite ou par le juge du lieu où se trouvent les biens, à condition que le créancier rende vraisemblable que sa créance existe (ch. 1), qu’on est en présence d’un cas de séquestre (ch. 2) et qu’il existe des biens appartenant au débiteur (ch. 3).

L'art. 271 al. 1 LP envisage plusieurs cas de séquestre.

Il dispose notamment que le créancier d’une dette échue et non garantie par gage peut requérir le séquestre des biens du débiteur qui se trouvent en Suisse lorsque le débiteur n’habite pas en Suisse et qu’il n’y a pas d’autre cas de séquestre, pour autant que la créance ait un lien suffisant avec la Suisse ou qu’elle se fonde sur une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 al. 1 LP (ch. 4).

La notion de "lien suffisant avec la Suisse", dont l'examen est limité à la seule vraisemblance (cf. art. 272 al. 1 ch. 2 LP; ATF 138 III 636 consid. 4.3.2;
138 III 232 consid. 4.1.1), ne doit pas être interprétée restrictivement
(ATF 135 III 608 consid. 4.5; 124 III 219 consid. 3; 123 III 494 consid. 3a et les références).

2.1.3 Les tribunaux doivent motiver leurs décisions (art. 238 lit. f CPC); ceci est avant tout dans l’intérêt des parties, dont un aspect du droit d’être entendues (art. 53 CPC) implique qu’elles puissent comprendre la décision rendue à leur avantage ou à leur détriment. Si elles souhaitent introduire une voie de droit, elles doivent par ailleurs pouvoir critiquer la décision et en particulier, ses considérants (art. 311 et 321 CPC; ATF 138 III 374). Toutefois, afin que l’autorité de recours puisse examiner ces griefs, elle aussi doit comprendre la décision attaquée; à défaut, elle ne peut pas accomplir sa tâche. Le droit fédéral contient à cet égard une disposition expresse: les décisions cantonales doivent entre autres contenir "les motifs déterminants de fait et de droit" et si une décision ne satisfait pas à cette exigence, le Tribunal fédéral peut soit la renvoyer à l’autorité cantonale en invitant celle-ci à la parfaire, soit l’annuler (art. 112 al. 1 lit. b et al. 3 LTF). Cette disposition doit, par nature, être aussi applicable en procédure cantonale de recours, dès lors qu’à défaut, l'instance cantonale de recours ne peut pas accomplir sa tâche.

2.2 En l'espèce, l'ordonnance attaquée ne comporte aucun état de fait et se borne à indiquer que "le cas de séquestre" est rendu vraisemblable, sans même mentionner lequel. Elle indique pour le surplus que la pièce 15 aurait été fabriquée pour les besoins de la cause, sans toutefois expliquer pourquoi, ce qui justifierait le refus du séquestre.

2.2.1 Il peut être compris de l'ordonnance attaquée que le Tribunal a considéré que la pièce produite ne rendait pas suffisamment vraisemblable que E______ détenait un compte [auprès de] H______ en Suisse dont les avoirs pourraient être séquestrés.

Même si la motivation du Tribunal est extrêmement maigre, il ressort de l'acte déposé devant la Cour que les recourantes l'ont comprise. Elles expliquent qu'elles ont trouvé ce document dans les archives de I______ SA. Cela étant, cette indication ne fournit en elle-même aucun renseignement sur la nature de ce document. Son auteur n'est pas connu, ni sa date ni les circonstances dans lesquelles il a été établi. Si aucun élément ne permet de retenir qu'il aurait effectivement été fabriqué pour les besoins de la cause, il doit en revanche être considéré que la simple mention d'un compte [auprès de] H______ sur un papier ne présente pas une force probante suffisante pour rendre vraisemblable que E______ serait titulaire de ce compte. Il est par ailleurs douteux que la simple désignation de "H______" comme dépositaire des avoirs, sans mention d'aucune adresse, soit suffisamment précise pour savoir où les avoirs sont déposés.

L'ordonnance attaquée sera dès lors confirmée à cet égard.

2.2.2 Pour le surplus, le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la question du séquestre du salaire de E______ ou, à tout le moins, il n'a fourni aucune explication sur ce point. Il n'a vraisemblablement pas tenu compte du procès-verbal d'audition de celui-ci devant le Ministère public, qu'il ne mentionne pas, lequel comporte pourtant des éléments à cet égard. Il ne peut par ailleurs pas être compris de l'ordonnance attaquée que le Tribunal aurait considéré que son argumentation relative à la pièce 15 produite s'appliquerait également au séquestre du salaire.

Dès lors, en l'absence d'élément permettant de comprendre que le Tribunal aurait statué sur cette point, la cause lui sera renvoyée pour qu'il statue sur la question du séquestre du salaire de E______, de manière motivée après avoir établi les faits pertinents à cet égard.

3. Vu l'issue du recours, les frais judiciaires, à l'exclusion de dépens
(ATF 140 III 385 consid. 4.1), seront mis à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 8 juillet 2024 par les CAISSE DE COMPENSATION A______, CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES B______, CAISSE DE PREVOYANCE B______, CAISSE DE COMPENSATION C______ et FONDATION DE PREVOYANCE D______ contre l'ordonnance SQ/774/2024 rendue le 27 juin 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14639/2024–S1 SQP.

Au fond :

Annule l'ordonnance attaquée en ce qu'elle rejette le séquestre du salaire et de toute autre forme de rémunération perçue par E______ en qualité d'employé de F______ Sàrl.

La confirme pour le surplus.

Renvoie la cause au Tribunal pour nouvelle décision au sens des considérants.

Sur les frais :

Laisse les frais à la charge de l'Etat.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.