Décisions | Sommaires
ACJC/751/2024 du 07.06.2024 sur JTPI/15099/2023 ( SCC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/13262/2023 ACJC/751/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU VENDREDI 7 JUIN 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, Israël, appelant contre un jugement rendu par la 25ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 21 décembre 2023, représenté par Me B______, avocat,
et
C______, sise ______ [BS], intimée, représenté par Me Marc HASSBERGER et Me Thomas GOOSSENS, avocats, Chabrier Avocats SA, rue du Rhône 40, case
postale 1363, 1211 Genève 1.
A. Par jugement JTPI/15099/2023 du 21 décembre 2023, reçu le 10 janvier 2024 par A______, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable la requête formée le 27 juin 2023 par le précité à l’encontre de [la banque] C______ (ch. 1 du dispositif), arrêté à 2'000 fr. les frais judiciaires, les a compensés avec l’avance fournie par A______, les a laissés à sa charge (ch. 2) et l'a condamné à verser à la C______ 2'900 fr. à tire de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 22 janvier 2024, A______ a formé appel contre ce jugement, concluant à son annulation. Cela fait, il a conclu à ce que la Cour ordonne à la C______ de débiter son compte n. 1______/2______ du montant de 361'873 fr. 61, de virer ce montant sur le compte IBAN 3______ de Me B______ auprès de la banque D______ et condamne la C______ à verser une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour en cas d'inexécution de l'ordre susmentionné, le tout sous suite de frais et dépens.
Il a produit des pièces nouvelles.
b. Par réponse du 16 février 2024, la C______ a conclu au rejet de l'appel, sous suite de frais et dépens.
c. Les parties ont persisté dans leurs conclusions dans leurs écritures respectives de réplique, duplique, triplique et nouvelle duplique.
d. Elles ont été avisées le 15 avril 2024 par le greffe de la Cour que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure:
a. A______ est un ressortissant britannique, israélien et russe.
b. Il est titulaire de plusieurs comptes auprès de différents établissements bancaires en Suisse, dont notamment C______ et E______.
c. Depuis le 23 mai 2019, il est titulaire d'une relation bancaire, référence n. 1______, auprès de la C______. A cette date, il a signé une déclaration A (Declaration of identity of the beneficial owner) de laquelle il ressort qu'il était alors domicilié à F______ (Royaume-Uni).
d. La monnaie de référence dudit compte est la livre sterling (GBP) avec diverses rubriques comptes courant en GBP (compte n. 1______/4______), CHF (compte n. 1______/5______), USD (compte n. 1______/6______) et EUR (compte n. 1______/2______). En l’état, le compte ne présente aucune liquidité en francs suisses. Il ne comprend que des euros et des dollars.
e. Lors de l’ouverture dudit compte, A______ a souscrit aux diverses conditions applicables au sein de la C______.
En particulier, l’article 22 des conditions générales de la banque « Compliance, disclosure and reporting obligations » réserve en substance à la banque la latitude de prendre toutes les mesures qu’elle juge appropriées afin de s’assurer le respect de toutes les obligations relatives à la prévention de fraude, blanchiment d’argent, la corruption, l’évasion fiscale, des activités terroristes et de la fourniture de services financiers ou autres services à des personnes pouvant faire l’objet d’un embargo ou de sanctions internationales, et pour s’acquitter de ces obligations ; que cela peut inclure des enquêtes, la non-exécution d’ordres et/ou le rejet de fonds ou d’actifs.
L’article 2 des conditions applicables aux paiements et transactions sur instruments financiers prévoit notamment que la banque se réserve le droit de refuser, à sa seule discrétion, tout ordre de paiement ou d’opération sur instrument financier du client. La banque n’est pas tenue, à teneur de cette disposition, d’exécuter les ordres d’opérations de paiement ou d’instruments financiers qui sont susceptibles d’enfreindre les lois applicables, les dispositions réglementaires ou les ordres officiels (y compris les règles d’embargo et de lutte contre le blanchiment d’argent), ou qui, d’une manière ou d’une autre, ne sont pas conformes aux règles de conduite internes ou externes de la banque.
f. [La banque] C______ fait partie du groupe C______ qui dispose d'entités affiliées en Europe et notamment à F______ [Royaume-Uni].
g. A______ fait actuellement l’objet de sanctions en lien avec le conflit en Ukraine. Son nom figure sur la liste de sanctions du Royaume-Uni depuis le 6 avril 2022, sur celle de l’Union européenne depuis le 8 avril 2022 et sur celle de la Suisse depuis le 13 avril 2022 (cf. annexe 8 de l'Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine (RS 946.231.176.72), ci-après :
l'O-Ukraine).
h. Ces sanctions impliquent un gel des fonds et ressources économiques de A______ et l’interdiction, pour quiconque, de mettre à sa disposition directement ou indirectement des avoirs ou des ressources économiques (cf. notamment art. 15 al. 1 et 2 de l'O-Ukraine).
i. Depuis le mois d'avril 2022, Me B______ assure la défense des intérêts de A______ face aux sanctions prononcées à son encontre en Suisse, en particulier en ce qui concerne les relations avec les banques et celles avec l'autorité en charge de l'application desdites sanctions, à savoir le Secrétariat d'Etat à l'économie (ci-après : SECO).
j. Depuis 2022, le SECO, se fondant sur l'art. 15 al. 5 de l'O-Ukraine, a rendu plusieurs décisions autorisant les banques à débloquer des fonds gelés appartenant à A______ pour prévenir des cas de rigueur ou honorer des contrats existants, dont le paiement d'honoraires d'avocats.
k. Par décisions des 29 août et 19 octobre 2022, le SECO a notamment autorisé la banque E______ à débloquer des fonds pour le paiement de certaines factures et dans ce cadre, à créditer les coupons et remboursements des valeurs mobilières ayant atteint leur maturité pour un montant de 2'900'000 livres sterling.
l. Pour procéder au transfert de ces fonds sur le compte de A______ en Suisse, la banque E______, sur requête de G______, le dépositaire belge des titres précités, a dû obtenir l'autorisation des autorités belges (Ministre des Finances) et anglaises (Office of Financial Sanctions Implementation, OFSI) en plus de celle du SECO.
m. Le 28 février 2023, A______ a signé auprès de la C______ une nouvelle déclaration A (Declaration of identity of the beneficial owner) au motif de son changement de résidence en Israël. Le même jour, il a donné procuration individuelle à Me B______ sur le compte bancaire n. 1______ précité.
n. Le paiement des provisions d'honoraires d'avocat ayant été exclu des paiements autorisés par décision du SECO du 4 avril 2023, A______ a, par courrier de son Conseil du 1er mai 2023, demandé audit Service d'autoriser la C______ à payer les frais et honoraires de Me B______ pour la période du 21 novembre 2022 au 27 avril 2023, lesquels s'élevaient à 132'813 fr. 61.
o. Par décision du 15 juin 2023, le SECO a notamment :
- autorisé la C______ à débiter la somme de 132'813 fr. 61 du compte n. 1______ de A______ et à la créditer sur le compte de Me B______ auprès de la banque D______ ;
- autorisé le déblocage des futurs frais d’honoraires d’avocat du Conseil de A______ en lien avec les démarches nécessaires à la bonne application des sanctions qui le touchent notamment et ainsi autorisé la C______ à virer les montants concernés en les prélevant de son compte.
- précisé que l'autorisation expirait le 31 décembre 2023.
Le Service a indiqué qu'après avoir consulté les services compétents du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et du Département fédéral des finances (DFF) (art. 15 al. 10 O-Ukraine), il pouvait exceptionnellement, autoriser des versements prélevés sur des comptes bloqués, des transferts de biens en capital gelés et le déblocage de ressources économiques gelées pour prévenir des cas de rigueur ou honorer des contrats existants (art. 15 al. 5 O-Ukraine). En l'occurrence, le paiement d'honoraires d'avocat permettait à la personne sanctionnée de recevoir des conseils juridiques relatifs aux conséquences des sanctions et au respect d'obligations légales, ce qui permettait d'éviter un cas de rigueur. Il se justifiait ainsi d'autoriser le déblocage du montant de 132'813 fr. 61 ainsi que des futurs honoraires d'avocat.
A______ n'a pas demandé de prolongation de cette autorisation.
p. Par pli du 16 juin 2023, Me B______ a demandé à la C______ de débiter le compte de A______ du montant de 132'813 fr. 61 et de le transférer sur son compte bancaire auprès de la banque D______.
q. La C______ a refusé de s'exécuter le 22 juin 2023.
Dans un courriel du même jour, Me B______ a fait connaitre au Family Office de A______ qu'il avait été informé par la banque de ce qu'elle ne paierait pas sa facture d'honoraires conformément à la politique adoptée par son conseil d'administration, à savoir ne pas effectuer de paiements aux personnes sanctionnées.
r. Par requête en protection de cas clair du 27 juin 2023, A______, a conclu, sur mesures superprovisionnelles, provisionnelles et au fond, à ce que le Tribunal condamne la C______ à débiter son compte n. 1______/2______ du montant de 132'813 fr. 61, à virer ce montant sur le compte de Me B______ auprès de la banque D______, à débiter de son compte précité les futurs frais et honoraires de son Conseil, à les virer sur le compte de ce dernier, selon les ordres que celui-ci enverrait mensuellement à la banque et au SECO durant les mois de juin à décembre 2023, et qu’il condamne la C______ à une amende d’ordre d’un montant de 1'000 fr. par jour en cas d’inexécution, le tout sous suite de frais et dépens.
A______ a fait valoir qu'en matière de contrats de giro bancaire (trafic de paiements) et de compte-courant, la banque avait l'obligation de suivre les instructions de son client si elle disposait de la couverture nécessaire, ce qui était le cas en l'espèce. Le gel de ses avoirs en Suisse ne s'y opposait, en outre pas, dès lors que le SECO avait autorisé le paiement pour éviter un cas de rigueur. Le cas était donc clair.
s. Par ordonnances rendues les 27 juin 2023 et 24 août 2023, le Tribunal a rejeté les requêtes de mesures superprovisionnelles et provisionnelles de A______.
t. Dans ses déterminations du 25 août 2023, la C______ a conclu à ce que le Tribunal déclare la requête en protection de cas clair irrecevable, sous suite de frais et dépens.
Elle a soutenu qu'elle était légitimée à refuser d'exécuter l'ordre de son client pour respecter ses obligations de droit suisse et étranger. L'autorisation du SECO était insuffisante et il y avait lieu d'obtenir une autorisation préalable des autorités étrangères compétentes avant de pouvoir exécuter le paiement requis. A défaut, ladite exécution violerait les sanctions internationales adoptées à l'encontre de A______ et exposerait la banque à des risques juridiques et réputationnels. En particulier, les entités du groupe C______ dans l'Union européenne et au Royaume-Uni pourraient être sanctionnées en lien avec ses agissements. Les sanctions internationales étaient, en outre, applicables à tout employé européen ou britannique de la banque, nonobstant son lieu de domicile hors du territoire de l'Union européenne ou du Royaume-Uni. De plus, la décision du SECO n'autorisait aucune opération de change mais uniquement un débit en francs suisses, de sorte qu'elle était insuffisante pour effectuer le paiement requis qui impliquait une telle opération, sauf à violer les sanctions européennes et britanniques. Enfin, à teneur de ses conditions générales, elle s'était réservé le droit de refuser l'exécution d'un ordre de paiement pour les personnes sous sanctions et de manière générale, de refuser un paiement à sa discrétion, de sorte qu'elle n'était pas tenue d'exécuter tout paiement sollicité. Les conditions du cas clair n'étaient ainsi pas remplies.
u. Le 5 septembre 2023, le Tribunal a tenu une audience de débats et plaidoiries finales, à l'issue de laquelle il a gardé la cause à juger.
D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que la requête devait être "rejetée faute de limpidité juridique". En effet, la question de savoir si les parties pouvaient faire l’économie de décisions étatiques européennes autres que celles du SECO dans le cadre de transactions financières ne pouvait se résoudre au vu des seules pièces produites à la procédure, la problématique ainsi soulevée requérait au contraire du Tribunal qu’il apprécie la situation juridique, soit qu’il procède d’une manière non conforme à la procédure en protection de cas clair. De plus, l’exécution des ordres de paiement requis par A______ impliquerait une transaction de change imposant à nouveau au juge de procéder à l’appréciation de la décision du SECO sur ce point, examen qui ne saurait entrer en ligne de compte dans le cadre de la procédure en protection de cas clair. Enfin, déterminer si le fait, pour la C______, de refuser d’exécuter les ordres donnés par A______ et autorisés par le SECO entrait légitimement dans le cadre des prérogatives contractuelles de la précitée était une question nécessitant encore de la part du Tribunal une forme d’appréciation incompatible avec la nature et le but de la procédure en protection de cas clair.
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC), ce qui est le cas en l'espèce.
Interjeté dans le délai utile et selon les formes légales (art. 142 al. 3, 248 let. b, 257 al. 1, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable.
1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Elle applique les maximes des débats et de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).
2. Devant la Cour, l'appelant a produit des pièces nouvelles et amplifié ses conclusions de première instance.
2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).
L'art. 317 al. 2 CPC autorise une modification des conclusions en appel à la condition notamment que les conclusions modifiées reposent sur des faits ou moyens de preuve nouveaux (art. 317 al. 2 let. b CPC), lesquels doivent être recevables en appel en application de l'art. 317 al. 1 CPC (Jeandin, Commentaire romand CPC, 2ème éd., 2019, n. 12 ad art. 317 CPC).
La nature particulière de la procédure sommaire de protection des cas clairs de l'art. 257 CPC exige que le juge d'appel apprécie les faits sur la base des preuves déjà appréciées par le premier juge. La production de pièces nouvelles est ainsi exclue, même si celles-ci pourraient être prises en considération selon l'art. 317 al. 1 CPC (arrêts du Tribunal fédéral 4A_312/2013 du 17 octobre 2013 consid. 3.2; 4A_420/2012 du 7 novembre 2012 consid. 5, cf. également ATF 144 III 462 consid. 3.2 et 3.3.2).
2.2 Au vu de cette règle, les pièces nouvelles produites par l'appelant devant la Cour (pièces 3 à 9), dont certaines auraient de surcroît déjà pu être versées en première instance, dès lors qu'elles existaient déjà au moment de la clôture des débats (pièces 3 à 5), sont irrecevables.
Dans la mesure où les conclusions modifiées de l'appelant reposent sur ces pièces nouvelles irrecevables, seules ses conclusions de première instance seront prises en compte.
3. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir déclaré sa requête en protection de cas clair irrecevable.
Il fait valoir qu'il est évident que l'ordre litigieux est exclusivement régi par le droit suisse et que seule la décision du SECO doit trouver application. L'appelant soutient aussi que le contenu des clauses contractuelles est clair et qu'il n'y a pas lieu d'apprécier si l'intimée pouvait s'en prévaloir pour refuser d'exécuter l'ordre litigieux. Enfin, il soutient que la décision du SECO est claire en ce qui concerne l'autorisation de changer des francs suisses en euros et qu'il n'y a pas matière à appréciation.
3.1.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).
Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur. Il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine (voller Beweis) des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance (Glaubhaftmachen) ne suffit pas (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les références citées).
La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale (cf. toutefois arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.2; 141 III 23 consid. 3.2;
138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).
Si l’interprétation d’un contrat, de conditions générales ou de normes privées est contestée et passe par le principe de la confiance, le cas clair ne peut être admis que si la réglementation contractuelle exclut toute équivoque au vu des moyens invoqués (Hofmann, BSK ZPO, 2017, n. 11a ad art. 257 CPC, qui considère que l'absence d'équivoque constitue l'exception; Bohnet, CR CPC, 2e éd., 2019, n. 14a ad art. 257 CPC).
3.1.2 Chaque client est lié avec la banque par une relation juridique complexe comportant notamment des éléments caractéristiques d'un compte courant (pour le décompte des opérations), d'un dépôt irrégulier (pour les fonds remis à la banque) et plus généralement d'un mandat (ATF 131 III 377 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 4C.387/2000 du 15 mars 2001 consid. 2a in SJ 2001 I 525; ATF
101 II 117 consid. 5 in JdT 1976 I 329; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 2014, p. 201).
En tant que mandataire, la banque doit se conformer aux instructions de son client (art. 397 CO) et répond de leur bonne et fidèle exécution (art. 398 CO). Il n'existe pas de droit contractuel à l'exécution lorsque les instructions rendent la position du mandataire excessivement difficile (arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2020 du 6 août 2021 consid. 5.1; Oser/Weber, Basler Kommentar Obligationenrecht, vol. I, 7e éd., 2020, n. 7 ad art. 397 CO; Fellmann, Berner Kommentar, 1992, n. 82 ss ad art. 397 CO).
Le Tribunal fédéral a retenu que face à une sanction internationale non reconnue par la Suisse, une banque pouvait refuser les instructions de son client pour écarter les menaces existantes (amendes et exclusion du marché financier américain) en invoquant ses conditions générales (arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2020 du 6 août 2021 consid. 5.3.2, RSDA 2022 p. 140).
3.1.3 Selon la jurisprudence, l'art. 58 al. 1 CPC – qui consacre la maxime de disposition – proscrit une condamnation dans la monnaie due, lorsque le juge est saisi de conclusions libellées dans une monnaie erronée, le juge ne pouvant allouer un aliud (arrêts du Tribunal fédéral 4A_503/2021 du 25 avril 2022 consid. 4.1.2; 4A_251/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2.1 i.f.; 4A_200/2019 du 17 juin 2019 consid. 4 i.f.; 4A_265/2017 du 13 février 2018 consid. 5; 4A_391/2015 du 1 octobre 2015 consid. 3).
3.2.1 En l'espèce, l'appelant fait fausse route lorsqu'il soutient que le Tribunal aurait remis en cause la dérogation accordée par le SECO pour juger que la situation juridique n'était pas claire. Il y a, en revanche, lieu de déterminer si c'est à raison que le premier juge a retenu qu'il n'était pas clair de savoir si les sanctions étrangères avaient vocation à s'appliquer à l'ordre litigieux, comme l'appelant lui en fait grief. S'il est vrai que ledit ordre constitue une transaction financière nationale autorisée en Suisse, il n'en demeure pas moins que le contexte l'entourant est international. En effet, il est constant que l'appelant fait l'objet de sanctions pluri-étatiques en lien avec le conflit en Ukraine auxquelles les banques suisses doivent se conformer pour respecter leurs obligations. L'appelant a, d'ailleurs, déjà dû requérir l'autorisation d'entités étatiques étrangères lors d'une précédente transaction financière visant à créditer l'un de ses comptes en Suisse. En outre, le groupe dont fait partie l'intimée dispose d'entités affiliées dans l'Union européenne et au Royaume-Uni. Enfin, il n'y a pas de texte légal, ni de jurisprudence ou doctrine éprouvée en la matière, de sorte qu'il est nécessaire d'apprécier les textes légaux étrangers sur lesquels reposent le gel des avoirs de l'appelant pour répondre à cette question. Il en résulte que la situation n'est pas juridiquement claire comme l'a retenu le Tribunal.
3.2.2 En outre, les conditions applicables au contrat doivent être interprétées pour déterminer s'il ressort clairement de leur contenu que l'intimée était tenue d'exécuter l'ordre litigieux, comme le soutient l'appelant. L'art. 2 des conditions applicables aux paiements et transactions sur instruments financiers et l'art. 22 des conditions générales de l'intimée réservent à celle-ci une certaine latitude pour refuser d'exécuter un ordre afin d'assurer le respect d'obligations en présence d'une personne faisant l'objet de sanctions internationales, comme c'est le cas de l'appelant. Ces deux dispositions sont formulées largement en des termes généraux. En particulier, elles ne prévoient pas les mesures pouvant être adoptées par la banque face à un client au bénéfice d'une dérogation de la Suisse et faisant l'objet de sanctions internationales, ni sa marge de discrétion dans ce cas de figure. Il en découle qu'il n'est pas possible de déterminer de prime abord avec certitude les limites de l'obligation de se conformer à un ordre du client, ce qui suppose une appréciation de la situation. Contrairement à ce que soutient l'appelant, la situation juridique n'est dès lors pas claire.
3.2.3 En outre, la décision du SECO autorisant l'intimée à débiter le compte n. 1______/2______ de l'appelant est libellée en francs suisse alors que ledit compte est en euros. L'exécution de l'ordre requis impliquerait ainsi au préalable une opération de change d'euros en francs suisses de la part de l'intimée. Or, l'appelant a pris dans la procédure des conclusions en francs suisses sans toutefois conclure à ce que le Tribunal condamne la banque à effectuer ladite opération de change. Il n'a pas non plus indiqué la contrevaleur en euros de la somme dont le transfert est requis en francs suisses, pas plus que spécifié la date à laquelle la conversion dans la bonne monnaie devrait être effectuée par la banque. À ces questions s'ajoute encore celle de savoir si le SECO a implicitement autorisé la banque à procéder à cette opération de change. Il en découle qu'à nouveau la situation doit être appréciée par le juge, ce qui n'est pas compatible avec la procédure en protection de cas clair.
3.2.4 Enfin, par surcroit de moyens et avec l'intimée, il y a lieu de constater que l'autorisation donnée le 15 juin 2023 par le SECO a expiré le 31 décembre 2023, sans que l'appelant n'en ait demandé de prolongation. Se pose dès lors la question de savoir si la banque peut encore à ce jour débiter le compte de l'appelant en se fondant sur l'autorisation précitée. Cette problématique impose à nouveau au juge de procéder à l'appréciation de la décision du SECO, ce qui est incompatible avec la nature et le but de la procédure en protection de cas clair.
C'est ainsi à raison que le premier juge a considéré que la requête en cas clair était irrecevable. Infondé, le grief sera rejeté.
Le jugement sera dès lors confirmé.
4. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 2'000 fr. (art. 26, 35 RTFMC), compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'appelant sera, en outre, condamné aux dépens de sa partie adverse, fixés à 2'000 fr. (art. 85, 88 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1 LaCC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 22 janvier 2024 par A______ contre le jugement JTPI/15099/2023 rendu le 21 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13262/2023–25 SCC.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance fournie par ce dernier, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ à verser à la C______ 2'000 fr. à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Laura SESSA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.