Décisions | Sommaires
ACJC/508/2024 du 18.04.2024 sur OTPI/816/2023 ( SP ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/22866/2023 ACJC/508/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 18 AVRIL 2024 |
Entre
A______ (DE) L.P., sise ______, États-Unis, appelante d'une ordonnance rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 18 décembre 2023, représentée par Mes Rodolphe GAUTIER et Mathieu ZUFFEREY, avocats, Walder Wyss SA, boulevard du Théâtre 3, case postale, 1211 Genève 3,
et
B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Mes Marc HASSBERGER et Stanley CONNOR, avocats, Chabrier Avocats SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1.
A. Par ordonnance OTPI/816/2023 du 18 décembre 2023, reçue par les parties le 20 décembre 2023, le Tribunal de première instance, statuant par voie de mesures provisionnelles, a notamment rejeté la requête formée par A______ (DE) L.P. à l'encontre de B______ SA (ch. 2), l'a condamnée aux frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr. (ch. 3), ainsi qu'à verser à B______ SA 3'000 fr. à titre de dépens (ch. 4) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
B. a. Le 22 décembre 2023, A______ (DE) L.P. a formé appel de cette ordonnance, concluant principalement à ce que la Cour l'annule, fasse interdiction à B______ SA de transférer, céder, vendre, aliéner de quelque manière que ce soit, ou nantir en faveur de tiers ses 1'428'740 actions de C______ AG et d'entreprendre toutes autres mesures concernant lesdites actions qui mettraient en danger, rendraient plus difficile ou empêcheraient leur mise en gage en sa faveur et la dispense de fournir des sûretés, avec suite de frais et dépens.
b. Par arrêt du 22 décembre 2023 la Cour a rejeté les mesures superprovisionnelles requises par A______ (DE) L.P.
Par arrêt du 9 janvier 2024, la Cour, statuant à titre provisionnel sur requête de mesures conservatoires formées par A______ (DE) L.P., a fait droit aux conclusions précitées.
c. Le 8 janvier 2024, B______ SA a conclu à la confirmation de l'ordonnance querellée, avec suite de frais et dépens.
d. Les parties ont répliqué et dupliqué, les 25 janvier et 2 février 2024, persistant dans leurs conclusions.
e. Elles ont été informées le 26 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.
a. A______ (DE) L.P. est une société américaine sise dans le Delaware dont le but est de détenir des participations dans d'autres sociétés. Elle est dirigée par D______.
B______ SA, inscrite au Registre du commerce de Genève, a également pour but social la prise de participation dans des sociétés. E______ est l'administrateur président.
b. Le 2 septembre 2022, B______ SA a racheté la majorité des actions
de la banque F______ (SWITZERLAND) SA à sa société mère russe F______ RUSSIA.
La banque a été rebaptisée C______ SA.
c. Les négociations relatives à cette opération avaient été entreprises, en amont, par D______ qui entendait, dans un premier temps, acquérir l'intégralité du capital-actions de la banque pour son propre compte.
Dans ce cadre, le 3 juin 2022, il avait notamment conclu un share purchase agreement avec G______ LLC et [la banque] F______ RUSSIA ainsi qu'un amendment and restatement audit contrat le 7 juin 2022.
A teneur de ces accords, il disposait de la faculté de se substituer un autre acquéreur.
d. Le 17 juin 2022, D______, en qualité de transférant, B______ SA, en qualité de transféré et E______ en qualité de codébiteur, ont conclu un assignment and novation agreement aux termes duquel ils ont notamment convenus du transfert par D______ à B______ SA de sa qualité de partie au share purchase agreement du 3 juin 2022 en échange notamment d'une participation minoritaire à hauteur de 10% moins une action pour D______, soit 170'087 actions d'une valeur nominale de 285 fr. chacune.
Ce transfert a été approuvé par G______ LLC et [la banque] F______ RUSSIA.
e. Le 17 juin 2022 également, D______, B______ SA et E______ ont conclu un co-investment agreement aux termes duquel ils ont notamment fixé à 36'250'000 USD la rémunération de D______ pour son rôle dans l'acquisition de la banque, montant payable dans les 30 jours suivant le closing de l'opération.
D______ et B______ SA ont par ailleurs signé un shareholders agreement, aux termes duquel, outre un droit de siéger au Conseil d'administration de la banque (art. 5.1), D______ bénéficiait d'une "put option" lui permettant de provoquer l'achat par B______ SA de sa participation minoritaire dans la banque à l'expiration d'un délai de trois ans (art. 9.5).
Les parties se sont par ailleurs engagées à ne pas nantir leurs actions, ni à les transférer de toute autre manière à des fins de sûretés (art. 9.1 (b)). Elles ont en outre convenu de ce que la vente de leurs actions respectives ne pourrait intervenir qu'avec l'accord de l'autre actionnaire, dans le respect de modalités fixées d'avance. Les transferts d'actions à des sociétés contrôlées (affiliate) par les actionnaires étaient quant à eux autorisés sans restriction (art. 9.1 à 9.4).
Ces accords, soumis au droit suisse, contenaient une clause d'arbitrage.
f. Le closing de la transaction a dû être repoussé à plusieurs reprises, pour la dernière fois au 2 septembre 2022, au motif que B______ SA ne disposait pas des fonds nécessaires pour honorer ses obligations.
g. Dans ce cadre, le 1er septembre 2022, D______ et B______ SA ont conclu un amended and restated shareholders agreement et un amendment of co-investment agreement.
Par ce dernier accord, E______ et B______ SA se sont notamment engagés à souscrire chacun un billet à ordre en faveur de D______ pour un montant de 36'250'000 USD en qualité de débiteurs solidaires, en vue de garantir le paiement de la commission de celui-ci en date du 17 octobre 2022 au plus tard.
h. Le closing de la transaction a eu lieu le 2 septembre 2022, date à laquelle D______ s'est vu remettre les 170'087 actions de la banque et les deux billets à ordre susmentionnés.
La commission de D______ n'a pas été payée à la date convenue du 17 octobre 2022.
i. Les 26 et 27 octobre 2022, D______ a notamment fait savoir à B______ SA qu'il était disposé à accorder à celle-ci un délai supplémentaire pour le paiement du montant convenu, à condition qu'il obtienne des garanties et une compensation adéquate. Il proposait de prolonger le délai de paiement au 15 novembre 2022, à condition que l'intérêt de retard de 5% convenu soit porté à 15% et que les montants dus soient garantis par le nantissement des actions de C______ AG détenues par B______ SA.
Il précisait qu'il avait entamé des démarches d'exécution forcée.
j. Le 1er novembre 2022, D______ a transmis à B______ SA des projets de convention amendées dans le sens précité. Dans ces nouveaux contrats, les conditions fixées par D______ à la prolongation du délai de paiement étaient les suivantes : (i) augmentation à 15% du taux d'intérêts, (ii) mise en gage des actions de B______ SA, (iii) changement des modalités d'exercice de l'option put et (iv) élargissement de son droit à obtenir des informations de la part du groupe B______.
k. Le 6 novembre 2022, D______ a fait savoir à B______ SA que, si elle n'acceptait pas ses conditions, il ne "pourrait" pas surseoir à la procédure d'exécution forcée. Si sa partie adverse se montrait "collaborative", il était d'accord de renoncer temporairement à son droit de demander sa faillite.
l. Le 7 novembre 2022, D______ a mis en demeure B______ SA et E______ de lui verser 36'250'000 USD au 15 novembre 2022, faute de quoi il se réservait le droit d'engager les procédures nécessaires en vue du recouvrement des sommes dues.
m. Le 9 novembre 2022, D______ a fait savoir à B______ SA que si elle ne signait pas les nouveaux contrats qu'il lui avait soumis il entamerait une procédure d'exécution forcée.
Il relevait qu'il entendait travailler avec B______ SA mais que sans coopération de sa part, il poursuivrait le recouvrement de sa créance, ce qu'aucune des parties ne souhaitait mais qui serait nécessaire si des progrès décisifs n'étaient pas faits le jour même ou le lendemain avant midi.
n. Le 11 novembre 2022, D______, B______ SA et E______ ont conclu un amended and restated co-investment agreement. D______ et B______ SA ont quant à eux signé un second amended and restated shareholders agreement.
La première de ces conventions prévoyait notamment qu'un délai de paiement au 15 novembre 2022 était accordé à B______ SA pour verser 20'000'0000 USD. Le solde en 16'250'000 USD, plus intérêts à 15% (art. 10.13), était dû au 30 novembre 2022. L'octroi de ces délais était soumis à la condition que B______ SA nantisse ses actions en faveur de D______ et que les conditions d'exercice de l'option put conférée à ce dernier par le shareholders agreement du 17 juin 2022 soient modifiées (art. 5.2 let. b).
Le second amended and restated shareholders agreement prévoyait notamment que le droit d'option put concédé à D______ pourrait être exercé dès le 2 septembre 2023, au lieu du 2 septembre 2025 comme prévu initialement (art. 9.5).
Le transfert des actions de l'option put contre le paiement du prix d'achat devait être effectué dans les 180 jours suivant la date d'avis d'exercice de l'option, à condition que, pour toute période supérieure à 60 jours civils après la date de l'avis de l'exercice de l'option, B______ SA nantisse au profit de D______ ses actions dans la banque. Un intérêt au taux de 15% l'an, payable mensuellement, était dû sur les montants dus par B______ SA au titre de l'option put, dès la date d'exercice de l'option (art. 9.5.2).
o. B______ SA a également signé en faveur de D______ un share pledge agreement par lequel elle nantissait toutes ses actions dans la banque en faveur de D______ en garantie de ses obligations envers ce dernier, étant précisé que celui-ci disposerait du droit de vote afférent aux actions en question.
p. Le 16 novembre 2022, B______ SA a versé 10'000'000 USD à D______, portant sa dette envers ce dernier à 26'250'000 USD.
Par ailleurs, depuis le 11 novembre 2022, B______ SA s'est régulièrement acquittée des intérêts de 15% sur la créance de D______, en 300'000 USD par mois.
q. Courant février 2023, B______ SA a encore signé, à la demande de D______, un term sheet prévoyant que D______ aurait la possibilité de piloter le processus de vente de toutes ses actions dans C______ SA et de toucher en outre une prime de succès de 1% sur cette vente.
r. Au début du printemps 2023, alors que B______ SA avait obtenu le financement nécessaire pour régler la créance de D______, elle a déféré à la requête de celui-ci de lui verser une indemnisation supplémentaire pour ses frais liés au retard de paiement, alors que les accords de juin 2022 prévoyaient que chacune des parties supporterait ses frais et dépenses liés aux accords en question et aux transactions en lien avec ceux-ci.
s. Par receipt and security release declaration du 2 mai 2023, D______ a accusé réception des fonds en 27'563'100.05 USD reçus de B______ SA, confirmé que toutes les obligations de paiement de cette dernière envers lui avaient été réalisées et payées, levé le gage sur les actions de celle-ci dans la banque et restitué à celle-ci et à E______ les billets à ordre en sa faveur.
u. Le 27 juin 2023, D______ a transféré ses actions de la banque à A______ (DE) L.P., laquelle s'est déclarée liée par les accords du 11 novembre 2022.
u. Par courrier du 18 juillet 2023, B______ SA et E______ ont déclaré à D______ invalider les co-investment, shareholders et share pledge agreements de novembre 2022, ainsi que le term sheet du 7 février 2023, se prévalant de lésion et de crainte fondée. Ils avaient été placés dans une situation de gêne en raison de la remise des billets à ordre à D______ qui avait exploité leur détresse pour obtenir des avantages injustifiés et disproportionnés en les amenant à conclure les accords précités à leur détriment et contre leur gré.
Les avantages obtenus par ce dernier étaient notamment les suivants : la possibilité discrétionnaire de faire usage de l'option put dès le 2 septembre 2023 au lieu du 2 septembre 2025, le nantissement en sa faveur des 1'530'792 actions détenues par B______ SA dont la valeur excédait largement les montant dus à l'époque, une augmentation de 2% à 15% par an des intérêts de retard dus sur les montant des billets à ordre et le remboursement de frais injustifiés prétendument dus au retard. En échange, B______ SA n'avait obtenu qu'un délai de paiement, sans lequel sa faillite aurait été probablement prononcée.
Celle-ci requérait dès lors le remboursement des montants indûment perçus en application des accords invalidés.
A______ (DE) L.P. conteste que les accords précités aient valablement été invalidés.
v. Le 4 septembre 2023, A______ (DE) L.P. a déclaré exercer son option put, précisant que le prix de vente s'élevait à 54 millions de francs suisses, avec intérêts à 15% l'an dès le 2 septembre 2023.
w. Le même jour, B______ SA a annoncé à la banque avoir vendu 102'052 actions de celle-ci à la société H______ SA, laquelle les avait ensuite remises à I______ SA.
E______ allègue être ayant droit économique de ces deux sociétés, produisant à l'appui de ses allégations un courrier en ce sens adressé à C______ SA le 14 septembre 2023. A______ (DE) L.P. le conteste, relevant que J______, président du conseil d'administration de I______ SA et le seul à avoir une signature individuelle pour la société, est lié à un autre créancier de B______ SA. E______, vice-président du conseil d'administration, ne signait pour sa part que collectivement à deux avec le président.
x. Le 26 septembre 2023, A______ (DE) L.P. a déposé une requête d'arbitrage à l'encontre de B______ SA et I______ SA, concluant principalement à ce que la première soit condamnée à lui verser 54'000'000 fr. au titre de paiement pour la vente de ses 170'087 actions de C______ AG, plus intérêts à 15% l'an dès le 2 septembre 2023. Elle a en outre réservé son droit de requérir de ses parties adverses le nantissement de leurs actions de C______ AG.
Cette procédure est actuellement pendante.
y. Le 12 octobre 2023, B______ SA a requis de C______ AG l'émission de nouveaux certificats d'actions.
z. Par décision 13 octobre 2023 du conseil d'administration de la banque précitée, D______ a été révoqué, avec effet immédiat, de ses fonctions au sein dudit conseil.
D. a. Par acte déposé au Tribunal le 6 novembre 2023, A______ (DE) L.P. a formé une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles à l'encontre de B______ SA, prenant les mêmes conclusions que celles figurant dans son appel.
Elle a fait valoir être en droit de demander le nantissement des actions de C______ AG détenues par B______ SA en application de l'art. 9.5.2 du shareholder agreement du 11 novembre 2022. Il existait un risque que son droit fasse l'objet d'une atteinte au regard du fait que sa partie adverse avait invalidé cet accord et se trouvait dans une situation financière obérée, laquelle la contraignait à réaliser ses actifs pour désintéresser ses créanciers. Elle subirait un dommage en cas de faillite de B______ SA puisqu'elle ne bénéficierait d'aucune garantie pour sa créance de 54'000'000 fr.
b. Par ordonnance du 6 novembre 2023, le Tribunal a fait droit, sur mesures superprovisionnelles, aux conclusions de A______ (DE) L.P.
c. B______ SA a conclu, principalement, au rejet de la requête et, subsidiairement, à ce qu'il lui soit fait interdiction de transférer, céder, vendre, aliéner de quelque manière que ce soit, ou nantir en faveur de tiers une quantité d'actions de C______ AG ne dépassant pas 170'087 actions et d'entreprendre toutes autres mesures concernant lesdites actions qui mettraient en danger rendraient plus difficile ou empêcheraient leur mise en gage en faveur de A______ (DE) L.P.
Elle a fait valoir que, puisque le shareholders agreement de novembre 2022 avait été invalidé, l'option put n'était exerçable qu'au 2 septembre 2025. Il n'était en outre pas vraisemblable qu'elle serait sur le point de se dessaisir des actions litigieuses contrairement aux accords conclus. Les mesures requises étaient disproportionnées car les actions qu'elle détenait valaient 453'600'000 USD, soit nettement plus que la créance alléguée de 54 millions USD. A______ (DE) L.P. était d'ores et déjà en possession de 170'087 actions d'une valeur estimée à 54 millions USD, de sorte qu'elle était protégée à concurrence de ce montant.
d. Lors de l'audience du Tribunal du 4 décembre 2023 les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives.
Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC). Dans les affaires patrimoniales, il est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. de sorte que la voie de l'appel est ouverte. L'appel a été formé dans le délai utile de 10 jours (art. 142 al. 3, 248 let. d et 314 al. 1 CPC) et respecte les exigences de forme prescrites par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC). Il est par conséquent recevable.
1.2 Contrairement à ce que fait valoir l'intimée, les déterminations de l'appelante, déposées le 25 janvier 2024, soit moins de 10 jours après réception par celle-ci de la réponse de l'intimée en date du 15 janvier 2024 sont recevables (ATF
144 III 117 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5D_112/2013 du 15 août 2013 consid. 2.2.3; 5A_750/2016 du 15 novembre 2016 consid. 2.1). Il en va de même de l'écriture spontanée déposée par l'intimée le 2 février 2024.
1.3 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante - et, partant, recevable -, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).
En outre, dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n° 1556).
2. L'appelante a formé un certain nombre de griefs contre l'état de fait établi par le Tribunal. Celui-ci a été complété par la Cour de manière à y intégrer tous les faits pertinents pour l'issue du litige.
3. Le Tribunal a retenu qu'il ne pouvait être exclu que les conventions signées par les parties le 11 novembre 2022 aient été valablement invalidées par l'intimée, dans la mesure où elles présentaient d'importantes différences avec les conventions de juin 2022. Dans cette hypothèse, l'appelante n'aurait pas de droit à demander le nantissement des actions de C______ SA. Au vu de cette incertitude, la requête de mesures provisionnelles devait être rejetée. A cela s'ajoutait que le risque de préjudice difficilement réparable n'était pas vraisemblable car, à l'exception du transfert de 102'052 actions à I______ SA, l'intimée n'était pas vraisemblablement sur le point de se dessaisir de ses actions en faveur d'un tiers. L'appelante pourrait toujours agir au besoin contre E______, actionnaire unique de cette dernière société et signataire des conventions litigieuses.
L'appelante fait valoir que les vices de la volonté invoqués par l'intimée constituent des exceptions au principe de la liberté contractuelle, de sorte qu'ils doivent être admis de manière restrictive. D______ n'avait pas menacé l'intimée de faillite si elle ne signait pas les conventions de novembre 2022 et avait au contraire fait preuve de patience, cherchant à trouver des solutions avec sa débitrice. Les conventions avaient été négociées intensément entre les parties, chacune conseillées par des avocats, et D______ n'avait pas cherché à exploiter la situation de l'intimée. Il était légitimé à obtenir des garanties pour attendre le versement des sommes dues par l'intimée. Celle-ci avait également accordé à d'autres créanciers un taux d'intérêts à 15% pour financer l'acquisition de la banque. En tout état de cause, la convention d'actionnaires du 17 juin 2022 interdisait à l'intimée de remettre ses actions en garantie à des tiers. Le fait que l'intimée ait transféré une partie de ses actions à I______ SA attestait de ce qu'elle était prête à "réitérer la manœuvre". Cette société n'appartenait pas à l'intimée, mais à un créancier important de celle-ci. La requête de l'intimée tendant à ce que la banque émette des certificats d'actions pour ses participations confirmait qu'elle cherchait à rendre ses actions plus liquides pour s'en servir comme instrument de garantie envers les tiers. La situation obérée de l'intimée confirmait les craintes de l'appelante. Contrairement à ce qu'avait retenu le Tribunal, E______ n'était pas signataire du shareholders agreement du 11 novembre 2022. Si la faillite de l'intimée intervenait avant la fin de la procédure arbitrale, l'appelante subirait un dommage difficilement réparable car elle perdrait toute garantie pour sa créance. Les actions qu'elle détenaient ne constituaient pas une garantie suffisante car elles ne pourraient pas être vendues au prix de 54'000'000 fr. prévu par l'option put; aucun tiers ne serait intéressé à les acquérir à ce prix, compte tenu du fait qu'il ne s'agissait que d'une participation minoritaire dans une banque aux côtés d'un actionnaire majoritaire en situation précaire.
3.1.1 Le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).
Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment un ordre donné à des tiers (art. 262 let. a CPC).
L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, Commentaire romand, N 3 ss ad art. 261 CPC).
Le requérant doit rendre également vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets. Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).
Le dommage difficilement réparable est principalement de nature factuelle; il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès. Il est constitué, pour celui qui requiert les mesures provisionnelles, par le fait que, sans celles-ci, il serait lésé dans sa position juridique de fond (ATF 138 III 378 consid. 6.3).
Rendre vraisemblable signifie qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit convaincu de l'exactitude de l'allégué présenté; il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, le juge acquière l'impression que les faits invoqués se sont produits, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'ils aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 132 III 715 consid. 3.1; 130 III 321 consid. 3.3). La vraisemblance requiert plus que de simples allégués: ceux-ci doivent être étayés par des éléments concrets ou des indices et être accompagnés de pièces (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_893/2013 du 18 février 2014 consid. 3).
Le juge peut en outre se limiter à un examen sommaire des questions de droit (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5P.422/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3.2; Bohnet, op. cit., N 4 ad art. 261 CPC et les références citées).
La mesure ordonnée doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui signifie qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée, en ce sens qu'il ne doit pas exister d'alternatives moins incisives (Hohl, Procédure civile, tome 2, 2ème éd., 2010, p. 323 s.).
3.1.2 Selon l'art. 19 CO, l’objet d’un contrat peut être librement déterminé, dans les limites de la loi.
Cette disposition pose le principe de la liberté de déterminer le contenu d’un contrat, dans les limites fixées par les dispositions légales. Les restrictions au choix du contenu forment donc l’exception. La liberté de fixer le contenu porte non seulement sur les éléments essentiels – prestation et contre-prestation – mais aussi sur les autres éléments du contrat. Elle englobe également la liberté de déterminer la relation entre la prestation et la contre-prestation et donc, le plus souvent, le prix. Il n’y a pas, en droit suisse, d’obligation de conclure à un prix «juste»; en revanche, diverses formes d’abus sont réprimées, en particulier l’exploitation de la situation de faiblesse d’une partie pour en tirer un avantage matériel indu (lésion, art. 21 CO) (Guillod/Steffen, Commentaire romand, n. 48-49 ad art. 19/20 CO).
Selon l'art. 21 al. 1 CO, en cas de disproportion évidente entre la prestation promise par l’une des parties et la contre-prestation de l’autre, la partie lésée peut, dans le délai d’un an, déclarer qu’elle résilie le contrat et répéter ce qu’elle a payé, si la lésion a été déterminée par l’exploitation de sa gêne, de sa légèreté ou de son inexpérience. Le délai d’un an court dès la conclusion du contrat (al. 2).
La gêne se produit le plus souvent dans des rapports financiers et économiques. Dans ces cas, la conclusion du contrat lésionnaire représente un « moindre mal » aux yeux du lésé. Peu importe si la victime s’y trouve par sa propre faute ou non, ce qui compte est le fait que le lésant a profité de l’état de gêne de sa victime. La gêne peut aussi s’emparer des personnes morales qui se trouvent dans des conditions difficiles, comme par exemple lorsqu’elles doivent contracter des prêts à des taux surfaits pour surmonter un manque temporaire de liquidités (Schmidlin/Campi, Commentaire romand, n. 7-8 ad art. 21 CO).
Le lésant exploite sciemment la situation en imposant à l’autre partie des prestations disproportionnées, soit en prenant l’initiative, soit en profitant d’une situation préexistante. Sa prise d’influence est cause de la disproportion des prestations (Schmidlin/Campi, op. cit., n. 12 ad art. 21 CO).
Il incombe au lésé de démontrer la disproportion évidente entre les prestations promises, la situation précaire dans laquelle il se trouvait (gêne, inexpérience, légèreté) et le fait d’avoir été exploité par le lésant. Tout en étant limité par les faits démontrés, le juge est libre dans l’appréciation de la disproportion puisque celle-ci constitue une question de droit (Schmidlin/Campi, op. cit., n. 34 ad art. 21 CO).
Compte tenu des difficultés liées à rapporter la preuve de l'exploitation, en présence d'une disproportion manifeste entre les prestations contractuelles, la situation de faiblesse du lésé ainsi que son exploitation par le lésant doivent être présumées. L'invalidation partielle est l'exercice d'un droit formateur qui modifie directement la situation juridique; il n'est donc pas nécessaire d'intenter une action formatrice (Herzog, KUKO OR, 2014, n. 16 ad art. 21 CO).
3.1.3 A teneur de l'art. 29 al. 1 CO, si l’une des parties a contracté sous l’empire d’une crainte fondée que lui aurait inspirée sans droit l’autre partie ou un tiers, elle n’est point obligée.
La crainte est réputée fondée lorsque la partie menacée devait croire, d’après les circonstances, qu’un danger grave et imminent la menaçait elle-même, ou l’un de ses proches, dans sa vie, sa personne, son honneur ou ses biens (art. 30 al. 1 CO). La crainte de voir invoquer un droit ne peut être prise en considération que si la gêne de la partie menacée a été exploitée pour extorquer à celle- ci des avantages excessifs (art. 30 al. 2 CO).
Menacer son partenaire d’exercer à son encontre un droit dont on dispose n’est pas une menace au sens de la loi. Ainsi, l’avertissement de vouloir résilier un contrat conformément à l'art. 107 CO, de recourir à une action pénale si l’autre ne répare pas les dommages causés, l’envoi d’un commandement de payer, etc., ne sont pas de véritables menaces, puisque ces actes sont conformes au droit auquel tout contractant est soumis à condition que le droit invoqué existe objectivement (Schmidlin/Campi, op. cit., n. 17 ad art. 29/30 CO).
L’exception prévue par la loi ne concerne que le cas où un contractant utilise son droit pour obtenir des avantages excessifs, non couverts par le droit invoqué. Notons que ce n’est pas son droit qui est abusif mais uniquement la façon dont il est exercé: menacer quelqu’un d’exécution forcée s’il ne souscrit pas une reconnaissance de dette concernant un prêt, ou vouloir dénoncer une livraison de marchandises non conforme à la loi si le partenaire ne consent pas à quelques livraisons partielles gratuites est abusif. Les termes avantages excessifs signifient d’abord une disproportion quantitative qui doit être évaluée selon les mêmes critères que l’usure. En outre, ils incluent également tout autre avantage disproportionné, à l’intérieur ou à l’extérieur du contrat, pourvu qu’il soit accordé en violation des règles de la bonne foi (Schmidlin/Campi, op. cit., n. 18-19 ad art. 29/30 CO).
Il appartient à la partie menacée de prouver aussi bien l'existence d'une situation de menace que son effet causal sur la conclusion du contrat (Schmidlin/Campi, op. cit., n. 23 ad art. 29/30 CO).
Selon la théorie de l’invalidation rétroactive, à laquelle se rallient désormais la majorité de la doctrine et la jurisprudence, le contrat souffrant d’un vice de la volonté n’est pas nul mais seulement annulable. Le contrat qui est valablement conclu déploie normalement ses effets entre les deux parties dès le début et ce jusqu’au moment où la partie souffrant du vice de la volonté l’invalide. Dès que le contrat est invalidé, l’invalidation dissout les effets contractuels rétroactivement (Schmidlin/Campi, op. cit., n. 5 ad art. 31 CO).
3.1.4 La poursuite pour effet de change, prévue aux articles 177 et 189 LP, est une procédure simplifiée et accélérée, permettant d'obtenir rapidement la faillite du débiteur, qui ne peut soulever qu'un nombre restreint d'exceptions (arrêt du Tribunal fédéral 5A_868/2020, 5A_869/2020 du 20 janvier 2021, consid. 4.1.2).
3.2 En l'espèce il est vraisemblable que, au moment de la conclusion des différents accords du 11 novembre 2022, l'intimée se trouvait dans la gêne, puisqu'elle était en manque de liquidités et dans l'incapacité d'honorer ses obligations envers l'appelant. Elle était dans une position critique puisque D______ avait la possibilité de provoquer sa faillite à bref délai par le biais d'une poursuite pour effet de change.
Il ressort de la comparaison des versions des co-investment et shareholders agreements des 17 juin 2022 et 11 novembre 2022 que la modification des accords initiaux a entraîné une dégradation notable de la position de l'intimée.
Le seul avantage obtenu par l'intimée dans le cadre des accords de novembre 2022 a été l'octroi d'un délai de quelques semaines pour verser à D______ la commission qui lui était due.
Les avantages suivants ont quant à eux notamment été obtenus par D______, puis par l'appelante à laquelle les droits en question ont été cédés :
- La possibilité d'exercer l'option put portant sur ses 170'087 actions dès le 2 septembre 2023 au lieu du 2 septembre 2025 et l'octroi d'un droit de nantissement sur l'intégralité des 1'428'740 actions de la banque appartenant à l'intimée (1'530'792 en novembre 2022).
- Le nantissement en sa faveur de l'intégralité des actions de B______ SA dans la banque.
- Une augmentation de 2% à 15% des intérêts de retards sur les montants dus selon les billets à ordre, payables mensuellement.
- Le pouvoir d'exercer tous les droits de vote rattachés aux actions de B______ SA dans la banque, dans le cas où celle-ci ne respectait pas une échéance de paiement ou une autre de ses obligations.
- La possibilité de piloter seul le processus de vente des actions de B______ SA et de recevoir une prime au succès de 1% sur ladite vente.
- Le remboursement supplémentaire de frais liés au retard de paiement.
Les prestations respectives des parties qui viennent d'être décrites sont vraisemblablement manifestement disproportionnées. En particulier, l'intérêt légal en cas de retard de paiement est de 5% (art. 104 CO). Or en l'espèce, l'intérêt convenu a été fixé au triple de ce montant. La valeur marchande des droits sur les actions de C______ SA concédés à l'appelante dépasse vraisemblablement très largement les avantages retirés par l'intimée du fait du seul sursis à l'exécution qu'elle a obtenu.
Il en résulte que la condition de la disproportion évidente entre la prestation de l'appelante et la contre prestation de l'intimée au sens de l'art. 21 CO est vraisemblablement réalisée.
L'appelante affirme que l'intimée a également octroyé des avantages à d'autres créanciers, notamment en contractant des prêts à 15% d'intérêts et en signant des billets à ordre. Ces allégations ne sont confirmées par aucune pièce et sont au demeurant dénuées de pertinence pour juger de la validité des conventions litigieuses en l'espèce. Même à supposer qu'elles soient exactes, elles ne font que confirmer que l'intimée se trouvait dans la gêne à l'époque de la conclusion des accords litigieux.
Conformément à la doctrine précitée, en présence de cette disproportion manifeste entre les prestations contractuelles, il convient de présumer que la gêne de l'intimée a été exploitée par D______.
Les courriels adressés par ce dernier à l'intimée confirment cette présomption. Il en ressort que celui-ci a fait un usage abusif de sa position de force, en impartissant des délais très brefs à l'intimée pour s'exécuter et en affirmant clairement, de manière répétée, que si elle n'acceptait pas sans délai de signer les nouveaux contrats qu'il lui proposait, il entamerait une procédure d'exécution forcée qui conduirait probablement à sa faillite. D______ soulignait notamment, le 26 octobre 2022, qu'il avait engagé des démarches de recouvrement, relevait le 6 novembre 2022, que, si ses exigences n'étaient pas acceptées, il ne pourrait pas sursoir à la procédure de recouvrement qui s'approchait pour la semaine prochaine, à moins de signer les accords et ajoutait encore le 9 novembre 2022 que, si l'intimée ne signait pas, il procéderait à l'exécution forcée.
Contrairement à ce que fait valoir l'appelante, même si la formulation des courriels envoyés par D______ était polie, et que celui-ci faisait mine d'assurer l'intimée de son prétendu soutien, ce dernier ne s'est manifesté par aucune démarche concrète. L'intéressé n'a fait aucune concession à sa partenaire en affaire et l'a au contraire mise sous pression de manière à obtenir de sa part des avantages excessifs, qu'il n'aurait vraisemblablement pas obtenus si l'intimée ne se trouvait pas menacée d'une faillite imminente.
Le fait que celle-ci ait attendu le 18 juillet 2023 pour invalider les conventions n'est pas décisif, le délai pour ce faire, fixé à un an, arrivant à échéance en novembre 2023.
Il résulte de ce qui précède que les accords du 11 novembre 2022 sont vraisemblablement invalides pour cause de lésion.
Ils ont en outre vraisemblablement également été valablement invalidés pour crainte fondée au sens des articles 29 et 30 CO.
Au moment de la conclusion de ces accords, l'intimée pouvait en effet croire que, si elle ne signait pas ce qui lui était proposé, sa faillite serait prononcée à bref délai sur la base d'une poursuite pour effet de change. Il est en effet constant qu'un billet à ordre permet d'obtenir très rapidement la faillite du débiteur.
D______ a vraisemblablement fait usage de son droit d'entamer une telle poursuite de manière abusive, pour extorquer des avantages excessifs à l'intimée au sens de l'art. 30 al. 2 CO. En particulier, les avantages obtenus en lien avec les modalités d'exercice de l'option put, le droit d'exiger le nantissement des actions de l'intimée, le pouvoir d'exercer les droits de vote rattachés à ces actions et de piloter leur vente, tout en touchant une commission supplémentaire sur celle-ci, n'ont aucun lien avec le retard de paiement de l'intimée. Un éventuel dommage subi par l'appelante de ce fait était de plus largement compensé par l'augmentation à 15% du taux de l'intérêt de retard.
La Cour retiendra dès lors que les amended and restated co-investment et second amended and restated shareholders agreements du 11 novembre 2022 ont vraisemblablement été valablement invalidés avec effet ex tunc, de sorte que le droit de l'appelante d'exercer son option put et de demander le nantissement des actions de l'intimée doit être examiné à la lumière des dispositions contractuelles liant les parties antérieurement à cette date.
Or l'option put prévue par le shareholders agreement du 17 juin 2022 ne peut pas être exercée avant septembre 2025. L'appelante ne dispose dès lors d'aucune prétention en lien avec une telle option en l'état.
L'appelante fait valoir que la mesure qu'elle sollicite peut être obtenue sur la base de l'art. 9.1 let. a de la convention d'actionnaires du 17 juin 2022 qui interdit à l'intimée de remettre ses actions en garantie à des tiers.
L'appelante n'est cependant pas partie à cette convention, puisque seuls les droits et obligations en lien avec les accords du 11 novembre 2022 lui ont été cédés, conformément à la "Declaration of accession" signée par D______ le 27 juin 2023. Elle ne peut dès lors pas se fonder sur la convention d'actionnaire du 17 juin 2022 pour obtenir la mesure provisionnelle litigieuse.
En tout état de cause, même si l'appelante était partie à la convention précitée, ce qui n'est pas le cas, la simple interdiction de remise des actions en garantie à un tiers contenue dans celle-ci ne confèrerait pas à l'appelante une prétention au sens de l'art. 261 al. 1 CPC, dont elle pourrait demander la protection provisoire par voie de mesures provisionnelles. Les mesures provisionnelles ont pour but de sauvegarder provisoirement une prétention faisant l'objet d'une action au fond dans l'attente de l'issue de cette action. Or il a été relevé précédemment que la prétention au fond invoquée par l'appelante, à savoir son droit d'exercer son option put, et d'obtenir le nantissement des actions, n'est pas vraisemblable en l'état.
A cela s'ajoute que l'appelante n'est pas vraisemblablement menacée de subir un dommage difficilement réparable.
Elle n'explique pas concrètement en quoi le fait que l'intimée se dessaisisse de ses actions, serait-ce en violation des dispositions de la convention d'actionnaires, lui causerait un dommage difficilement réparable. L'appelante n'a en effet pour le moment vraisemblablement pas de créance à l'encontre de l'intimée.
Il n'est au demeurant pas rendu vraisemblable que l'intimée entende nantir ses actions ou les transférer à titre de sûretés, en violation de l'art. 9.1 let. d de la convention d'actionnaires de juin 2022 dans un proche avenir.
Le fait que le 6% des actions dont l'intimée est propriétaire ait été transféré à la I______ SA n'est pas décisif. L'appelante ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations selon lesquelles cette société, dont E______ est administrateur, ne serait pas affiliée à celui-ci au sens de l'art. 9.1 let. b précité. A ce stade de la procédure, les affirmations de l'intimée sur ce point, corroborées par le courrier adressé à la banque le 14 septembre 2023, sont plus vraisemblables que celles de l'appelante. De plus, rien n'indique que ce transfert se serait fait à titre de sûretés au sens de l'art. 9.1 let. a du contrat d'actionnaires. Le courrier précité indique au contraire qu'il s'agit d'une vente.
L'appelante se prévaut en vain de la démarche de l'intimée tendant à l'émission par la banque de certificats d'actions pour ses participations. Une telle démarche n'est pas contraire aux conventions conclues par les parties.
A supposer que l'intimée adopte un comportement contraire aux obligations contractées dans les accords liant les parties et que ce comportement cause un dommage à l'appelante, ce qui n'est pas rendu vraisemblable à ce stade, l'appelante aura la possibilité de l'actionner en responsabilité ou de prendre le moment venu toute autre mesure qu'elle estimerait utile pour protéger ses intérêts.
C'est le lieu de relever que le risque d'insolvabilité est un risque courant en matière d'investissement et qu'il ne saurait à lui seul conférer un droit à obtenir des mesures provisionnelles au sens du CPC, en dehors des cas spécifiquement prévus par la LP.
Le fait que la situation de l'intimée soit notoirement obérée ne justifie dès lors pas qu'il soit fait droit à la requête de l'appelante, qui ne rend pas vraisemblable être au bénéfice d'un droit préférable par rapport aux autres créanciers de celle-ci.
L'ordonnance querellée sera par conséquent confirmée.
4. L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux frais d'appel (art. 106 CPC).
Les frais judiciaires, comprenant ceux des décisions sur mesures superprovisionnelles et effet suspensif, seront fixés, compte tenu de l'ampleur et de la complexité du litige ainsi que de la valeur litigieuse, à 6'000 fr. et partiellement compensés avec l'avance en 2'700 fr. fournie par l'appelante (art. 26, 37 RTFMC; 111 CPC). L'appelante sera condamnée à verser à l'Etat de Genève le solde en 3'300 fr.
Les dépens alloués à l'intimée seront fixés à 5'000 fr. débours et TVA compris (art. 84, 85, 88 et 90 RTFMC; 23, 25 et 26 LaCC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par A______ (DE) L.P. contre l'ordonnance OTPI/816/2023 rendue le 18 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22866/2023–20 SP.
Au fond :
Confirme l'ordonnance querellée.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Met à la charge de A______ (DE) L.P. les frais judiciaires d'appel, fixés à 6'000 fr. et partiellement compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ (DE) L.P. à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, 3'300 fr. au titre des frais judiciaires d'appel.
Condamne A______ (DE) L.P. à verser à B______ SA 5'000 fr. de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.