Décisions | Sommaires
ACJC/309/2024 du 05.03.2024 sur JTPI/688/2024 ( SFC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/21587/2023 ACJC/309/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 5 MARS 2024 |
Entre
A______ SÀRL, sise ______ (GE), recourante contre un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 15 janvier 2024.
A. Par jugement JTPI/688/2024 du 15 janvier 2024, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a déclaré A______ SARL en état de faillite dès le même jour à 15 heures (ch. 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 200 fr., mis à sa charge, condamnée à les verser à l'Etat de Genève (ch. 2 et 3).
En substance, le Tribunal a considéré que l'avis de surendettement avait été formé par les deux associés gérants de A______ SARL, B______ et C______, lesquels avaient démontré que la précitée était surendettée et ne pouvait trouver de solution d'assainissement à court terme. La société étant surendettée, sa faillite devait être prononcée.
B. a. Par acte déposé le 18 janvier 2024 à la Cour de justice, A______ SARL, représentée par B______, a formé recours contre ce jugement, sollicitant son annulation. Elle a conclu à la suspension des effets de la faillite jusqu'au 1er juillet 2024.
A______ SARL a allégué avoir conclu, à une date non précisée, un contrat d'un montant de 1'100'000 fr. avec la société D______ GMBH portant sur 800'000 litres de biogazoil. Pour "finaliser cette transaction", elle avait besoin de continuer son activité jusqu'au 1er juillet 2024". Elle n'a pas produit ledit contrat.
b. Par décision du 18 janvier 2024, la Cour a accordé la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement et des effets juridiques de la faillite.
c. Par avis du 26 janvier 2024, pli recommandé non retiré à la Poste dans le délai de garde par A______ SARL, la cause a été gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. A______ SARL, société inscrite au Registre du commerce genevois le ______ 2009, a pour but le conseil et le négoce de matières premières, le commerce de tous produits liés principalement aux domaines de la santé, du sport, de l'exercice physique et du bien-être, l'externalisation de services administratifs, commerciaux, techniques et financiers, le portage de transactions et toutes prestations de services et conseils s'y rattachant.
B______ en est l'associé-gérant président et C______ l'associé-gérant, tous deux depuis le 23 mars 2020, au bénéfice d'une signature individuelle.
b. Le 19 octobre 2023, A______ SARL a adressé au Tribunal un avis de surendettement. Elle a joint un bilan établi au 31 décembre 2022. Elle a indiqué qu'elle ne disposait plus des liquidités suffisantes pour faire face à ses obligations courantes. La continuation de l'exploitation ne pouvait être garantie. Ses fonds propres étaient négatifs en se fondant sur les valeurs de continuation, "comme vraisemblablement aux valeurs de liquidation". Aucun assainissement n'était envisageable à court terme.
c. Par ordonnance du 30 octobre 2023, le Tribunal a imparti à A______ SARL un délai pour produire un bilan intermédiaire vérifié par l'organe de révision ou par un réviseur agréé, avec des biens estimés à leur valeur d'exploitation et de liquidation.
d. Par pli du 1er décembre 2023, A______ SARL a indiqué que le résultat de la société "était quasi nul, ce qui signifiait que [le] bilan restait inchangé par rapport à la fin 2022". Concernant la valeur d'exploitation, des contrats de biodiesel et de bois généraient environ 15'000 fr. par mois. Cependant, la valeur de liquidation était encore négative. Elle a produit un bilan "income statement" portant sur le premier semestre de l'année 2023.
e. Par courrier du 7 décembre 2023, A______ SARL a informé le Tribunal de la conclusion d'un contrat d'importation de biodiesel avec son seul client en Suisse. Le montant de la transaction serait toutefois versé à une société tierce. Elle a demandé au Tribunal si elle devait entreprendre des démarches en vue de récupérer ce montant.
f. A l'audience du Tribunal du 8 janvier 2024, A______ SARL a déclaré que les pertes de 2022 ne pouvaient pas être récupérées. Sa situation financière ne pouvait être redressée malgré les mesures drastiques prises.
Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.
1. 1.1 La décision querellée ayant été rendue dans une affaire relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 et 319 let. a CPC ; art. 174 al. 1 LP, applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP, en relation avec l'art. 192 LP), seule la voie du recours est ouverte.
1.2 En l'espèce, le recours a été formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC ; art. 174 al. 1 LP), de sorte qu'il est recevable.
1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).
1.4 Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC). Le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire, art. 255 let. a CPC). La preuve des faits allégués doit, en principe, être apportée par titres.
2. La recourante fait valoir un nouveau fait et prend une conclusion nouvelle.
2.1 Selon l'art. 326 CPC, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (al. 1); les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).
A cet égard, l'art. 174 LP - applicable à la faillite sans poursuite préalable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP - prévoit que les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Cette disposition spéciale de la loi, au sens de l'art. 326 al. 2 CPC, vise les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova), à savoir ceux qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction et prouvés par pièces, pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours. Aux termes de l'art. 174 al. 2 LP, le failli peut aussi invoquer de vrais nova, à savoir les faits, intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance, qui sont énumérés aux chiffres 1 à 3. Selon la jurisprudence, ces vrais nova doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours. En vertu de la lettre claire de l'art. 174 al. 2 LP, aucun autre novum n'est admissible. Partant, dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure. Il n'est ainsi pas possible d'invoquer que, dans le délai de recours, l'état de surendettement a été éliminé, qu'un nouvel organe de révision est arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas de surendettement ou encore qu'une postposition de créance nouvellement consentie rend superflu l'avis au juge (arrêts du Tribunal fédéral 5A_252/2020 et 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.2; 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1 et les références, publié in SJ 2019 I p. 376).
2.2 En l'espèce, le fait nouvellement allégué par la recourante semble être postérieur à la date du prononcé du jugement, de sorte que, conformément à ce qui précède, il est irrecevable, ainsi que la conclusion nouvelle en suspension. Ce fait n'est en tout état pas déterminant pour l'issue du litige, compte tenu de ce qui suit.
3. La recourante conclut à la suspension des effets de la faillite jusqu'au 1er juillet 2024.
3.1.1 L'art. 192 LP prévoit que la faillite est prononcée d'office sans poursuite préalable dans les cas prévus par la loi, soit en particulier les art. 725 et 725a CO (arrêt du Tribunal fédéral 5A_269/2010 du 3 septembre 2010 consid. 3).
3.1.2 Selon l'art. 725 al. 2 CO, s'il existe des raisons sérieuses d'admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d'un réviseur agréé. S'il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d'exploitation, ni lorsqu'ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d'administration en avise le juge, à moins que des créanciers de la société n'acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l'actif.
Un avis de surendettement, accompagné de deux bilans intermédiaires (valeur d'exploitation/valeur de liquidation) ainsi que d'un rapport de vérification de l'organe de révision sont en principe indispensables pour le "dépôt de bilan". Selon le Tribunal fédéral, ce dernier document a en effet une portée décisive pour connaître de la situation financière de la société (ATF 120 II 425 consid. 2). Cette exigence tend notamment à éviter que, sous couvert d'un surendettement en réalité inexistant, le conseil d'administration puisse obtenir la faillite de la société (c'est-à-dire sa dissolution) en contrevenant au principe fondamental selon lequel la compétence de décider la dissolution d'une SA appartient exclusivement à l'assemblée générale des actionnaires (Peter/Cavadini, Commentaire romand, Code des obligations II, 2017, n. 45 ad art. 725 CO).
Il y a surendettement au sens de l'art. 725 al. 2 CO, lorsque l'actif social ne couvre plus les fonds étrangers, c'est-à-dire lorsque les fonds propres ont été entièrement consommés par les pertes (Peter/Cavadini, op. cit., n. 31 ad art. 725 CO).
Au vu de l'avis de surendettement, le juge déclare la faillite, à moins que les conditions d'un ajournement soient réunies (art. 725a al. 1 CO; arrêt du Tribunal fédéral 5A_867/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.1.1 et les références).
L'ajournement de la faillite n'est accordé que si la société est surendettée et que son assainissement paraît possible. Il a pour but de permettre la continuation de l'activité de la société (arrêt du Tribunal fédéral 5A_260/2021 du 22 juin 2021 consid. 3; 5A_902/2016 du 21 mars 2017 consid. 5.3.2).
3.2 En l'espèce, la recourante sollicite l'ajournement de sa faillite jusqu'au
1er juillet 2024, motif pris de ce qu'un accord d'un montant de plus d'un million de francs avait été conclu portant sur la vente de biogazoil. Comme retenu supra, ce fait nouveau est irrecevable de même que la conclusion nouvelle en ajournement. Dans son avis du 19 octobre 2023, la recourante a fait part au Tribunal de son état de surendettement et a indiqué qu'aucune mesure d'assainissement à court terme ne pouvait être envisagée. A l'audience du Tribunal du 8 janvier 2024, elle a confirmé ne pas être en mesure de "redresser la situation". C'est par conséquent à bon droit que le Tribunal a retenu que le recourante était surendettée et qu'aucun assainissement ne pouvait être trouvé, de sorte que sa faillite devait être prononcée.
3.3 Il s'ensuit que le recours est infondé, de sorte qu'il sera rejeté.
Compte tenu de l'effet suspensif accordé, la faillite prendra effet à la date du prononcé du présent arrêt (arrêt du Tribunal fédéral 5A_92/2016 du 17 mars 2016 consid. 1.3.2.1).
4. La recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), sera condamnée aux frais du recours, arrêtés à 300 fr. (art. 48, 52 et 61 OELP) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 18 janvier 2024 par A______ SÀRL contre le jugement JTPI/688/2024 rendu le 15 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21587/2023–19 SFC.
Au fond :
Le rejette.
Confirme le jugement querellé, la faillite de A______ SARL prenant effet le 5 mars 2024 à 12 heures.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 300 fr., compensés avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ SARL.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indifférente.