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C/15358/2022

ACJC/183/2023 du 07.02.2023 sur JTPI/11021/2022 ( SFC ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15358/2022 ACJC/183/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 7 FEVRIER 2023

 

 

A______ SA, sise c/o F______ SA, ______, recourante contre un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 septembre 2022, comparant par Me Gregor BÜHLER, avocat, Etude Homburger AG, Hardstrasse 201, case postale 314, 8037 Zurich, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/11021/2022 du 22 septembre 2022, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, "vu l'art. 191 LP", a déclaré A______ SA en état de faillite dès ce jour à 10h45 (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais de la procédure à 50 fr. (ch. 2), les a mis à la charge de la précitée et les a compensés avec l'avance effectuée (ch. 3).

B. Par acte du 6 octobre 2022, A______ SA a formé recours contre ce jugement, concluant à l'annulation du jugement prononçant sa faillite et à la constatation de la nullité de la décision de son assemblée générale du 10 août 2022, sous suite de frais et dépens.

Elle a produit des pièces nouvelles et offert de prouver ses allégués par l'audition d'un témoin.

C. Les faits suivants ressortent du dossier.

a. A______ SA est une société anonyme inscrite au registre du commerce de Genève, qui a pour but les conseils et formations en matière d'investissements, à l'exclusion de la gestion de fortune, du commerce de titres ou de devises et de toute autre activité de placement ou d'intermédiation financière.

Elle est dotée d'un capital de 100'000 fr., divisé en 1'000 actions nominatives de 100 fr.

B______, de Jordanie à C______ [Jordanie], en est l'actionnaire unique et l'administratrice présidente, et D______ le directeur. Tous deux disposent du pouvoir de signature individuelle.

b. Le 4 août 2022, E______ a établi un rapport de révision intermédiaire de l'exercice 2022 (du 1er janvier au 30 juin 2022), dont il ressort qu'elle a effectué un contrôle "selon la Norme suisse relative au contrôle restreint", lors duquel elle n'a pas rencontré d'élément permettant de conclure que les comptes annuels ne seraient pas conformes à la loi et aux statuts.

Etaient joints à ce rapport les comptes annuels de la société. Aucun actif n'apparaît au bilan. Les passifs totalisent 17'963 fr. Le capital est de 100'000 fr., les pertes reportées de 109'296 fr. et les pertes de l'exercice de 8'667 fr.

c. Le 10 août 2022 s'est tenue une assemblée générale de la société, présidée par D______, lequel représentait les cent actions formant la totalité du capital.

L'objet porté à l'ordre du jour était "Déclaration d'insolvabilité et procédure de mise en faillite". L'assemblée a accepté à l'unanimité la proposition d'aviser le juge de l'insolvabilité de la société, les comptes révisés au 30 juin 2022 témoignant que les dettes sociales n'étaient plus couvertes par les biens, "selon l'article 725 du code des obligations".

Le même jour, A______ SA, sous la signature de D______, a adressé une "Déclaration d'insolvabilité et procédure de mise en faillite" au Tribunal, l'avisant de son insolvabilité et exposant pour le surplus qu'elle avait des raisons sérieuses d'admettre [qu'elle était] surendettée". Elle n'a pas pris de conclusions formelles. Elle y a joint le "rapport de révision intermédiaire de l'exercice 2022 (du 1er janvier au 30 juin 2022)" et le procès-verbal de l'assemblée générale du 10 août 2022.

d. Lors de l'audience devant le Tribunal du 22 septembre 2022, D______ a déclaré que la société n'avait plus d'activité depuis 2019, plus de liquidités ni d'actifs, et plus de bureaux. Lors de l'assemblée générale extraordinaire, il représentait les actions de B______, avec l'accord de celle-ci, qui ne souhaitait pas poursuivre l'activité de la société, ayant transféré celle-ci en Australie. La mention suivante figure au procès-verbal: "Je prends note de ce que ma requête est traitée par le Tribunal comme une requête en insolvabilité. Je n'ai pas d'objection à cela ( ). J'estime par ailleurs avoir avisé le juge conformément à mes devoirs tels que prévus à l'art. 725 al. 2 CO."

Le Tribunal a gardé à la cause à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 al. 1 par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP).

Le recours a été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de 10 jours (art. 174 al. 1 LP) et selon la forme requise, de sorte qu'il est recevable, la qualité pour recourir de la société étant donnée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_625/2015 du 18 janvier 2016), s'agissant de la conclusion portant sur l'annulation du jugement de faillite.

1.2 Le conseil d'administration et chaque actionnaire peuvent attaquer en justice les décisions de l'assemblée générale qui violent la loi ou les statuts: l'action est dirigée contre la société (art. 706 al. 1 CO).

Les conclusions de la recourante en constatation de la nullité de la décision de son assemblée générale du 10 août 2022 sont partant irrecevables.

1.3 Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC). Le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire, art. 255 let. a CPC). La preuve des faits allégués doit, en principe, être apportée par titres.

2. La recourante a produit des pièces nouvelles devant la Cour.

2.1.1 Selon l'art. 326 CPC, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (al. 1); les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).

A cet égard, l'art. 174 LP - applicable à la faillite sans poursuite préalable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP - prévoit que les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Cette disposition spéciale de la loi, au sens de l'art. 326 al. 2 CPC, vise les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova), à savoir ceux qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction et prouvés par pièces, pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours. Aux termes de l'art. 174 al. 2 LP, le failli peut aussi invoquer de vrais nova, à savoir les faits, intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance, qui sont énumérés aux chiffres 1 à 3. Selon la jurisprudence, ces vrais nova doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours. En vertu de la lettre claire de l'art. 174 al. 2 LP, aucun autre novum n'est admissible. Partant, dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure. Il n'est ainsi pas possible d'invoquer que, dans le délai de recours, l'état de surendettement a été éliminé, qu'un nouvel organe de révision est arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas de surendettement ou encore qu'une postposition de créance nouvellement consentie rend superflu l'avis au juge (arrêts du Tribunal fédéral 5A_252/2020 et 5A_264/2020 du 18 juin 2020, consid. 4.1.2; 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1 et les références, publié in SJ 2019 I p. 376).

2.1.2 En procédure sommaire, la preuve est rapportée par titres. D’autres moyens de preuve sont admissibles dans les cas suivants: a. leur administration ne retarde pas sensiblement la procédure; b. le but de la procédure l’exige; c. le tribunal établit les faits d’office (art. 254 CPC).

2.2 Les pièces nouvelles sont recevables (art. 174 al. 2 LP), à l'exception des pièces (et faits qu'elles contiennent) 5, 7 (s'agissant des éléments postérieurs au 22 septembre 2022) et 15, établies postérieurement au jugement entrepris.

Au vu de l'issue du litige, il ne sera pas donné suite à la requête d'audition de témoin de la recourante.

3. 3.1.1 La société est dissouteen conformité des statuts ou par une décision de l’assemblée générale constatée en la forme authentiqueou par l’ouverture de la faillite (art. 736 al. 1 ch. 1 à 3).

La société peut, en tout temps, être dissoute par une décision de l’assemblée générale de la société. En cas de dissolution avec liquidation, cette décision est prise à la majorité absolue des voix attribuées aux actions représentées à l’assemblée générale, à moins que les statuts n’en disposent autrement (CO 703). La décision relative à la dissolution de la société doit, en l’état du droit actuel, impérativement intervenir en la forme authentique (ORC 63 II [a]) (CR CO II-Rayroux, art.736 N 8).

3.1.2 Le débiteur peut lui-même requérir sa faillite en se déclarant insolvable en justice (art. 191 al. 1 LP).

La doctrine topique énonce unanimement que la requête de faillite sans poursuite préalable d'une société anonyme selon l'art. 191 LP présuppose une décision de dissolution de l'assemblée générale constatée par acte authentique. Le Tribunal fédéral a validé cette opinion doctrinale (arrêt du Tribunal fédéral 5A_625/2015 du 18 janvier 2016 consid. 3.2.3 et 3.4.3). Celle-ci avait antérieurement déjà été suivie par certains tribunaux cantonaux. Elle trouve sa justification dans le fait que la déclaration d'insolvabilité selon l'art. 191 LP entraîne la dissolution de la société. Or, de par la loi, celle-ci doit résulter d'une décision émanant impérativement de l'assemblée générale des actionnaires conformément à l'art. 736 ch. 2 CO. Il s'agit là en effet d'une compétence inaliénable de cet organe. La décision du conseil d'administration d'une société anonyme de déposer une déclaration d'insolvabilité au sens de l'art. 191 LP sans que l'assemblée générale des actionnaires ait préalablement adopté de décision de dissolution est par conséquent nulle (arrêt du Tribunal fédéral 5A_246/2020 du 28 mai 2020 consid. 6.2 et les références citées).

3.1.3 La faillite des sociétés anonymes, des sociétés en commandite par actions, des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés coopératives peut être prononcée sans poursuite préalable, dans les cas prévus par le code des obligations (art. 725a, 764, al. 2, 817, 903 CO) (art. 192 LP).

S’il ressort du dernier bilan annuel que la moitié du capital-actions et des réserves légales n’est plus couverte, le conseil d’administration convoque immédiatement une assemblée générale et lui propose des mesures d’assainissement. S’il existe des raisons sérieuses d’admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d’un réviseur agréé. S’il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d’administration en avise le juge, à moins que des créanciers de la société n’acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l’actif (art. 725 al. 1 et 2 CO).

Au vu de l’avis, le juge déclare la faillite. Il peut l’ajourner, à la requête du conseil d’administration ou d’un créancier, si l’assainissement de la société paraît possible; dans ce cas, il prend les mesures propres à la conservation de l’actif social (art. 725a al. 1 CO).

La notion de surendettement est définie de manière expresse dans le droit des sociétés. Par exemple, s'il existe des raisons sérieuses d'admettre que le passif de la société excède l'actif, il doit être dressé un bilan intermédiaire sujet à la vérification de l'organe de révision. S'il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les actifs sont estimés à leur valeur d'exploitation, ni lorsqu'ils le sont à leur valeur de liquidation (réalisation), le conseil d'administration doit en aviser le juge, à moins que des créanciers de la société n'acceptent, dans la mesure de l'insuffisance de l'actif, la subordination (postposition) de leurs créances (Cometta, op. cit., art. 192 N 2).

3.1.4 Est déduit du droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. le devoir pour le juge de motiver sa décision. Le juge n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_579/2017 du 13 septembre 2017 consid. 2.1).

3.1.5 Savoir quel sens il y a lieu d'attribuer aux conclusions et déclarations du demandeur est affaire d'interprétation. Comme les actes judiciaires et autres déclarations des parties sont des manifestations de volonté faites dans le procès et sont adressées tant au juge qu'à la partie adverse, il y a lieu de les interpréter objectivement, soit selon le sens que, d'après les règles de la bonne foi, les destinataires pouvaient et devaient raisonnablement leur prêter (principe de la confiance) (ATF 138 III 29 c. 2.2.3, JdT 2014 II 290 ; 135 III 295 c. 5.2 ;
105 II 149 c. 2a, JdT 1980 I 177).

3.2 En l'espèce, le courrier de la recourante du 10 août 2022 au Tribunal contient à la fois une déclaration d'insolvabilité et un avis de surendettement. Lors de l'audience, la recourante "a pris note de ce que sa requête serait traitée comme une requête en insolvabilité", tout en persistant à considérer qu'elle estimait avoir informé le juge de son surendettement. Il n'y a pas lieu d'interpréter plus avant les conclusions (implicites) de la recourante, dans la mesure où le jugement doit être annulé, que la requête soit considérée comme une déclaration d'insolvabilité ou comme un avis de surendettement.

3.2.1 En effet, la recourante n'a pas produit devant le Tribunal le procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires actant, en la forme authentique, la décision de dissoudre la société et d'instruire le conseil d'administration de déposer la déclaration d'insolvabilité devant le juge compétent. Faute d'une telle décision, il ne pouvait en l'occurrence être fait droit à la requête de la recourante considérée comme une déclaration d'insolvabilité, étant précisé que, si tant est qu'il faille en tenir compte, le procès-verbal annexé à la requête ne contient aucune décision de dissolution et n'a pas été dressé en la forme authentique.

Pour cette raison déjà le premier juge n'était pas fondé à prononcer la faillite de la recourante.

3.2.2 S'il fallait considérer l'acte du 10 août 2022 comme un avis de surendettement, la solution ne serait pas différente car le juge n'était pas non plus fondé à prononcer la faillite de la recourante.

En effet, s'il ressort du bilan intermédiaire produit que la société était en état de surendettement, celui-ci n'a pas fait l'objet d'une révision par un réviseur agréé. Il n'apparait pas non plus que les autres conditions posées par l'art. 725 CO étaient réalisées. L'avis de surendettement, n'a pas été déposé par le conseil d'administration de la recourante, mais par son directeur.

3.3.3 Par surabondance, il sera relevé que le jugement entrepris ne comprend ni état de faits ni motivation, de sorte qu'il viole le droit d'être entendu de la recourante et doit être annulé pour ce motif également. La cause ne sera toutefois pas retournée au Tribunal, la recourante obtenant gain de cause, à savoir l'annulation du jugement prononçant la faillite.

4. Les frais de première instance et de recours seront laissés à la charge du canton compte tenu de l'issue du litige (art. 107 al. 2 CPC).

Les avances effectuées par la recourante lui seront restitués.

Il ne peut être alloué de dépens à la recourante (ATF 140 III 385).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 6 octobre 2022 par A______ SA contre le jugement JTPI/11021/2022 rendu le 22 septembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15358/2022–10, s'agissant des conclusions en annulation dudit jugement et irrecevables pour le surplus.

Au fond :

Annule ce jugement.

Sur les frais :

Laisse les frais de première instance et de recours, arrêtés à respectivement 50 fr. et 375 fr. à la charge du canton.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA la somme de 425 fr.

Dit qu'il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indifférente
(art. 74 al. 2 let. d LTF).