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C/17549/2022

ACJC/86/2023 du 20.01.2023 sur JTPI/11072/2022 ( SFC ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17549/2022 ACJC/86/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 20 JANVIER 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, recourant contre un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 26 septembre 2022, comparant par Me Damien BONVALLAT, avocat, MBLD ASSOCIÉS, rue Joseph-Girard 20, case postale 1611, 1227 Carouge, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/11072/2022 du 26 septembre 2022, reçu le 29 septembre 2022 par A______, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a rejeté la requête d'insolvabilité formée le 15 septembre 2022 par le précité (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 50 fr. (ch. 2), compensés avec l'avance de frais fournie par A______ et laissés à sa charge (ch. 3) et débouté celui-ci de toutes autres conclusions (ch. 4).

Le Tribunal a retenu que A______ ne disposait d'aucun actif à réaliser au profit de ses créanciers et que le but poursuivi par sa requête était vraisemblablement d'éviter une saisie sur salaire. Il n'avait ainsi pas d'intérêt digne de protection à la déclaration de sa faillite.

B. a. Par acte expédié le 10 octobre 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ forme recours contre ce jugement, dont il sollicite l'annulation. Cela fait, il conclut, principalement, au prononcé de sa faillite, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision et à ce que la Cour statue sur les frais judiciaires.

Il allègue des faits nouveaux et produit une pièce nouvelle.

b. Par avis du greffe de la Cour du 26 octobre 2022, il a été informé de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier:

a. A______, né le ______ 1969, est séparé de son épouse et père de trois enfants majeurs, dont l'un est encore à sa charge.

b. Il est l'administrateur unique de la société B______ SA sise à Genève, dont le capital-actions est composé de 100 actions d'une valeur nominale de 1'000 fr. chacune.

A______ a allégué ne percevoir aucun revenu de cette société et détenir 70% de ces actions.

c. Depuis 2020, il fait l'objet de vingt-quatre poursuites pour un montant total de 918'690 fr. 90.

d. Au 30 juin 2022, son compte bancaire présentait un solde négatif de 3'061 fr. 92.

e. Depuis le 1er juillet 2022, il exerce une activité lucrative auprès de la société C______ SA et perçoit un revenu mensuel net de 5'000 fr.

f. A teneur du procès-verbal de saisie établi le 26 août 2022, A______ a fait l'objet d'une saisie de gains indépendant à hauteur de 8'461 fr. par mois du 9 mai au 25 août 2022 (calculée sur une moyenne de l'aide financière régulière perçue de son père), puis d'une saisie mensuelle sur salaire à hauteur de 3'138 fr. par mois du 26 août au 25 octobre 2022, ce qui lui laissait un disponible mensuel de 1'862 fr., correspondant à ses charges incompressibles.

Ses actions de la société B______ SA, estimées à 70'000 fr., ont également été saisies.

g. Le 15 septembre 2022, A______ a requis du Tribunal le prononcé de sa faillite personnelle en application de l'art. 191 LP.

Il a allégué ne disposer d'aucun bien mobilier et/ou immobilier en Suisse ou à l'étranger et être insolvable. Il était donc dans l'impossibilité de s'acquitter de ses nombreuses dettes.

h. Par décision DTPI/8870/2022 du 15 septembre 2022, le Tribunal a imparti à A______ un délai au 15 octobre 2022 pour fournir une avance de frais de 3'550 fr., soit 50 fr. d'avance de frais judiciaires et 3'500 fr. d'avance des frais de liquidation sommaire de la faillite par l'Office des faillites.

La somme de 3'500 fr. a été versée le 19 septembre 2022 par le conseil de A______. A cet égard, il a allégué que cette somme avait été préalablement provisionnée en mains de son conseil.

A______ s'est acquitté du solde de 50 fr. le 20 septembre 2022.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 al. 1 par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP).

Le recours a été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 174 al. 1 LP et 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de 10 jours (art. 174 al. 1 LP) et selon la forme prescrite. Il est partant recevable.

1.2 Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC). Le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire, art. 255 let. a CPC). La preuve des faits allégués doit, en principe, être apportée par titres.

2. 2.1 Dans le cadre d'un recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC). Les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).

Selon l'art. 174 al. 1 2ème phrase LP - applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP -, les parties peuvent faire valoir devant l'instance de recours des faits nouveaux lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance. Ainsi, par exception au principe général de l'art. 326 al. 1 CPC, les parties peuvent alléguer des pseudos nova sans restriction en matière de faillite (arrêt du Tribunal fédéral 5P_263/2003 du 25 août 2003 consid. 3.3.1).

2.2 Il s'ensuit que la pièce nouvelle produite par le recourant est recevable. Il en va de même des allégués de faits nouveaux exposés dans le recours, qui sont antérieurs au prononcé du jugement entrepris. Ceux-ci ont été intégrés dans la partie "en fait" ci-dessus dans la mesure utile.

3. Le recourant reproche au premier juge d'avoir considéré qu'il ne disposait pas de biens à réaliser au profit de ses créanciers, alors qu'il détenait des actions de la société B______ SA.

3.1 Aux termes de l'art. 191 LP, le débiteur peut lui-même requérir sa faillite en se déclarant insolvable en justice (al. 1); lorsque toute possibilité de règlement amiable des dettes selon les art. 333 ss LP est exclue, le juge prononce la faillite (al. 2).

Le requérant n'a pas un droit inconditionnel au prononcé de sa faillite (ATF
133 III 614 consid. 6.1.2). Pour que la faillite puisse être prononcée ensuite d'une déclaration d'insolvabilité en justice, il faut que se réalise une condition positive, soit un état d'insolvabilité, et que, simultanément, ne soit satisfaite aucune condition négative, à savoir la possibilité de règlement amiable des dettes, un ajournement de la décision de faillite en raison d'un sursis concordataire ou extraordinaire, une procédure de faillite déjà en cours, une procédure de détermination de retour à meilleure fortune en cours ou un abus de droit manifeste au sens de l'art. 2 al. 2 CC (Cometta, Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 4 ad art. 191 LP).

La faillite sur déclaration d'insolvabilité du débiteur offre à celui-ci d'importants avantages. En effet, les saisies à son encontre (même les saisies de salaire) tombent. En outre, cette institution lui procure immédiatement la tranquillité nécessaire pour se reprendre financièrement: déjà après l'ouverture de la faillite, il peut disposer librement de son salaire courant (c'est-à-dire les versements devenus exigibles après l'ouverture de la faillite). De plus, il peut à nouveau être poursuivi pour les créances nées avant la faillite uniquement après son retour à meilleure fortune (Amonn/Walther, Grundriss des Schuldbetreibungs und Konkursrechts, 2013, § 38 n° 22-23).

L'interdiction de l'abus de droit est applicable à tout l'ordre juridique, donc également en matière de poursuites et faillite. Dans la procédure de faillite sur déclaration d'insolvabilité du débiteur, le juge doit ainsi vérifier d'office l'application de ce principe à la lumière des circonstances particulières du cas d'espèce (ATF 118 III 27, 113 III 2 consid. 2a).

A titre d'exemple, un débiteur commet un abus de droit lorsqu'il requiert sa faillite, en sachant que la masse en faillite ne comprendrait aucun actif ou lorsqu'il souhaite par ce moyen faire tomber une saisie de salaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_776/2008 du 15 janvier 2009 consid. 2.1). Il en va de même lorsque le dividende prévisible n'est pas nul mais insuffisant (Gapany, La faillite de la personne physique - les abus de la procédure de faillite, in JdT 2018 II p. 21 et les références citées; Brunner/Boller/Fritschi, Basler Kommentar SchKG, 2021, n° 16b ad art. 191 LP).

La faillite volontaire prévue à l'art. 191 LP n'est pas une procédure visant à régler la problématique du surendettement des particuliers obérés. Si l'on devait agréer la demande de faillite volontaire de chaque débiteur qui poursuit le but de faire tomber une saisie sur ses revenus, l'art. 93 LP serait pratiquement vidé de sa substance; il ne saurait y avoir libre choix entre la saisie des revenus et la déclaration d'insolvabilité, car les intérêts des créanciers doivent également être pris en compte; dans ce domaine, il ne peut s'agir de faire triompher uniquement le point de vue du débiteur (ATF 145 III 26 consid. 2.2 et les références citées)

3.2 En l'espèce, après la saisie opérée sur son salaire et le paiement de ses charges mensuelles, le recourant ne disposait plus d'aucun montant. Il n'était ainsi pas en mesure de se constituer de l'épargne. Il semble toutefois que cette saisie a pris fin en novembre 2022. La requête en faillite du recourant n'a ainsi pas pour but de faire tomber une saisie actuelle de salaire.

En outre, il ressort du procès-verbal de saisie du 26 août 2022 que le recourant détient des actions de la société B______ SA, estimées à un total de 70'000 fr. En cas d'ouverture de sa faillite, les saisies à son encontre tomberaient, de sorte que la masse en faillite comprendrait lesdites actions, soit un actif réalisable et non négligeable au profit de ses créanciers. En effet, cela équivaudrait à un dividende prévisible de l'ordre de 7% (70'000 fr. / 918'690 fr.), ce qui apparaît suffisant pour désintéresser partiellement ses créanciers.

Par ailleurs, le recourant s'est acquitté de l'avance des frais de liquidation versée par son conseil, le montant y afférent ayant été vraisemblablement provisionné au préalable en mains de ce dernier.

Dans ces circonstances, la requête du recourant n'apparaît pas abusive, étant précisé que sa situation ne laisse pas entrevoir une possibilité de règlement amiable de ses dettes vu l'importance de celles-ci et le nombre de créanciers, comme retenu par le premier juge.

Par conséquent, le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris sera annulé et la Cour, statuant à nouveau (art. 327 al. 3 let. b CPC), prononcera la faillite du recourant.

4. 4.1 La quotité des frais judiciaires de première instance, arrêtée à 50 fr., est conforme à la loi et n'est pas critiquée devant la Cour de sorte qu'elle sera confirmée (art. 52 OELP). Dans la mesure où ces frais ont été occasionnés par la requête en faillite du recourant du 15 septembre 2022, il se justifie de les laisser à sa charge (ATF 145 III 153 consid. 3.3.1).

Les chiffres 2 et 3 du dispositif du jugement attaqué seront ainsi confirmés.

4.2 Les frais judiciaires de recours, fixés à 75 fr. (art. 52 et 61 OELP), seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC) et le montant de 75 fr. payé par le recourant lui sera restitué.

Il ne sera pas alloué de dépens, l'art. 107 CPC ne permettant pas de mettre des dépens à charge de l'Etat. Le recourant n'en a en tout état de cause pas demandé (art. 95 al. 3 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 10 octobre 2022 par A______ contre le jugement JTPI/11072/2022 rendu le 26 septembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/17549/2022-9 SFC.

Au fond :

Annule le chiffre 1 du dispositif de ce jugement et cela fait, statuant à nouveau sur ce point :

Déclare A______ en état de faillite dès le 20 janvier 2023 à 11h00.

Confirme pour le surplus le jugement entrepris.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 75 fr. et les laisse à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ l'avance de frais versée en 75 fr.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.