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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20592/2022

ACPR/934/2025 du 13.11.2025 sur OCL/1262/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ACTION RÉCURSOIRE
Normes : CPP.420

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20592/2022 ACPR/934/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 13 novembre 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Alice AEBISCHER, avocate, Etude BERTANI & AEBISCHER, rue Ferdinand-Hodler 9, case postale 3099, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l’ordonnance de classement partiel rendue le 21 août 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 4 septembre 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 août 2025, notifiée le 25 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir classé ses plaintes contre B______ (ch. 1) et C______, en tant qu’elles concernaient les infractions de traite d’êtres humains, d’usure et d’infractions aux art. 112 LAA et 87 LAVS (ch. 2), l’a condamné aux frais de la procédure (ch. 14) et au remboursement à l’État de la somme de CHF 9'291.- allouée à B______ à titre d’indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure et de tort moral ainsi que de la somme de CHF 500.- allouée à C______ à titre de réparation du tort moral subi (ch. 15).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement, à ce qu’il soit dispensé de verser des sûretés, à être mis au bénéfice de l’assistance juridique et à la nomination d’office de son conseil, principalement, à l’annulation des chiffres 14 et 15 de l’ordonnance querellée et à ce que les frais de la procédure et les indemnités allouées aux prévenus (frais de défense et tort moral) soient laissés à la charge de l’État.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 15 septembre 2022, A______, a déposé plainte contre son frère, C______, et sa belle-sœur, B______, pour traite d’êtres humains et usure.

En substance, il avait été contacté en 2019 par son frère qui lui avait proposé de lui trouver un travail en France, puis à Genève. Il l’avait alors rejoint en Roumanie, son frère s’y trouvant en vacances avec sa famille, et était rentré avec eux à Genève. Durant ces vacances, il s’était senti comme « un esclave ». À son retour, il avait débuté un emploi dans un des salons de coiffure de son frère et de sa belle-sœur à D______ [France], jusqu’en mars 2020, travaillant de 9h à 21h, sept jours sur sept, sans pause, et pour un salaire de EUR 20.- par jour. Il avait accepté ces conditions car son frère lui avait promis de lui procurer des papiers. Il était alors logé dans une petite pièce à E______ [France], pour un loyer mensuel de EUR 100.-. Il se sentait comme un esclave et avait peur, mais il n’était pas parti, ayant deux frères et deux sœurs qui habitaient à Genève et une relation compliquée avec sa famille. En mars 2020, C______ lui avait dit qu’il travaillerait désormais à M______ [GE] en tant que serveur dans un bar qui lui appartenait. Il avait alors logé dans un appartement insalubre, propriété de son frère, au-dessus de l’établissement, dont il ne pouvait utiliser que la chambre, pour un loyer de EUR 1'000.- par mois. Ses horaires de travail étaient de 7h jusqu’à 19h, puis de 22h jusqu’au départ du dernier client. Du lundi au jeudi et le dimanche, le bar fermait à 2h, mais il restait jusqu’à 4h pour s’occuper du nettoyage. Du vendredi au samedi, le bar fermait à 4h et il finissait de travailler à 6h du matin. Il était censé gagner CHF 100.- par jour, mais devait payer lui-même ses vêtements de travail. Sa belle-sœur l’avait également frappé un jour, en prenant un balai et le jetant contre lui.

b. Plusieurs employés du couple ont été entendus par la police le 11 mai 2023 et indiqué avoir effectué des horaires réglementaires, contre une rémunération adéquate. C______ et B______ s’étaient toujours bien comportés avec eux. Aucun d’entre eux n’avait vu A______ travailler dans les établissements de son frère, mais il l’y accompagnait souvent.

F______, sœur de A______, a en particulier indiqué que ce dernier avait toujours eu des problèmes. Il n’aimait pas travailler et avait sûrement des troubles d’ordre psychiques. C______ devait régulièrement lui envoyer de l’argent pour l’aider. Lorsqu’il était arrivé en Suisse, elle l’avait d’abord hébergé chez elle, puis C______ lui avait mis un studio à disposition. Il n’avait jamais travaillé pour les commerces de leur frère, bien qu’il l’eût souvent accompagné.

c. Entendus par la police en qualité de prévenus C______ et B______ ont contesté les faits qui leur étaient reprochés. Ils n’avaient jamais demandé à A______ de travailler pour eux, ce dernier buvant beaucoup et n’étant pas en mesure d’assumer un emploi. Ils l’avaient logé gratuitement chez eux, chez des membres de la famille ou dans des logements appartenant à C______ et qui n’étaient aucunement insalubres, et avaient assumé ses frais courants. A______ n’avait jamais travaillé dans l’un ou l’autre des commerces dont ils assuraient la gestion.

d. Lors de l’audience de confrontation du 28 juin 2023, A______ a indiqué que les vacances en Roumanie s’étaient très bien passées. S’il avait déclaré à la police qu’il s’y était senti comme un esclave, c’était car son frère lui disait toujours "fais ci ou fais ça". Il lui avait, par exemple, demandé de préparer une chicha ou, à une reprise, de couper le mouton qu’ils avaient ensuite mangé tous ensemble. Son projet, en rejoignant son frère, était de devenir le responsable de tous les salons de coiffure de ce dernier, lesquels rencontraient des problèmes (bagarres entre les employés et disparition d’argent) et d’en gérer le personnel, bien qu’il ne disposât d’aucune qualification professionnelle en la matière. Son frère et sa belle-sœur l’avaient, dans un premier temps, logé chez eux, puis dans « un local poubelles avec une douche, […] un garage » leur appartenant, pour la somme de EUR 600.- par mois, qu’il avait versée durant trois mois au moyen des prestations chômage perçues des autorités finlandaises, avant de cesser de payer le loyer. Il devait cet argent à son frère. Il avait travaillé dans ses salons durant cinq à six mois, pour un salaire d’EUR 600.- par mois. Tous les employés de son frère étaient maltraités. Dès le mois de mars ou avril 2020, il avait vécu à Genève, dans un appartement à N______ [GE] appartenant à son frère, pour un loyer de CHF 1'500.- par mois, cette somme étant déduite de son salaire. Durant cette période, il travaillait au bar G______ et gagnait CHF 100.- par jour, soit environ
CHF 3'000.- par mois et avait des pourboires en plus, mais il a finalement indiqué n’avoir jamais perçu ce salaire. Par la suite, il avait déménagé dans le logement situé au-dessus du bar. Son frère et sa belle-sœur se chargeaient de payer son assurance-maladie ainsi que ses autres charges. Il n’avait le droit de parler à personne, raison pour laquelle il n’avait pas cherché lui-même un appartement. Son frère était dangereux et lui faisait peur. Certains de ses amis étaient des « voleurs » ou des « vendeurs de drogue ». Une fois, il avait aperçu son frère couper de la cocaïne et la mettre dans des sachets dans la cave. Il avait également habité à la rue 1______, avec sa mère et ses sœurs, durant dix jours environ, à une date indéterminée. Son frère et sa belle-sœur l’avaient invité à plusieurs reprises à des événements familiaux et en vacances alors qu’il travaillait pour eux. C______ déduisait de son salaire entre
CHF 500.- et 600.- par mois pour s’occuper des démarches pour obtenir ses papiers. Durant le COVID, ne pouvant plus travailler, il avait demandé de l’argent à son frère, mais ce dernier avait refusé et lui avait dit de faire « comme les africains et qu[’il] vende de la drogue dans la rue ».

C______ a confirmé ses précédentes déclarations et précisé que son frère l’accompagnait au bar, mais n’y avait jamais travaillé. Lorsque ce dernier était arrivé en Suisse, il avait habité chez lui durant deux à trois semaines, puis dans un studio à E______ [France] pour lequel il ne payait pas de loyer. A______ était tout le temps au salon de coiffure, sans pour autant y travailler, n’étant pas coiffeur. Parfois, à sa demande, il lui ramenait des enveloppes d’argent liquide du salon à son domicile. A______ avait ensuite vécu chez leur sœur. Il était alors à la charge de cette dernière, ne travaillant pas. Il était finalement allé vivre avec leur autre sœur à la rue 2______ et c’est cette dernière qui payait le loyer.

e. À l’issue de l’audience, C______ et B______ ont déposé plainte contre A______ pour diffamation et calomnie.

f. Par courrier du 19 juillet et 10 août 2023, C______ et B______ ont également déposé plainte contre A______ pour dénonciation calomnieuse et induction de la justice en erreur.

g. Lors de l’audience du 14 septembre 2023, A______ a été interrogé sur les nombreuses contradictions contenues dans ses déclarations. Il a néanmoins confirmé avoir été « abusé » par son frère et sa belle-sœur, ces derniers l’ayant fait travailler de 7h du matin au lendemain 4h, voire jusqu’à 7h, durant plusieurs mois, devant notamment installer et désinstaller la terrasse du bar. Il ne pouvait pas prendre de pause. Il était venu à la demande de son frère qui avait besoin d’aide pour gérer ses commerces. C______ était très autoritaire. Il confirmait avoir été « un esclave » durant les vacances en Roumanie, devant notamment garder sa nièce et préparer des chichas. Il a affirmé ne jamais avoir vécu à la rue 1______. Son frère l’avait en outre « forcé à prendre de la drogue de manière indirecte », en ce sens qu’un jour, il était descendu à la cave et C______ préparait « une ligne ». Il lui avait dit « vas-y prends », ce qu’il avait fait pour s’intégrer. Il reprochait à B______ de lui crier dessus et d’avoir laissé son frère profiter de lui. Interrogé sur des pièces qu’il avait lui-même produites, il a affirmé avec certitude que la signature s’y trouvant était celle de son frère. Confronté au fait qu’elle ne correspondait pas à celles figurant sur les procès-verbaux, il a indiqué que C______ était un « professionnel ».

C______ et B______ ont maintenu leurs précédentes déclarations. Ils ont précisé que la terrasse étant fixe, aucun meuble ne devait être déplacé.

h. Entendue une nouvelle fois le 30 novembre 2023 en qualité de témoin, F______ a confirmé ses déclarations à la police, indiquant que A______ avait toujours besoin d’argent et en demandait sans cesse aux membres de la famille. C______ lui en avait envoyé régulièrement. Toute la famille se faisait du souci pour lui depuis longtemps car il buvait trop et ne voulait pas travailler. Il n’avait jamais payé de loyer, ni à elle lorsqu’elle l’avait hébergé, ni à leur frère. Elle avait travaillé pour le bar G______ et celui-ci ouvrait à 15h.

H______, employée du bar G______, a également confirmé ses précédentes déclarations du 11 mai 2023 à la police. Elle a ajouté qu’elle avait très souvent vu A______ au bar, mais jamais pour y travailler. Il se rendait parfois derrière le bar pour se servir à boire et prenait parfois de l’argent dans la caisse. Elle a également confirmé que le bar ouvrait à 15h.

i. Lors de l’audience du 4 novembre 2024, A______ est revenu sur ses précédentes déclarations, précisant qu’il ne devait pas travailler 24h sur 24, mais uniquement être disponible. Il a ensuite affirmé travailler 24h sur 24, étant leur esclave. Ses horaires étaient tous les jours différents, terminant parfois à 22h et parfois à 23h, lorsque C______ ou B______ lui disaient d’aller dormir. Il reprenait ensuite vers 2h du matin, après avoir pris une pause, jusqu’à la fermeture à 4h, et il reprenait à 7h. Parfois, au lieu de travailler dans le bar, il devait aller à Plainpalais pour « casser des pierres, faire de la construction et faire de la décoration ».

Entendue comme témoin, I______, médecin psychiatre, a indiqué suivre A______ depuis 2022 par entretiens téléphoniques et confirmé la teneur des attestations rédigées à la demande du conseil de ce dernier et versées à la procédure. Après avoir affirmé que tout ce qu’elle avait indiqué dans les divers documents et courriers produits à la procédure étaient des éléments qu’elle avait personnellement constatés, elle a expliqué que ses attestations avaient en réalité été rédigées sur la seule base des explications de son patient et a admis qu’elle aurait dû faire usage du conditionnel dans ses écrits, notamment lorsqu’elle affirmait que A______ courait un réel danger du fait des agissements de son frère.

j. À la suite de cette audience, C______ a déposé plainte contre I______ pour diffamation et faux témoignage, laquelle fait l’objet d’une procédure distincte.

k. Entendu le 18 décembre 2024, A______ a finalement expliqué avoir en réalité pu bénéficier de pauses, en général de 17h à 23h. Il devait néanmoins se tenir à disposition durant celles-ci. Il a affirmé que ses horaires étaient variables, avant d’indiquer qu’ils étaient toujours fixes. Il vivait actuellement à 400 mètres de chez C______ et B______ et effectuait ses courses dans le magasin près de chez eux car il pouvait y acheter certains produits qu’il aimait.

l. Il ressort des procès-verbaux d’audiences que le Ministère public a, à plusieurs reprises, requis de A______ qu’il explique ses nombreuses contradictions et incohérences, lui rappelant en outre son obligation de dire la vérité.

m. Par ordonnance du 30 janvier 2025, le Ministère public a disjoint la procédure pénale P/3______/2025 dirigée contre A______ pour dénonciation calomnieuse de la présente procédure.

n. À la suite de l’avis de prochaine clôture de l’instruction du 30 janvier 2025, A______ a sollicité l’identification et l’audition du propriétaire du [restaurant fastfood] O______ sis à la rue 2 ______ no. ______ et celle du propriétaire d’un commerce à la rue 2 ______ no. ______. Il a indiqué que ces personnes pourraient confirmer qu’il avait travaillé au bar G______. Il a également requis le paiement de CHF 317'810.20 bruts à titre de rémunération pour le travail effectué pour le compte de son frère et de sa belle-sœur ainsi que de EUR 4'563.- bruts pour le travail effectué en France et CHF 30'000.- à titre de réparation du tort moral.

o. Entendus par la police le 27 mars 2025, les propriétaires des commerces précités, J______ et K______, ont tous deux indiqué, en substance, ne pas avoir vu A______ travailler dans le bar de son frère, mais l’avoir aperçu sur la terrasse et donner parfois un coup de main. J______ fermait son échoppe à 18h et avait pu observer que le bar ouvrait « très tard en fin de journée ».

p. B______ a sollicité une indemnité de CHF 8'891.80 pour ses frais de défense et de CHF 5'000.- à titre de tort moral.

q. C______ a conclu au paiement de CHF 202'239.25 pour la réparation du dommage économique subi et de CHF 30'000.- à titre de tort moral.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que la procédure n’avait pas permis de retenir que les prévenus auraient fait venir A______ en Suisse dans le but d’exploiter sa force de travail et se seraient ainsi rendus coupables de traite d’êtres humains à son détriment. Aucun des témoins ne l’avait vu travailler, ni dans les salons de coiffure, ni dans le bar, et aucun élément ne permettait par ailleurs de considérer qu’il l’aurait fait, le cas échéant, sous la contrainte ou la menace. Les prévenus avaient été constants dans leurs déclarations, contrairement au plaignant qui s’était souvent contredit et avait fourni plusieurs versions des mêmes faits sur tous les éléments pertinents et avait exposé un état de fait qui n’était soit pas constitutif d’une infraction, soit dénué de toute crédibilité. L’élément d’exploitation en matière d’application de l’art. 182 CP faisant manifestement défaut, les éléments constitutifs de l’infraction de traite d’êtres humains n’étaient dès lors pas réalisés.

Aucun élément au dossier ne permettait également de retenir que C______ et B______ auraient sciemment profité de la gêne, de la dépendance, de l’inexpérience ou de la faiblesse de la capacité de jugement de A______ pour le conduire à travailler pour eux sans salaire ou pour obtenir de lui une prestation sans commune mesure avec ses contre-prestations, excluant l’infraction d’usure.

Les voies de fait reprochées à B______, contestée par cette dernière, n’étaient également pas avérées et, dans tous les cas, prescrites.

Enfin, les éléments constitutifs des infractions aux art. 112 LAA et 87 LAVS n’étaient pas réalisés.

Vu le classement des infractions dénoncées par A______, il n’y avait pas lieu de donner suite à ses prétentions civiles et les prévenus avaient droit à une indemnité. Celles pour tort moral devaient être réduites à CHF 400.- pour B______ et CHF 300.- pour C______ et aucun montant n’était alloué à ce dernier à titre de réparation du dommage économique, celui-ci n’étant pas établi. Ces montants devaient être mis à la charge du plaignant qui avait déposé plainte contre son frère et sa belle-sœur pour traite d’êtres humains, soit l’une des infractions les plus graves du code pénal, passible de 20 ans de peine privative de liberté, alors que l’infraction n’était pas réalisée. Durant toute l’instruction, il avait formulé des allégations fluctuantes, contradictoires, et dénuées de crédibilité et avait de la sorte compliqué et prolongé l’instruction de la cause en persistant notamment à affirmer avoir été traité comme un esclave en Roumanie et en sollicitant des actes d’enquête complémentaires. Il avait ainsi contraint son frère et sa belle-sœur à subir une procédure judiciaire que ses nombreux revirements et demandes avaient conduit à compliquer et à prolonger. Par son comportement, A______ avait, intentionnellement ou à tout le moins par négligence grave, provoqué l'ouverture de la procédure et compliqué l’instruction de celle-ci, de sorte qu’il devait également être condamné aux frais de la procédure (art. 427 al. 2
let. a CPP) ainsi qu’au paiement aux prévenus des indemnités pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de leurs droits de procédure (art. 432 CPP. Toutefois, et indépendamment, le contexte, la situation financière de l’intéressé – qui ne lui permettrait que difficilement d’indemniser les prévenus – et les règles de l’équité justifiaient de faire usage de l'action récursoire prévue par l’art. 420 CPP, de sorte que les indemnités dues à B______ et à C______ étaient allouées par l'État, à charge pour A______ de les rembourser.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d’avoir mis les frais de la procédure à sa charge sur la base de l’art. 427 CPP, alors que les infractions dénoncées étaient poursuivies d’office et qu’il ne pouvait dès lors supporter les conséquences de l’ensemble de la procédure pénale, étant précisé qu’il n’avait requis l’administration de preuves qu’à la fin de la procédure, l’instruction ayant été, au préalable, menée sur l’initiative du Ministère public à qui il aurait appartenu de classer la procédure plus tôt. Ses conclusions civiles n’avaient en outre pas engendré de travail supplémentaire et ne justifiaient également pas la mise à sa charge des frais. Il ne pouvait de plus être condamné à indemniser les prévenus pour leurs frais de défense sur la base de l’art. 432 CPP, les infractions dénoncées étant poursuivies d’office. S’agissant de l’action récursoire, le Ministère public n’avait aucunement démontré un comportement fautif, intentionnel, malveillant ou une négligence grave de sa part, citant à cet égard la directive C.5 du Procureur général sur le calcul des frais, dont les conditions de l’art. 6.17 n’étaient pas réalisées. Les contradictions dans ses déclarations étaient dues à son état de santé et aux séquelles psychiques – attestées par certificats médicaux – dues aux faits dénoncés et à l’anxiété provoquée par les audiences. Ainsi, les soupçons suffisants pesant sur les prévenus avaient justifié les actes d’instruction et s’il avait renoncé à contester la décision de classement, bien que les éléments constitutifs soient réalisés, c’était pour éviter de prolonger la procédure et les impacts négatifs qu’elle avait eu sur lui.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Si les fondements juridiques à la condamnation du plaignant à rembourser à l’État les frais de la procédure ainsi que les indemnités accordées aux prévenus étaient, effectivement, peu clairs et partiellement contradictoires, la décision devait être maintenue quant à son résultat. Le raisonnement exposé dans l’ordonnance querellée permettait en outre de comprendre les motifs pour lesquels l’action récursoire avait été retenue. En effet, il avait exposé en quoi il y avait lieu de retenir qu’il était conforme au principe d’équité de faire supporter les frais de la procédure au plaignant qui n’avait pas déposé sa plainte de bonne foi, ce qui ressortait tant du dossier que de la partie « en fait » de l’ordonnance querellée. Le dépôt de la plainte pour traite d’êtres humains avait de plus permis à A______ d’obtenir un permis de séjour et des aides étatiques et la procédure pénale avait été ouverte à la suite de ses déclarations, puis compliquée par ses propres contradictions et allégations parfois dénuées de toute crédibilité. Les attestations de sa thérapeute devaient également être prises avec précaution, vu le contexte dans lequel elles avaient été obtenues, cette dernière retenant par exemple comme avéré que A______ n'osait pas sortir de chez lui de peur de croiser son frère, alors qu’il avait admis aller faire ses courses à proximité immédiate de son domicile par commodité. De plus, malgré l’ouverture d’une procédure parallèle pour dénonciation calomnieuse, les explications apportées à plusieurs reprises durant les audiences quant à ses droits et obligations, notamment de dire la vérité et le temps qui lui avait été laissé pour réfléchir, A______ avait persisté dans ses accusations infondées. Ces éléments justifiaient de faire usage de l’action récursoire de l’art. 420 CPP.

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions et joint notamment deux certificats médicaux établis en juillet 2024 par son médecin traitant lesquels confirmeraient son état de santé délétère, qu’aucun élément au dossier ne permettrait de remettre en cause. Il se trouvait aujourd’hui encore dans un état dépressif « probablement réactionnel ». Enfin, rien ne permettait de retenir qu’il aurait initié la procédure de mauvaise foi et s’il avait rencontré des difficultés à s’exprimer en audience, elles étaient dues à son état de santé.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 91 al. 4, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée
(art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste l'application de l'action récursoire.

2.1.       Aux termes de l'art. 420 CPP, la Confédération ou le canton peut intenter une action récursoire contre les personnes qui, intentionnellement ou par négligence grave, ont provoqué l'ouverture de la procédure (let. a), rendu la procédure notablement plus difficile (let. b) ou provoqué une décision annulée dans une procédure de révision (let. c).

Cette norme consacre l'action récursoire de l'État contre les personnes qui lui ont causé, intentionnellement ou par négligence grave, des frais tels que frais de procédure, indemnisation du préjudice et du tort moral subis par le prévenu ayant bénéficié d'un classement ou ayant été acquitté. Vu l'intérêt de la collectivité à ce que les particuliers contribuent également à dénoncer les agissements susceptibles d'être sanctionnés, l'État ne doit faire usage de l'action récursoire qu'avec retenue. Néanmoins, il paraît conforme au principe d'équité de faire supporter les frais de procédure à celui qui saisit l'autorité de poursuite pénale de manière infondée ou par malveillance. Ainsi, le dénonciateur qui utilise le droit de dénoncer à des fins étrangères à celles pour lesquelles ce droit a été prévu doit supporter les frais afférents au prononcé de non-entrée en matière dont l'État est légitimé à lui réclamer le dédommagement sur la base de l'art. 420 let. a CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_784/2014 du 18 septembre 2015 consid. 2.2; 6B_446/2015 du 10 juin 2015 consid. 2.1.1 et 6B_5/2013 du 19 février 2013 consid. 2.6 et 2.7 et les références citées; ACPR/413/2015 du 6 août 2015 consid. 2.4.1).

2.2.       Une action récursoire entre ainsi en ligne de compte en cas de soupçons sans fondement, mais non lorsqu'une plainte est déposée de bonne foi. L'on songe plutôt à la dénonciation calomnieuse au sens de l'art. 303 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_638/2020 du 3 février 2021 consid. 2.2) commise sous la forme d'une machination astucieuse, au sens de l'art. 303 ch. 1 al. 2 CP ou d'une plainte pénale déposée à la légère ("leichtfertige Anzeige"; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerischen Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 4e éd., Zurich 2023, n. 5
ad art. 420). Selon la jurisprudence, le dénonciateur qui utilise le droit de dénoncer à des fins étrangères à celles pour lesquelles ce droit a été prévu agit par négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral 6B_317/2018 du 10 août 2018 consid. 2.2; ACPR/182/2024 du 12 mars 2024 consid. 4.1). Seuls les cas d'une dénonciation effectuée de bonne foi excluent une action récursoire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_620/2015 du 3 mars 2016 consid. 2 in FP 2017/2 84).

2.3.       Selon l'art. 6.1 de la Directive du Procureur général C.5 mentionnée par le recourant, les frais peuvent être laissés à la charge de l'État (art. 426 et 427 CPP). Le procureur examine toutefois systématiquement s'il ne se justifie pas de les mettre à la charge du prévenu, du plaignant ou de la partie plaignante.

En son art. 6.17, la Directive précise encore qu’il est conforme au principe d'équité de faire supporter les frais de procédure à celui qui saisit l'autorité de poursuite pénale de manière infondée ou par malveillance (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_5/2013 du
19 février 2013, consid. 2.6). En revanche, en cas d'une dénonciation effectuée de bonne foi, une action récursoire est exclue (Arrêt du Tribunal fédéral
6B_620/2015 précité, consid. 2). Dès lors, si le plaignant ou la partie plaignante est condamné à supporter les frais, le procureur le condamne à rembourser l'éventuelle indemnité accordée au prévenu à charge de l'État.

2.4.       En l’espèce, on comprend de la décision querellée, et le Ministère public l’a confirmé dans ses observations, que malgré la mention des art. 427 al. 2 let. a et
432 CPP, ce dernier n’entendait pas se fonder sur ces bases légales pour mettre les frais ainsi que les indemnités à la charge du recourant, mais sur l’art. 420 CPP – ce qu’il a au demeurant fait de manière subsidiaire – cette disposition permet tant à l’État d’exercer une action récursoire notamment lorsqu’une partie a, intentionnellement ou par négligence grave, provoqué l'ouverture de la procédure (let. a) ou rendu celle-ci notablement plus difficile (let. b). Le recourant a au demeurant compris la motivation du Ministère public, puisqu’il conteste que les conditions de l’action récursoire seraient réunies.

Ainsi, il convient de déterminer si le recourant a provoqué de manière infondée ou malveillante l’ouverture de la procédure, justifiant la mise à sa charge des frais engendrés par la procédure et le remboursement des indemnités allouées aux prévenus.

Il ressort tant du dossier que de la décision querellée – que le recourant n’a par ailleurs pas contestée sur le fond – que ce dernier s’est contredit à de nombreuses reprises durant ses auditions, de sorte que ses déclarations étaient souvent dénuées de toute crédibilité. Le recourant explique son comportement par le fort impact de la procédure sur son état de santé, produisant à cet égard des certificat médicaux. Or, si ces derniers font état de répercussions dues à la procédure pénale et aux faits dénoncés, ils ne permettent aucunement d’expliquer les contradictions de l’intéressé et ses nombreuses variations. Il ressort en outre de l’audition de sa psychiatre que les attestations qu’elles avait établies, sur demande du conseil du recourant, se fondaient uniquement sur les déclarations de ce dernier, avec lequel elle s’entretenait par téléphone, et qu’elle aurait dû employer le conditionnel en les rédigeant, n’ayant pas pu elle-même constater les faits. Les allégations du recourant quant à son état de santé doivent de plus être considérées avec retenue, puisqu’ici encore, il se contredit, soutenant par exemple qu’il ne peut plus sortir de chez lui de peur de croiser les prévenus, pour ensuite indiquer qu’il est domicilié à proximité de leur logement et va faire ses courses à côté de celui-ci par commodité, car il s’agit du magasin L______ le plus proche et qu’il aime les produits qui s’y trouvent. Or, un tel comportement semble incompatible avec une anxiété si importante, qu’il lui aurait été impossible de s’exprimer en audience et de confirmer sa version des faits. Ainsi, ses fréquentes contradictions ne peuvent être imputées à son état de santé, qui ne saurait expliquer pour quelle raison il a autant varié dans ses déclarations, notamment en indiquant avoir été traité comme un esclave durant les vacances en Roumanie, puis l’inverse, d’avoir varié tant sur ses horaires – du reste peu crédibles – que sur sa rémunération, sur le montant de son loyer et sur ses lieux d’habitation. De plus, les faits dénoncés, loin d’être avérés, ont au contraire été réfutés non seulement par les prévenus, mais également par les témoins entendus, employés ou non de ces derniers, qui ont notamment soutenu n’avoir jamais vu le recourant travailler dans le bar ou dans les salons de coiffure et avoir eux-mêmes été bien traités et rémunérés.

Contrairement à ce que soutient le recourant, le Ministère public se devait, en présence de dénonciations aussi graves, d’instruire la cause et ne pouvait d’emblée classer les faits. Il lui appartenait en effet de vérifier si les allégations du recourant étaient fondées, ce qui impliquait de procéder à de nombreux actes d’instruction, notamment en auditionnant divers témoins, les prévenus et le recourant. Ce dernier n’a alors cessé de se contredire, rendant la recherche de la vérité plus difficile et rallongeant ainsi la procédure, le Ministère public ayant notamment dû longuement et à plusieurs reprises l’interroger sur ses horaires et ses lieux de vie.

Enfin, s’agissant de l’action récursoire, il importe peu que les infractions en cause soient poursuivies d’office ou sur plainte, l’État pouvant réclamer le remboursement des frais engagés en cas de mauvaise foi ou de négligence grave d’une partie, ce qui est le cas en l’espèce. Quand bien même l’ordonnance querellée se réfère à tort aux art. 427 al. 2 let. a et 423 CPP – applicables exclusivement en cas d’infractions poursuivies sur plainte, ce qui n’est pas le cas ici –, elle spécifie ensuite, qu’indépendamment, l’art. 420 CPP permet à la Confédération ou au Canton d’intenter une action récursoire, de sorte qu’on doit comprendre que c’est sur la base de cette seule disposition que les frais de la procédure et les indemnités en faveur des prévenus ont finalement été mis à la charge du recourant. En effet, la procédure pénale a été ouverte à la suite d’une plainte de ce dernier et il ne pouvait ignorer que les faits graves qu’il dénonçait étaient infondés, aucun élément de preuve n’ayant corroboré, même partiellement, ses dires. Il a ainsi agi sciemment, ou du moins par négligence grave, puis rendu la conduite de la procédure plus difficile par son comportement.

Par conséquent, une action récursoire en faveur de l'État de Genève à l'encontre du recourant est justifiée selon l'art. 420 CPP.

2.5.       Le recourant ne soulève par ailleurs aucun grief sur la quotité des frais et des indemnités alloués aux prévenus, ni sur la part mise à sa charge.

Les différents montants retenus par le Ministère public seront, partant, confirmés.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera ainsi confirmée.

4.             Le recourant sollicite l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours.

4.1.  À teneur de l'art. 136 al. 1 let. a CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l’assistance judiciaire gratuite, sur demande, à la partie plaignante, pour faire valoir ses prétentions civiles, si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et que l’action civile ne paraît pas vouée à l’échec.

4.2.  La cause du plaignant ne doit pas être dénuée de toute chance de succès. L'assistance judiciaire peut donc être refusée lorsqu'il apparaît d'emblée que la démarche est manifestement irrecevable, que la position du requérant est juridiquement infondée ou que la procédure pénale est vouée à l'échec
(arrêts du Tribunal fédéral 1B_173/2014 du 17 juillet 2014 consid. 3.1.1 et 1B_254/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.1.1).

4.3.  En l'espèce, quand bien même le recourant serait indigent, force est de retenir que le recours était voué à l'échec pour les motifs exposés plus haut, de sorte que les conditions pour l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours ne sont pas remplies.

Sa demande sera donc rejetée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront ramenés en totalité à CHF 600.- pour tenir compte de sa situation financière qui n’apparaît pas favorable (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

6.             Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Rejette la demande d'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/20592/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

Total

CHF

600.00