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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20476/2025

ACPR/872/2025 du 22.10.2025 sur OMP/21964/2025 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PROFIL D'ADN;CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS
Normes : CPP.255.al1; LStup.19a

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20476/2025 ACPR/872/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 octobre 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

 

contre l’ordonnance d’établissement d’un profil d’ADN rendue le 10 septembre 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 22 septembre 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 septembre 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.

Le recourant conclut à l’annulation de cette décision, sous suite de frais et dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, ressortissant guinéen, célibataire, sans domicile fixe et sans profession, et défavorablement connu des services de police, a été interpellé par une patrouille de police le 9 septembre 2025 dans le secteur de la gare de Cornavin, en compagnie d’un second individu. Il s’est alors avéré que l’intéressé faisait l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse valable jusqu’au 3 octobre 2027. Durant son transport au poste de police, A______ a tenté de dissimuler, dans les sièges de la voiture de service, des stupéfiants, à savoir 1,1 gramme brut de cannabis, 1 parachute de cocaïne d’un poids total de 0,7 gramme et 16 morceaux de cannabis emballés d’un poids total de 32,1 grammes. Il était également porteur, au moment de son arrestation, de CHF 73.95, notamment.

b. Entendu par la police, A______ a admis se trouver en situation irrégulière en Suisse mais contesté s’adonner au trafic de stupéfiants. Les produits cannabiques en sa possession étaient destinés à sa propre consommation. Il ignorait qu’il avait sur lui de la cocaïne. Il l’avait trouvée par terre.

c. Dans son rapport d’arrestation, la police a sollicité la prise des données signalétiques du prévenu, lesquelles pourraient lui permettre « d’élucider des infractions liées au trafic de stupéfiants ».

d. Par ordonnance pénale du 10 septembre 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI et l’a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 10.- le jour, sous déduction d'un jour-amende correspondant à un jour de détention avant jugement. Il l’a également déclaré coupable d’infraction à l’art. 19a ch. 1 LStup (pour avoir détenu sur lui 3 sachets minigrip contenant 32,1 grammes de cannabis et 0,7 gramme de cocaïne, destinés à sa consommation personnelle) et l’a condamné à une amende de CHF 600.-.

e. Par courrier daté du 19 septembre 2025, A______ y a formé opposition.

f. À teneur de son casier judiciaire, tel qu’il figure au dossier soumis à la Chambre de céans, le prévenu a été condamné : le 14 février 2025, par le Ministère public, pour séjour illégal et entrée illégale, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 10.- le jour, avec sursis pendant 3 ans (P/1______/2025) ; le 5 juin 2025, par le Ministère public, pour séjour illégal et consommation de stupéfiants, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 10.- le jour, ainsi qu’à une amende de CHF 100.- (P/2______/2025).

C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que le policier avait indiqué dans son rapport qu'un prélèvement d'ADN se justifiait pour élucider les infractions en lien avec le trafic de drogue (art. 255 al. 1 CPP).

D. a. Dans son recours, A______ relève n’avoir jamais été soupçonné de trafic de stupéfiants. Cette « remarque » de la police reposait sur un préjugé raciste et était de surcroît « imaginaire ». Son profil d’ADN avait déjà été établi en 2025 et il avait formé opposition à l’ordonnance pénale du « 15 mai 2025 » au motif qu’il avait été victime d’un délit de faciès. L’ordonnance querellée était disproportionnée et arbitraire.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Il observe que le recourant avait déjà été condamné pour consommation de stupéfiants le 5 juin 2025 à Genève, ainsi que par ordonnance pénale du 6 août 2025 du Ministère public de l’arrondissement de C______ [VD]. La régularité de la consommation de stupéfiants de l’intéressé, ses lieux de fréquentation et sa situation irrégulière, « en présence d’un rapport de police demandant l’établissement du profil ADN », suffisaient à ordonner l’établissement dudit profil, ce d’autant que le prévenu avait été interpellé à Genève le 9 septembre 2025 en possession de 32,1 grammes de cannabis et de 0,7 gramme de cocaïne.

c. Le recourant réplique et persiste dans ses conclusions. Le Ministère public n’hésitait pas à lier contravention à la LStup et délinquance, en violation « crasse » du principe de proportionnalité.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.

2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).

L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).

Comme cela ressort clairement de l'art. 1 al. 2 let. a de la loi sur les profils d'ADN – applicable par renvoi de l'art. 259 CPP –, l'élaboration de tels profils doit également permettre d’identifier l'auteur d'infractions qui n'ont pas encore été portées à la connaissance des autorités de poursuite pénale et peut ainsi permettre d'éviter des erreurs d'identification et d'empêcher la mise en cause de personnes innocentes. Il peut également jouer un rôle préventif et participer à la protection de tiers (ATF 145 IV 263 consid. 3.3 et les références citées). La mesure ne saurait donc être ordonnée systématiquement en cas d’arrestation.

2.3. L’établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2;
145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).

2.4.       À teneur des art. 4.1 et 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN (art. 4.1), en cas d'infraction(s) sur laquelle (lesquelles) porte la procédure (art. 255 al. 1 CPP), lorsque (i) ladite procédure porte sur une liste déterminée d'infractions, parmi lesquelles figure le trafic de stupéfiants dans sa forme aggravée (art. 19 al. 2 LStup), (ii) la police a prélevé des traces biologiques susceptibles d'être comparées avec un profil d'ADN et (iii) l'établissement d'un profil d'ADN se justifie pour les besoins de l'enquête que la police a exposés dans son rapport (art. 4.2).

2.5. En l’espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant est motivé par le fait que la police avait indiqué dans son rapport pour quelles raisons ce prélèvement se justifiait, à savoir élucider des infractions liées au trafic de drogue. En cela, il se fonde sur l’art. 255 al. 1 CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour élucider les infractions sur lesquelles porte la procédure.

Or, la police, dans son rapport, ne sollicite pas l’établissement d’un profil d’ADN mais la prise des données signalétiques du prévenu, ce qui n’est pas la même chose.

Ensuite, il n’est pas reproché à l’intéressé un crime (art. 19 al. 2 LStup) ni même un délit à l’art. 19 al. 1 LStup, mais des infractions à la LEI et une contravention à la LStup.

Partant, on ne voit pas en quoi l’établissement du profil d’ADN litigieux permettrait d’élucider des infractions en cours « en lien avec le trafic de drogue ».

Que le recourant, qui se trouve certes en situation irrégulière en Suisse, ait déjà été condamné à deux reprises pour consommation de stupéfiants ou fréquente des lieux notoirement connus pour le trafic de stupéfiants ne saurait davantage justifier la mesure entreprise, les conditions de l’art. 255 al. 1 CPP n’étant pas réalisées.

Ainsi, dite mesure est illégale.

3.             Fondé, le recours sera admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée, les échantillons d'ADN prélevés détruits et le profil d’ADN du recourant supprimé, le Ministère public étant chargé de l'exécution de ce qui précède.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant conclut à l'octroi de dépens, sans toutefois les chiffrer, ni les justifier.

Tenue de statuer d'office (art. 429 al. 2 cum art. 436 al. 1 CPP), la Chambre de céans fixera, ex aequo et bono, l'indemnité due à CHF 300.- TTC, compte tenu de l'issue de la cause, dépourvue de complexité juridique, du recours de neuf pages (page de garde et conclusions comprises) et de la brève réplique.

6.             Ladite indemnité sera allouée à son conseil, conformément à l'art. 429 al. 3 CPP.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Ordonne la destruction de(s) échantillon(s) d’ADN prélevé(s) sur A______, ainsi que la suppression de son profil d’ADN, et charge le Ministère public de l’exécution de ce qui précède.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 300.- TTC pour l'activité déployée dans le cadre de la procédure de recours (art. 429 CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).