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Décisions | Chambre pénale de recours

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PM/1392/2024

ACPR/833/2025 du 10.10.2025 sur JTPM/513/2025 ( TPM ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES;LIBÉRATION CONDITIONNELLE;INTERNEMENT(DROIT PÉNAL);MESURE THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNELLE
Normes : CP.59; CP.64; CP.64.al1.let a et b; CP.64.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PM/1392/2024 ACPR/833/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 10 octobre 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

 

contre le jugement rendu le 29 août 2025 par le Tribunal d'application des peines et des mesures,

et

LE TRIBUNAL D'APPLICATION DES PEINES ET DES MESURES, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 12 septembre 2025, A______ recourt contre la décision du 29 août 2025, notifiée le 2 septembre 2025, par laquelle le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après: TAPEM) a rejeté sa conclusion tendant à une nouvelle expertise psychiatrique, refusé sa libération conditionnelle de l'internement (64 CP), constaté que les conditions d'un traitement thérapeutique institutionnel au sens de l'art. 59 CP n'étaient pas réunies et prolongé l'internement prononcé le 22 décembre 2010.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement, à ce qu'une nouvelle expertise psychiatrique soit ordonnée; principalement, à l'annulation de la décision précitée et, cela fait, à sa libération conditionnelle de l'exécution de l'internement et au prononcé d'un traitement ambulatoire (art. 63 CP), subsidiairement d'une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP) dans un établissement pénitentiaire adapté; plus subsidiairement au renvoi de la cause au TAPEM pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par arrêt du 22 décembre 2010, la Cour d'assises a reconnu A______, né le ______ 1966, coupable de meurtre, viols, contraintes sexuelles, actes d'ordre sexuel avec une enfant, interruptions de grossesses, lésions corporelles simples et aggravées, séquestrations et enlèvements aggravés, menaces et violation du devoir d'assistance ou d'éducation. Elle l'a condamné à une peine privative de liberté de seize ans, sous déduction de cinq ans, quatre mois et huit jours de détention avant jugement, ainsi qu'à une mesure d'internement.

Il ressort notamment de cet arrêt ce qui suit: " […] les actes reprochés à l’accusé s’inscrivent dans le contexte de faits, brièvement résumé, suivant : Au mois de février 1999, C______ [née le ______ 1975], de nationalité péruvienne, mère d’une petite D______ âgée d’un an à peine, a soudainement disparu à Genève. L’enquête, qui n’a véritablement démarré que plusieurs mois plus tard, la disparition n’ayant pas été annoncée par l’entourage genevois de la jeune femme, a notamment révélé que celle-ci séjournait illégalement à Genève depuis 1993, usant généralement d’une fausse identité (E______, originaire de Bolivie). C______ était venue à Genève à l’instigation d’un parent éloigné, l’accusé A______, pour aider sa femme F______ à s’occuper de leur ménage et de leurs enfants. C______ et l’accusé étaient devenus amants et la jeune femme s’était trouvée enceinte de ses œuvres en ’97. Selon plusieurs témoignages, elle avait alors été chassée de son domicile par F______, et avait été hébergée par diverses connaissances. A noter qu’en ’95 l’accusé et F______ avaient divorcé et l’accusé avait épousé G______ (qui avait été sa maîtresse avant qu’il ne rencontre F______) mais continuait de fréquenter son ex-femme, avec laquelle il a d’ailleurs encore eu deux enfants après le divorce.

[…]

Diverses rumeurs ont couru suite à cette disparition. Plusieurs personnes ont entendu de la bouche de l’accusé que C______, qui se prostituait selon lui, avait quitté la Suisse et abandonné sa fillette pour se rendre à H______ [Espagne] ou pour suivre « des arabes », ce qui ne semblait, de l’opinion générale, guère convaincant, ne
serait-ce que parce que la jeune femme était très attachée à son enfant et ne l’aurait jamais laissée. Il a dès lors été plutôt communément admis que C______ était morte, tuée par l’accusé ou, selon d’autres rumeurs, par le beau-frère de celui-ci, frère de F______, I______. L’oncle de l’accusé a également été évoqué comme étant intervenu, aux côtés de l’accusé.

Le 11 août 2005, F______ a déposé plainte pénale contre son ex-mari, disant notamment avoir été battue lors d’une sortie à J______ le dimanche précédent, 7 août. Suite à ces faits, elle s’était enfuie en Espagne, où habitait son frère I______, et l’accusé s’était installé chez elle. Elle souhaitait récupérer les enfants. F______ a dès lors été raccompagnée à son domicile par les gendarmes. Ils sont arrivés au moment où l’accusé s’apprêtait à monter dans une voiture avec les 6 enfants élevés par le couple et un autre bébé encore. Sur quoi il s’est avéré qu’une adolescente de 15 ans, K______, logeait avec sa fillette de 15 mois dans un appartement voisin de celui de F______, à l’insu des locataires qui l’avaient laissé, pour la durée de leurs vacances, à disposition d’un ami lequel en avait remis les clefs à l’accusé. K______ était à nouveau enceinte. Le père de sa fillette et du fœtus était l’accusé.

Le 7ème enfant retrouvé auprès de l’accusé s’est révélé être le petit L______, soit le fils que celui-ci avait eu avec la propre mère de K______, M______, originaire du Honduras et belle-sœur de F______. Entendue par la police le 15 août 2005, M______ a en substance déclaré avoir été la maîtresse de l’accusé depuis le mois de décembre 2000. Celui-ci la battait, au point qu’elle avait fait plusieurs fausses couches. Il l’avait également violée et menacée, lui disant notamment qu’il pouvait la faire disparaître comme il avait fait disparaître C______, qu’il avait découpée à la scie et brûlée dans un four. Elle avait fait venir à Genève sa fille K______ fin 2002 et l’accusé s’était chargé de la loger. Elle la lui avait par la suite confiée lors de ses absences, pour des séjours au Honduras. En juillet 2004, l’accusé lui avait dit que la jeune fille était partie vivre avec des amis et depuis elle ne l’avait pas revue. Elle ignorait qu’elle avait eu des relations sexuelles avec l’accusé et qu’un enfant était issu de ces agissements.

Entendue par la police judiciaire le 30 août 2005, F______ a déclaré avoir vu le corps de C______, le jour de sa disparition. C’était un samedi du mois de février. Son ex-époux était venu la chercher à la sortie de son travail de caissière dans un supermarché et l’avait emmenée dans l’un des dépôts dont il disposait au sous-sol de l’immeuble sis no. ______, rue 1______ lui disant qu’elle allait voir ce qui pouvait arriver quand on ne faisait pas les choses comme il voulait. Dans l’ascenseur, il lui avait dit qu’il avait tué C______ d’une balle dans la tête et qu’il voulait lui montrer qu’il était capable de tuer. Il l’avait ensuite tirée par les cheveux, la frappant dans le dos et le bras, la menant à la porte du premier des deux dépôts (le plus grand, à droite dans le couloir), qu’il avait ouverte. Elle avait alors distinctement vu, sur une sorte de bâche transparente, un corps gisant au sol, sur le dos, les pieds faisant face à la porte, les orteils en direction du plafond. La silhouette, fine, correspondait à celle de C______, notamment les genoux, particulièrement maigres. Il y avait quelques trainées de sang rouge clair sur la bâche. Elle n’en avait pas vu davantage, ayant trop peur et s’était enfuie dans la rue où l’accusé l’avait rattrapée et l’avait menacée de la tuer aussi si elle parlait de ce qu’elle venait de voir. Les enfants se retrouveraient alors seuls.

L’instruction des faits a encore duré plusieurs années. De nombreux témoignages et dépositions ont été recueillis, souvent contradictoires, des recherches ont été effectuées pour retrouver le corps de C______ ou des traces biologiques la concernant, en vain. L’affaire a aussi été amplement médiatisée, tant à Genève, qu’au Pérou, à l’initiative des parents de C______ mais aucun signe de vie de la jeune femme n’a été donné".

La motivation du jury pour retenir le verdict de culpabilité de meurtre reposait notamment sur l'élément suivant: "Dans les semaines et mois qui ont suivi la disparition de C______, l’accusé a eu un comportement des plus étranges : il n’a pas donné l’alerte, ne prévenant ni la police, ni les parents de la jeune femme, ni le Tribunal des tutelles ou le Service de protection des mineurs alors que la petite D______ était désormais sans représentant légal. Il a récupéré toutes les affaires de C______, dont il s’est aussitôt débarrassé, soit en totalité, soit en tout cas en grande partie à entendre ses déclarations à l’audience. Il a dissuadé ceux qui envisageaient d’alerter la police, évoquant le risque couru par ceux qui auraient hébergé une personne en séjour clandestin. Il a fait courir le bruit que C______ était partie de son plein gré pour se prostituer voire qu’il avait indirectement de ses nouvelles et savait qu’elle se trouvait en Espagne. Il est intervenu auprès de diverses personnes, allant jusqu’à réunir des attestations fausses au sujet de l’activé de prostituée de C______. Ultérieurement, il a aussi entrepris de repeindre avec une peinture « acrylique spécial sol » le sol de ses dépôts, comportement susceptible de faire disparaître d’éventuelles traces, notamment de sang".

b. Au cours de l'instruction, trois expertises avaient été ordonnées :

b.a. Le 15 mai 2006, le Dr N______ avait conclu à l'existence, chez A______, d'un trouble du développement psychosexuel, sans précision, et de troubles mixtes de la personnalité avec traits de personnalité dyssociale, paranoïaque et narcissique.

b.b. Le 22 janvier 2007, le Dr O______ avait conclu à l'existence, chez A______, de troubles mixtes de la personnalité où prédominaient des traits de personnalité narcissique, paranoïaque et dyssociale. L'intéressé présentait un risque de récidive pour des infractions du même type et aucune thérapie n'était envisageable, puisqu'il ne reconnaissait pas les troubles dont il souffrait. Son état mental pouvait compromettre gravement la sécurité publique et il n'était pas possible de compter sur des mesures thérapeutiques pour prévenir la mise en danger d'autrui.

b.c. Le 6 avril 2009, le Dr P______ avait retenu un diagnostic similaire à celui du Dr O______. A______ présentait un risque de récidive élevé, dont les facteurs principaux étaient liés à son trouble de la personnalité et à ses tendances psychopathiques, ainsi qu'à la nature même des actes commis et de leur répétition. L'expertisé ne reconnaissait pas les actes qui lui étaient reprochés, n'avait pas conscience de son trouble de la personnalité et n'était nullement motivé à une quelconque remise en question. Aucune approche thérapeutique ne pouvait alors prétendre améliorer le fonctionnement de sa personnalité. En raison de la gravité des faits, du risque de récidive et de la contribution psychopathologique à ce risque, un internement était indiqué.

b.d. Entendus le 16 décembre 2010 par la Cour d'assises, les experts avaient déclaré que A______ n'avait pas conscience de son trouble et refusait tout traitement thérapeutique. Au vu de la nature du trouble, un tel traitement avait de faibles chances d'aboutir à une évolution favorable. Il fallait au moins que l'intéressé y adhère pour que des résultats soient envisageables. Les trois experts s'étaient prononcés en faveur d'un internement, en tenant compte de l'inculpation ultérieure pour meurtre, que deux d'entre eux (les Drs N______ et O______) n'avaient pas pu prendre en considération dans leur rapport.

b.e. Par arrêt du 2 septembre 2011 (ACAS/57/2011), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi interjeté par A______ contre l'arrêt de la Cour d'assises. Par arrêt du 24 février 2012 (6B_703/2011), le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours de A______ contre l'arrêt de la Cour de cassation.

c.a. Dans le cadre de l'exécution de sa peine privative de liberté de seize ans, purgée le 14 août 2021, A______ a d'abord été incarcéré à la prison de Champ-Dollon, du 16 mai 2005 au 21 juin 2012, aux établissements de la plaine de l'Orbe, du 21 juin 2012 au 1er novembre 2018, puis à l'établissement fermé de la Brenaz (ci-après: la Brenaz).

c.b. Le plan d'exécution de peine, validé le 22 janvier 2014 par le Service d'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM), prévoyait le maintien en pénitencier de A______, lequel ne souhaitait pas de suivi thérapeutique, estimant ne pas en avoir besoin. Il ne reconnaissait pas les faits, à l'exception des actes d'ordre sexuel avec des enfants, qu'il banalisait.

d.a. Dans la perspective de la fin de la peine privative de liberté de A______, la Brenaz a, le 6 avril 2021, adressé au SAPEM un rapport en vue d'un internement ou d'une mesure thérapeutique institutionnelle. Depuis son arrivée, l'intéressé avait fait l'objet d'un avertissement écrit le 23 juin 2019 et d'une sanction disciplinaire pour comportement inadéquat et contraire au but de l'établissement. Il ne faisait preuve d'aucune remise en question et avait tendance à se positionner en tant que victime lorsqu'il était en désaccord avec le personnel encadrant. Il n'avait entrepris aucune démarche en vue du paiement des indemnités dues aux victimes. Bien qu'adoptant un comportement général adéquat en détention, il réprouvait constamment le règlement de l'établissement.

d.b. Toujours le 6 avril 2021, le Service de probation et d'insertion (ci-après : SPI) a rendu un rapport socio-judiciaire préconisant un internement. A______ avait bénéficié d'un tel suivi du 17 janvier 2019 au 1er décembre 2020, date à laquelle il avait décidé de l'interrompre. Au cours des entretiens, il cherchait à exercer une emprise sur ses interlocuteurs, soit par la séduction, soit par ses compétences, soit par la menace. Il refusait tout suivi psychothérapeutique, ne faisait preuve d'aucune remise en question, inversait les rôles et exprimait du mépris envers certaines victimes.

d.c. Le refus de A______ de tout suivi thérapeutique a encore été confirmé au SAPEM par e-mail du 5 mai 2021 du service de médecine pénitentiaire.

d.d. Le 10 mai 2021, le SAPEM a préavisé favorablement la mise en œuvre d'un internement, les conditions d'un traitement thérapeutique institutionnel n'étant manifestement pas réunies.

d.e. Par requête du 3 juin 2021 au TAPEM, le Ministère public, faisant sien le préavis du SAPEM, a conclu à la mise en œuvre de l'internement dès la fin de l'exécution de la peine privative de liberté.

e.a. Le TAPEM a confié une mission d'expertise psychiatrique aux Drs Q______ et R______, qui ont rendu leur rapport en date du 28 octobre 2021.

Pour ce faire, les experts s'étaient notamment fondés sur deux entretiens avec A______ et sur un entretien téléphonique le 12 octobre 2021 avec S______, sa psychologue référente à la Brenaz. De cette dernière, A______ avait dit qu'elle allait "chercher des choses, la vérité" et qu'elle était "plus honnête que les psychiatres". Le suivi avait débuté en mai 2021, à la demande de l'intéressé, dans un but utilitaire clair, soit sortir de prison. Dans le cadre de son suivi récent, elle ne notait pas d'évolution franche pour l'instant, mais uniquement des "progrès infimes" dans la collaboration et dans le lien thérapeutique qu'elle jugeait "bon".

Les experts ont retenu un diagnostic similaire à celui des précédentes expertises, à savoir un trouble mixte de la personnalité, avec des traits de type narcissique, paranoïaque et dyssocial, qu'ils qualifiaient de grave. Ce type de trouble évoluait en général peu ou défavorablement depuis le début de l'âge adulte. Ils notaient aussi la persistance d'une constitution psychopathique aggravant le pronostic psychiatrique.

L'acceptation récente d'un suivi psychologique, loin de montrer une amélioration du tableau clinique, confirmait l'absence de recul critique de A______ sur ses troubles. L'adhésion aux soins était superficielle. Il ne se cachait pas de n'y chercher qu'un but utilitaire, sans aucune perspective thérapeutique ni ébauche de remise de question. Cette attitude réticente aux soins était caractéristique du trouble de personnalité dont les composantes compliquaient fortement l'élaboration du lien thérapeutique. L'intéressé ne semblait pas avoir évolué cliniquement depuis la dernière expertise de 2009 et de nouveaux arguments confirmaient le diagnostic établi. Il était dans l'anosognosie totale de ses troubles et de la dimension hautement pathologique de sa personnalité.

A______ ne présentait aucun recul critique par rapport à l'essentiel des actes reprochés. Il reconnaissait seulement avoir entretenu des relations sexuelles avec l'une des victimes alors qu'elle était mineure, sans toutefois concéder de contrainte sexuelle de sa part. Pour l'ensemble des faits, il continuait de livrer avec une conviction inébranlable un discours le plaçant comme la victime d'un complot et de rancunes familiales. Il ne montrait aucune considération ni empathie pour les victimes. En seize années d'incarcération, campé sur ses positions, A______ n'avait adhéré à aucune option thérapeutique, jusqu'à très récemment, mais avec un investissement pour les soins clairement inauthentique.

Une mesure thérapeutique institutionnelle ne permettrait pas de réduire de façon vraisemblable le risque de récidive dans les cinq ans. Ce risque restait élevé, incluant des actes au moins aussi graves que ceux déjà commis (violences physiques et sexuelles confondues). En cas d'exécution de la mesure d'internement, la poursuite d'un suivi psychologique comme celui initié récemment était encouragée, car cela pourrait peut-être favoriser un travail de remise en question globale. Néanmoins, rien ne garantissait que ce suivi permît une diminution du risque de récidive. De plus, il n'existait pas de thérapie spécifique ni de médication ayant prouvé une efficacité durable sur le trouble de A______.

e.b. Devant le TAPEM, le 11 janvier 2022:

e.b.a. Le Dr Q______ a confirmé le contenu et les conclusions de l'expertise du 28 octobre 2021. Les traits de la personnalité de A______, caractérisés par un aspect narcissique, paranoïaque et dyssocial, constituaient un obstacle à une remise en question. Une prise en charge de ce trouble était difficile, mais pas impossible. Il avait vu l'intéressé rapidement après le début de son suivi psychologique. En l'espace de six mois, il ne fallait pas s'attendre à un bouleversement, vu la gravité du trouble et la durée de son évolution sans prise en charge. Sur la base des éléments à disposition au moment de l'expertise, il était difficile de dire si le suivi psychologique récent pourrait entraîner une évolution favorable du trouble. Le pronostic était plutôt réservé. La réponse à la question allait dépendre de la façon dont A______ se saisirait de la prise en charge, par exemple si le but évoluait et ne restait pas seulement utilitaire. Peut-être que, petit à petit, il pourrait y avoir un début de prise de conscience. En l'état, une telle hypothèse avait de faibles chances de réalisation. Il était exact de dire que le suivi auprès de S______, s'il pouvait se définir comme une bonne perspective de collaboration et de lien thérapeutique, ne comportait en réalité aucun traitement de fond de la maladie. De façon générale, pour les personnes souffrant de la même pathologie que A______, il préconisait un suivi psychothérapeutique s'étendant sur plusieurs années. Après cinq mois de suivi, il n'était pas étonné de pas avoir constaté de changement dans la personnalité de l'intéressé.

e.b.b. A______ a déclaré ne pas avoir de problème lié à son état de santé mentale. Les seize ans passés en détention et ses relations avec les "gens" le prouvaient. Dès le début de son suivi thérapeutique, il avait été sincère avec S______ et lui avait expliqué pourquoi il n'en avait pas entamé un auparavant. À chaque fois qu'il voyait un psychiatre, ce dernier le considérait comme coupable. Il avait bien compris que la justice, c'était comme au cinéma, qu'il fallait dire "oui oui oui" pour pouvoir sortir. Dans son cas, comme il n'avait tué personne, il se disait qu'il resterait toujours en prison puisqu'il continuerait à dire "non non non". Avec sa psychologue, ils parlaient de son affaire, il se dévoilait et avait confiance en elle.

Appelé à se positionner sur les faits à la base de sa condamnation, A______ a reconnu avoir eu une relation sexuelle avec l'une de ses victimes mineures, mais a contesté tous les autres faits (homicide, viols, séquestrations, interruptions de grossesses, lésions corporelles). Il payait des indemnités aux victimes, à raison de CHF 20.- par mois, depuis trois ou quatre mois, car il avait compris que c'était quelque chose d'important aux yeux de l'expert. Il avait décidé d'interrompre son suivi socio-judiciaire en décembre 2020 car son intervenante ne faisait rien pour lui et il se sentait plus à l'aise avec un homme pour discuter.

f. Aux termes de l'arrêt ACPR/280/22 du 27 avril 2022, la Chambre de céans a rejeté le recours formé par l'intéressé contre le jugement du 11 janvier 2022, par lequel le TAPEM avait constaté que les conditions d'un traitement thérapeutique institutionnel n'étaient pas réunies et ordonné la mise en œuvre de l'internement prononcé le 22 décembre 2010 par la Cour d'assises.

Il n'était pas contesté que le recourant souffrait d'un grave trouble mental (trouble mixte de la personnalité, avec des traits de type narcissique, paranoïaque et dyssocial), ni qu'il avait commis des crimes en relation avec ce trouble. La seule question pertinente était de savoir si une mesure thérapeutique institutionnelle serait vraisemblablement de nature à entraîner, dans les cinq ans, une réduction nette du risque de récidive de crimes visés par l'art. 64 al. 1 CP et devrait, pour ce motif, remplacer l'internement prononcé. Tel n'était pas le cas.

Il ressortait en effet sans ambiguïté du rapport d'expertise du 28 octobre 2021 – mesure prescrite par la loi (art. 64b al. 2 let. b CP) – qu'une mesure thérapeutique institutionnelle n'entrainerait pas une telle réduction du risque de récidive dans les cinq ans. Rien ne permettait de douter de la crédibilité de l'expertise sur ce point, ses auteurs s'étant fondés sur l'ensemble des éléments à leur disposition et ayant exposé en détail comment ils parvenaient à cette conclusion. La seule circonstance nouvelle dont se prévalait le recourant était le fait qu'il avait initié, trois mois avant la fin d'une peine privative de liberté de plus de dix ans, une psychothérapie. Cet élément n'avait pas été ignoré par les experts, qui avaient considéré que, faute d'authenticité, de perspective thérapeutique et de remise en question de la part du recourant, rien ne garantissait que ce suivi permît une diminution du risque de récidive. Contrairement à ce qu'il prétendait, la seule existence d'une prise en charge thérapeutique ne suffisait pas à faire obstacle à la mesure d'internement; il fallait en plus que ce traitement fût apte à produire ses effets dans les cinq ans, c'est-à-dire à entraîner une réduction nette du risque de récidive. Or aucun élément au dossier ne permettait de retenir que tel pourrait être le cas, du moins en l'état. Le peu de recul dont disposaient les experts par rapport à ce suivi thérapeutique, initié quelque cinq mois avant leur rapport, ne suffisait pas à rendre obsolètes les autres facteurs s'opposant aux chances de succès de la mesure et à ordonner une expertise judiciaire complémentaire. Interrogé à l'audience, le Dr Q______, tout en soulignant la bonne perspective de collaboration et de lien thérapeutique du suivi psychologique, avait surtout confirmé qu'il ne comportait en réalité aucun traitement de fond de la maladie et que les perspectives d'une prise de conscience de la part du recourant – et non d'une diminution du risque de récidive à proprement parler – devaient être qualifiées de faibles. L'audition subséquente du recourant par le TAPEM n'avait fait que conforter les facteurs déjà identifiés par les experts, à savoir son anosognosie, le caractère tactique et peu sincère de sa démarche (dire "oui oui oui" pour pouvoir sortir ; paiements aux victimes depuis trois ou quatre mois car cela semblait important aux yeux de l'expert) et, enfin, sa persistance à nier une grande partie des faits pour lesquels il avait été condamné.

Quant au certificat de suivi thérapeutique du 28 janvier 2022, il n'avait pas la portée que le recourant entendait lui donner. La psychologue se référait explicitement au rapport d'expertise du 28 octobre 2021, qui retenait qu'une mesure institutionnelle n'était toujours pas indiquée et que la poursuite d'un suivi psychologique était encouragée, car pouvant favoriser un travail de remise en question globale. Elle admettait que la prise en charge s'en trouvait encore à ses prémisses et serait encore longue en raison du trouble de la personnalité du recourant. Elle ne se prononçait pas sur de possibles chances de succès de ce suivi, ni sur une éventuelle diminution du risque de récidive dans les cinq ans.

À la lecture des trois objectifs thérapeutiques, il était constaté qu'à l'heure actuelle, le recourant présentait toujours des difficultés à se remettre en question, se remémorait sa vie passée de façon parfois égocentrée et se refusait à admettre la majeure partie des faits, soit autant d'éléments qui participaient, aux yeux des experts, de l'absence de perspective thérapeutique et de réduction du risque de récidive. Dans ces conditions, cette pièce nouvelle ne venait pas ébranler, mais bien conforter les conclusions des experts. Enfin, le recourant se méprenait lorsqu'il affirmait qu'un internement exclurait tout suivi thérapeutique. Une telle possibilité, expressément prévue par la loi (art. 64 al. 4 CP), lui serait offerte au cours de l'exécution de la mesure, ce qui avait encore été confirmé par le SAPEM dans ses observations.

g. Par jugement du 8 février 2024, le TAPEM a ordonné la poursuite de l'internement et a rejeté la demande de A______ tendant à un changement de mesure au sens de l'art. 65 al. 1 CP. Rien ne permettait de retenir qu'une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP) serait apte à produire des effets dans les cinq ans, c'est-à-dire à entraîner une réduction nette du risque de récidive.

L'intéressé n'a pas formé recours contre ce jugement.

h.a. Selon le rapport du Centre de psychiatrie T______ (ci-après : le T______) du 21 mai 2024, A______ avait bénéficié d'un suivi psychologique hebdomadaire à compter du 20 mars 2024. L'alliance thérapeutique était bonne et les trois premiers entretiens avaient porté sur son anamnèse. L'intéressé avait ensuite refusé d'assister aux entretiens thérapeutiques des 10 et 17 avril 2024 au motif que, le 10 avril 2024, alors qu'il était en avance, son psychologue, U______, lui avait demandé de patienter quelques instants avant la consultation. Il avait ensuite redemandé un entretien avec le psychologue. Ce dernier ne collaborant plus avec le T______, le suivi serait repris par son successeur courant juin ou juillet 2024.

h.b. Dans son rapport du 7 juin 2024, l’Établissement d’exécution des peines de Bellevue (ci-après: EEPB) indique que, depuis son arrivée le 6 mars 2024, A______ adoptait un comportement adéquat et respectait le cadre en vigueur. Il était très demandeur au début de son séjour, la situation s'étant désormais apaisée. Il semblait s'être adapté au fonctionnement de l'établissement. Au sein du secteur des nouveaux arrivants, des difficultés de cohabitation avaient été constatées. Il avait été placé dans la même cellule qu'un codétenu fumeur, ce qui lui posait problème. En raison de son refus d'intégrer sa cellule, il avait été placé en cellule de réflexion par décision disciplinaire du 28 mars 2024. Un accord avec son codétenu était ensuite intervenu. Depuis le 23 avril 2024, il était placé en cellule individuelle au secteur de responsabilisation. Des tensions avaient récemment été observées dans ses interactions avec un codétenu de son secteur. Il aurait expliqué à celui-ci les faits pour lesquels il était incarcéré et lui aurait montré son ordre d'exécution. Depuis lors, son codétenu l'insulterait et le menacerait de mort. A______ aurait déposé plainte pour ces faits. Il n'avait pas fait l'objet d'autre décision disciplinaire que celle du 28 mars 2024 et les analyses toxicologiques réalisées à son entrée s'étaient révélées négatives à toute substance prohibée. Il se rendait régulièrement à la promenade pour y jouer à la pétanque et à la salle de sport, jusqu'au moment où il aurait rencontré des problèmes de santé. Il avait débuté l'art-thérapie le 31 mai 2024 et participait aux animations proposées. Il était affecté à l'atelier "boulangerie" depuis le 25 avril 2024 où il donnait entière satisfaction. Il entretenait de bonnes relations tant avec son maître d'atelier qu'avec ses codétenus.

Il ne procédait à aucun versement en faveur des victimes, ni à aucun remboursement des frais de justice. Depuis son entrée, il avait reçu deux visites de son épouse.

h.c. Selon le rapport thérapeutique du T______ du 6 novembre 2024, lors de son arrivée à l'EEPB, A______ avait bénéficié d'un entretien psychiatrique, qu'il n'avait toutefois pas souhaité poursuivre car il n'y trouvait aucun intérêt. Il disait être obligé de poursuivre le suivi psychologique car on lui avait indiqué qu'il lui serait bénéfique. Il était prévu qu'il rencontre V______, psychothérapeute au sein du Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaire (SMPP) à l'EEPB, afin de débuter un suivi, cette dernière, victime d'un accident, n'ayant pu reprendre le travail qu'à mi-octobre. L'intéressé avait intégré le groupe thérapeutique le 2 octobre 2024 et y avait participé à trois reprises.

h.d. Selon le second rapport de l'EEPB, du 7 novembre 2024, A______ continuait d'adopter de manière générale un bon comportement en détention. Il respectait les règles institutionnelles et entretenait de bonnes relations avec le personnel pénitentiaire. Il se montrait calme, discret et loquace. Les menaces rapportées avaient pris fin car il avait été affecté à un nouveau secteur. Il suivait des cours de formation en exécution de peine (FEP) depuis le 5 septembre 2024 pour revoir certaines notions de mathématiques et pour apprendre à utiliser les logiciels Word et Excel. Il participait volontiers aux discussions de groupe et la relation avec ses codétenus était bonne. Le 5 septembre 2024, il avait intégré l'atelier "cuisine" – pour étendre ses compétences – et donnait pleine et entière satisfaction au maître d'atelier. Il se distinguait par la qualité du travail fourni, sa minutie, sa ponctualité et par son attitude joviale et très volubile. Il continuait de recevoir la visite de son épouse. Il passait de nombreux appels téléphoniques, dont le détail n'était pas connu, et avait bénéficié d'un appel via l'application Skype avec son fils et sa belle-fille.

Il devrait reprendre le suivi psychologique de manière imminente avec la nouvelle psychologue.

A______ ne procédait ni au remboursement des frais de justice ni au paiement des indemnités dues à la famille de la victime. S'agissant de sa perception du délit, il reconnaissait uniquement avoir eu des relations sexuelles avec une mineure, insistant sur le fait qu'elle était consentante et qu'il ne l'avait pas violée. Confronté au fait que, quand bien même elle aurait été consentante, elle était âgée de 13 ans au moment des faits et que par conséquent la différence d'âge était très élevée, il n'apportait aucune réponse. Il ajoutait qu'au début de l'enquête, la victime avait affirmé avoir été consentante, avant de prétendre qu'il l'avait violée. Il expliquait ce changement de version par une influence de la police et rejetait la possibilité qu'elle ait eu peur de lui. L'enquête n'avait pas été bien diligentée. Si la mineure venait à être questionnée à nouveau, elle indiquerait qu'elle avait menti à la justice. Il continuait de nier les autres infractions pour lesquelles il avait été condamné et accusait un système de justice "à côté de la plaque". Il disait être conscient que tant qu'il continuerait de nier les infractions, il ne pourrait pas bénéficier d'allégements de peine. Dorénavant, il mentirait et reconnaîtrait toutes les infractions, mais que "ça lui fait mal de compromettre son intégrité de la sorte". La vérité finirait par éclater.

i. Selon le courriel de l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) du 6 mai 2021, A______ fait l'objet d'une décision de révocation de son autorisation d'établissement. Il n'était donc plus autorisé à résider ni à travailler sur le territoire suisse. Une procédure était en cours afin de rassembler les documents utiles pour l'organisation de son renvoi.

j. L'extrait du casier judiciaire suisse du condamné, dans sa teneur au 16 décembre 2024, ne fait état d'aucune nouvelle condamnation, ni d'aucune enquête pénale en cours à son encontre.

k.a. Dans son préavis relatif à l'examen annuel de la mesure du 19 décembre 2024, le SAPEM a estimé que les conditions d'une libération conditionnelle de l'internement n'étaient pas réunies, de sorte qu'il proposait d'ordonner la poursuite de l'internement (art. 64 CP).

Il ressortait de la procédure, en particulier de l'expertise psychiatrique du 28 octobre 2021, que A______ présentait encore à ce jour le trouble mixte de la personnalité avec traits narcissiques, paranoïaques et dyssociaux, déjà diagnostiqué chez lui en 2006, 2007 et 2009 à l'occasion des précédentes expertises psychiatriques, trouble qui, de façon générale, n'évoluait pas favorablement dans le temps, était difficile à prendre en charge et ne pouvait être traité avec des médicaments. De plus, il demeurait totalement anosognosique de son trouble dont les perspectives d'évolution apparaissaient très faibles, le pronostic étant encore assombri par les éléments narcissiques, paranoïaques et dyssociaux de sa personnalité, par sa constitution psychopathologique et par l'absence de tout travail introspectif. Il persistait à nier une grande partie des faits pour lesquels il avait été condamné et présentait un risque de récidive élevé, incluant des actes au moins aussi graves que ceux pour lesquels il avait été condamné en 2010, soit des infractions d'une extrême gravité figurant dans le catalogue de l'article 64 CP. Il ne procédait à aucun versement en faveur des victimes, alors même qu'il en avait les moyens, manifestant ainsi une absence de prise de conscience de la gravité de ses actes. Enfin, il ne présentait pas d'évolution significative, vu ses difficultés à se remettre en question, sa propension à nier la majeure partie des faits et à déclarer qu'il se soumettait au suivi psychologique dans un but purement utilitaire.

k.b. Par requête du 24 janvier 2025, le Ministère public fait siens le préavis et les conclusions du SAPEM.

l.a. Par courriel au TAPEM du 10 février 2025, A______ a conclu à la mise en œuvre d'une nouvelle expertise, devant être confiée au Dr W______, à ce que le Service de la réinsertion et du suivi pénal (ci-après: SRSP) soit invité à élaborer un plan d'exécution de la mesure, le précédent, du 22 janvier 2014, ne prévoyant qu'une phase de maintien en milieu fermé.

l.b. Le 26 mai 2025, l'intéressé a invoqué le fait que, compte tenu de l'évolution objectivement significative tant sur le plan personnel que comportemental de son parcours, il fallait préalablement ordonner une nouvelle expertise. Il a joint à ce courrier une déclaration d'intention de payer les indemnités victimes à compter du 1er mai 2025, datée du 30 avril 2025.

l.c. Lors de l'audience du 27 mai 2025 – s'étant finalement tenue, après deux demandes d'annulation pour deux dates précédemment fixées par le TAPEM, A______ a déclaré que, sous réserve d'un litige avec quelqu'un qui l'avait insulté et menacé de mort, à la suite de quoi il avait porté plainte, son séjour à l'EEPB se passait bien. Après avoir travaillé à la boulangerie, car il voulait obtenir un certificat, ce qui s'était finalement révélé impossible, il était passé en cuisine, où il n'apprenait rien car il ne faisait que peler des "patates". Il participait depuis plusieurs mois au groupe de parole – une activité "théâtrale", où cela se passait bien. À l'art-thérapie, ils faisaient des jeux, parlaient de leurs pensées, notamment de l'avenir, ce qui était assez distrayant. Il pratiquait la musculation et faisait beaucoup de yoga en cellule. Il s'était inscrit au cours FEP, où il faisait un peu d'algèbre et travaillait les accords en français. Ses relations avec les autres résidents de l'EEPB étaient bonnes, la situation avec celui contre lequel il avait porté plainte s'étant calmée. Il ne rencontrait aucun problème avec le personnel de l'EEPB, qui mentait beaucoup, "une manie". Il avait fait l'objet de deux sanctions disciplinaires pour des arrivées tardives de 1 ou 2 minutes. À son arrivée, il avait également été sanctionné pour refus d'obtempérer: alors qu'il était non-fumeur, ils lui avaient imposé un fumeur dans sa cellule; il avait alors préféré passer en cellule forte plutôt que d'intégrer sa cellule et de s'abîmer la santé. Il téléphonait souvent à ses enfants, sa femme, ses frères et sœurs et certains amis. Sa femme venait le voir une fois par mois.

Il n'était pas d'accord avec le diagnostic posé par tous les experts, lesquels avaient fait du "copier/coller" de ce qui avait été déclaré en 2005 et on lui avait reproché d'emblée de ne pas payer les indemnités aux victimes. Les experts venaient parler avec lui une ou deux heures et, après des années, donnaient toujours le même résultat. Il ne comprenait pas comment ils pouvaient retenir un risque de récidive élevé de violences physiques et sexuelles, sans s'être renseignés sur toutes les années de prison qu'il avait purgées. Il avait repris un suivi psychologique avec V______, à raison de deux fois par mois, et l'avait vue environ six fois. Ce suivi lui faisait du bien. Il avait dit à la psychologue qu'il serait très honnête avec elle, comme il l'avait été avec S______. Même si V______ trouvait invraisemblable ce qu'il lui raconterait, c'était la vérité. Il répondait à toutes ses questions, sur sa vie, son vécu et comment il vivait la détention, notamment avec les autres. Elle lui demandait également comment se passaient les groupes de paroles. Parfois, sans qu'elle ne lui demande, il lui racontait les anecdotes vécues dans son travail et avec les détenus, avec des détails et sans exagération. Parfois, lorsqu'il pensait à sa famille, cela lui faisait mal et il en parlait avec la thérapeute. Il pensait poursuivre ce suivi psychologique en liberté, de son propre gré. Au début de son incarcération, il n'avait aucune confiance en les thérapeutes qui lui parlaient du dossier pénal, lequel n'était pas toujours conforme à la vérité, en lui répétant qu'il était dans le déni, ce qui le dérangeait.

Questionné sur le fait qu'il avait dit que, dorénavant, il mentirait et reconnaîtrait toutes les infractions mais que ça lui faisait mal de compromettre son intégrité de la sorte, il a expliqué : "Les érudits vous disent que je suis coupable, alors que je sais ce que j'ai fait et ce que je n'ai pas fait. Je leur dis ce que j'ai fait. Il est vrai que sortir avec une mineure n'était pas bien et je le regrette toujours. Le reste des accusations est nul et non avenu. J'ai alors dit aux thérapeutes que je leur dirai la vérité mais que ce n'était pas ma vérité. Certains gardiens m'ont dit que cela faisait des années que je disais la même chose et que je ne mentais pas". En lien avec le paiement des indemnités aux victimes, il a expliqué qu'au départ, à la Brenaz, il avait privilégié son AVS. On lui avait dit qu'en ne payant pas ces indemnités, il était dans le déni. Sous réserve de ce qu'il avait "eu avec la mineure", il serait toujours dans le déni car il n'avait pas fait ce qu'on lui reprochait, ce qui n'était donc pas du déni. Il avait demandé à s'acquitter de ces indemnités lors de son arrivée à l'EEPB mais n'avait pas été d'accord avec un prélèvement sur son compte libre, ce qu'il avait finalement accepté. Il n'y avait rien sur son compte réservé qu'il avait utilisé pour payer l'AVS (en moyenne CHF 1'700.-).

Concernant le fait que, selon le rapport de l'EEPB du 7 novembre 2024, il avait renoncé à poursuivre un suivi psychiatrique (après un seul entretien) car il n'y trouvait aucun intérêt, il a expliqué que le psychiatre s'était focalisé sur le dossier et lui avait dit qu'il était toujours dans le déni. Lui-même lui avait répondu que ce qu'il disait était la vérité et que si le psychiatre ne voulait pas le croire, cela ne servait à rien de poursuivre, précisant qu'il admettait les infractions à l'encontre de la mineure, ce qui n'incluait pas les faits de viol, de contrainte sexuelle, de séquestration aggravée et de lésions corporelles simples aggravées, car il n'avait pas fait cela, demandant aux juges du TAPEM: "Pour la justice, c'est quoi la séquestration ?".

Il n'arrivait pas à expliquer pourquoi les experts disaient toujours la même chose. Même le plus ignare du milieu carcéral voyait qui il était. "Comment les experts ne voient-il pas la réalité de moi ? J'ai toujours dit la même chose depuis près de 20 ans. Je ne suis pas violent. Comment les autorités ne voient pas cela ? On m'a condamné à mort 10 ans après la disparition de ma femme. Je me suis retrouvé en détention provisoire uniquement en raison d'une accusation de maltraitance, que je n'avais pas faite. Je n'ai mis que 6 gifles en 16 ans de vie commune, à ma femme. Pour vous, ici, c'est peut-être trop mais en tant que Péruvien ce n'est pas trop. Les psychiatres n'arrivent pas à voir ma vraie personnalité. Comment se fait-il que tout à coup, je suis un monstre. Il est surprenant que toutes les preuves que j'avais dans mes appareils électroniques ont disparu. Les experts ont dit la même chose alors que je suis toujours la même personne, que ce soit en liberté ou en détention".

Il avait des petits-fils qu'il n'avait pas vu naître et qui lui avaient rendu visite. Son fils de 36 ans n'était pas capable de se débrouiller comme lui-même le ferait. Il voulait donc apporter son aide à ses petits-enfants pour terminer ce qu'il n'avait pas pu terminer, soit l'éducation de ses enfants. Il leur avait toujours dit : "fais ce que je dis, pas ce que je fais". Il avait des contacts téléphoniques avec sept de ses enfants.

Les CHF 40.- qu'il versait par mois pour les victimes, sur les CHF 300.- qu'il percevait, étaient destinés indistinctement à toutes. Concernant le fait d'avoir privilégié le paiement de son AVS par rapport aux indemnités victimes, l'intéressé a déclaré : "Si vous ne payez pas l'AVS et que vous êtes à la retraite, de quoi vivrez-vous ? par contre les victimes sont toujours aidées".

Le fait de savoir que les parents de C______ n'avaient toujours pas retrouvé le corps de leur fille était très dur pour lui et il aimerait pouvoir les aider mais "cela impliquait des autres personnes". Il n'a pas voulu répondre à la question de savoir si cela comprenait F______. Ce n'était plus le moment que des gens allassent en prison. Il avait déjà payé pour quelque chose qu'il n'avait pas fait et ne voulait pas remuer des choses. Il avait fait le choix de protéger sa famille et restait sur sa position afin d'éviter que ses enfants le haïssent. Il avait déjà vu ce que les grands-parents avaient "fait à X______". Il n'avait pas parlé de ces "secrets" autour de cette affaire aux thérapeutes, car il avait déjà fait 20 ans de prison. Il admettait faire preuve d'une certaine méfiance à l'égard des gens, notamment des professionnels de détention.

Après lui avoir rappelé qu'il avait spontanément voulu suivre un traitement, qu'il entendait poursuivre, il a expliqué que la sexualité n'avait pas été abordée dans ce cadre mais que ça ne le dérangerait pas qu'elle le soit. Avec S______, ils avaient abordé un peu cette question.

l.d. Selon le rapport du T______ du 26 juin 2025 (requis par le TAPEM), A______ avait repris un suivi individuel auprès de V______, dès octobre 2024, à une fréquence bimensuelle. Au jour du rapport, onze entretiens avaient eu lieu. Depuis octobre 2024, l'intéressait bénéficiait également de la thérapie groupale à quinzaine, en alternance avec la thérapie individuelle. Son attitude était collaborante et respectueuse du cadre ainsi que de la thérapeute. Il se montrait réellement volontaire et adhérait. Il investissait l'espace de parole, évoquant que "cela le soulageait de parler". Au fil des entretiens, il parvenait à se détendre et à être plus à l'aise face à la thérapeute.

Les infractions commises avaient été abordées à plusieurs reprises. A______ admettait avoir eu des relations sexuelles avec une mineure, dans un contexte consentant et sentimental, expliquant pour les autres infractions qu'il ne pouvait pas avouer quelque chose qu'il n'avait pas fait.

Son état psychique était actuellement stable et la poursuite du suivi thérapeutique sur un mode volontaire était considérée comme pertinente.

l.e. Dans ses observations du 7 juillet 2025, le Ministère public a fait valoir que les conditions de la libération conditionnelle de l'internement n'étaient pas réunies, dès lors qu'il n'était pas à prévoir que A______ se conduirait correctement en liberté.

l.f. Dans les observations de son conseil du 4 août 2025, A______ a notamment conclu à ce qu'une nouvelle expertise psychiatrique soit ordonnée et confiée au Dr Y______, en tenant compte des progrès thérapeutiques récents et documentés, à la libération conditionnelle de l'exécution de son internement et à l'exécution d'un traitement ambulatoire et/ou son transfèrement dans son pays d'origine.

C. Dans la décision querellée, le TAPEM a retenu qu'en 2021, dans un rapport ne prêtant pas le flanc à la critique et dont il n'y avait pas lieu de s'écarter, les experts avaient qualifié d'élevé le risque de récidive violente, incluant des actes au moins aussi graves que ceux commis (violences physiques et sexuelles confondues), à savoir des infractions énumérées à l'art. 64 al. 1 CP.

Dans son jugement du mois de février 2024, il avait retenu notamment que la légère évolution positive de A______ au cours des deux dernières années était particulièrement fragile, dès lors qu'elle était directement et exclusivement liée à la personne du thérapeute, en l'occurrence la psychologue de la prison. Le fait que l'intéressé fût en mesure, alors, de dire qu'il n'avait pas les compétences nécessaires pour déterminer s'il souffrait ou non d'un trouble psychique était certes déjà une forme de progrès, qui n'était toutefois pas déterminant, dès lors qu'il savait qu'il ne pouvait pas solliciter le passage en mesure de l'art. 59 CP s'il continuait à nier frontalement tout problème psychique chez lui. Aussi, "dans l'intervalle", sa situation n'avait pas évolué dans le sens d'une amélioration.

En effet, lors de son arrivée à l'EEPB en mars 2024, il avait bénéficié d'un suivi psychiatrique mais n'avait pas souhaité le poursuivre, estimant n'y trouver aucun intérêt. Il avait mis un terme au suivi psychologique en avril 2024 pour le motif futile que le thérapeute avait refusé de le prendre en avance sur son planning. Il avait repris ce suivi en octobre 2024. Cependant, ce suivi consistait plutôt en un suivi de soutien – le rapport du T______ du 26 juin 2025 ne faisant état que d'un espace de parole qui soulageait le cité – qu'en un travail approfondi d'introspection. En effet, le rapport de l'EEPB du 7 novembre 2024 et celui du T______ du 26 juin 2025 mettaient en évidence l'absence de remise en question profonde de A______ et la persistance de son anosognosie, ce dont le TAPEM avait également pu se rendre compte lors de l'audience du 27 mai 2025. L'intéressé persistait à rejeter la quasi-totalité des infractions pour lesquelles il avait été condamné et à se positionner comme la victime d'une injustice. Au vu de ces éléments et des conclusions de l'expertise de 2021, le pronostic était des plus défavorable et il ne pouvait pas être retenu qu'il serait hautement vraisemblable que l'intéressé se comporterait correctement en liberté.

Ces considérations valaient également pour la question de la [non-]nécessité d'une nouvelle expertise. Aucun élément nouveau ne permettait de retenir que, désormais, une mesure thérapeutique institutionnelle serait apte à entraîner une réduction nette du risque de récidive dans un délai de 5 ans. En effet, dans leur rapport de 2021, les experts avaient conclu que l'internement restait nécessaire, écartant la possibilité d'une mesure thérapeutique institutionnelle. Or, la situation de A______ n'avait depuis lors pas évolué.

La poursuite de l'internement au sens de l'art. 64 CP était donc ordonnée.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir que depuis 2021, et encore plus depuis 2023, les rapports médicaux relevaient une évolution qualitative, à savoir une alliance thérapeutique réelle, une participation régulière, une stabilité psychique et une capacité accrue à exprimer "émotions et vulnérabilité". Ce constat contredisait les conclusions d'une "anosognosie totale" et d'un "suivi utilitaire" posées en 2021. De plus, les rapports internes de l'EEPB confirmaient qu'il avait un comportement adéquat, une bonne adaptation, une intégration active dans les ateliers et des relations correctes avec les codétenus et le personnel. S'y ajoutait la reprise de l'indemnisation des victimes depuis le mois de mai 2025. Le maintien de l'internement au motif d'une absence d'évolution méconnaissait ces éléments objectifs et documentés. Le problème était structurel: depuis l'origine de la procédure, les experts psychiatres assimilaient la contestation des faits à une absence de remise en question. Or, il contestait la majorité des faits – ne pouvant pas avouer ce qu'il n'avait pas fait – depuis le "premier jour", bien avant sa condamnation définitive. Lui reprocher encore cette contestation, pour lui refuser une expertise actualisée, et conditionner toute perspective de libération à un aveu, revenait à exiger un aveu forcé, ce qui violait son droit au silence, protégé par les art. 6 § 1 et 2 CEDH et 32 Cst.

Le refus d'ordonner une nouvelle expertise psychiatrique violait les art. 64b al. 2 CP, 29 al. 2 Cst. et 6 § 1 CEDH. La plus récente datait du 28 octobre 2021 et ne tenait pas compte de l'évolution notable de sa situation depuis le mois de mai 2024 (suivi psychothérapeutique), telle que relevée supra. Alors que la dernière expertise retenait une absence de participation constructive de sa part au suivi thérapeutique, une faible introspection et un manque d'investissement dans la réparation du dommage, le TAPEM avait refusé la mise en œuvre d'une nouvelle expertise au motif qu'il n'aurait pas amorcé une véritable prise de conscience quant à la gravité de faits ni au trouble de la personnalité qui lui état imputé. Le TAPEM avait donc substitué un critère légal de l'évolution de sa situation et ainsi fait un usage arbitraire de son pouvoir d'appréciation. En s'abstenant d'ordonner une nouvelle expertise psychiatrique, le TAPEM le privait délibérément de l'outil indispensable pour évaluer sa situation actuelle et la persistance des conditions de l'internement.

Le TAPEM avait violé les art. 64a, 64b et 56 al. 1 CP, ainsi que les droits constitutionnels garantis par les art. 7, 10, 29 et 36 Cst., outre les garanties conventionnelles découlant des art. 3, 5 et 6 CEDH en maintenant l'internement sans finalité thérapeutique, ni perspective tangible de libération. Le maintien de l'internement n'était pas justifié et violait les principes de la légalité et de la proportionnalité. Au lieu d'apprécier globalement sa situation, le TAPEM avait réduit son raisonnement sur le seul maintien de son déni des faits depuis 25 ans, ce qui était en contradiction avec la jurisprudence qui imposait un pronostic individualisé et global, étant rappelé que l'absence d'aveux ne pouvait à elle seule justifier un pronostic défavorable si d'autres éléments attestaient d'une évolution positive. Autrement dit, on l'enfermait dans un cercle vicieux. Son refus d'avouer n'était pas une stratégie mais la manifestation d'une conviction constante.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP, applicables au titre de droit cantonal supplétif par renvoi de l'art. 42 al. 3 LaCP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 439 al. 1 CPP, art. 42 al. 2 let b, 41 al. 1 et 3 al. 3 let. d LaCP ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_130/2018 du 27 juin 2018 consid. 2.1) et émaner du condamné faisant l'objet d'un internement au sens de l'art. 64 CP, qui a qualité pour agir, ayant intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP et 42 al. 2 LaCP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant soutient que c'est à tort que le TAPEM a refusé la libération conditionnelle de l'exécution de l'internement et aurait violé l'art. 64b al. 1 let. a CP.

3.1.1.  Selon cette disposition, l'autorité compétente examine, d'office ou sur demande, au moins une fois tous les deux ans et pour la première fois avant le début de l'internement, si les conditions d'un traitement thérapeutique institutionnel sont réunies et qu'une demande en ce sens doit être faite auprès du juge compétent (art. 65 al. 1 CP).

3.1.2. À teneur de l'art. 59 al. 1 CP, un traitement thérapeutique institutionnel peut être ordonné en faveur d'une personne souffrant d'un grave trouble mental si elle a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble (let. a) et s'il est à prévoir que cette mesure la détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble (let. b).

3.1.3. En présence d'un trouble psychiatrique, l'internement constitue une mesure subsidiaire par rapport à une mesure institutionnelle au sens de l'art. 59 CP. En tant qu'ultima ratio, en raison de la gravité de l'atteinte à la liberté personnelle qu'il représente (cf. ATF 140 V 1 consid. 3.2.4 ; 134 IV 121 consid. 3.4.4), l'internement n'entre pas en considération tant qu'une mesure institutionnelle apparaît utile (ATF 137 IV 59 consid. 6.2). Le seul fait que l'intéressé soit désireux et apte à suivre un traitement institutionnel ne suffit toutefois pas à éviter l'internement ou son maintien. L'art. 59 al. 1 let. b CP subordonne en effet le prononcé d'un traitement institutionnel à la condition qu'il soit à prévoir que cette mesure ou ce traitement détournera l'intéressé de nouvelles infractions en relation avec son trouble. Tel est le cas lorsqu'au moment de la décision, il est suffisamment vraisemblable qu'un traitement institutionnel entraînera, dans les cinq ans de sa durée normale, une réduction nette du risque que l'intéressé commette, en raison de son trouble mental, un crime prévu à l'art. 64 CP. La possibilité vague d'une diminution du risque ou l'espoir d'une diminution seulement minimale de ce risque ne sont en revanche pas suffisants (cf. ATF 141 IV 1 consid. 3.2.4 ; 134 IV 315 consid. 3.4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_817/2021 du 30 mars 2022 consid. 2.1 ; 6B_823/2018 du 12 septembre 2018 consid. 1.1).

L'exigence du pronostic découlant de l'art. 59 al. 1 let. b CP ne signifie pas qu'un condamné souffrant de trouble mental ne pourra pas recevoir l'assistance nécessaire, mais seulement que la mesure préconisée par l'art. 59 CP n'est pas adéquate, tout au moins dans l'état des choses au moment où la décision est rendue. La personne soumise à l'internement peut du reste bénéficier d'un traitement psychiatrique (art. 64 al. 4 CP). Plus généralement, même si elles ne visent pas prioritairement l'amélioration du pronostic, respectivement si elles ne sont pas aptes à l'améliorer nettement à cinq ans de vue, des possibilités thérapeutiques doivent être offertes, tout au moins dans la perspective, même éloignée, de la fin de l'internement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_823/2018 précité consid. 1.1 ; 6B_130/2018 du 27 juin 2018 consid. 3.1.1).

3.1.4. L'examen prévu à l'art. 64b al. 1 let. b CP n'a pas pour objet de reconsidérer purement et simplement la décision initiale d'internement, mais de déterminer si compte tenu du temps écoulé depuis son prononcé (notamment en exécution préalable de la peine [art. 64 al. 2 CP]) et d'éventuelles modifications des circonstances, cette mesure se justifie toujours au moment d'en débuter l'exécution ou si elle doit être remplacée par une mesure thérapeutique institutionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1269/2015 du 25 mai 2016 consid. 4.3.2 ; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER [éds], Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-136 StGB, 4e éd., Bâle 2019, n. 5 s. ad art. 64b). Il convient d'examiner si, durant l'exécution de la peine, la personnalité et le comportement du condamné se sont améliorés, diminuant sa dangerosité et remettant en cause le bien-fondé d'un internement par rapport à une mesure thérapeutique au sens de l'art. 59 CP (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS [éds], Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2e éd., Bâle 2021, n. 8 ad art. 64b).

3.2.       L'internement répondant à un objectif préventif, le pronostic est déterminant pour apprécier la dangerosité de l'auteur, ce qui laisse un large pouvoir d'appréciation au juge (Message précité FF 2005 4446).

3.3.       Conformément à l'art. 56 al. 2 CP, le prononcé d'une mesure suppose que l'atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l’auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité. Ce principe – qui vaut également pour l'examen postérieur de la mesure – implique que le juge doit procéder à une pesée des intérêts divergents en présence, c’est-à-dire entre la gravité du danger, que la mesure cherche à éviter, et l'importance de l'atteinte aux droits de la personne concernée inhérente à la mesure. Une mesure disproportionnée ne doit pas être ordonnée, ni maintenue (6B_826/2013 du 12 décembre 2013 consid. 2.8.).

3.4.1. Selon l'art. 64b al. 2 CP, l'autorité prend sa décision en se fondant notamment sur une expertise indépendante au sens de l'art. 56 al. 4 CP (let. b). L'expertise doit se déterminer sur la nécessité et les chances de succès d'un traitement, la vraisemblance que l'auteur commette d'autres infractions, la nature de celles-ci et les possibilités de faire exécuter la mesure (art. 56 al. 3 CP).

3.4.2. Le juge apprécie librement une expertise et n'est, dans la règle, pas lié par les conclusions de l'expert. Toutefois, il ne peut s'en écarter que lorsque des circonstances ou des indices importants et bien établis en ébranlent sérieusement la crédibilité ; il est alors tenu de motiver sa décision de ne pas suivre le rapport d'expertise. Inversement, si les conclusions d'une expertise judiciaire apparaissent douteuses sur des points essentiels, le juge doit recueillir des preuves complémentaires pour tenter de dissiper ses doutes. À défaut, en se fondant sur une expertise non concluante, il pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer l'art. 9 Cst. (ATF 146 IV 114 consid. 2.1 ; 142 IV 49 consid. 2.1.3).

Savoir si le risque de récidive est qualifié est une question juridique, qu'il appartient au juge de résoudre. Toutefois les questions psychiatrique et juridique sont souvent difficiles à distinguer en pratique. Il est clair que la tâche principale d'une expertise médicolégale est de clarifier l'état psychique de l'intéressé et de poser un pronostic (arrêt du Tribunal fédéral 6B_817/2021 précité consid. 2.2.1).

3.4.3. Selon la jurisprudence, le juge peut se fonder sur une expertise qui figure déjà au dossier si celle-ci est encore suffisamment actuelle. L'élément déterminant pour trancher de cette question n'est pas le temps qui s'est écoulé depuis le moment où l'expertise a été établie, mais plutôt l'évolution qui s'est produite dans l'intervalle. Il est ainsi parfaitement concevable de se fonder sur une expertise relativement ancienne si la situation ne s'est pas modifiée entre-temps (ATF 134 IV 246 consid. 4.3; arrêt 6B_835/2017 du 22 mars 2018 consid. 5.3.2). Il a déjà été statué qu'une expertise de moins de deux ans ne saurait être qualifiée d'ancienne (ACPR/348/2019 du 13 mai 2019 consid. 5.1.; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1187/2015 du 12 septembre 2016 consid. 5.2.). La stabilisation de la situation du condamné et son évolution favorable depuis une année, soit très récemment, ne saurait constituer un motif suffisant pour ordonner une nouvelle expertise (ACPR/164/2014 du 24 mars 2014 consid. 3.3).

3.5. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant souffre d'un trouble mixte de la personnalité, avec des traits de type narcissique, paranoïaque et dyssocial, que les experts ont qualifié de grave, en dernier lieu le 28 octobre 2021, avec la précision que ce type de trouble évoluait en général peu ou défavorablement depuis le début de l'âge adulte. Or, le recourant est âgé de 59 ans, et a été condamné pour des faits commis entre 1999 et 2005, soit alors qu'il était âgé de 33 ans et plus. Les experts ont aussi noté une persistance d'une constitution psychopathique aggravant le pronostic psychiatrique.

La seule question pertinente est de savoir si une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP) – celle d'une libération conditionnelle de l'internement avec traitement ambulatoire (art. 63 CP), à laquelle le recourant conclut principalement, ne pouvant en effet à ce stade aucunement entrer en considération, vu ce qui suit – serait vraisemblablement de nature à entraîner, dans les cinq ans, une réduction nette du risque de récidive de crimes visés par l'art. 64 al. 1 CP et devrait, pour ce motif, remplacer l'internement prononcé.

Tel n'est pas le cas, pour les raisons suivantes.

Il ressort clairement du rapport d'expertise du 28 octobre 2021 et de l'audition de l'expert le 11 janvier 2022 que le risque de récidive de la commission d'actes au moins aussi graves que ceux déjà commis, violences physiques et sexuelles confondues, restait élevé. Il sera rappelé que le recourant est définitivement condamné notamment pour le meurtre d'une jeune femme en février 1999, laquelle était alors sa compagne, ce qui ne l'a pas arrêté dans ses violences innombrables et au préjudice de trois autres femmes, de 2001 à 2005, dont une adolescente, qui a été séquestrée dans un dépôt. Toujours selon le rapport d'expertise précité, une mesure thérapeutique institutionnelle ne permettait pas de réduire "de façon vraisemblable" le risque de récidive dans les cinq ans. La poursuite du suivi psychologique récemment initié était encouragée, suivi qui ne pourrait que favoriser un travail de remise en question globale, avec l'importante réserve toutefois que rien ne garantissait que ce suivi permît une réduction du risque de récidive. Le 11 janvier 2022, l'expert avait précisé que la prise en charge du trouble dont souffre le recourant était difficile, mais pas impossible et que, vu la gravité dudit trouble et la durée de son évolution sans prise en charge, il ne fallait pas s'attendre à un bouleversement après six mois de suivi psychologique (à la Brenaz). Autrement dit, la mesure d'internement était alors la seule de nature à pallier le risque de récidive.

Le recourant a intégré l’EEPB le 6 mars 2024. Il a alors bénéficié d'un entretien psychiatrique, mais n'a pas souhaité de suivi, disant n'y trouver aucun intérêt. Quant au suivi psychologique, il se disait obligé de le poursuivre car on lui avait indiqué qu'il serait bénéfique (cf. rapport thérapeutique du T______ du 6 novembre 2024). Selon le rapport du T______ du 26 juin 2025, l'intéressé avait pu jusque-là, à compter du mois d'octobre 2024, bénéficier de onze entretiens individuels avec une psychologue, outre une thérapie de groupe à quinzaine. Cela fait donc une année que ce suivi a commencé. Toutefois, et comme justement retenu par le TAPEM, il y a lieu de constater que ce suivi, quand bien même il est impératif qu'il se poursuive, consiste essentiellement en un suivi de soutien – un espace de parole qui soulage le recourant – et non en un travail approfondi d'introspection. Si la question des infractions commises a été abordée à plusieurs reprises, le recourant persiste à dire que les relations sexuelles avec une mineure seraient intervenues dans un contexte consentant et sentimental et qu'il ne peut pas avouer quelque chose qu'il n'a pas fait (cf. rapport du T______ du 26 juin 2025). Ainsi, le recourant n'est toujours pas en mesure de se livrer à une remise en question profonde et demeure anosognosique. Son audition devant le TAPEM le 27 mai 2025 est édifiante sur cette question. Il a notamment déclaré avoir refusé un suivi psychiatrique car le médecin ne voulait pas le croire et que cela ne servait à rien de poursuivre; il admettait les infractions à l'encontre de la mineure, sauf des faits de viol, de contrainte sexuelle, de séquestration aggravée et de lésions corporelles simples aggravées, allant jusqu'à demander aux juges: "Pour la justice, c'est quoi la séquestration ?". Et de poursuivre que "Même le plus ignare du milieu carcéral voyait qui il était. Comment les experts ne voient-il pas la réalité de moi? J'ai toujours dit la même chose depuis près de 20 ans. Je ne suis pas violent. Comment les autorités ne voient pas cela ? On m'a condamné à mort 10 ans après la disparition de ma femme. Je me suis retrouvé en détention provisoire uniquement en raison d'une accusation de maltraitance, que je n'avais pas faite. Je n'ai mis que 6 gifles en 16 ans de vie commune, à ma femme. Pour vous, ici, c'est peut-être trop mais en tant que Péruvien ce n'est pas trop. Les psychiatres n'arrivent pas à voir ma vraie personnalité. Comment se fait-il que tout à coup, je suis un monstre. Il est surprenant que toutes les preuves que j'avais dans mes appareils électroniques ont disparu. Les experts ont dit la même chose alors que je suis toujours la même personne, que ce soit en liberté ou en détention". Ces déclarations très récentes démontrent une anosognosie encore très présente. S'y ajoute, comme retenu par le TAPEM, l'opportunisme du recourant (dire "oui oui oui" pour pouvoir sortir ; le paiement aux victimes depuis trois ou quatre mois, car cela semblait important aux yeux de l'expert). C'est dire que le recourant se complait dans une posture de victime d'une injustice.

C'est très vraisemblablement en raison de cette posture qu'il ne s'est acquitté d'aucune indemnité en faveur des victimes. Il a indiqué avoir favorisé des versements à l'AVS, ayant ainsi pour souci premier ses vieux jours à venir, et non pas une réparation, fût-elle symbolique, du mal causé. Dans une démarche dont le caractère semble, après toutes ces années, quelque peu tactique, il a indiqué avoir l'intention de le faire à compter du 1er mai 2025. Devant le TAPEM, il a déclaré s'acquitter de CHF 40.- par mois, sur les CHF 300.- qu'il touche, au titre d'indemnités dues aux victimes [CHF 160'000.- au total], étant rappelé que s'y ajoutent des frais de justice [CHF 106'928.70].

Au vu de ces éléments, le pronostic demeure clairement défavorable.

Le suivi psychologique entamé depuis quelques mois doit pouvoir s'installer dans la durée et il est nécessaire de savoir, à la faveur de l'écoulement du temps et de la volonté du recourant, quelle progression réelle et profonde, dont d'introspection, peut en être attendue. Ceci vaut également pour la décision toute récente du recourant de réparer, en l'état dans une mesure bien modique, le tort moral causé aux victimes. Enfin, il doit être attendu que ce dernier poursuive dans le comportement qualifié de bon qu'il a adopté à l’EEPB, en travaillant et en participant notamment aux groupes de paroles, et diverses activités.

Autrement dit, si un comportement global dans une bonne direction semble s'être amorcé depuis quelques mois – étant rappelé qu'une stabilisation et une évolution favorable d'un recourant condamné depuis une année, a été qualifiée par la Chambre de céans de très récente et ne pouvant constituer un motif suffisant pour ordonner une nouvelle expertise (cf. ACPR/164/2014 du 24 mars 2014 consid. 3.3) –, tous les éléments précités doivent désormais s'inscrire dans une certaine durée et connaître un approfondissement. Une telle progression du recourant, si elle persiste dans cette voie, devra conduire, au plus tard au prochain contrôle de la mesure d'internement, à une nouvelle expertise psychiatrique (art. 64b al. 1 let. a et al. 2 let. b CP), telle que requise par le recourant, mais prématurée en l'état, après quoi la commission d'évaluation de la dangerosité devra le cas échéant se prononcer (art. 64b al. 2 let. c).

Dans ces conditions, le TAPEM pouvait valablement, par une appréciation anticipée des preuves (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_1322/2021 du 11 mars 2022 consid. 1.2), refuser de procéder à ce stade à une nouvelle expertise psychiatrique et prolonger la mesure d'internement sur la base des éléments figurant à la procédure.

4. Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés à CHF 900.-, pour tenir compte de sa situation financière qui n'apparaît pas favorable (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

6. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207, consid. 1.8.2).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui à son conseil, au Tribunal d'application des peines et des mesures et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Service de la réinsertion et du suivi pénal.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

PM/1392/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00