Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/830/2025 du 10.10.2025 sur OCL/1279/2025 ( MP ) , ADMIS
| république et | canton de Genève | |
| POUVOIR JUDICIAIRE P/19914/2021 ACPR/830/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 10 octobre 2025 | ||
Entre
A______, représenté par Me C______, avocat,
recourant,
contre l’ordonnance de classement rendue le 18 août 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 1er septembre 2025, A______ recourt contre l’ordonnance du 18 août précédent, notifiée le 22 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public, après avoir classé la procédure dirigée contre lui et B______, a mis à sa charge, ainsi qu’à celle du précité, conjointement et solidairement, les frais de la cause, arrêtés à CHF 2’637.- (ch. 14 du dispositif), et a refusé de lui allouer, de même qu'à son coprévenu, une indemnité au sens de l’art. 429 CPP (ch. 15).
Il conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 1’084.-, à l’annulation de ces deux points, une somme de CHF 21’417.35 devant lui être octroyée au titre d’une telle indemnité.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. Le 11 mai 2022, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ et B______ du chef d’infraction grave à la LStup (art. 19 al. 2 let. c de cette loi).
En substance, il leur reprochait d’avoir orchestré, via deux sociétés leur appartenant, formellement actives dans le commerce de "produits à base de CBD", un trafic portant sur de la résine de cannabis [substance qui était illicite à cette date, quelle que soit sa teneur en THC], en la vendant aussi bien à des particuliers, par le biais d’un site internet, qu’à des commerces (magasins de tabac, etc.), trafic auquel ils s’étaient livrés par métier.
a.b. Chacun des prévenus a mandaté un avocat pour défendre ses intérêts.
b. Lors de la perquisition des locaux de l’une des sociétés susvisées, une importante quantité de "résine de CBD" a été découverte.
Les lots concernés ont été saisis; ils présentaient une teneur en THC, pour certains, supérieure à 1%, et, pour d’autres, inférieure.
c. A______ et B______ se sont exprimés sur les faits qui leur étaient imputés, tant oralement, devant la police, que par écrit, leurs conseils respectifs ayant adressé diverses missives au Procureur.
c.a. En bref, ils ont contesté tout acte pénalement répréhensible.
Leurs sociétés commandaient, à des fournisseurs agréés, de "la poussière de fleurs de chanvre CBD", qu’elles revendaient ensuite. En principe, la teneur en THC de telles fleurs était inférieure à 1%, raison pour laquelle leur commercialisation était légale et, partant, exclue du champ d’application de la LStup. Les produits que leurs sociétés détenaient en stock ne consistaient donc pas en de la résine de cannabis.
Avant de vendre la marchandise, ils s’assuraient qu’elle était licite, en en faisant analyser des échantillons par des laboratoires. S’il s’avérait qu’elle contenait un taux de THC supérieur à 1%, elle était alors, soit détruite, soit renvoyée au fournisseur concerné, soit encore "panach[ée]" avec un autre de leurs produits dont le taux de THC était extrêmement bas, mélange à la suite duquel un second test était effectué.
c.b. À l’appui de leurs allégués, ils ont versé au dossier les résultats des analyses effectuées par différents laboratoires sur certaines de leurs marchandises.
d. En septembre 2022, le Ministère public a levé le séquestre ordonné sur les lots de cannabis présentant un taux de THC inférieur à 1%, au motif que la résine de chanvre n’était, depuis le 1er août 2022, date à laquelle "la législation fédérale a[vait] changé", plus considérée comme un stupéfiant si sa teneur en THC n’excédait pas le taux précité.
e.a. Le 26 juin 2025, le Procureur a informé les prévenus qu’il entendait classer la cause, les invitant, de ce fait, à formuler leurs éventuelles prétentions en indemnisation.
e.b. A______ a requis le paiement de CHF 21’417.35, au titre des dépens et tort moral que lui avait occasionnés la procédure (art. 429 al. 1 let. a et c CPP).
e.c. B______ a sollicité le versement de CHF 13’050.66 pour ses frais d’avocat (art. 429 al. 1 let. a CPP).
C. a. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les précités s’étaient livrés à un trafic de résine de cannabis, nonobstant leurs dénégations.
En tant que ce trafic avait porté sur du chanvre présentant un taux de THC inférieur à 1%, il existait un empêchement de procéder; en effet, le droit fédéral ne réprimait plus la vente de cette substance depuis le 1er août 2022; ce changement législatif étant plus favorable aux prévenus, il s’appliquait avec effet rétroactif (art. 2 al. 2 CP) [i.e. au jour de l’ouverture de l’enquête]. S’agissant du cannabis dont la teneur en THC était supérieure à 1%, il résultait du dossier que A______ et B______ faisaient analyser les marchandises qu’ils recevaient afin d’en vérifier la conformité, de sorte qu’ils avaient stocké ce stupéfiant "sans en avoir l’intention"; la condition subjective de l’infraction à l’art. 19 al. 2 LStup n’était donc pas réalisée. À cette aune, le classement de la procédure s’imposait.
Les prévenus avaient provoqué, de manière illicite et fautive, l’ouverture de la cause, de sorte que les frais y relatifs devaient leur être imputés (art. 426 al. 2 CPP), conjointement et solidairement. Ainsi, le droit genevois soumettait la vente de CBD/cannabis légal à diverses conditions, parmi lesquelles l’obtention préalable d’une autorisation, délivrée par le service administratif compétent (art. 4 al. 3 let. a et art. 7 al. 1 let. b de la Loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac [LTGVEAT;
I 2 25]). Or, A______ et B______ ne bénéficiaient pas d’une telle autorisation au moment de l’ouverture de l’enquête.
Pour les mêmes motifs, aucune indemnité ne leur était allouée (art. 430 al. 1 let. a CPP).
b. B______ n’a pas contesté cette décision.
D. a. À l’appui de son recours, A______ conteste l’application des art. 426 al. 2 et 430 al. 1 let. a CPP, pour deux motifs.
Tout d’abord, l’instruction avait été ouverte à tort, faute de commission d’une quelconque infraction de sa part, les produits commercialisés consistant en de la poussière de chanvre, substance qui était légale. Ensuite, l’omission de requérir l’autorisation prévue par la LTGVEAT était sans rapport avec les motifs ayant conduit à l’ouverture de la cause, à savoir le soupçon d’une violation de la LStup.
Il devait donc être indemnisé des dommages que lui avait occasionnés la procédure (art. 429 CPP).
b. Invité à se déterminer, le Ministère public conclut au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision.
c. A______ a renoncé à répliquer, la position du Procureur n’appelant pas d’observations complémentaires de sa part.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner les effets accessoires d’un classement, sujets à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 CPP et 393 al. 1 let. a CPP), et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à contester l’application des art. 426 al. 2 et 430 al. 1 let. a CPP.
2. Le recourant critique, tout d’abord, la mise à sa charge des frais de la procédure préliminaire.
2.1. En cas de classement, les frais de la cause peuvent être imputés au prévenu s’il a provoqué, de manière illicite et fautive, l’ouverture de celle-là (art. 426 al. 2 CPP).
2.1.1. Une telle imputation doit, pour respecter la présomption d’innocence de l’intéressé (art. 32 al. 1 Cst féd. et 6 § 2 CEDH), se fonder sur la violation d’une autre norme que celle de droit pénal qui lui était reprochée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_113/2024 du 14 juin 2024 consid. 1.2.3).
Il est ainsi exclu qu’une personne prévenue d’infraction(s) à la LStup puisse être condamnée aux frais lorsque son comportement suspect, à l’origine de l’ouverture de l’enquête, transgressait uniquement cette dernière loi (arrêts du Tribunal fédéral 6B_113/2024 précité, consid. 1.2.4 et 1.5, ainsi que 6B_1146/2016 du 14 juillet 2017 consid. 1.3 in fine).
2.1.2. i) La LTGVEAT a notamment pour but d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant (art. 1 al. 1). L’autorisation prévue par cette loi ne peut être délivrée que si ce but est susceptible d’être atteint (art. 1 al. 2).
La LTGVEAT régit également la commercialisation en ligne des produits qu’elle vise (AARP/117/2025 du 26 mars 2025, consid. 3.3), parmi lesquels figure le cannabis légal, soit celui présentant un faible taux de THC (art. 4 al. 3 let. a).
ii) Le Tribunal fédéral a jugé, dans un arrêt 6B_1111/2016 rendu le 9 mai 2018, que les frais d’une procédure pénale ouverte du chef d’infraction à l’art. 19 let. d LStup ne pouvaient être imputés aux prévenus [acquittés dans cette affaire] sur le fondement d’une (éventuelle) violation de l’art. 11 al. 1 de l’Ordonnance fédérale sur le contrôle des stupéfiants (RS 812.121.1) – disposition qui stipule que quiconque veut fabriquer, se procurer, négocier, importer, exporter ou remettre des substances soumises à contrôle, à l’exception des adjuvants chimiques, ou en faire le commerce doit obtenir préalablement une autorisation d’exploitation –.
Il a retenu ce qui suit : "le Ministère public [qui se prévalait dudit art. 11 al. 1] perd de vue, dans ses développements, que l’art. 19 let. d LStup réprime précisément le comportement de celui qui, sans droit, possède, détient ou acquiert des stupéfiants ou s’en procure de toute autre manière. Il s’ensuit que l’illicéité du défaut de l’autorisation d’exploitation, en relation avec un acte d’acquisition, de possession ou de détention, ne peut être dissociée de l’illicéité résultant de l’art. 19 LStup. En d’autres termes, l’illicéité du comportement des intéressés résulte, quoi qu’en dise le Ministère public (…), exclusivement de l’art. 19 LStup et non d’une éventuelle violation de règles administratives relatives au régime d’autorisation auquel sont soumis certains actes portant sur des stupéfiants" (consid. 6.2.2 in fine).
2.2.1. En l’espèce, la question de savoir si les produits à base de chanvre commercialisés par le recourant consistaient, ou non, en de la résine de cannabis souffre de demeurer indécise, dès lors qu’une mise à sa charge des frais de la cause ne peut en aucun cas se fonder sur une transgression de la LStup, conformément à la jurisprudence précitée.
2.2.2. Le Procureur estime que la violation, par le prévenu, du régime d’autorisation prévu par la LTGVEAT justifiait l’ouverture de la présente procédure.
Il n’en est rien.
En effet, l’application de la LStup exclut celle de la LTGVEAT, et inversement, puisque la première se rapporte à des substances illicites et la seconde à des produits cannabiques légaux.
Aussi de deux choses l’une :
· soit le chanvre commercialisé par le recourant était légal (en tout ou partie), auquel cas le Ministère public ne pouvait ouvrir une procédure pénale du chef d’infraction à la LStup (pour l’ensemble, ou la partie, des produits concernés) – cela alors même que l’intéressé avait omis de requérir l’autorisation prévue par la LTGVEAT –;
· soit il était illicite, car il s’agissait d’un stupéfiant, et l’application de LTGVEAT – ainsi que des obligations qu’elle comporte – n’entrait pas en ligne de compte.
Il s’ensuit que les réquisits de l’art. 426 al. 2 CPP ne sont pas réunis. Dès lors, les frais de la cause devaient être laissés à la charge de l’État.
Partant, le recours se révèle fondé sur ce premier volet.
3. Le prévenu critique, ensuite, le refus du Ministère public de lui allouer une indemnité.
3.1. L’art. 430 al. 1 let. a CPP est le pendant de l’art. 426 al. 2 CPP. La question de l’indemnisation (art. 429 CPP) devant être traitée après celle des frais, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 147 IV 47 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_788/2023 du 12 juin 2025 consid. 4.2.2).
3.2. In casu, il a été jugé ci-dessus que l’État devait supporter les frais de la procédure préliminaire. L’application de l’art. 430 al. 1 let. a CPP est donc exclue.
Aussi le Procureur devait-il examiner les prétentions du recourant fondées sur l’art. 429 al. 1 let. a et c CPP.
Dans la mesure où il n’appartient pas à la Chambre de céans de statuer, pour la première fois, au stade d’un recours, sur l’indemnité sollicitée par un prévenu (cf. en ce sens ACPR/349/2024 du 8 mai 2024, consid. 2.4 in fine), la cause doit être retournée à ce magistrat, à charge pour lui de se prononcer sur le caractère (in)admissible de ces prétentions (art. 397 al. 2 CPP).
Le recours est donc également fondé sur ce second volet.
4. 4.1. En conclusion, cet acte doit être admis et les chiffres 14 et 15 du dispositif de l’ordonnance entreprise annulés, dans la mesure où ils concernent A______.
4.2. Reste à déterminer si cette annulation doit profiter à B______.
4.2.1. À teneur de l’art. 392 al. 1 CPP, lorsque, dans une même procédure, un recours a été interjeté par certains des prévenus seulement et qu’il a été admis, la décision attaquée est modifiée également en faveur de ceux qui n’ont pas recouru, aux conditions suivantes : l’autorité juge différemment les faits (let. a) et les considérants valent également pour les autres personnes impliquées (let. b).
Cette norme – dont l’application est obligatoire (AARP/225/2025 du 17 juin 2025, consid. 2.9.1) – vise aussi les frais des prononcés (ACPR/561/2023 du 21 juillet 2023, consid. 3.3; M. NIGGLI/ M. HEER/ H. WIPRÄCHTIGER (éds), Schweizerische Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 2 ad art. 392).
4.2.2. En l’occurrence, les considérations exposées aux points 2.2.2 et 3.2 supra valent également pour B______, lequel n’a pas interjeté recours.
Par conséquent, il se justifie d’annuler, aussi en ce qui le concerne, les chiffres 14 et 15 du dispositif de la décision querellée.
Cette modification lui étant favorable, il n’était pas nécessaire de recueillir sa détermination (art. 392 al. 2 CPP).
5. 5.1. L’admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).
5.2. A______, qui obtient gain de cause, peut prétendre à l’octroi d’une juste indemnité au sens de l’art. 436 al. 2 CPP.
Il chiffre à CHF 1’084.- ses dépens, TVA incluse.
Cette somme apparaissant en adéquation avec l’activité déployée par son avocat (rédaction d’un mémoire de recours de 16 pages), elle lui sera allouée.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule le chiffre 14 du dispositif de l’ordonnance déférée, en tant qu’il condamne A______ et B______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure préliminaire, et dit que ces frais sont laissés à la charge de l’État.
Annule le chiffre 15 de ce même dispositif et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision sur les prétentions de A______ et B______ fondées sur l’art. 429 CPP.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l’État.
Alloue à A______, à la charge de l’État, une indemnité de CHF 1’084.-, TVA à 8.1% incluse (art. 429 al. 1 let. a CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Le communique, pour information, à B______, soit pour lui son avocat.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
| La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l’art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l’expédition complète de l’arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).