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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1754/2020

ACPR/765/2025 du 24.09.2025 sur OMP/13657/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PARTIE À LA PROCÉDURE;PLAIGNANT;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);PRINCIPE DE LA BONNE FOI;ORDONNANCE DE SÉQUESTRE
Normes : CPP.382.al1; CPP.197.al1; CPP.263; CPP.267

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1754/2020 ACPR/765/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 24 septembre 2025

 

Entre

A______ et B______, représentés tous deux par Me Carlo CECCARELLI, avocat, FABBRO & PARTNERS, avenue du Théâtre 14, case postale 595, 1001 Lausanne,

recourants,

 

contre l'ordonnance de levée partielle de séquestre (OMP/13657/2025) rendue le 5 juin 2025 par le Ministère public,

et

C______ LTD, représentée par Me Loris BERTOLIATTI, avocat, BOREL & BARBEY, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6,

D______, représentée par Me Ilir CENKO, avocat, RENOLD & ASSOCIÉS, boulevard des Philosophes 15, 1205 Genève,

E______, représenté par Me Grégoire MANGEAT, avocat, MANGEAT AVOCATS SÀRL, rue de Chantepoulet 1, case postale, 1211 Genève 1,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 juin 2025, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 5 juin 2025, notifiée le 10 suivant, par laquelle le Ministère public a levé le séquestre frappant le tableau "F______" de G______ se trouvant à Genève, auprès de la société H______ SA.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, principalement, à la réforme de l'ordonnance querellée, en ce sens que le séquestre est maintenu, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Par ordonnance du 23 juin 2025 (OCPR/29/2025), la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours et maintenu le séquestre jusqu'à droit jugé.

c. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 3'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Les 13 et 22 janvier 2020, B______ a déposé plainte pénale, au motif que trente-deux tableaux hérités par sa femme, A______, dans le cadre de la succession de feu I______, et dont elle lui avait fait donation, avaient été transférés à Genève afin d'être mis en dépôt en vue de l’obtention d’un crédit lombard, mais allaient prochainement être mis en vente, sans son accord, à la suite d’un montage fallacieusement élaboré par D______ pour spolier le couple, à travers la société J______ SA et avec la participation de E______, de la société K______ SÀRL, à L______ [France], et de M______, directeur de la banque N______, à Genève.

b. Le 28 janvier 2020, le Ministère public a ordonné une perquisition des locaux de H______ SA, où les œuvres étaient censément entreposées. Vingt-quatre d’entre elles ont pu être séquestrées à des fins conservatoires, dont le tableau "F______".

c. Selon les rapports de police des 7 et 12 février 2020 (PP 400'001 ss. et PP 400'500 ss.):

c.a. O______, directeur de H______ SA, avait expliqué avoir reçu les œuvres le 17 octobre 2019, après avoir signé un contrat avec J______ SA, soit avec D______, qui était son interlocutrice.

c.b. Selon les pièces annexées aux rapports, E______ avait acheté le tableau "F______" (cf. facture finale du 24 octobre 2019, PP 400'230) à A______ et B______ pour un montant d'EUR 120'000.- et l'avait vendu à C______ LTD – société active dans le marché de l'art en Suisse et à l'étranger et dont l'activité consistait notamment à réaliser des profits en acquérant des œuvres à des prix intéressants, puis en les revendant –, le 7 octobre 2019 pour EUR 165'000.- (PP 400'071). Une facture du 26 novembre 2019 à l'entête de C______ LTD et adressée à K______ SÀRL faisait également mention d'une revente ultérieure du tableau à cette dernière, pour un montant d'EUR 215'000.- (PP 400'058). Selon E______, cette transaction n'avait finalement pas abouti (PP 401'404).

c.c. Selon une liste non datée et non signée "des œuvres à assurer pour une exposition au Palazzo" (PP 400'193) et la "lista opere da assicurare per mostra a palazzo P______" (PP 400'356), le tableau "F______" était estimé à EUR 400'000.-.

d. Entendue par le Ministère public le 28 février 2020, D______ a indiqué avoir signé un contrat avec A______ et B______ le 11 septembre 2019, alors qu'ils se trouvaient à Q______ [Italie], visant la vente de trente-deux tableaux ainsi qu'une procuration générale en sa faveur. E______ et M______ étaient présents et avaient assisté auxdites signatures.

e. Les 28 février et 14 juillet 2020, le Ministère public a prévenu D______ d'abus de confiance, escroquerie, faux dans les titres et gestion déloyale, pour avoir disposé sans droit des tableaux confiés par B______ et falsifié à cette fin un document autorisant leur vente.

f.          Par ordonnance du 21 mars 2022, le Ministère public a formellement admis A______ comme partie plaignante et nié à B______ cette qualité, au motif que la donation effectuée en faveur de ce dernier était frappée de nullité. Par arrêt du 26 septembre 2022 (ACPR/652/2022), la Chambre de céans a partiellement annulé cette ordonnance, mais relevé que B______ ne contestait pas son bien-fondé en ce qui concernait les agissements d'D______ en lien avec l'appropriation des tableaux, dont il admettait qu'ils n'avaient jamais cessé d'être la propriété de son épouse.

g.        Par courriers des 13 septembre, 26 octobre et 13 décembre 2022, C______ LTD a sollicité la levée du séquestre portant sur l'œuvre "F______", laquelle a été refusée par ordonnance du Ministère public du 28 février 2023. Ce dernier a notamment retenu que, l'instruction étant encore en cours, il n'était pas possible, à ce stade, de déterminer qui était l'ayant droit de ladite œuvre, les circonstances dans lesquelles C______ LTD l'avait acquise étant peu claires. Il existait également un doute sérieux quant à la valeur de celle-ci, de sorte que le montant payé par C______ LTD ne pouvait être considéré comme une contre-prestation adéquate et sa bonne foi ne pouvait être tenue pour acquise.

h.        Par courrier du 13 septembre 2024 (PP 601'031), C______ LTD a à nouveau requis la levée du séquestre susvisé, les éléments retenus par le Ministère public dans son ordonnance du 28 février 2023 n'étant pas de nature à justifier son maintien. K______ SÀRL avait approché R______, spécialiste en art contemporain italien, pour lui proposer plusieurs œuvres de la collection provenant de la succession de feu I______, dont "F______" pour un prix d'EUR 200'000.-. R______ l'avait alors contactée afin de lui faire part de cette opportunité. Sur la base des photographies transmises par cette dernière, qui montraient l'œuvre en parfait état de conservation, elle-même avait autorisé R______ à négocier le prix d'achat dans une fourchette située entre EUR 150'000.- et EUR 175'000.- et avait finalement acquis celle-ci pour EUR 165'000.-, sans connaître le prix précédemment payé par K______ SÀRL. Il était fréquent, compte tenu du dynamisme du marché de l'art, qu'une œuvre fût acquise avant même que l'acheteur ne pût la visionner. Elle avait par la suite envisagé de revendre l'œuvre à K______ SÀRL pour un montant de EUR 215'000.-, un client de cette dernière étant intéressé par son acquisition, mais la vente n'avait finalement pas abouti. Elle avait par la suite octroyé un mandat exclusif à la maison S______ AG pour proposer l'œuvre à la vente pour un montant d'EUR 250'000.-.

Selon la base de données "T______", l'œuvre "F______" avait été estimée au minimum à USD 62'015.- et au maximum à USD 295'696.- entre juin 2012 et juillet 2020. Le montant d'EUR 400'000.- pour lequel elle avait été assurée par les propriétaires était ainsi disproportionné et ne reflétait pas la valeur du marché. Elle avait dès lors acquis le tableau de bonne foi, n'ayant entretenu aucun rapport direct ou indirect avec les protagonistes de la procédure pénale. Elle ne pouvait dès lors nourrir aucun doute quant à une éventuelle provenance illicite de l'œuvre, celle-ci n'étant pas répertoriée comme telle et munie d'un certificat d'authenticité, le prix payé étant par ailleurs en adéquation avec la fourchette d'évaluation de "T______". Elle avait ainsi fourni une contreprestation adéquate. Le séquestre, maintenu depuis plus de cinq ans, était dès lors disproportionné.

i. K______ SÀRL a indiqué ne pas être opposée à la levée du séquestre (PP 603'154) et D______ s'en est remise à l'appréciation du Ministère public (PP 604'096).

j. Par courrier du 22 novembre 2024 (PP 607'486 ss.), A______ et B______ se sont opposés à la levée du séquestre et ont requis la restitution de l'œuvre. Les circonstances ne s'étaient pas modifiées depuis les précédents refus du Ministère public, qui avait estimé que les conditions n'étaient pas réalisées. C______ LTD ne pouvait au demeurant se prévaloir de sa bonne foi, les conditions d'acquisition de l'œuvre litigieuse permettant de constater de multiples irrégularités, anomalies et éléments douteux. Le processus de vente, impliquant de nombreux intermédiaires dans un laps de temps très court, ainsi que la qualité de la partie venderesse, auraient dû, à eux seuls, susciter des interrogations. En effet, K______ SÀRL, loin d'être une société réputée dans le marché de l'art, était nouvellement constituée, ce que confirmait la mention "new office" sur sa page Instagram. Son unique associé-gérant était âgé de 30 ans au moment de la transaction et rien n'attestait de liens privilégiés avec A______, B______ ou les Archives I______. L'œuvre avait de plus été temporairement transportée vers la Suisse, sur simple "auto-certification", sans certificat d'authenticité, contrairement à ce que prétendait C______ LTD, et l'achat était intervenu sans que cette dernière ne l'eût préalablement vue et pour un montant très inférieur à sa valeur réelle. La facture du 24 octobre 2019 pour un montant d'EUR 120'000.- était fausse et aurait dû soulever des interrogations, ce d'autant plus qu'il existait de nombreuses contrefaçons d'œuvres de G______ sur le marché. L'intervention de R______ apparaissait également pour le moins insolite dans la vente d'une œuvre de la collection I______.

k. Par courrier du 25 mars 2025, C______ LTD a persisté dans sa demande de levée de séquestre. Elle avait acquis le tableau par l'intermédiaire de R______ et n'avait pas connaissance du montant initialement payé par K______ SÀRL. R______, qui était sa conseillère, s'était déjà trouvée précédemment en relation d'affaires avec K______ SÀRL qui était au demeurant titulaire d'un pouvoir de disposition sur l'œuvre. Le statut d'exportation de l'œuvre n'était de plus pas temporaire, contrairement à ce que soutenaient les plaignants, puisque le certificat d'auto-certification mentionnait "la licéité de la sortie définitive du territoire national". Celle-ci avait été accompagnée d'un certificat d'authenticité, lequel avait été produit en annexe à son courrier du 3 mars 2020 (PP 601'002 ss.), et il était très fréquent qu'une œuvre fût acquise sans avoir été préalablement vue. Aucun élément ne permettait de retenir que les œuvres de G______ seraient sujettes à une falsification récurrente et qu'il conviendrait de faire preuve d'une attention particulière lors de leur achat. Il ne pouvait dès lors être retenu qu'elle aurait pu ou dû avoir connaissance de faits justifiant le séquestre, aucun élément n'étant de nature à soulever des soupçons, et que l'œuvre proviendrait des infractions dénoncées, les circonstances entourant la transaction n'ayant rien d'insolite.

l. Entendu par le Ministère public le 2 avril 2025, U______, associé et gérant de R______, a indiqué avoir conclu plusieurs affaires avec E______, qu'il connaissait depuis plusieurs années, sans qu'ils n'eussent jamais rencontré de problèmes. Il avait agi en qualité de consultant pour le compte de C______ LTD et négocié l'achat de l'œuvre "F______". Dans un premier temps, il s'était fondé sur les images et vidéos de l'œuvre, mais avait finalement pu voir celle-ci lorsqu'elle avait été entreposée aux Ports-Francs, après la facturation toutefois, raison pour laquelle il avait inclus une clause prévoyant un droit de rétractation de dix jours après l'arrivée de l'œuvre en Suisse. Il n'avait eu aucun doute sur le fait que E______ était autorisé à la vendre, puisqu'il avait reçu toutes les informations demandées de sa part, dont le certificat d'authenticité.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public retient qu'il convenait d'apprécier avec une grande retenue les valeurs d'assurance auxquelles se référaient A______ et B______ pour déterminer le prix de l'œuvre, puisque très supérieures aux montants payés pour l'achat de celle-ci ou d'œuvres similaires lors de ventes aux enchères publiques (entre EUR 82'702.50 et EUR 278'437.- pour cette œuvre ou des œuvres similaires entre 2012 et 2020). Ainsi, le montant d'EUR 165'000.- s'inscrivait dans la fourchette de prix auxquels elle avait été vendue ces dernières années. Le fait que C______ LTD l'avait par la suite remise en vente à un prix supérieur à celui d'acquisition n'était pas de nature à porter atteinte à sa bonne foi, au vu de ses activités qui consistaient à générer un bénéfice par la revente des œuvres achetées. L'instruction avait ainsi permis de démontrer que les motifs justifiant le séquestre n'existaient plus, les éléments du dossier ne permettant pas de retenir que C______ LTD aurait connu ou dû connaître l'existence d'un litige concernant la propriété de l'œuvre "F______" et cette société ayant fourni une contreprestation adéquate.

Toutefois, dans la mesure où A______ et B______ avaient également conclu à la restitution immédiate des œuvres et où il n'était pas exclu que des problématiques propres au droit civil subsistassent s'agissant de leur propriété, un délai leur était octroyé pour intenter une action civile.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______ reprochent au Ministère public d'avoir retenu la bonne foi de C______ LTD. En octobre 2018, U______, dans le cadre de ses activités de marchand d'art, avait contacté V______, président de la Fondation W______, afin d'obtenir l'authentification de deux œuvres. Les messages échangés révélaient que ces derniers étaient conscients des circonstances suspectes entourant l'origine de l'œuvre et que le tableau "F______" appartenait à A______, de sorte que E______ ne pouvait pas en disposer et U______ avait dû en faire part à sa mandante, C______ LTD. Ils auraient dès lors dû suspecter l'irrégularité de la situation, vu qu'ils se présentaient comme experts en commerce d'art. Malgré cela, ils avaient fait preuve de manque de diligence, vraisemblablement pour servir leurs propres intérêts. Ainsi, les circonstances d'acquisition du tableau par C______ LTD commandaient un approfondissement de l'enquête, notamment eu égard à une possible infraction de recel imputable à celle-ci, et requéraient le maintien du séquestre. La bonne foi de C______ LTD devait également être niée, puisqu'elle avait procédé au paiement du prix du tableau sur le compte de K______ SÀRL. Elle était dès lors pleinement consciente de l'illicéité de la transaction et avait choisi de s'en accommoder. Même à supposer une simple incompréhension de U______, il lui incombait, ainsi qu'à C______ LTD, de mener des recherches, de sorte qu'ils avaient fait preuve, à tout le moins, d'une négligence grave, qui ne saurait être protégée. De plus, le prix payé était très inférieur au montant auquel d'autres œuvres du même artiste, qui étaient très cotées, avaient été vendues.

À l'appui de leur recours, ils produisent des échanges WhatsApp entre U______ et V______ datant du 30 octobre 2019. U______ y expliquait avoir "deux W______" qu'il était sur le point de vendre/acheter et avoir besoin de les authentifier. Il achetait des œuvres à "[s]on ami E______" appartenant à la succession I______, de sorte qu'il valait mieux "rester discret".

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Les recourants, en produisant des pièces nouvelles "pêle-mêle", se contentaient de contester le prix payé par C______ LTD, sans exposer pour quelle raison il convenait de s'écarter du rapport "T______" produit par cette dernière. Les échanges de messages produits à l'appui du recours étaient manifestement dénués de pertinence et indiquaient simplement que U______ avait demandé à V______ de faire preuve de discrétion.

c. E______ et D______ concluent tous deux au rejet du recours. Ils contestent fermement et intégralement l'état de fait tel que présenté par les recourants, soutenant que ces derniers avaient consenti à la vente de l'œuvre.

d. Dans ses observations, C______ LTD conclut au rejet du recours. Le fait que la vente de l'œuvre pût potentiellement provenir d'une infraction n'était pas un élément en faveur du séquestre, puisque l'art. 70 al. 2 CPP prévoyait justement, en cas de bonne foi de l'acquéreur, la levée de celui-ci. Or, celle-ci devait être admise et elle n'avait au demeurant pas fait preuve d'un manque de diligence. Les messages produits étaient dénués de pertinence et rien n'indiquait qu'ils étaient en lien avec l'œuvre "F______", celle-ci n'y étant pas mentionnée. Ainsi, ils ne constituaient aucunement un indice que C______ LTD aurait dû présumer l'existence de circonstances prétendument sujettes à caution ou que E______ ne détenait pas un pouvoir de disposition. Les impressions produites par les recourants concernaient des œuvres qui n'avaient rien en commun avec celle faisant l'objet du litige et, dans tous les cas, le prix d'achat se trouvait dans la fourchette d'évaluation du site "T______" produite.

e. Dans leur réplique, A______ et B______ persistent dans leurs conclusions. Le 26 juin 2019, une œuvre similaire à celle litigieuse, par ses dimensions, sa technique, son support et sa datation avait été vendue chez X______ [vente aux enchères] pour EUR 279'216.-. En février 2021, un "F______" avait été vendu pour USD 529'409.-. Les œuvres composant la collection I______ se distinguant par leur grande qualité, leur riche bibliographie et leur présentation dans d'importantes expositions, il convenait de retenir une valeur intrinsèque supérieure aux "F______" "normaux". S'agissant des échanges de messages, le Ministère public avait retenu, à tort, que les conversations démontraient l'existence d'un principe de discrétion, puisque, lorsque le propriétaire de l'œuvre était tenu à l'écart de la connaissance de la vente, il s'agissait d'une tromperie. Ces messages étaient pertinents, puisqu'ils mentionnaient explicitement la succession I______ et il y était demandé de ne pas alerter A______, de sorte que U______ avait connaissance de la provenance de l'œuvre et du fait que E______ n'en était pas propriétaire. La bonne foi de C______ LTD ne pouvait de plus pas être retenue, au vu des circonstances entourant la vente de l'œuvre litigieuse (notamment la discordance temporelle entre le paiement des EUR 120'000.- le 10 octobre 2019 par K______ SÀRL et la revente à C______ LTD du 7 octobre 2019, le prix manifestement inférieur à celui du marché et l'absence de certificat d'authenticité, celui produit concernant un autre "F______").


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, 4 ad art. 267) et en tant qu'il émane de A______, partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), reconnue comme telle par le Ministère public au motif qu’elle était restée propriétaire des tableaux, pour cause de nullité de la donation qu’elle en avait fait à B______ (pièce PP 300'008 ; cf. ACPR/652/2022 du 26 septembre 2022). Dès lors, elle doit se voir reconnaître la qualité pour agir, ayant par ailleurs un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Il en va cependant différemment s'agissant de B______. En effet, bien que l'ordonnance du Ministère public refusant de lui accorder la qualité de partie plaignante ait été partiellement annulée par la Chambre de céans (ACPR/652/2022 précité), la donation en sa faveur étant frappée de nullité, il ne bénéficie d'aucun intérêt juridiquement protégé à s'opposer à la levée du séquestre, puisqu'il ne peut, à aucun titre, revendiquer la propriété ou la restitution des œuvres. La qualité pour recourir doit dès lors lui être niée.

2.             La recourante conteste la levée du séquestre prononcé sur l'œuvre "F______".

2.1.       Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP), qu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient être utilisés pour couvrir des créances compensatrices (art. 263 al. 1 let. e CPP).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa) ; comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2).

Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2). Le séquestre ne peut donc être levé (art. 267 CPP) que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (arrêts du Tribunal fédéral 1B_311/2009 du 17 février 2010 consid. 3 in fine et 1S_8/2006 du 12 décembre 2006 consid. 6.1). La confiscation n’est, ainsi, exclue que si la bonne foi du tiers est clairement et définitivement établie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_22/2017 du 24 mars 2017 consid. 3.1.). La notion de bonne foi pénale du tiers porte sur l'ignorance des faits qui justifieraient la confiscation, soit de son caractère de récompense ou de produit d'une infraction. Selon la jurisprudence, elle ne se rapporte pas à la notion civile consacrée à l'art. 3 CC. La confiscation ne peut ainsi pas être prononcée si le tiers sait simplement qu'une procédure pénale a été ouverte contre son partenaire commercial, mais ne dispose pas d'informations particulières. Il faut que le tiers ait une connaissance certaine des faits qui auraient justifié la confiscation ou, à tout le moins, considère leur existence comme sérieusement possible, soit qu'il connaisse les infractions d'où provenaient les valeurs ou, du moins, ait eu des indices sérieux que les valeurs provenaient d'une infraction. En d'autres termes, la confiscation à l'égard d'un tiers ne sera possible que si celui-ci a une connaissance – correspondant au dol éventuel – des faits justifiant la confiscation. La violation d'un devoir de diligence ou d'un devoir de se renseigner ne suffit pas pour exclure la bonne foi du tiers (arrêt du Tribunal fédéral 1B_222/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2.1. et 2.4). Les probabilités d'une confiscation doivent de plus se renforcer au cours de l'instruction et doivent être régulièrement vérifiées par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4).

2.2.       À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal a l'obligation de lever la mesure et de restituer les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit. Pour que l'objet ou la valeur patrimoniale puisse être restitué en vertu de cette disposition, il faut que l'ayant droit puisse être retrouvé et que l'objet ou la valeur patrimoniale séquestré ne soit pas revendiqué par plusieurs personnes (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1228).

Selon l'art. 267 al. 2 CPP, la restitution anticipée à l'ayant droit de valeurs patrimoniales saisies est possible s'il n'est pas contesté qu'elles proviennent d'une infraction. Cette disposition instaure une exception au principe selon lequel le sort des séquestres pénaux se règle avec la décision sur le fond de l'action publique (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd. Bâle 2014, n. 6 ad art. 267). En effet, s'il est incontesté que des valeurs patrimoniales ont été directement soustraites à une personne déterminée du fait de l'infraction, elles sont restituées à l'ayant droit avant la clôture de la procédure. Si les droits sur l'objet sont contestés, la procédure de l’art. 267 al. 3 à 5 CPP s'applique (Message précité, FF 2006 1229).

Lorsqu'un objet ou une valeur patrimoniale est revendiqué par plusieurs personnes, le ministère public ne peut procéder que par le biais de la procédure prévue à l'art. 267 al. 5 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_298/2014 du 21 novembre 2014 consid. 3.2 = SJ 2015 I 277), soit, notamment, s'il existe un doute sur l'identité du véritable ayant droit. En revanche, si le ministère public estime que le titulaire des objets/valeurs patrimoniales à restituer est clairement identifié – notamment en application de règles légales –, il doit pouvoir rendre une décision de restitution en application de l'art. 267 al. 1 CPP. Cette solution se justifie d'autant plus lorsque les autres prétentions émises sont manifestement infondées. Les droits des parties ne sont pas péjorés par cette procédure puisque la voie du recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP est ouverte contre cette décision (arrêt du Tribunal fédéral 1B_288/2017 du 26 octobre 2017 consid. 3.).

Selon l'art. 267 al. 5 CPP, l'autorité pénale peut attribuer les objets ou les valeurs patrimoniales à une personne et fixer aux autres réclamants un délai pour intenter une action civile. Lorsque la situation est suffisamment claire, le ministère public peut ordonner une restitution en se fondant sur l'art. 267 al. 1 CPP. Lorsque tel n'est pas le cas, il doit procéder selon l'art. 267 al. 5 CPP en s'inspirant des solutions du droit civil. Les objets sont donc attribués provisoirement au possesseur (art. 930 CC), lequel est, en outre, présumé de bonne foi (art. 3 al. 1 CC). En présence d'indications claires sur l'inexistence de ce droit réel, l'attribution doit être ordonnée en faveur de la personne qui apparaît la mieux légitimée. L'autorité pénale procède à un examen prima facie, sur la base de l'examen du dossier. Elle répartit ainsi de façon provisoire le rôle des parties dans la procédure civile à venir, sans préjudice de la décision éventuelle au civil (arrêt du Tribunal fédéral 1B_573/2021 du 18 janvier 2022 consid. 3.1.).

La situation n’est pas suffisamment claire, au sens de la loi, lorsque, par exemple, un tiers a acquis le bien avant le prononcé du séquestre : dans un tel cas, l’affectation doit attendre le jugement final (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit., n. 15b ad art. 267).

2.3.       En l'espèce, la recourante se fonde, pour exclure la bonne foi de C______ LTD, sur les messages échangés entre U______ et V______, dans lesquels le premier indique être sur le point de vendre/acheter "deux W______" qu'il devait faire authentifier, appartenant à la succession I______, de sorte qu'il valait mieux "rester discret". Or, ces messages, s'ils démontrent que U______ souhaitait faire preuve d'une certaine prudence dans le cadre de l'achat et la revente de tableaux appartenant à cette succession, ne contiennent aucun élément permettant d'affirmer que C______ LTD connaissait leur provenance ou qui en était désormais leur propriétaire, étant de plus précisé que ces messages ne mentionnent pas l'œuvre "F______", mais uniquement


2.4.       "deux W______". Ainsi, même à supposer que U______ ait eu connaissance de la provenance du tableau, rien n'indique qu'il aurait transmis cette information à sa mandante et aucun élément de la procédure ne permet d'affirmer que celle-ci aurait eu des échanges avec E______. Ainsi, contrairement à ce que soutient la recourante, l'échange de messages produit ne permet pas d'exclure la bonne foi de C______ LTD.

Le prix payé par cette dernière (EUR 165'000.-) ne constitue également pas un indice d'absence de bonne foi, puisqu'il se situe très précisément dans la fourchette de prix auxquels avait été estimée l'œuvre "F______" ou des œuvres similaires, soit entre EUR 82'702.50 et EUR 278'437.-, selon le site "T______". La recourante n'explique au demeurant pas pour quelle raison il conviendrait de s'écarter de ces valeurs et ne fait que produire des pièces peu précises qui ne démontrent pas que la valeur de l'œuvre litigieuse serait nettement supérieure au prix payé. En effet, les listes non datées et non signées des œuvres à assurer en vue d'une exposition (mentionnant une valeur d'EUR 400'000.-) ne sont pas probantes pour s'écarter des estimations et des montants des ventes produits par C______ LTD, dans la mesure où un propriétaire est libre d'assurer son tableau quand il le souhaite. Il y a dès lors lieu de retenir que C______ LTD a payé un prix correspondant à celui du marché et ainsi fourni une contreprestation adéquate, et a, par la suite, souhaité revendre le tableau afin d'effectuer un bénéfice, en adéquation avec son activité professionnelle.

Que C______ LTD ait payé le montant d'EUR 165'000.- postérieurement au paiement d'EUR 120'000.- par K______ SÀRL ne peut de plus lui être opposé, rien n'indiquant qu'elle aurait eu connaissance du montant initialement payé et de la date à laquelle celui-ci est intervenu. Il en va de même du fait qu'elle ait visionné l'œuvre postérieurement à son achat, dans la mesure où le contrat prévoyait un droit de rétractation de dix jours après son arrivée en Suisse.

Enfin, C______ LTD a produit le certificat d'authenticité qu'elle avait requis avant l'achat litigieux et rien n'indique que celui-ci concernerait une autre œuvre de G______, contrairement à ce que soutient la recourante.

Il ressort de ce qui précède que la procédure, malgré les nombreux actes d'instruction, n'a pas permis de retenir que C______ LTD aurait pu ou dû avoir connaissance de faits justifiant le séquestre, aucun élément n'étant de nature à soulever des soupçons, et que l'œuvre provenait des infractions dénoncées, les circonstances entourant la transaction n'étant pas insolites. Ainsi, aucun élément ne permet d'exclure sa bonne foi, étant rappelé que la violation d'un devoir de diligence ou d'un devoir de se renseigner ne suffit pas. C'est donc à juste titre que le Ministère public a levé le séquestre.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Selon l'art. 428 al. 1 CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. La partie dont le recours est irrecevable ou qui retire le recours est également considérée avoir succombé.

Les recourants, qui succombent tous deux, supporteront les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 3'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). Ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

5.             Corrélativement, aucun dépens ne leur sera octroyé.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare irrecevable le recours de B______.

Rejette le recours de A______.

Condamne A______ et B______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 3'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants (soit, pour eux, leur conseil), à C______ LTD (soit, pour elle, son avocat), à E______, (soit, pour lui, son conseil), à D______ (soit, pour elle, son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1754/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

40.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'885.00

Total

CHF

3'000.00