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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/64/2025

ACPR/706/2025 du 01.09.2025 ( RECUSE ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : RÉCUSATION;DÉLAI;RETARD;MISE EN ACCUSATION
Normes : CPP.56; CPP.58

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/64/2025 ACPR/706/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 1er septembre 2025

 

Entre

A______, représenté par Mes Matthias BOURQUI et Guglielmo PALUMBO, avocats, Etude HABEAS Avocats Sàrl, rue du Général-Dufour 20, case postale 556, 1211 Genève 4,

requérant,

et

B______, Procureur, Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. Par pli du 23 juillet 2025, le Procureur B______ a transmis à la Chambre de céans la demande de récusation formée à son encontre par A______, dans le cadre de la procédure P/1______/2019, accompagnée de l'échange de courriers qui s'en était ensuivi.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le Procureur B______ instruit, depuis le 1er mars 2025, la procédure susvisée dirigée contre A______, ouverte des chefs de gestion déloyale (art. 158 CP), escroquerie (art. 146 CP) et/ou abus de confiance (art. 138 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), banqueroute frauduleuse (art. 163 CP) et gestion fautive (art. 165 CP) ainsi que d'infractions à la LAVS et à l'art. 21 de la loi fédérale sur les résidences secondaires.

Il a succédé à cette date à la Procureure C______, laquelle avait elle-même succédé au Procureur D______ le 3 juin 2022.

b. Le 4 février 2025, le Ministère public a tenu une audience finale (art. 317 CPP), lors de laquelle il a remis à A______ un acte listant, de manière précise et détaillée, chacun des faits, et infractions corrélatives, qui lui étaient reprochés ainsi que le type et/ou le montant du/des dommage(s) y afférent(s).

c. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du même jour, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait dresser un acte d'accusation. Un délai au 14 février 2025, prolongé par la suite au 14 mai 2025, leur a été accordé pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve, le prévenu étant invité à indiquer dans ce même délai s'il persistait dans ses différentes demandes d'actes d'instruction déjà formulées.

d. Par courrier du 14 mai 2025, A______ a persisté dans ses nombreuses réquisitions de preuve préalablement formulées entre les 18 octobre 2023 et 3 février 2025, qu'il actualisait et synthétisait (sur 35 pages).

e. Préalablement, par ordonnance du 25 février 2025, le Ministère public a refusé de lever partiellement les séquestres ordonnés sur deux des biens du prévenu (un immeuble ainsi que des valeurs déposées sur le compte des services financiers du Pouvoir judiciaire).

f. Par arrêt du 7 mai 2025 (ACPR/345/2025), la Chambre de céans a admis le recours de A______ contre l'ordonnance en question, annulé en conséquence celle-ci et renvoyé la cause au Ministère public pour nouvelle décision motivée sur les séquestres litigieux, ces derniers étant maintenus dans l'intervalle.

Elle a en substance considéré ne pas pouvoir déterminer, sur la base du prononcé attaqué, quels avaient été les profits, réels ou estimés, découlant de l'ensemble des infractions incriminées, respectivement la part de ces profits imputable au recourant. Partant, elle n'était pas en mesure de comparer le total desdits profits avec la valeur des biens saisis, ajoutant qu'un constat identique s'imposait "s'agissant des frais de la cause, faute d’estimation figurant au dossier à leur sujet" (consid. 2.3.2).

g. Par nouvelle décision du 9 juillet 2025, notifiée le lendemain à A______, le Procureur B______ a refusé de lever partiellement les séquestres ordonnés.

Y était annexé un bordereau de frais provisoire à teneur duquel les frais de la procédure s'élevaient en l'état à CHF 49'432.10, précisant que ce "bordereau de frais [était] provisoire et n'[était] établi en l'état qu'à des fins estimatives". La mention "Estimation au 09.07.2025" figurait en filigrane en travers du document.

À teneur dudit bordereau, un montant de CHF 2'500.- était mentionné pour le poste "Actes d'accusation".

h. Le recours interjeté contre cette décision par A______ le 21 juillet 2025 est actuellement pendant devant la Chambre de céans.

i. Par lettre datée du 21 juillet 2025 adressée au Procureur B______, A______, par l'intermédiaire de son conseil, a indiqué avoir pris connaissance du bordereau de frais précité le 18 juillet 2025 seulement, à l'occasion de la rédaction de son recours contre la décision du 9 juillet 2025. Or, aucun acte d'accusation ne lui avait été notifié, tout comme le Ministère public n'avait pas encore statué sur ses demandes de classement ni sur ses réquisitions de preuve du 14 mai 2025. Il se demandait par conséquent : si un projet d'acte d'accusation avait été rédigé; si un tel projet était ou avait été en sa possession; le cas échéant qui en était l'auteur ou les auteurs; et quand ce projet avait été initié. Ces éléments laissaient en effet craindre que l'un ou l'autre des Procureurs en charge de la procédure aient préjugé de l'issue de l'instruction. Il sollicitait ainsi d'ores et déjà la récusation du ou des auteur(s) de tout éventuel projet d'acte d'accusation.

j. Par courrier du 22 juillet 2025, B______ lui a répondu que dans son arrêt du 7 mai 2025, la Chambre pénale de recours l'avait invité notamment à procéder à une estimation des frais de la cause (cf. consid. 2.3.2). Le bordereau de frais annexé à sa décision du 9 juillet 2025, qui comportait en filigrane la mention "Estimation au 09.07.2025", avait répondu à cette injonction, étant précisé que ce bordereau était provisoire et établi à des fins estimatives uniquement, comme cela était mentionné dans sa décision. Vu l'avis de prochaine clôture du 4 février 2025 par lequel le Ministère public annonçait son intention de mettre la cause en accusation, il convenait de retenir – toujours à des fins estimatives – des frais en lien avec un acte d'accusation à établir. Or, cette quotité était forfaitaire et comprise entre CHF 1'000.- et CHF 2'500.-. Il ajoutait n'avoir en l'état pas encore statué sur les réquisitions de preuve formulées par les parties. Dans la mesure où la requête ne visait pas la récusation d'un magistrat instructeur déterminé mais uniquement le/les "auteur(s) de tout éventuel projet d'acte d'accusation", le requérant était invité à lui indiquer si sa demande de récusation était maintenue, auquel cas elle serait transmise à la juridiction compétente.

k. Par pli du 23 juillet 2025, A______ a constaté que le Procureur ne répondait pas à ses questions, de sorte qu'il ne pouvait pas se prononcer utilement quant à un éventuel retrait de sa demande de récusation.

l. Par lettre du même jour, le Procureur s'est référé à son précédent courrier et a invité le prévenu, s'il entendait consulter le dossier de la procédure, à lui en faire la demande, tout en indiquant qu'il transmettait sa demande de récusation, dont il déduisait qu'elle était maintenue, à la Chambre pénale de recours.

m. Par pli du 28 juillet 2025 adressé au Procureur, avec copie à la Chambre de céans, A______ s'est estimé surpris par la saisine de la Cour de justice et considérait que ses craintes en lien avec l'existence d'un acte d'accusation rédigé avant l'heure s'en trouvaient dès lors renforcées. Il considérait que si le Procureur avait hérité du dossier de la procédure avec un acte d'accusation d'ores et déjà rédigé, cela serait de nature à biaiser son appréciation du dossier et consacrerait une partialité manifeste du Procureur ayant rédigé un tel acte prématurément. Il réitérait ses questions et sollicitait de pouvoir consulter le dossier.

EN DROIT :

1. Partie à la procédure P/1______/2019 en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans, siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ).

2. 2.1. La demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP).

Même si la loi ne prévoit aucun délai particulier, il y a lieu d'admettre que la récusation doit être formée aussitôt, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder ce moyen en réserve pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable ou lorsque l'intéressé se serait rendu compte que l'instruction ne suivait pas le cours désiré (ATF 143 V 66 consid. 4.3).

Les réquisits temporels de l'art. 58 al. 1 CPP sont satisfaits lorsque la demande de récusation est déposée dans les six ou sept jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, tandis qu'ils ne le sont pas lorsqu'elle est formée trois mois, deux mois, deux à trois semaines ou vingt jours après que son auteur a pris connaissance du motif de récusation. Dans l'examen du respect des exigences de l'art. 58 al. 1 CPP, il convient notamment de prendre en compte les circonstances d'espèce ainsi que le stade de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_65/2022 du 18 mars 2022 consid. 3.1.); considérer que le droit de demander la récusation est perdu doit être apprécié avec retenue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_647/2020 du 20 mai 2021 consid. 2.1.). En particulier, selon notamment la fréquence des actes d’instruction, on peut se montrer plus large dans le temps de réaction lorsque le moment déterminant intervient dans une phase moins active de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_227/2013 du 15 octobre 2013 consid. 2.1).

Il incombe à la partie qui se prévaut d'un motif de récusation de rendre vraisemblable qu'elle a agi en temps utile, en particulier eu égard au moment de la découverte de ce motif (arrêts du Tribunal fédéral 1B_283/2022 du 29 novembre 2022 consid. 4.3 et 1B_348/2022 du 11 août 2022 consid. 3 et les arrêts cités).

2.2. En l'occurrence, le requérant considère n'avoir eu connaissance du motif de récusation, soit du bordereau de frais provisoire annexé à la décision du Procureur du 9 juillet 2025 mentionnant un montant de CHF 2'500.- pour le poste "Actes d'accusation", que le 18 juillet 2025, à l'occasion de la rédaction de son recours contre ladite décision. Formée le 21 juillet 2025, sa demande de récusation serait donc recevable selon lui.

On ne saurait le suivre. La décision précitée accompagnée du bordereau de frais litigieux lui ayant été notifiée le 10 juillet 2025, il avait la possibilité, dès ce moment-là, de soulever son motif de récusation. En laissant s'écouler 11 jours, le requérant a donc agi tardivement. Partant, sa requête est irrecevable.

3. Ne le serait-elle pas qu’elle serait dénuée de tout fondement.

3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

La procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF 126 I 68 consid. 3a p. 73; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2). Elle vise notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011).

Il y a prévention lorsque le magistrat donne l'apparence que l'issue du litige est d'ores et déjà scellée, sans possibilité de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction de l'opinion précédemment exprimée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_425/2017 du 24 octobre 2017 consid. 3.4). Un seul comportement litigieux peut suffire à démontrer une apparence de prévention, ce qu'il faut apprécier en fonction des circonstances (cf. l'arrêt 1C_425/2017 précité, consid. 3.3).

3.2. En l'espèce, on ne voit pas en quoi le cité aurait préjugé de l'issue de l'instruction en établissant un bordereau de frais provisoire de la cause, la Chambre de céans lui ayant, dans son arrêt du 7 mai 2025, précisément demandé d'estimer les frais de la procédure afin de lui permettre de se prononcer sur l'assiette du séquestre et sa levée partielle éventuelle. Dès lors que le Ministère public avait, par avis de prochaine clôture de l'instruction du 4 février 2025, annoncé aux parties qu'il entendait dresser un acte d'accusation, les frais prévisibles liés à cet acte, estimés en l'occurrence à CHF 2'500.-, devaient figurer dans le bordereau en question.

Qu'un Procureur envisage de renvoyer un prévenu en jugement ne saurait par ailleurs le rendre suspect de prévention. On ne voit ainsi pas en quoi le fait pour le cité d'avoir repris l'instruction du dossier, le 1er mars 2025, soit postérieurement à l'avis de prochaine clôture et à l'annonce de son prédécesseur qu'un acte d'accusation allait être dressé serait de nature à le rendre partial.

Le délai imparti aux parties pour produire leurs réquisitions de preuve est échu et le cité doit à présent statuer sur celles-ci, de sorte que l'issue de la cause n'est pas définitivement scellée.

Quand bien même le magistrat serait éventuellement en possession d'un projet d'acte d'accusation rédigé par un précédent Procureur, rien au dossier – ni même la transmission par ses soins à la Chambre de céans de la requête en récusation et de ses échanges de correspondance subséquents avec le requérant – ne permet de penser qu'il aurait à ce stade un parti pris contre ce dernier ou aurait déjà préjugé du sort de l'affaire. Quant au fait qu'il aurait lui-même déjà rédigé un projet d'acte d'accusation, il est purement spéculatif. Les craintes exprimées par le requérant sont ainsi purement subjectives.

4. Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.-.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare la requête en récusation irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui ses conseils, et à B______.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/64/2025

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- demande sur récusation (let. b)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00