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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18559/2024

ACPR/701/2025 du 29.08.2025 sur OMP/23305/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉFENSE OBLIGATOIRE;DÉFENSE D'OFFICE
Normes : CPP.132; CPP.130
Par ces motifs

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18559/2024 ACPR/701/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 29 août 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 30 octobre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 14 novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 octobre 2024, notifiée le 5 novembre 2024, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner la défense d'office en sa faveur.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision, à ce que l'assistance judicaire lui soit accordée et Me B______ nommé en tant que défenseur d'office.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 10 août 2024, C______ s'est présentée à la police pour déposer plainte contre son époux, A______, lui reprochant principalement d'avoir, le jour précédent, tenté de la forcer à subir un rapport sexuel, étant souligné qu'elle était parvenue à le repousser. Elle lui reprochait, en outre, d'avoir tenté de l'étrangler [en février 2024] ainsi que de l'avoir menacée de mort [à des dates indéterminées], notamment avec un couteau [en 2019, en Espagne]. Elle complètera sa plainte lors de l'audience du 5 novembre 2024.

b. Le même jour, A______ a été entendu à la police, comme prévenu, sans solliciter la présence d'un avocat. Il a contesté les faits.

Une mesure d'éloignement du domicile conjugal a été prononcée à son encontre jusqu'au 20 août 2024.

c. Par ordonnance du 27 septembre 2024, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour contrainte (art. 181 CP), lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 et 2 al. 3 CP), désagrément d'ordre sexuel (art. 198 ch. 1 al. 2 CP), tentative de viol (art. 22 al. 1 CP cum 190 al. 1 CP), menaces (art. 180 CP) et voies de fait (art. 126 al. 1 CP) en lien avec les faits du 9 août 2024.

d. Le 16 octobre 2024, par le biais de son avocat, A______ a sollicité qu'une défense d'office soit ordonnée en sa faveur, en la personne de Me B______.

À l'appui, il a produit des pièces en vue d'établir sa situation financière.

e. Dans son rapport du 24 octobre 2024 à l'attention du Ministère public, le Greffe de l'Assistance juridique a retenu que A______ disposait d'un revenu mensuel de CHF 4'118.- (rente AI, CHF 184.-; prestations complémentaires, CHF 2'568.-; caisse de pension, CHF 1'366.-). Ses charges mensuelles admissibles étaient fixées à CHF 2'879.- (frais d'hôtel, CHF 1'371.-; primes assurance maladie prises en charges par le Service des prestations complémentaires (ci-après, SPC); impôts, CHF 2.-; abonnement TPG, CHF 6.-; minimum vital en vigueur à Genève pour une personne seule [CHF 1'200.-] majoré de 25% [CHF 300.-]). Sur cette base, il était constaté que A______ était en mesure de régler par ses propres moyens les honoraires d'un avocat, dès lors qu'il dépassait encore de CHF 1'239.- le minimum vital élargi.

f. Par lettre du 4 novembre 2024, le Ministère public a considéré que A______ relevait du régime de la défense obligatoire, lui impartissant un délai afin de désigner un défenseur privé.

g. Le lendemain, le Ministère public a prévenu l'intéressé des infractions mentionnées ci-dessus (cf B.c) ainsi que pour avoir, en octobre 2019, au domicile conjugal, à la suite d'une dispute, pointé un couteau à proximité du visage de son épouse et du côté gauche de son abdomen, en la menaçant de la tuer au motif qu'elle avait gâché son rêve d'être en Suisse avec sa famille.

h. A______, assisté de son conseil, a contesté les faits qui lui étaient reprochés.

Relativement à sa situation personnelle et financière, l'intéressé, ressortissant marocain, né en 1975, a confirmé vivre dans un hôtel en attendant de trouver un appartement. Il percevait mensuellement CHF 100.- de l'AI, CHF 900.- au titre de la LPP et CHF 1'500.- du SPC. La contribution d'entretien pour ses filles n'était pas encore fixée. Il leur achetait parfois "des choses" et prenait en charge leur abonnement de téléphone [CHF  50.-]. Son épouse a ajouté qu'elle recevait directement la part de la rente LPP pour leurs filles, soit CHF 400.-.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ disposait des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur n'était pas justifiée pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 let. b, al. 2 et 3 CPP). L'indigence du précité n'était pas établie par le rapport du Greffe de l’Assistance juridique et il lui était loisible de se faire assister, à ses frais, par un conseil de son choix.

D. a. Dans son recours, A______ expose que sa situation financière s'était péjorée depuis l'ordonnance querellée. Il avait dû quitter le domicile conjugal en raison de la décision sur mesures protectrices de l'union conjugale rendue le 16 août 2024 par le juge civil. Ses charges [CHF 2'579.-] étaient restées inchangées alors que les rentes AI et LPP pour enfants d'invalide étaient versées directement à son épouse. Ses ressources mensuelles étaient ainsi devenues inférieures à son minimum vital.

À l'appui, l'intéressé a produit de nouvelles pièces, à savoir :

·         une décision du SPC du 18 octobre 2024 selon laquelle il percevra, dès le 1er novembre 2024, des prestations complémentaires de CHF 1'522.- [un montant de CHF 587.85 étant réservé, en sus, pour l'assurance maladie];

·         une lettre de sa caisse de pension du 25 octobre 2024, informant le recourant que dès le 1er novembre 2024, il recevra sa rente mensuelle d'invalide de CHF 910.85, les rentes pour ses filles (rentes d'enfants d'invalide pour un total de CHF 455.50) étant versées directement en mains de son épouse;

·         une attestation de l'Office cantonal des assurances sociales du 4 novembre 2024, selon laquelle il perçoit une rente AI mensuelle de CHF 102.- et ses filles une rente AI de CHF 41.- chacune.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public persiste dans sa décision et conclut au rejet du recours.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Les pièces nouvelles produites par le recourant sont recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

3. Le recourant reproche au Ministère public de ne pas lui avoir accordé une défense d'office.

3.1. Selon l'art 130 CPP, le prévenu doit avoir un défenseur, notamment lorsqu'il encourt une peine privative de liberté de plus d’un an, une mesure entraînant une privation de liberté ou une expulsion (let. b).

Dans un tel cas, la direction de la procédure doit pourvoir à ce que le prévenu soit assisté aussitôt d’un défenseur (art. 131 al. 1 CPP), que celui-ci le soit à titre privé (cf.  art. 129 CPP) ou désigné d'office (cf. art. 132 CPP).

L'art. 132 al. 1 CPP prévoit deux cas dans lesquels la direction de la procédure ordonne une défense d'office : en cas de défense obligatoire, si le prévenu se retrouve dépourvu de défenseur (let. a, ch. 1 et 2), ou lorsque le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts (let. b).

Le défenseur d’office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès (art. 135 al. 1 CPP).

3.2. Comme le relève à cet égard la jurisprudence, il résulte de ces dispositions que le CPP opère une double distinction en matière de défense: d'une part entre défense facultative et défense obligatoire; d'autre part entre défense privée et défense d'office.

La défense facultative laisse au prévenu le soin de décider librement s'il entend se défendre seul ou recourir aux services d'un avocat. La défense obligatoire impose en revanche au prévenu l'assistance d'un défenseur, privé ou d'office. Réglée par l'art. 130 CPP, la défense obligatoire est indépendante de la situation financière du prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_309/2021 du 3 septembre 2021 consid. 2.1.2).

La défense privée est celle où l'accusé choisit librement son avocat et le rémunère lui-même (arrêt du Tribunal fédéral 1B_461/2016 du 9 février 2017 consid. 2.1.2). La défense d'office voit, elle, l'autorité commettre au prévenu un défenseur rétribué par l'État – à tout le moins provisoirement –, dans la mesure où la sauvegarde des droits de l'intéressé le requiert. Elle intervient lorsque le prévenu n'a pas de défenseur alors même qu'il s'agit d'un cas de défense obligatoire (art. 132 al. 1 let. a ch. 1 et 2 CPP) ou lorsque le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 let. b CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_309/2021 précité consid. 2.1.2).

Le Tribunal fédéral a ainsi, à plusieurs reprises, confirmé que, lorsqu'un prévenu se trouvait dans un cas de défense obligatoire et se voyait désigner un avocat d'office, il n'avait pas à démontrer son indigence, la question de la prise en charge des coûts dans le cadre d'une défense d'office en vertu de l'art. 132 al. 1 let. a CPP n'ayant pas à être examinée avant la fin de la procédure, la direction de la procédure devant décider, au plus tard à ce moment-là, si et dans quelle mesure les frais de défense avancés par l'État devaient être répercutés sur le prévenu (ATF 139 IV 113 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 7B_356/2024 du 8 mai 2024 consid. 2.2.2 et 1B_294/2019 du 11 septembre 2019 consid. 2.2).

3.3. Selon la jurisprudence, une personne est indigente lorsqu'elle n'est pas en mesure d'assumer les frais de la procédure sans porter atteinte au minimum nécessaire à son entretien et à celui de sa famille (ATF 144 III 531 consid. 4.1; 141 III 369 consid. 4.1; 135 I 221 consid. 5.1).

Pour déterminer l'indigence, il convient de prendre en considération l'ensemble de la situation financière du requérant au moment où la demande est présentée, celui-ci devant indiquer de manière complète et établir autant que possible ses revenus, sa situation de fortune et ses charges (ATF 135 I 221 consid. 5.1 p. 223 et les arrêts cités). Il incombe ainsi au requérant de prouver les faits qui permettent de constater qu'il remplit les conditions de la mesure qu'il sollicite. S'il ne fournit pas des renseignements suffisants (avec pièces à l'appui) pour permettre d'avoir une vision complète de sa situation financière et que la situation demeure confuse, la requête doit être rejetée (ATF 125 IV 161 consid. 4 p. 164 s.; arrêt du Tribunal fédéral 1B_436/2018 consid. 3; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 59b ad art. 132).

3.4. En l'espèce, le refus du Ministère public de désigner un avocat d'office est motivé par le fait que le recourant ne remplirait pas la condition d'indigence et que l'assistance d'un défenseur ne serait pas justifiée pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 let. b et al. 2 et 3 CPP).

Or, le Ministère public a ouvert, le 27 septembre 2024, une instruction contre le recourant des chefs, notamment, de contrainte, menaces et tentative de viol au préjudice de son épouse. L'intéressé se trouve ainsi dans une situation de défense obligatoire au sens de l'art. 130 let. b CPP, ce que le Ministère public a du reste constaté dans sa lettre du 4 novembre 2024.

Par conséquent, contrairement à ce qu'indique désormais le Ministère public, l'assistance d'un défenseur est nécessaire.

Il se justifie donc de mettre le recourant au bénéfice d'une défense d'office au sens de l’art. 132 al. 1 let. a ch. 1 CPP, avec effet au jour du dépôt de sa demande.

Comme évoqué ci-dessus, l'intéressé n'a, à ce stade, pas besoin de prouver son indigence, étant souligné qu'à teneur des nouvelles pièces produites à l'appui du recours, celle-ci parait toutefois établie.

4. Partant le recours doit être admis et l'ordonnance querellée annulée.

5. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6. L'indemnité du défenseur d'office nouvellement désigné sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de refus de nomination d'office du 30 octobre 2024 et désigne Me B______ comme défenseur d'office de A______, avec effet au 16 octobre 2024.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

 

Arbenita VESELI

 

La présidente :

 

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).