Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/646/2025 du 14.08.2025 sur OMP/16916/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15837/2025 ACPR/646/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 14 août 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 11 juillet 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 21 juillet 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 11 précédent, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur du rapport d'arrestation du 11 juillet 2025, A______, ressortissant nigérian, né le ______ 1990, a été observé ce jour-là – dans le cadre d'une opération de police déployée dans le quartier B______, à Genève, lieu connu pour le trafic des stupéfiants –, alors qu'il était suivi par un homme "de type toxicomane" [C______] puis qu'il échangeait brièvement avec ce dernier, les deux hommes s'étant ensuite séparés, chacun repartant dans une direction opposée. Suspectant qu'une transaction avait eu lieu, les policiers ont procédé à l'interpellation de C______, lequel a été retrouvé en possession d'une boulette de cocaïne d'un poids brut de 0.7 gramme, qu'il a expliqué avoir tout juste achetée à un "dealer africain" dans la rue. Au vu de ces éléments, A______ a été interpellé à son tour. Lors de la fouille de ce dernier, les policiers ont retrouvé CHF 91.35 et EUR 3.70, un téléphone portable, ainsi que des documents de voyage italiens.
b. Lors de son audition par la police le 11 juillet 2025, C______ a déclaré avoir acheté une "demi" de cocaïne à un individu de type africain contre la somme de CHF 20.-. Il a formellement identifié A______ comme étant le vendeur, ajoutant que celui-ci lui avait également volé son portemonnaie contenant CHF 10.-, mais qu'il ne souhaitait toutefois pas porter plainte.
c. Devant la police le même jour, A______ s'est refusé à toute déclaration.
d. Par ordonnance pénale du 11 juillet 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. c et d LStup, et l'a condamné à une peine pécuniaire de 80 jours-amende à CHF 30.- l'unité, sous déduction d'un jour de détention avant jugement.
A______ y a formé opposition.
e. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ n'a pas d'antécédent.
C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a ordonné l'établissement du profil d'ADN de A______ au motif que, notamment en cas d'opposition de celui-ci à l'ordonnance pénale qui lui serait notifiée, des analyses pourraient s'avérer pertinentes sur la drogue saisie sur le toxicomane C______ (art. 255 al. 1 CP).
D. a. Dans son recours, A______ considère qu'au vu de l'absence d'antécédent à son casier et de la quantité minime de drogue sur laquelle portait la vente qui lui était reprochée, l'établissement de son profil d'ADN violait de manière "crasse" le principe de la proportionnalité. Une telle mesure, arbitraire, constituait une atteinte disproportionnée à son intégrité physique et un emploi abusif des données le concernant. Aucun des trois cas de figure envisagés dans la Directive A.5 du Procureur général n'était applicable. Il ne s'agissait que d'une infraction simple, et non grave, à la LStup. Aucun élément du dossier n'indiquait que des traces biologiques avaient été prélevées ou seraient disponibles. Enfin, il ne ressortait pas du rapport de police qu'un tel prélèvement serait nécessaire pour les besoins de l'enquête. La motivation avancée par le Ministère public était problématique dans la mesure où, d'une part, elle suggérait que cette autorité ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour prononcer sa condamnation par ordonnance pénale du 11 juillet 2025 et, d'autre part, qu'il existerait d'autres motifs – ainsi qu'en attestait l'usage de l'adverbe "notamment" – qui n'étaient pas évoqués et encore moins motivés dans l'ordonnance querellée. Le Ministère public n'avait ainsi ordonné l'établissement de son profil d'ADN que parce qu'il avait lui-même fait usage de son droit au silence – raison ayant également conduit cette autorité à refuser de le mettre au bénéfice du sursis dans le cadre de l'ordonnance pénale précitée – et afin de se prémunir contre l'éventualité qu'il formât opposition contre celle-ci, le punissant ainsi pour exercer ou avoir exercé ses droits.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.3. À teneur des art. 4.1 et 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN (art. 4.1), en cas d'infraction(s) sur laquelle (lesquelles) porte la procédure (art. 255 al. 1 CPP), lorsque (i) ladite procédure porte sur une liste déterminée d'infractions, parmi lesquelles figure le trafic de stupéfiants en sa forme aggravée (art. 19 al. 2 LStup), mais non en sa forme simple (art. 19 al. 1 LStup), (ii) la police a prélevé des traces biologiques susceptibles d'être comparées avec un profil d'ADN et (iii) l'établissement d'un profil d'ADN se justifie pour les besoins de l'enquête que la police a exposés dans son rapport (art. 4.2).
2.4. Aux termes de l'art. 352 al. 1 CPP, le ministère public rend une ordonnance pénale si, durant la procédure préliminaire, le prévenu a admis les faits ou que ceux-ci sont établis et que, incluant une éventuelle révocation d'un sursis ou d'une libération conditionnelle, il estime suffisante l'une des peines suivantes : une amende, une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus ou une peine privative de liberté de six mois au plus.
2.5. Selon l'art. 355 al. 1 CPP, en cas d'opposition, le ministère public administre les autres preuves nécessaires au jugement de l'opposition.
2.6. À teneur de l'art. 10 al. 3 CP, sont des délits les infractions passibles d'une peine privative de liberté n'excédant pas trois ans ou d'une peine pécuniaire.
2.7. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné par le Ministère public afin d'élucider les faits survenus le 11 juillet 2025, lesquels sont susceptibles d'être constitutifs d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. c et d LStup , soit un délit sur lequel porte la procédure au sens de l'art. 255 al. 1 CPP.
Contrairement à ce que semble penser le recourant, le fait que, concomitamment au prononcé de l'ordonnance querellée, le Ministère public l'eût condamné par ordonnance pénale, mettant ainsi un terme potentiellement définitif à la procédure, ne privait pas cette autorité de la possibilité de recueillir un moyen de preuve supplémentaire par le biais de l'établissement de son profil d'ADN.
En effet, bien que le Ministère public eût considéré que les faits étaient suffisamment établis au vu des éléments au dossier et qu'une ordonnance pénale pouvait en l'état être rendue, cette autorité pouvait légitimement penser, au vu du refus du recourant de s'exprimer lors de son audition par la police, qu'il existait une probabilité non négligeable que ce dernier n'acceptât pas cette proposition de condamnation et y fît opposition, rendant ainsi nécessaire, conformément à l'art. 355 al. 1 CPP, l'administration des autres preuves nécessaires au jugement de l'opposition, parmi lesquelles la comparaison de l'ADN du recourant à celui susceptible d'être retrouvé sur la boulette de cocaïne ou son contenant.
Une telle façon de procéder ne saurait être vue comme une manière de punir le recourant pour exercer ou avoir exercé ses droits – soit en l'occurrence avoir gardé le silence et disposé de la possibilité de former opposition contre l'ordonnance pénale – et ne contrevient nullement à l'art. 255 al. 1 CPP, pour autant bien évidemment que ses réquisits soient réunis, ce qui est le cas en l'espèce, ainsi qu'il sera vu ci-après.
L'infraction susceptible d'être élucidée revêt une certaine gravité puisque l'instruction porte sur des faits potentiellement constitutifs d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c et d LStup), soit un délit au sens de l'art. 10 al. 3 CP. Peu importe que cette infraction ne figure pas dans la liste des infractions mentionnées à l'art. 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général ou encore qu'aucun des trois cas de figure évoqués dans cette disposition ne soit applicable en l'espèce. En effet, cette liste n'a pas vocation à être exhaustive, tout au plus exemplative, la Directive précitée n'ayant pas force de loi. Il sera à cet égard relevé que l'art. 255 al. 1 CPP – sur lequel le Procureur s'est fondé pour ordonner la mesure querellée –, autorise l'établissement de profils d'ADN pour élucider "le crime ou le délit sur lequel porte la procédure", sans restreindre le champ des délits pour lesquels une telle mesure est envisageable.
Bien que le recourant eût refusé de s'exprimer devant la police, il a été observé alors qu'il échangeait brièvement avec un toxicomane, C______, lequel a été retrouvé en possession d'une boulette de cocaïne d'un poids brut de 0.7 gramme et l'a formellement identifié comme étant la personne lui ayant vendu cette drogue quelques instants plus tôt. Il existe ainsi des soupçons suffisants à l'encontre du recourant.
Reste à déterminer si le principe de la proportionnalité est respecté.
S'agissant des faits présumés et pour lesquels le recourant a été condamné par ordonnance pénale, la mesure ordonnée était indispensable, en tant qu'elle devait permettre de déterminer, en cas d'opposition de celui-ci à l'ordonnance pénale rendue concomitamment, s'il était bien l'individu ayant vendu la boulette de cocaïne à C______, aucune autre mesure moins incisive ne paraissant susceptible d'élucider les faits. En effet, il ne pouvait être exclu que le recourant, qui avait jusqu'ici refusé de s'exprimer, persistât à le faire ou contestât les faits lorsqu'il serait ultérieurement entendu par le Ministère public, d'une part, et que C______, bien que l'ayant mis en cause, revînt sur ses déclarations lors d'une éventuelle audience de confrontation à venir, d'autre part.
Compte tenu de la gravité des faits dont le recourant est soupçonné, l'atteinte à sa personnalité – découlant de la mesure contestée – paraît minime au regard de l'intérêt public poursuivi, à savoir l'élucidation de faits graves, de sorte que ladite mesure est proportionnée. L'intérêt à la manifestation de la vérité prime en effet de manière manifeste l'intérêt privé du recourant au respect de sa liberté personnelle et de son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant (art. 197 al. 1 let. d CPP).
Au vu de ces considérations, l'acte entrepris – qui repose sur une base légale, est proportionné et dicté par un intérêt public – se justifie pour les besoins de l'enquête visant à déterminer si le recourant est bien l'individu ayant vendu la boulette de cocaïne à C______.
En définitive, l'ordonnance querellée, nullement arbitraire, ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à
CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/15837/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | 00.00 |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | 00.00 |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |