Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/633/2025 du 13.08.2025 sur OMP/16774/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15005/2025 ACPR/633/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 13 août 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 10 juillet 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 21 juillet 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 juillet 2025, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, avec suite de frais et indemnité, principalement, à l'annulation de cette ordonnance, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______, né le ______ 1992, de nationalité nigériane, est, à teneur du dossier, célibataire, sans profession et sans domicile connu. Il fait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève, valable du 13 novembre 2024 pour une durée de 24 mois, ainsi que d'une décision de renvoi, émise par les autorités suisses, valable du 29 novembre 2024 au 29 novembre 2029.
b.a. Il a été arrêté le 1er juillet 2025 au Square de la Comédie, à Genève, dans le cadre d'une opération de police visant à lutter contre le trafic de stupéfiants. À teneur du rapport d'arrestation, il avait pris la fuite depuis la plaine de Plainpalais, où il avait été observé, pour se soustraire au contrôle de police. Il était porteur de CHF 195.29.
b.b. À la suite de cette arrestation, une procédure P/15005/2025 a été ouverte à son encontre. A______ a refusé de s'exprimer devant la police et a, devant le Ministère public, expliqué être arrivé en Suisse le jour même, pour acheter des vêtements de seconde main.
b.c. Par ordonnance pénale du 2 juillet 2025, le Ministère public a reconnu A______ coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel, d'entrée illégale et d'infraction à l'art. 119 al. 1 LEI pour avoir, à Genève :
- à tout le moins le 1er juillet 2025, jour de son arrestation, pénétré sur le territoire suisse, alors qu'il n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires et qu'il ne disposait pas des moyens financiers suffisants permettant d'assurer sa subsistance durant son séjour ni ses frais de retour;
- omis de respecter la mesure d'interdiction d'entrer dans le canton de Genève, valable à partir du 13 novembre 2024, pour une durée de 24 mois;
- le 1er juillet 2025, à hauteur de la plaine de Plainpalais, empêché les agents de procéder à son contrôle et à son interpellation en prenant la fuite à pied, malgré les sommations de la police.
b.d. Le bordereau annexé à cette ordonnance indique CHF 290.- au titre d'"Émoluments", les autres rubriques étant vides.
b.e. Le prévenu a formé opposition à cette ordonnance pénale.
c.a. A______ a été à nouveau arrêté le 9 juillet 2025, alors qu'il se trouvait au niveau du rond-point de Plainpalais.
c.b. Il a refusé de s'exprimer lors de son audition devant la police. Il a, devant le Ministère public, qui avait ouvert une nouvelle procédure P/15697/2025, expliqué être revenu en Suisse le 9 juillet 2025 pour voir son avocate car il avait besoin d'aide pour récupérer son passeport.
c.c. Il a fait l'objet, dans la cadre de cette nouvelle procédure, d'une ordonnance pénale du 10 juillet 2025 l'ayant condamné pour entrée illégale et infraction à l'art. 119 al. 1 LEI pour avoir, à Genève :
- à tout le moins le 9 juillet 2025, jour de son arrestation par la police, pénétré sur le territoire suisse, alors qu'il n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires et qu'il ne disposait pas des moyens financiers suffisants permettant d'assurer sa subsistance durant son séjour et ses frais de retour;
- omis de respecter la mesure d'interdiction d'entrer dans le canton de Genève, valable à partir du 13 novembre 2024, pour une durée de 24 mois.
c.d. Cette ordonnance contient un bordereau de frais mentionnant uniquement CHF 250.- pour "Émoluments", les rubriques "Débours" (qui inclus l'indication "CURML") et "Émoluments de l'administration (prises de sang, émolument de police)" indiquent toutes deux CHF 0.-.
c.e. A______ a formé opposition à l'ordonnance pénale du 10 juillet 2025.
d. Le 15 juillet 2025, le Ministère public a ordonné la jonction des deux procédures sous le No P/15005/2025, numéro de procédure sous lequel le prévenu est désormais renvoyé en jugement devant le Tribunal de police.
e. Le même jour, le Ministère public a ordonné la défense d'office en faveur de A______.
f. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse (au 25 juillet 2025), A______ a déjà été condamné à deux reprises, soit :
- le 29 janvier 2019, pour entrée illégale,
- le 20 décembre 2023, pour délit contre la loi sur les stupéfiants, non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée et empêchement d'accomplir un acte officiel.
Ledit extrait mentionne également six procédures en cours, dont une devant la Chambre pénale d'appel et de révision et cinq devant le Tribunal de police, pour diverses infractions liées au droit des étrangers et un délit à la LStup (dans le cadre d'une procédure P/1______/2024).
g. S'agissant pour le surplus de sa situation personnelle, A______ déclare être sans enfants, travailler dans des restaurants sans donner son revenu, tout en indiquant qu'il allait percevoir son premier salaire le 15 juillet 2025.
C. Dans son ordonnance, le Ministère public considère qu'il convient d'établir le profil d'ADN du prévenu, celui-ci ayant déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, référence étant faite à l'art. 19 LStup (art. 255 al. 1bis CPP).
D. a. Dans son recours, A______ relève que, dans leur application de la Directive du procureur général A.5, les procureurs ne prenaient même plus la peine de vérifier si un profil d'ADN avait déjà été établi par le passé avant d'en ordonner un nouveau. Or, l'établissement de son profil avait déjà été ordonné à de nombreuses reprises, en dernier lieu en 2024. Le fait que l'ordonnance querellée n'indiquât pas si son ADN avait déjà été établi par le passé violait l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP.
L'effacement du profil d'ADN n'intervenait, en cas de condamnation, qu'après 10 ans minimum, soit en l'espèce en 2034, le délai étant prolongeable sur demande de l'autorité de jugement, soit en l'espèce jusqu'en 2044. Sous l'angle du principe de la proportionnalité, un nouvel établissement de son profil d'ADN n'était pas nécessaire.
Le Tribunal fédéral avait clairement indiqué que l'art. 255 CPP n'autorisait pas le prélèvement d'échantillon d'ADN et leur analyse de manière systématique. Or, c'était précisément ce que préconisait la Directive A.5 du Procureur général, en violation de l'art. 13 al. 2 Cst.
De plus, les frais liés à ces actes "inutiles", d'autant que l'ADN ne se modifiait pas au cours de la vie d'un être humain, allaient être mis à sa charge et à celle du contribuable genevois.
Dès lors, l'ordonnance querellée était totalement arbitraire et concernait un nouvel acte inutile qui portait atteinte à sa liberté personnelle.
b. La cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
3.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
3.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
3.3. L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2;
145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1).
Le Tribunal fédéral a indiqué que l'art. 255 CPP ne permettait toutefois pas le prélèvement de routine (invasif) d'échantillons d'ADN lors de chaque soupçon suffisant, et encore moins leur analyse générale (ATF 147 I 372 consid 2.1 et les référence citées).
3.4. En l'espèce, le recourant ne conteste pas l'existence d'indices sérieux et concrets qu'il pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures, ni que ces infractions seraient d'une certaine gravité. Les faits pour lesquels il a été arrêté les 1er et 9 juillet 2025 et les nombreuses autres procédures en cours à son encontre, notamment pour infraction à la LStup, auxquels s'ajoute sa situation personnelle, en particulier l'absence de revenus légaux avérés, confirment au demeurant l'existence de tels indices.
Le recourant reproche au Ministère public de n'avoir pas tenu compte de ce que son profil d'ADN avait déjà été établi dans le passé et d'appliquer la Directive A.5 du Procureur général de telle sorte à prélever et analyser les échantillons d'ADN de manière systématique, soit de manière illégale.
La Chambre de céans a toutefois régulièrement retenu [cf. notamment ACPR/400/2025 du 23 mai 2025 consid. 2.3] que dans la mesure où les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai [cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363], il existe un intérêt public prépondérant – quand bien même l'établissement du profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une ou plusieurs reprises et que son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années – à soumettre derechef le prévenu à cette mesure, pour autant que les conditions légales soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Dans la mesure où on se trouve dans une situation dans laquelle l'art. 255 al. 1bis CPP permet d'ordonner un tel établissement, la mesure est légale, et, partant, nullement arbitraire ni contraire à la jurisprudence du Tribunal fédéral.
Au surplus, le grief à teneur duquel l'ordonnance pénale figurant à la procédure violerait l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP pour n'avoir pas indiqué si le profil d'ADN du recourant avait déjà été établi par le passé est irrecevable, dite disposition indiquant que les ordonnances pénales doivent indiquer "le délai d'effacement d'un profil d'ADN éventuellement existant" et ne visent dès lors pas l'ordonnance d'établissement du profil d'ADN. Au demeurant, seule cette dernière est l'objet du litige.
Le recourant invoque encore le droit à être protégé contre l'emploi abusif des données qui le concernent (art. 13 al. 2 Cst.). Or, on ne voit pas en quoi le nouvel établissement de son profil d'ADN pourrait constituer un tel emploi abusif, puisqu'il a été ordonné sur la base – légale – de l'art. 255 al. 1bis CPP, dont les conditions sont remplies, comme cela a été retenu ci-dessus. C'est bien parce que le recourant a été à nouveau arrêté, en juillet 2025, en raison de soupçons de la commission d'un délit contre la LStup – pour lequel il est renvoyé en jugement – que l'établissement d'un profil d'ADN a été ordonné.
Partant, la mesure querellée n'apparaît pas inutile ou disproportionnée.
Que son coût soit éventuellement mis à la charge du recourant – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est donc pas pertinent. Le recourant ne dispose pas d'un intérêt juridiquement protégé à critiquer le fait que ces frais seraient, cas échéant, supportés par le contribuable.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
4. Justifiée, cette ordonnance sera donc confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
6. Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.
Dans la mesure où la procédure se poursuit, l'indemnité de son défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à
CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/15005/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |