Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/625/2025 du 08.08.2025 sur ONMMP/2609/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/12808/2024 ACPR/625/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 8 août 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat, rue Micheli-du-Crest 4,
1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 4 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 13 juin 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale du 28 avril 2025 dirigée contre B______.
Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision, le Procureur devant être invité à poursuivre les faits dénoncés par ses soins.
b. Le recourant, au bénéfice de l'assistance judiciaire devant le Ministère public, a été dispensé de verser des sûretés (art. 383 CPP).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 18 mai 2024, une altercation physique a opposé A______ à B______ et deux autres individus.
b.a. À la suite de plaintes pénales déposées par les précités, le Ministère public a prévenu chacun d'eux de diverses infractions.
b.b. Le Procureur a entendu les intéressés, les 3 mars et 28 avril 2025, en tant que prévenus et personnes appelées à donner des renseignements.
i. Lors de la première audience, B______ s'est exprimé sur les faits qui lui sont reprochés.
Il a ajouté que depuis la "bagarre", il recevait des "menaces interposées" de la part de personnes apparentées à A______. Lui-même était "libanais chrétien" et ce dernier "libanais musulman". Le prénommé "fai[sai]t partie d’un groupe qui s’appel[lait] le Hezbollah".
ii. Au cours de la seconde, A______, assisté de son conseil juridique gratuit, a déclaré porter plainte contre B______ du chef de calomnie (art. 174 CP), subsidiairement diffamation (art. 173 CP), ce dernier l’ayant faussement accusé d'appartenir au Hezbollah, "à savoir une organisation terroriste".
Cette déclaration a été protocolée au procès-verbal, signé par A______.
C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les conditions des deux infractions précitées n’étaient pas réalisées, de sorte que le prononcé d’une non-entrée en matière s’imposait (art. 310 al. 1 let. a CPP).
D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que les propos tenus par B______ l'assimilaient à un terroriste. En effet, le Hezbollah était qualifié d'organisation terroriste par de nombreux États (Canada, États-Unis, Arabie Saoudite, etc.). En Suisse, cette question avait fait l'objet d'un rapport du Conseil fédéral, établi à la suite de deux postulats déposés par des conseillers nationaux (20.3650 Bindler-Keller et 20.3824 Pfister). L'assertion litigieuse portait donc atteinte à son honneur.
Dite assertion ne pouvait qu’avoir pour but, eu égard au contexte dans lequel elle avait été formulée, de le faire apparaître comme méprisable.
Il s’ensuivait que les conditions d’application de l’art. 174/173 CP étaient réunies.
b. À réception de cet acte, la cause a été gardée à juger.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de la céans (art. 310 al. 2 et 322 al. 2 cum 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir poursuivre l'infraction alléguée à l'art. 174/173 CP (art. 115 cum 382 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les actes manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. Le prononcé d'une non-entrée en matière se justifie lorsque les conditions d'une infraction ne sont pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP).
Il suffit, pour rendre une telle décision, qu'une seule desdites conditions ne soit pas réalisée (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
3.2.1. Les art. 174 (calomnie) et 173 (diffamation) CP protègent la réputation d'être une personne honorable, c'est-à-dire de se comporter comme un individu digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'être humain (ATF
145 IV 462 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 7B_54/2024 du 4 février 2025 consid. 2.2.3).
3.2.2. D’après la jurisprudence, tombe sous le coup de l’une ou l’autre des deux normes précitées, le fait d'assimiler un individu à un parti politique que l'histoire a rendu méprisable ou de suggérer qu'il a de la sympathie pour le régime nazi (ATF
137 IV 313 consid. 2.1.1).
Tel n’est en revanche pas le cas du fait de traiter une personne "d'extrémiste de droite" (ACPR/563/2014 du 2 décembre 2014, consid. 4.1) ou encore de dire d’elle qu'elle est suspectée de "radicalisation" – y compris s'agissant d'un imam –, ce terme ne l'assimilant pas à un auteur d'attentats (ACPR/968/2019 du 6 décembre 2019, consid. 3.5; ACPR/975/2019 du 10 décembre 2019, consid. 3.5).
3.3.1. Une organisation peut être qualifiée de terroriste par les autorités et pour les motifs suivants :
· les tribunaux chargés de statuer sur l'art. 260ter CP, norme qui réprime, notamment, la participation/le soutien à un groupe de ce type;
à titre d’exemple, le Tribunal pénal fédéral a jugé que les "Brigate Rosse" italiennes et l’ETA basque constituaient de telles organisations (ATF 145 IV 470 consid. 4.1; ATF 142 IV 175 consid. 5.8);
· le Conseil fédéral, via une ordonnance rendue en application de dispositions l’autorisant à prendre des mesures pour préserver la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (à savoir l’art. 74 de la Loi fédérale sur les renseignements [RS 121] ou l’art. 185 Cst féd.);
· l’Assemblée fédérale qui, sur proposition du gouvernement, peut adopter une loi spécifique;
sur cette base, le parlement a récemment promulgué une norme interdisant le Hamas et les mouvements qui lui sont apparentés, laquelle stipule que ces groupements sont réputés organisations terroristes au sens de l’art. 260ter CP (texte entré en vigueur le 15 mai 2025; RS 122.1; cf. également le Message [24.041] relatif à cette loi, qui énumère les possibilités de légiférer du Conseil fédéral et de l’Assemblée fédérale sus-évoquées, publié in FF 2024 2250 et ss, point 1.2 pages 6 à 10).
3.3.2. Le Conseil fédéral a été saisi, en été 2020, de deux postulats concernant le Hezbollah (20.3650 Binder-Keller et 20.3824 Pfister), le chargeant d'établir un rapport aussi bien sur les activités de ce groupe que sur la nécessité de l'inscrire "sur la liste des organisations terroristes" (selon le communiqué publié le 2 novembre 2022 sur le site https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=91070).
Le rapport rédigé à cette suite (consultable via le lien disponible sur ce même site), approuvé en séance plénière le 2 novembre 2022, met notamment en exergue les éléments suivants :
· le Hezbollah, mouvement islamiste chiite libanais, conduit trois types d'activité au Liban : politique (il "fournit un ou deux ministres" depuis 2005), sociopolitique (il crée/gère diverses institutions, telles que des hôpitaux, écoles, etc.) et paramilitaire (pages 5 à 6);
· sur le plan international : le Conseil de sécurité de l'ONU ne qualifie pas ce mouvement d'organisation terroriste; l'Union européenne effectue une distinction entre les "ailes" politique et militaire du groupe, seules certaines sous-organisations de la branche armée étant considérées comme terroristes; cinq membres de l'Union européenne ont inscrit "l'organisation globale" du Hezbollah sur leur liste des organisations terroristes et/ou ont décrété une interdiction, sur leur sol, des activités de ce groupe (Lituanie, Estonie, Pays-Bas, République tchèque et Allemagne; page 12);
· en Suisse : les tribunaux ne se sont pas prononcés, en l'état, sur la question de savoir si le Hezbollah revêt, ou non, la qualification d'organisation terroriste au sens de l'art. 260ter CP (pages 19 à 20).
Le Conseil fédéral conclut, au terme de ce rapport, qu'il n'y a pas lieu d'adopter une ordonnance ou une loi spécifique qualifiant le Hezbollah d'organisation terroriste et interdisant ce mouvement en Suisse. En effet, cela entraînerait des conséquences négatives "du point de vue du déploiement de la diplomatie", alors que le cadre légal actuel (i.e. les mesures policières de lutte contre le terrorisme ainsi que les décisions que les tribunaux pourront être amenés à rendre en application de l’art. 260ter CP) est efficace et suffisant pour prévenir/réprimer la commission d’éventuels actes terroristes par des personnes liées au Hezbollah (pages 21 à 22; cf. également le communiqué du 2 novembre 2022 précité).
3.4. En l'occurrence, le mis en cause a affirmé, lors de l’audience du 3 mars 2025, que le recourant "fai[sai]t partie d’un groupe qui s’appelle le Hezbollah".
3.4.1. Cette assertion ne comprend aucune référence explicite à des actes de terrorisme.
Quant aux propos qui l’ont précédée – à savoir que le recourant aurait menacé le mis en cause et que tous deux appartenaient à des confessions religieuses différentes –, ils sont impropres à associer le recourant à la commission de tels actes.
3.4.2. Ce dernier estime que la simple mention de son appartenance au Hezbollah l’assimilerait, implicitement, à un terroriste, eu égard au caractère de cette organisation.
Pour déterminer si une déclaration est attentatoire à l’honneur au sens de l’art. 174/173 CP, il convient de se fonder sur les conceptions admises en Suisse, à l’exclusion de celles – éventuellement différentes – prévalant à l'étranger.
Or, au jour du prononcé du présent arrêt, aucune des autorités citées au considérant 3.3.1 supra n’a qualifié le Hezbollah de mouvement terroriste.
En effet, le Conseil fédéral a estimé, dans son rapport du 2 novembre 2022 susmentionné, qu’il n’y avait pas lieu d'adopter une ordonnance ou une loi spécifique sur ce point.
Pour leur part, les tribunaux n’ont, à la meilleure connaissance de la Chambre de céans, pas eu à se prononcer sur le statut de ce groupe en lien avec l’art. 260ter CP.
Dans ces circonstances, l’on ne saurait retenir, au regard du cadre légal/jurisprudentiel actuel, que le fait d’affirmer qu’une personne est membre du Hezbollah laisserait supposer qu’elle s’adonnerait à des actes de terrorisme ou qu’elle soutiendrait activement la commission de tels actes.
Il s’ensuit que l’existence d’une atteinte à l’honneur doit être niée.
Dans la mesure où l’un des réquisits de l’art. 174/173 CP fait défaut, la non-entrée en matière querellée est pleinement justifiée (art. 310 al. 1 let. a CPP).
Infondé, le recours sera donc rejeté.
4. 4.1. Le recourant, partie plaignante qui succombe, n'a pas sollicité l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de deuxième instance (cf. art 136 al. 3 CPP), de sorte qu'il n'y pas lieu de statuer sur ce point.
4.2. Les frais de la cause seront mis à sa charge (art. 428 al. 1 CPP) et fixés, en totalité, à CHF 500.-, afin de tenir compte de sa situation financière qui n'apparaît pas favorable (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/12808/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |