Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/589/2025 du 31.07.2025 sur OCL/254/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/16739/2020 ACPR/589/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 31 juillet 2025 |
Entre
A______, B______ SA et C______ SÀRL, tous trois représentés par Mes Christian LÜSCHER et Yoann LAMBERT, avocats, CMS VON ERLACH PARTNERS SA, esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,
recourants,
contre l'ordonnance de classement rendue le 14 février 2025 par le Ministère public,
et
D______, représentée par Me E______, avocat,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 28 février 2025, A______, B______ SA et C______ SÀRL recourent contre l'ordonnance du 14 précédent, notifiée le 18 suivant, par laquelle le Ministère public a rejeté leurs réquisitions de preuve et ordonné le classement de la procédure à l'égard de D______.
Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de cette ordonnance, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de donner suite à leurs réquisitions de preuve et au renvoi en jugement de D______ et F______; subsidiairement à la suspension de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ est l'administrateur, respectivement l'associé gérant, de B______ SA et de C______ SÀRL, sociétés d'investigations secrètes basées à Genève.
D______ et F______ ont travaillé pour ces deux sociétés, en qualité de cheffe de projets, respectivement responsable de la sécurité informatique. La première a d'abord démissionné, puis a été licenciée – durant son délai de congé – pour le 31 mai 2020; le second a démissionné le 29 juillet 2020.
b. Les 9 et 14 septembre 2020, A______, B______ SA et C______ SÀRL ont déposé plainte contre F______, puis contre D______.
Les procédures ouvertes à la suite de ces plaintes ont été jointes le 7 décembre 2020.
b.a. Dans celle contre F______, ils relatent, en substance, que ce dernier avait intentionnellement supprimé, ou rendu inaccessible, des données du logiciel G______ [servant à enregistrer les activités informatiques des postes de travail des collaborateurs], alors même que des recherches visant à identifier l'auteur d'un éventuel piratage interne étaient en cours. Ces agissements laissaient craindre la dissimulation d'autres actes délictueux, contraires à leurs intérêts.
b.b. À D______, ils reprochent une "violation du secret professionnel de l'avocat en tant qu'auxiliaire" (art. 321 CP), une violation du secret commercial (art. 162 CP), la soustraction de données (art. 143 CP) et la détérioration de données (art. 144bis CP).
Les plaignants y expliquent avoir reçu, le 26 août 2020, copie d'un courriel envoyé à H______, personne visée par l'un de leurs mandats, depuis l'adresse électronique "I______@1______.com", pour avertir celui-ci de l'existence d'investigations sur sa personne et proposer de fournir des renseignements collectés dans ce cadre. La teneur d'un autre message laissait penser que l'auteur de ces fuites avait accès à des informations confidentielles par le biais de logiciels malveillants installés sur les systèmes de B______ SA, en contournant les mesures de sécurité en place ("backdoor").
Rétrospectivement, plusieurs éléments désignaient D______ comme étant à l'origine de ces fuites d'informations. Elle avait travaillé sur le dossier H______ et ce dernier l'avait d'ailleurs ajoutée à ses pages sur les réseaux sociaux. En outre, elle s'était "curieusement" rapprochée de F______, alors que les relations professionnelles entre les deux s'étaient longtemps avérées conflictuelles. Tout portait à croire que F______ s'était laissé "manipuler" par D______, qui avait ainsi obtenu des données stockées dans les systèmes de B______ SA et C______ SÀRL.
c. À réception de la plainte contre F______, le Ministère public a, le 26 octobre 2020, soulignant que l'acte ne contenait "aucun élément concret ne permettant de soupçonner que [le prévenu] aurait soustrait des données", invité A______, B______ SA et C______ SÀRL à fournir tout élément utile à cette démonstration.
Les plaignants ont répondu, le 6 novembre 2020, que la plainte déposée contre D______ démontrait que le comportement adopté par F______ s'inscrivait "vraisemblablement dans le contexte d'une entreprise extrêmement aboutie", menée par la précitée. Les liens existants entre les deux anciens employés "laissaient à penser" que le second avait soustrait des données au profit de la première.
d. A______ a, lors de son audition, précisé que D______ n'étant pas informaticienne, elle n'avait pas pu avoir accès à certaines informations confidentielles sans l'aide de F______. Pour lui, les plaintes déposées contre les précités étaient liées au même vol de données informatiques. F______ avait subtilisé des "données ultra confidentielles" pour les remettre à D______, avant d'effacer ses agissements sur le logiciel G______, dont lui seul avait les accès.
e. Selon les investigations menées par les autorités pénales françaises, à la suite d'une demande d'entraide du Ministère public du 14 janvier 2021, l'adresse IP avec laquelle avait été créée, le 27 juillet 2020, la boîte aux lettres électronique "I______@1______.com" était celle du wifi d'un fast-food situé à L______ [France], mais aucune connexion depuis ce lieu n'avait pu être détectée le jour en question.
f. La police a procédé, le 12 janvier 2021, à la perquisition du domicile de D______, qui n'en était "point surprise" [rapport de renseignements du 29 mars 2021], ayant expliqué qu'il était "coutume" que les sociétés plaignantes déposent plainte contre leurs anciens collaborateurs.
Sur place, ont été saisis, portés à l'inventaire et séquestrés: un J______ [téléphone portable], deux ordinateurs portables, une tablette numérique, deux clés USB et deux disques durs. Un autre J______ a été rendu le jour-même à D______.
g. À la suite de cette perquisition, D______ a déclaré ne pas connaître l'adresse e-mail "I______@1______.com". Elle avait travaillé sur le dossier H______, avec tous les autres employés, entre novembre 2019 et février 2020. Dans ce cadre, elle avait rencontré le client une seule fois, en présence de A______. Ce dossier, qui n'était pas très actif lorsqu'elle y travaillait, consistait en des recherches sur les réseaux sociaux de la famille de la cible. Elle n'avait jamais envoyé de message à H______ et ce dossier était connu de tout le monde [au sein de B______ SA et C______ SÀRL] et accessible sur le serveur par tous les employés. Elle s'était rapprochée de F______ après leurs départs car ils affrontaient les mêmes difficultés, soit des salaires impayés de leurs anciens employeurs. Elle avait effacé toutes les données qu'elle jugeait "sensibles" en lien avec B______ SA et C______ SÀRL mais conservé certains échanges avec A______ – dans lesquels figuraient des noms de clients – pouvant lui être utiles pour ses prétentions salariales.
h. L'analyse de la Brigade de criminalité informatique (ci-après: BCI) des appareils électroniques saisis chez D______ n'a pas permis de déterminer si ceux-ci avaient été utilisés pour envoyer les courriels mentionnés dans la plainte.
Les plaignants ont transmis la liste des hash MD5 [empreinte numérique d'un fichier] des documents volés. Une recherche dans le volume des données saisies n'a donné aucun résultat.
i. Par ordonnance du 21 octobre 2022, le Ministère public a partiellement rejeté la liste de quatre-vingt mots-clés transmis par A______, B______ SA et C______ SÀRL devant être recherchés dans les données brutes extraites du matériel informatique de D______. Plusieurs des mots-clés avaient trait non pas aux faits reprochés à la précitée, mais à une procédure pénale parallèle, définitivement close par une ordonnance de non-entrée en matière.
Le même jour, le Ministère public a rendu un mandat d'actes d'enquête, enjoignant la police à effectuer une recherche de vingt-neuf mots-clés, y compris "H______", "H______", "I______", "F______" ou encore "1______".
j.a. Les recherches de la BCI par mots-clés n'ont donné aucune correspondance pour "I______". Il y en avait 83 pour "F______", 2287 pour "B______", 726 pour "A______" ou encore 219 pour "1______".
Le terme "H______" apparaissait à 54 reprises parmi plus de deux millions d'items indexés, mais aucune des occurrences, examinées individuellement, n'était pertinente pour la cause. En conclusion, il était improbable que le dossier H______ ait été sauvegardé dans la mémoire des machines saisies et que l'adresse "I______@1______" fût liée à l'utilisateur de celles-ci.
j.b. Les plaignants ont critiqué ce mode opératoire de la BCI, expliquant que la fuite de données concernant le dossier "H______" ne constituait que la "pointe visible de l'iceberg" [courrier du 13 février 2023 au Ministère public]. Tous les mots-clés proposés étaient ainsi pertinents pour la cause et l'analyse et le mandat d'acte d'enquête du 21 octobre 2022 devait être exécuté intégralement, avec un examen exhaustif pour toutes les correspondances trouvées avec les mots-clés recherchés.
k. Malgré plusieurs actes d'instruction, souvent à la demande et sur la base d'informations données par les plaignants [courriers du 3 février 2021 à la police judiciaire et du 4 mars 2021 au Ministère public], le Ministère public n'a pas réussi à localiser F______ pour l'entendre.
l. Les plaignants ont plusieurs fois communiqué au Ministère public [courriers des 21 octobre, 6, 25 et 27 novembre 2020, 13 février et 1er mai 2023] des éléments visant à démontrer l'implication de D______ dans les faits dénoncés dans leur plainte, voire de nouveaux agissements à leur encontre.
Par exemple, ils avaient appris que la "taupe" (soit D______) avait exigé de H______ l'équivalent de EUR 350'000.- en crypto-monnaie, alors que, parallèlement, F______ avait cessé, "du jour au lendemain", de réclamer des prétentions pécuniaires liées à son contrat de travail. Ils avaient également été contactés par un journaliste de K______ ayant abordé des renseignements confidentiels de l'un de leurs dossiers, sur lequel D______, ainsi que d'autres collaborateurs auxquels ils vouaient "une confiance aveugle", avaient travaillé. La précitée ne pouvait donc qu'être la source de ces fuites de données. À ce propos, plusieurs articles de presse sortis dans l'intervalle contenaient des informations, qui, d'une part, remontaient à mai/juin 2020 au plus tard, période à laquelle D______ avait cessé de travailler pour eux, et, d'autre part, dont le contenu confirmait que la précitée en était la source. Figuraient dans ces articles des pièces versées dans le cadre de la procédure prud'homale les opposant à D______, des références au surnom d'un mandant connu d'elle et A______ exclusivement ou encore des extraits du "pitch" donné aux clients, dont des passages étaient tirés d'un document de présentation qu'elle avait créé et rédigé en 2018.
m. Par courrier du 30 novembre 2023, A______, B______ SA et C______ SÀRL se sont plaints auprès du Ministère public d'une campagne de dénigrement dont ils faisaient l'objet dans les médias depuis 2021, au travers d'articles partageant deux points communs: ils concernaient tous le dossier sous la responsabilité de D______ et la fin des informations fuitées coïncidait avec le départ de cette dernière. En outre, ils avaient découvert, par un article publié le 1er avril 2021, que l'adresse électronique professionnelle de A______ avait été piratée pour envoyer à plusieurs personnes, le 29 mars 2021, des documents dérobés dans leur système. D______ étant à l'origine de ce piratage, elle avait dû apprendre, par ce biais, l'existence de la perquisition à venir de son domicile, lui permettant de faire disparaître en amont tout élément à charge. La précitée avait "vraisemblablement" utilisé d'autres appareils électroniques que ceux saisis chez elle pour commettre les faits reprochés. Dès lors, une nouvelle perquisition à son domicile s'imposait et la police devait, en sus, exploiter les "Master File Table" (ci-après: MFT) dans les données déjà saisies, pour savoir si des fichiers y avaient été supprimés. Enfin, F______, introuvable par les autorités depuis plusieurs mois, devait être localisé.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rejette d'abord les réquisitions de preuves des plaignants, estimant les faits suffisamment établis et les actes sollicités, vains.
Sur le fond, les soupçons contre D______ n'avaient trouvé aucune assise au cours de l'instruction, malgré les actes d'enquête réalisés. L'audition de F______, seul élément susceptible d'apporter des éléments utiles, n'avait pas été possible.
D. a. Dans leur recours A______, B______ SA et C______ SÀRL allèguent, dans leur partie en fait, que D______ avait pour "habitude" de subtiliser des données en quittant un emploi. Tel avait été le cas avec son employeur en 2011, ce que démontrait l'existence d'une liste de clients de celui-ci, trouvée sur son ordinateur. En outre, l'administrateur de la société qu'elle avait rejointe après avoir travaillé pour eux leur avait indiqué avoir retrouvé, dans l'ordinateur de l'intéressée, une pièce figurant parmi celles contenues dans le courriel du 29 mars 2021, envoyée à la suite du piratage de la boîte électronique de A______.
Est joint à cet égard un message WhatsApp [d'une date inconnue] de l'associée gérante de C______ SÀRL à l'administrateur en question, lui demandant de rechercher à quelle date "ces pièces [avaient] été reçues dans la boîte de D______" car, cas échéant, cela donnerait "un élément déterminant" pouvant aider "[leurs] deux procédures".
A______, B______ SA et C______ SÀRL reprochent au Ministère public une violation de la maxime d'instruction, du principe in dubio pro duriore et de leur droit d'être entendus. Non seulement l'autorité avait tardé à répondre à leurs requêtes, mais elle avait refusé de réaliser des actes d'instruction simples et utiles à la manifestation de la vérité. Malgré leurs relances, la BCI n'avait jamais complètement exécuté le mandat d'actes d'enquête du 21 octobre 2021, effectuant une analyse détaillée uniquement pour les items trouvés avec le mot-clé "H______" dans les données informatiques brutes saisies. Il était également nécessaire de réitérer la perquisition du domicile de D______, dès lors que celle-ci avait pu se préparer à la mesure, ainsi que procéder à l'analyse des MFT sur le matériel informatique déjà saisi.
Malgré une prévention suffisante des infractions visées aux art. 143, 143bis, 144bis et 162 CP, le Ministère public avait rendu une ordonnance "lacunaire". Il était pourtant "démontré" que F______ avait, avant son départ, volontairement détruit les données permettant de tracer son activité au sein des sociétés du 1er juillet 2019 au 10 juin 2020, dans le but de masquer la subtilisation de données confidentielles, pour les remettre à D______. Le contenu des informations ayant fuité par la suite confirmait que cette dernière en était la source.
En sus des actes d'enquêtes mentionnés plus haut, le Ministère public devait entendre D______, rechercher activement F______ et ordonner l'exécution complète du mandat d'actes d'enquête du 21 octobre 2021.
Enfin, comme il était admis que l'audition de F______ était susceptible d'apporter des éléments utiles à l'enquête, la procédure devait dans l'intervalle, à titre subsidiaire, être suspendue conformément à l'art. 314 CPP.
b. Par ses observations, le Ministère public constate qu'aucun élément de preuve ne soutenait l'hypothèse d'une soustraction de données par F______, ni d'une utilisation ultérieure de celles-ci par D______.
c. Dans ses observations, D______ détaille l'instruction et soutient, pour le surplus, que les suppositions des plaignants ne reposaient sur aucune réalité documentée. En outre, les précités critiquaient l'absence de recherches, par la BCI, de certains mots-clés, faisant fi de l'ordonnance du Ministère public du 21 octobre 2022, contre laquelle ils n'avaient pas recouru. L'impossibilité de localiser F______ n'accréditait en rien la "thèse" des plaignants, et la suspension de la procédure ne se justifiait guère.
d. A______, B______ SA et C______ SÀRL ont répliqué.
EN DROIT :
1. 1.1. En tant qu'il concerne le classement de la procédure à l'égard de D______, le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. Les pièces nouvelles sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).
1.3. En revanche, l'ordonnance querellée ne traitant pas de son cas, les conclusions visant F______ sont irrecevables, faute de décision préalable.
1.4. L'infraction visée à l'art. 321 CP, pourtant mentionnée dans la plainte, n'étant pas évoquée dans le recours, elle ne sera pas traitée plus en avant.
2. Les recourants invoquent une violation de leur droit d'être entendus.
Ce grief n'a toutefois pas trait à une motivation insuffisante de l'ordonnance querellée – bien que celle-ci soit décrite comme "lacunaire" –, mais se confond avec les critiques relatives au rejet de leurs réquisitions de preuve. Il sera donc conjointement traité avec les développements infra à ce sujet.
3. Les recourants soutiennent qu'il existe des soupçons suffisants contre la prévenue d'infraction aux art. 143, 143bis, 144bis et 162 CP.
3.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi.
Cette disposition doit être appliquée conformément au principe in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions de l'exercice de la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_889/2023 du 20 février 2025 consid. 4.2.1).
3.2.1. L'art. 143 al. 1 CP (soustraction de données) punit, sur plainte, quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, soustrait, pour lui-même ou pour un tiers, des données enregistrées ou transmises électroniquement ou selon un mode similaire, qui ne lui sont pas destinées et qui sont spécialement protégées contre tout accès indu de sa part.
3.2.2. L'art. 143bis al. 1 CP punit, sur plainte, quiconque s’introduit sans droit, au moyen d’un dispositif de transmission de données, dans un système informatique appartenant à autrui et spécialement protégé contre tout accès de sa part.
3.2.3. L'art. 144bis al. 1 CP (détériorations de données) punit, sur plainte, quiconque, sans droit, modifie, efface, ou met hors d’usage des données enregistrées ou transmises électroniquement ou selon un mode similaire.
3.2.4. L'art. 162 CP (violation du secret de fabrication ou du secret commercial) punit, sur plainte, quiconque révèle un secret de fabrication ou un secret commercial qu’il est tenu de garder en vertu d’une obligation légale ou contractuelle, quiconque utilise cette révélation à son profit ou à celui d’un tiers.
3.3. En l'espèce, l'argumentation des recourants repose sur leur conviction que F______ serait coupable des faits dénoncés, et que D______ aurait agi de concert avec celui-ci, utilisant et dévoilant les données confidentielles ainsi subtilisées.
Tout d'abord, rien ne permet, à ce stade, de retenir que F______ serait l'auteur des infractions qui lui sont reprochées. L'instruction le concernant poursuit son cours et les éléments au dossier ne permettent pas, à ce stade, de confirmer – ni d'ailleurs d'infirmer – les allégations des plaignants à son encontre.
Quoiqu'il en soit, la seule prémisse – avérée ou non – de la culpabilité du précité ne permet en tous cas pas d'en déduire une implication coupable de la prévenue. Le seul rapprochement entre les deux concernés ne constitue en rien un élément probant à ce sujet, surtout que la prévenue y a fourni une explication plausible, à savoir que ses relations avec F______ concernaient leurs litiges respectifs avec leurs anciens employeurs communs.
Sans même tenir compte de l'éventuel rôle de F______ dans l'affaire, l'instruction n'a, en tout état, pas permis d'étayer le moindre soupçon à l'égard de D______.
L'analyse des données brutes du matériel informatique saisi chez la prévenue, qui conteste les faits, n'a pas permis d'établir un quelconque lien avec l'adresse électronique "I______@1______", et les recherches autour de la création de ladite adresse n'ont mené nulle part. Plus généralement, parmi tout ce volume de données, aucune correspondance n'a pu être retracée avec l'empreinte numérique des fichiers supposément volés aux recourants. De surcroît, la recherche avec le mot-clé "H______" n'a abouti sur aucun résultat pertinent pour l'enquête.
Sachant que la plainte des recourants concernait avant tout des fuites ayant trait à ce dossier – même s'ils ont, par la suite, déclaré qu'il ne s'agissait que de la "pointe visible de l'iceberg" –, il est significatif que nulle trace numérique pertinente à ce sujet n'ait été retrouvée dans l'intégralité du matériel informatique de la prévenue. Face à un tel constat, la BCI pouvait d'ailleurs valablement limiter ses recherches exhaustives à ce seul mot-clé. Le Ministère public n'avait point non plus de raison d'étendre les analyses aux autres mots-clés requis par les recourants, dans une démarche qui, n'ayant déjà pas pu étayer les accusations principales, se serait apparentée à une fishing-expedition.
En sus des actes d'enquêtes effectués par le Ministère public, qui n'ont abouti à rien, les recourants n'ont pas non plus apporté le moindre élément concret pour corroborer leurs suppositions. Leurs accusations à l'encontre de la prévenue reposent sur des convictions personnelles ou des déductions. Par exemple, le message WhatsApp produit avec le recours n'identifie pas l'auteur du piratage de la messagerie électronique de A______, ni ne démontre qu'un fichier figurant dans le mail envoyé le 29 mars 2021 se trouverait dans l'ordinateur de la prévenue.
En définitive, après de nombreux actes d'instruction, aucun indice probant n'est venu accréditer les suppositions des recourants selon lesquels la prévenue serait impliquée par les faits dénoncés. Le Ministère public pouvait ainsi, de bon droit, ordonner le classement de la procédure et également rejeter les réquisitions de preuves des recourants, qui apparaissent redondantes et uniquement fondées sur de simples conjectures. Quoiqu'il en soit, une reprise de la procédure préliminaire, au sens et aux conditions de l'art. 323 CPP, reste envisageable en cas de développements nouveaux et utiles à la cause, notamment en lien avec le volet visant F______. Pour ce motif, la suspension de la procédure apparaît vaine.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Les recourants, qui succombent, supporteront conjointement et solidairement les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
6. 6.1. La prévenue, qui obtient gain de cause, peut prétendre à l'octroi de dépens (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).
6.2. Lors de la fixation de l'indemnité, le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (ACPR/866/2024 du 21 novembre 2024 consid. 7.2).
6.3. En l'occurrence, D______ conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 7'523.75, TVA à 8.1% incluse, correspondant à 17h24 d'activité au tarif horaire de CHF 400.-.
Compte tenu des observations déposées, comptant vingt-trois pages (pages de garde et conclusions comprises) dont peu sont consacrées aux développements juridiques utiles, cette durée apparaît excessive. Elle sera ramenée à un total de CHF 1'081.-, correspondant à 2h30 d'activité, au tarif horaire de CHF 400.-, TVA à 8.1% comprise.
Dans la mesure où toutes les infractions dénoncées dans le recours se poursuivent sur plainte, les recourants, parties plaignantes, seront condamnés à verser à la prévenue cette indemnité (ATF 147 IV 47 consid. 4.2.5 à 4.2.6).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours dans la mesure de sa recevabilité.
Condamne A______, B______ SA et C______ SÀRL, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.
Condamne A______, B______ SA et C______ SÀRL, conjointement et solidairement, à verser à D______, une indemnité de CHF 1'081.- (TVA à 8.1% incluse) (art. 429 al. 1 let. a CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et à D______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Catherine GAVIN, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/16739/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 20.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | 00.00 |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | 00.00 |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'405.00 |
Total | CHF | 1'500.00
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