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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19488/2023

ACPR/532/2025 du 10.07.2025 sur OCL/539/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;ORDONNANCE DE CLASSEMENT;ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT;RÉSISTANCE;INFRACTIONS CONTRE L'INTÉGRITÉ SEXUELLE
Normes : CPP.319; CP.191

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19488/2023 ACPR/532/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 10 juillet 2025

 

Entre

A______, représentée par Me Clara SCHNEUWLY, avocate, MAULINI SCHNEUWLY, STRUMMIELLO AVOCATES, rue du Conseil-Général 14, 1205 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 15 avril 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 28 avril 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 15 avril 2025, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte contre B______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public, à charge pour cette autorité de renvoyer le précité en jugement.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 17 août 2023, A______ s'est présentée à la Brigade des mœurs afin d'y être entendue au sujet de l'agression sexuelle dont elle aurait été victime dans la nuit du 31 décembre 2011 au 1er janvier 2012.

En substance, elle a exposé avoir, ce soir-là, organisé avec ses six colocataires de l'époque une soirée de la Saint-Sylvestre dans leur appartement situé à Genève, à laquelle plus d'une cinquantaine de personnes avaient participé. Passé minuit, elle s'était rendue à la discothèque C______ accompagnée de sa colocataire et amie, D______, ainsi que de B______, qu'elle avait rencontré au cours de la soirée chez elle et qui était un ami de son colocataire E______.

Durant la soirée, elle avait consommé une quantité importante d'alcool – sans pouvoir la quantifier ni déterminer le type de boisson ingérée –, étant précisé qu'elle se trouvait dans un "état second" avant minuit. Elle avait également fait usage de stupéfiants (ayant probablement pris de la cocaïne lorsqu'elle était dans son appartement, ainsi qu'un demi-comprimé d'ecstasy ou "0.1-0.2" de MDMA, en discothèque). Elle ignorait la quantité d'alcool qu'avait consommée B______, mais il avait l'air d'être "plus sobre [qu'elle]".

Elle se souvenait avoir échangé avec ce dernier, qui lui avait fait des avances, et se rappelait lui avoir indiqué que ce n'était pas "parce qu'il parlait que ça irait plus loin". Elle l'avait embrassé en discothèque "pour voir si cela lui faisait quelque chose", ce qui ne fut pas le cas. Elle n'avait aucun autre souvenir jusqu'au moment où elle s'était réveillée, dans son propre lit, en présence du précité, qui était allongé sur elle et en train de la pénétrer vaginalement. Elle n'avait exprimé aucune opposition pendant le rapport sexuel, ne s'était pas débattue et n'avait manifesté aucune réaction. Elle n'était pas en mesure de préciser la durée de l'acte, ni de dire si B______ avait utilisé un préservatif ou s'il avait éjaculé. En revanche, elle se rappelait lui avoir signifié, avant de s'endormir, son refus d'entretenir un rapport sexuel avec lui.

À l'issue de l'acte, et après que le précité se fut rhabillé, elle lui avait demandé ce qui venait de se passer, ce à quoi il lui avait répondu, d'un ton "amusé" : "ça[ne] t'a pas déplu" "ça t'a plu" ou "tu as aimé". Elle lui avait alors demandé de partir, ce qu'il avait fait, puis elle s'était rendormie.

Le lendemain, elle avait certainement confié à ses colocataires avoir entretenu une relation sexuelle, mais n'avait pas alors pris pleinement la mesure de ce qui s'était produit et était "passée à autre chose".

Elle n'avait pas effectué d'examens médicaux à la suite de ces évènements, étant précisé qu'elle n'avait ressenti aucune douleur consécutive à l'acte, B______ n'ayant exercé aucune violence à son encontre.

Elle ne l'avait jamais revu, hormis à deux brèves occasions en 2022, où ils s'étaient simplement croisés et salués dans la rue. Elle ne se souvenait alors plus de son prénom. Au mois de juin 2023, lors d'une rencontre avec E______, elle lui avait demandé l'identité de son ami, avec lequel elle avait "sympathisé" lors de la soirée du Nouvel-an 2012, sans toutefois manifester l'intention de déposer plainte contre lui.

Elle n’était pas en mesure de préciser avec exactitude les circonstances ni le moment où elle avait réalisé avoir été victime d'un viol. Ce n'était qu'au fil de discussions portant sur les agressions sexuelles, notamment dans le cadre professionnel, et à la suite de ses deux brèves rencontres avec le prévenu, qu'elle s'en était rendue compte. En 2021, elle s'était confiée à son thérapeute – qui la suivait depuis 2012 dans le cadre d'une prise en charge engagée indépendamment des évènements dénoncés –, puis en 2023 à certains amis, à qui elle avait expliqué avoir eu une relation sexuelle non consentie avec un ami de E______. Elle avait également dû employer le terme de "viol", mais ne se souvenait plus précisément du moment où elle l'avait fait.

À l'issue de son audition, elle a déposé plainte.

b. Entendu le 5 septembre 2023 par la police en qualité de prévenu, B______ a déclaré ne conserver aucun souvenir précis de la fête organisée le 31 décembre 2011 par son ami E______, eu égard au temps écoulé et au fait qu'il avait passé de nombreuses soirées chez ce dernier. Le nom de famille de la plaignante ne lui évoquait rien. Il avait effectivement "flirté" une fois avec une certaine "A______ [prénom]", rencontrée par l'entremise d'amis, sans toutefois avoir entretenu de relation sexuelle avec elle.

c. Entendus par le Ministère public les 21 mai, 15 juillet et 21 novembre 2024 :

c.a. A______, qui a maintenu ses précédentes déclarations, a ajouté se souvenir avoir embrassé B______ et dansé avec lui au C______, ainsi que lui avoir dit que ce n'était pas parce qu'ils échangeaient un baiser qu'ils allaient nécessairement coucher ensemble. Puisqu'elle ne parvenait plus à se remémorer certains épisodes de la soirée, elle en déduisait qu'il devait être évident qu'elle avait eu l'air "défoncée". Elle ne se souvenait pas des propos qu'elle avait tenus à D______ le lendemain de la soirée, notamment si elle avait évoqué un rapport sexuel consenti ou non. Ses souvenirs étaient également flous en raison du temps écoulé depuis les faits.

c.b. B______ a déclaré qu'à la suite de son audition, il avait longuement réfléchi à la soirée en question, et que, progressivement, certains souvenirs lui étaient revenus à l'esprit. Ce soir-là, il avait fait la connaissance de A______ par l'entremise de E______. Il s'était rendu avec elle, ainsi qu'avec d'autres personnes, au C______, où ils avaient continué à s'amuser et à consommer de l'alcool. De retour chez l'intéressée, où la fête s'était poursuivie, ils avaient encore bu tous ensemble. A______ et lui s'étaient alors rapprochés, pour finalement s'embrasser dans le couloir de l'appartement. Elle l'avait ensuite invité à la suivre dans sa chambre et lui avait demandé s'il disposait d'un préservatif. Lorsqu'il lui avait répondu par la négative, elle lui avait répliqué : "Alala, il faut toujours penser à tout avec vous", puis avait désigné une commode où il en avait trouvé un.

Il ne se souvenait pas avoir eu de rapport sexuel à proprement parler avec elle, son érection ayant été insuffisante. Il l'avait peut-être pénétrée vaginalement, mais de "manière très laborieuse". Cette situation avait suscité une certaine gêne entre eux, sans qu'ils n'en eussent toutefois discuté. Il s'était ensuite rhabillé et avait rejoint d'autres personnes dans le salon.

Durant la soirée, il avait consommé plus d'alcool que de raison, mais n'avait pas fait usage de stupéfiants. Il n'avait pas non plus vu A______ en consommer. Cette dernière, qui était "joyeuse" et "présente", semblait "chaude" à l'idée d'avoir un rapport sexuel. En tout état, rien ne lui avait laissé percevoir le contraire.

d. Entre les 5 septembre 2023 et 21 novembre 2024, le Ministère public et/ou la police ont procédé à l'audition de trois autres personnes en qualité de témoins.

d.a E______ a déclaré à la police se souvenir avoir organisé une soirée pour le Nouvel-an 2011 ou 2012, à laquelle B______, son ami depuis plus de 25 ans, avait probablement participé. Il avait récemment croisé A______ au F______, où elle lui avait demandé le numéro de portable du précité, en lui expliquant qu'elle avait eu une relation intime avec lui par le passé et qu'elle avait apprécié, de sorte qu'elle souhaitait le revoir.

Devant le Ministère public, il est partiellement revenu sur ses déclarations, précisant que la plaignante ne lui avait pas formellement indiqué avoir eu une relation sexuelle avec B______. Quelques jours après la soirée des faits litigieux, elle lui avait en revanche confié, en riant avec D______, que ses amis (à lui) étaient "très sympas", ce qui l'avait conduit à supposer qu'il s'était passé quelque chose avec B______. Il n'avait observé aucun changement dans le comportement de A______ à la suite des faits dénoncés, soulignant que tous ses colocataires, bien que mécontents du désordre laissé dans l'appartement au lendemain de la fête, semblaient "aller bien".

d.b. D______ a déclaré à la police avoir fait la connaissance de A______ en août 2011 et avoir été sa colocataire jusqu'en 2013. Devenues amies, elles correspondaient chaque semaine et se retrouvaient environ une fois tous les deux mois. Elle gardait un bon souvenir du réveillon 2011-2012, sans toutefois se rappeler son propre état d'ivresse, ni celui de A______. Elle ignorait si cette dernière avait fait usage de stupéfiants au cours de la soirée. Le lendemain, l'intéressée lui avait confié avoir eu une relation sexuelle avec un ami de E______, tout en précisant qu'elle en gardait un souvenir flou et qu'elle s'interrogeait sur les circonstances ayant conduit à cet évènement. Elles n'en avaient plus reparlé par la suite.

Devant le Ministère public, elle a précisé que A______ et elle avaient "bien bu" pendant la soirée et qu'elles étaient sans doute "pas mal ivres". Aucun élément marquant relatif à la prénommée ne lui revenait en mémoire. Le lendemain de la soirée, A______ était "un peu en gueule de bois" et ne se sentait pas très bien. Cette dernière lui avait semblé un "peu bizarre", mais pas inquiète. Le fait que l'intéressée lui ait confié ne pas garder de souvenir précis du rapport sexuel qu'elle avait eu avec B______ ne l'avait pas troublée. Elles n'avaient plus reparlé du précité jusqu'au début de la pandémie de COVID-19. À cette époque, A______ lui avait expliqué avoir repensé aux évènements et réalisé que la situation n'était "pas normale", puisqu'elle ne se souvenait pas de son retour à la maison et qu'elle avait constaté, après s'être endormie, que B______ était en train de la pénétrer vaginalement.

d.c. G______ a déclaré à la police que A______, son amie depuis 2009, lui avait confié pour la première fois en juin 2023 – à la suite d'une rencontre fortuite au F______ avec l'un de ses anciens colocataires – avoir été victime d'un viol survenu environ dix ans plus tôt, à l'occasion d'une soirée du Nouvel-an. L'intéressée lui avait expliqué n'avoir pris conscience de ce fait que plusieurs années plus tard, au cours d'une discussion avec son ex-compagnon sur la notion de consentement.

e. Les pièces suivantes ont été versées à la procédure :

-          une attestation établie le 8 mai 2024 par H______, psychologue, indiquant qu'il a été consulté par A______ pour la première fois en 2012, précisant qu'elle suivait, depuis 2017, une psychanalyse à raison de trois séances hebdomadaires. L'intéressée avait évoqué "en thérapie" "l'agression" à l'origine de sa plainte pénale. Selon ses souvenirs et notes personnelles, elle lui avait rapporté un rapport sexuel non consenti, survenu alors qu'elle était endormie et avait consommé une importante quantité d'alcool et de stupéfiants;

-          des captures d'écran des messages WhatsApp échangés entre A______ et D______ les 17 et 18 juin 2023, desquels il ressort que la première nommée avait essayé, avec l'aide de la seconde, de déterminer l'année au cours de laquelle les faits dénoncés s'étaient produits.

f. À la suite de l'avis de prochaine clôture de l'instruction du Ministère public informant les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement, A______ s'y est opposée, renonçant toutefois à requérir l'administration de preuves complémentaires.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu qu'il ne ressortait pas des déclarations de la plaignante que le prévenu aurait usé de violence physique, de menaces ou de pressions psychiques à son encontre. Par conséquent, les éléments constitutifs de l'infraction de viol (art. 190 aCP) n'étaient pas réunis, ce qui justifiait le classement de la procédure sur ce point (art. 319 al.1 let. b CPP).

S'agissant de l'infraction à l'art. 191 aCP, les évènements dénoncés s'étaient déroulés à huis clos, en l'absence de témoin, de sorte qu'il convenait d'examiner la crédibilité des déclarations des parties en lien avec les éléments objectifs figurant au dossier et les circonstances globales susceptibles de les étayer. En l'espèce, aucun élément du dossier ne permettait de considérer que la version de la plaignante était plus crédible que celle du prévenu, qui contestait les faits reprochés.

Au contraire, trois éléments circonstanciels, pris conjointement, entamaient la crédibilité des déclarations de A______ et laissaient même supposer que cette dernière se remémorait les faits d'une manière distincte de celle dont ils s'étaient effectivement déroulés.

Premièrement, elle n'avait relaté ni le lendemain des faits litigieux, ni dans les jours suivants, les évènements tels qu'elle les avait décrits dans sa plainte. Aussi, et à supposer qu'elle eût conservé un souvenir suffisamment précis des faits pour indiquer à D______, dès le lendemain, avoir eu un rapport sexuel avec le prévenu, il était surprenant – dans l'hypothèse où ce rapport se serait effectivement déroulé alors qu'elle était dans l'incapacité de résister – qu'elle n'eût entrepris aucune démarche visant à éclaircir le déroulement de la soirée, ni cherché à comprendre les circonstances dans lesquelles elle s'était retrouvée en présence du prévenu, notamment en interrogeant ses autres colocataires également présents ce soir-là.

Deuxièmement, l'intervalle de temps entre la survenance des faits et leur révélation par la plaignante était considérable, son silence ne pouvant notamment pas s'expliquer par l'existence d'une relation particulière entretenue avec le prévenu.

Troisièmement, elle n'avait effectué ni contrôle médical ni dépistage des infections sexuellement transmissibles à la suite des faits dénoncés, bien qu'elle eût déclaré ignorer si le rapport sexuel était protégé.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, un acquittement apparaissait plus vraisemblable qu'une condamnation, dès lors qu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'était établi (art. 319 al. 1 let. a CPP).

D. a. À l'appui de son recours, A______ considère que le Ministère public avait erré en retenant l'existence de trois éléments circonstanciels remettant en cause sa crédibilité, voire laissant supposer qu'elle se remémorait les faits selon une version éloignée de la réalité.

Elle avait toujours affirmé ne pas se souvenir précisément de ce qu'elle avait pu raconter des événements à l'époque, ni à qui elle s'était confiée. Elle était néanmoins certaine d'avoir évoqué, notamment auprès de D______, l'existence d'un rapport sexuel, sans toutefois se souvenir si elle avait mentionné qu'elle dormait durant l'acte, qui n'était donc pas consenti. Cette version des faits était corroborée par les déclarations de D______, qui avait constaté qu'elle ne se trouvait pas dans son "état normal" le lendemain des faits litigieux et qu'elle semblait "éteinte et bizarre". En tout état, le fait qu'elle n'ait pas restitué avec précision le déroulement des évènements dénoncés le lendemain de leur survenance ne permettait pas de remettre en cause sa crédibilité, les victimes d'abus sexuels pouvant être sujettes à "des pertes de mémoire, voire à de l'amnésie post-traumatique".

Il ne pouvait non plus lui être imputé de ne pas avoir entrepris immédiatement des démarches pour éclaircir le déroulement des faits et la manière dont elle s'était retrouvée en présence du prévenu, notamment en interrogeant ses colocataires. Aucun reproche ne pouvait en outre lui être formulé pour avoir attendu plusieurs années avant de dénoncer les faits litigieux, ni pour avoir omis d'effectuer des examens médicaux après leur survenance. En effet, il n'était pas inhabituel qu'une personne ayant subi un rapport sexuel non consenti – d'autant plus lorsqu'elle était endormie et se trouvait sous l'emprise d'alcool et de stupéfiants – mît plusieurs années à prendre pleinement conscience de ce qu'elle avait vécu, et parvînt seulement ultérieurement à en parler, voire à déposer plainte. Son comportement postérieur aux faits ne pouvait ni lui être imputé, ni remettre en cause la fiabilité de ses déclarations.

En tout état, dès l'instant où elle avait commencé à se confier sur les faits litigieux, son récit s'était toujours révélé constant et cohérent. Par ailleurs, plusieurs éléments venaient renforcer sa crédibilité. Lorsqu'elle doutait d'un fait, elle l'avait expressément signalé. Elle avait en outre spontanément mentionné des éléments qui lui étaient défavorables, notamment sa consommation de stupéfiants et son absence de réaction lors de l'acte sexuel litigieux. À cela s'ajoutait que ses déclarations ne présentaient aucune contradiction.

En définitive, il ne pouvait être retenu que les probabilités d'acquittement et de condamnation n'étaient pas équivalentes en l'espèce. Eu égard aux éléments du dossier ainsi qu'à la gravité de l'infraction prévue à l'art. 191 aCP, il appartenait au juge du fond, et non au Ministère public, de statuer sur l'établissement des faits. Les conditions d'un classement n'étaient ainsi pas réunies.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante ne remet pas en cause l'ordonnance de classement en tant qu'elle concerne le chef de viol (art. 190 aCP), dès lors qu'aucun argument visant à démontrer la réalisation de cette infraction n'est développé. Ce point n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

4.             La recourante conteste le classement de l'infraction à l'art. 191 aCP.

4.1.  Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s’interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe précité impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2). L'autorité de recours ne saurait ainsi confirmer un classement au seul motif qu'une condamnation n'apparaît pas plus probable qu'un acquittement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 2; 6B_258/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2.2).

Il peut néanmoins être renoncé à une mise en accusation si la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs, ou lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).

4.2.  Enfreint l'art. 191 aCP, dans sa version en vigueur au moment des faits (art. 2 al. 2 CP a contrario), celui qui, sachant qu’une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l’acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel.

Le but de l'art. 191 aCP est de protéger les personnes qui ne sont pas en état d'exprimer ou de manifester physiquement leur opposition à l'acte sexuel. L'art. 191 aCP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc.), ou encore par une incapacité de résistance parce que, entravée dans l'exercice de ses sens, elle n'est pas en mesure de percevoir l'acte qui lui est imposé avant qu'il ne soit accompli et, partant, de porter jugement sur celui-ci et, cas échéant, le refuser (ATF 133 IV 49 consid. 7.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Il faut que la victime soit, au moment de l’acte, totalement incapable de discernement ou de résistance. Si l’inaptitude n’est que partielle, par exemple en raison d’un simple état d’ivresse, et non d’une intoxication grave, la victime n’est pas incapable de résistance (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bale 2017, n. 11 ad. art. 191 et les références citées).

Sur le plan subjectif, l'art. 191 aCP est une infraction intentionnelle. Il appartient au juge d'examiner avec soin si l'auteur avait vraiment conscience de l'état d'incapacité de la victime. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 du 14 décembre 2018, consid. 2.2).

4.3.  En l'espèce, les parties livrent chacune une version – de l'acte sexuel entretenu et des circonstances dans lesquelles celui-ci s'est déroulé – en opposition l'une avec l'autre. En particulier, leurs déclarations sont contradictoires sur la question décisive du consentement de la recourante et de son état physique au moment des faits.

La recourante soutient avoir été fortement alcoolisée et sous l'emprise de stupéfiants durant la soirée des faits litigieux et ne conserver aucun souvenir entre le moment où elle se trouvait en discothèque en compagnie du prévenu et celui où elle s'est réveillée dans son propre lit, aux côtés du prénommé, qui était en train de la pénétrer vaginalement sans son consentement. Cette version est contestée par le prévenu, qui affirme que la recourante était consentante et consciente durant leur relation sexuelle.

Le principe jurisprudentiel commandant qu'en cas de doute, particulièrement en cas d'actes perpétrés "entre quatre yeux", la cause devrait être soumise à l'appréciation du juge du fond n'est pas absolu. Même en présence d'infractions graves, notamment en matière sexuelle, le Tribunal fédéral admet qu'un classement puisse se justifier, en particulier lorsque les éléments du dossier permettraient déjà à ce stade de considérer qu'une mise en accusation aboutirait à un acquittement avec une vraisemblance confinant à la certitude (cf. par exemple arrêt du Tribunal fédéral 6B_277/2021 du 10 février 2022).

Tel est le cas en l'occurrence.

Il n'est pas contesté que la recourante a consommé, de sa propre initiative, de l'alcool tout au long de la soirée des faits litigieux. Elle a également admis avoir, à cette occasion, consommé des stupéfiants (cocaïne, ecstasy ou MDMA).

Elle n'a cependant fait l'objet d'aucun examen médical ou toxicologique à la suite des faits dénoncés, lesquels auraient été susceptibles de confirmer l'ampleur de son intoxication éventuelle.

Cela étant, force est de constater qu'aucun élément objectif ne permet de conclure que la recourante se serait trouvée dans un état d'incapacité totale de résistance, que le prévenu aurait sciemment mis à profit pour lui imposer un rapport sexuel.

La recourante, qui n'a pas été en mesure de quantifier précisément le nombre de verres qu'elle avait consommés ni le type de stupéfiants ingérés, a déduit, du seul fait qu'elle ne parvenait pas à se remémorer certains moments de la soirée, qu'elle avait probablement donné l'impression d'être dans un "état second". Or, il ne ressort d'aucune déclaration des protagonistes et témoins qu'elle aurait présenté des signes particulièrement manifestes d'ébriété ou de consommation de stupéfiants. Si D______ a reconnu que toutes deux avaient "bien bu" durant la soirée et qu'elles étaient sans doute "pas mal ivres", elle a toutefois indiqué ne pas se souvenir de l'état d'ébriété précis de la recourante, ni d'un quelconque évènement marquant la concernant survenu au cours de la soirée. Quant au prévenu, il ne ressort pas de ses déclarations qu'il aurait constaté chez la recourante des signes extérieurs d'ébriété. Il l'a décrite comme "joyeuse", "présente" et "chaude", précisant qu'elle l'aurait invité à la suivre dans sa chambre et lui aurait indiqué une commode où trouver des préservatifs. Aussi, et même à supposer que la recourante se soit effectivement trouvée dans un état d'incapacité totale de discernement et de résistance et, partant, que la première condition d'application de l'art. 191 aCP soit réalisée, encore faudrait-il que le prévenu en ait eu conscience et qu'il en ait sciemment profité. Or, tel ne paraît pas être le cas, selon les propres déclarations de la recourante.

Celle-ci a été en mesure de relater avec précision plusieurs éléments de la soirée, notamment des échanges verbaux avec le prévenu – survenus en discothèque, mais également dans sa chambre, où elle affirme lui avoir expressément signifié, avant de s'endormir, son refus d'entretenir un rapport sexuel avec lui –, et cela près de douze ans après les faits. Elle a également été capable de se souvenir de l'état d'ivresse du prévenu, expliquant que ce dernier lui semblait "plus sobre" qu'elle. Ces éléments tendent à infirmer la thèse selon laquelle elle se serait trouvée en état d'incapacité totale de résistance en raison de son endormissement et/ou d'une consommation excessive d'alcool ou de stupéfiants, qui plus est de manière apparente pour le prévenu. À cet égard, elle a d'ailleurs indiqué qu'à l'issue de l'acte, l'intéressé lui aurait demandé, sur un ton "amusé", si cela "lui avait plu" ou si elle avait "aimé", ce qui suggère qu'il n'aurait pas eu, à tout le moins, conscience d'une incapacité totale de discernement et de résistance.

Ainsi, hormis certaines des déclarations contraires de la recourante, le dossier ne recèle aucun indice concret laissant à penser que le prévenu se serait livré sur elle à un acte d'ordre sexuel alors qu'elle aurait été inconsciente. Une incapacité de résistance, de surcroît, perceptible par le prévenu, au sens de l'art. 191 aCP, n'apparait ainsi pas probable.

Il s'ensuit qu'un acquittement apparaît bien plus vraisemblable qu'une condamnation, de sorte que le Ministère public était fondé à classer la procédure. Aucun acte d'instruction ne paraît susceptible de modifier cette appréciation et la recourante n'en requiert pas, d'ailleurs.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Vincent DELALOYE, juge, et Monsieur Pierre BUNGENER, juge suppléant; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19488/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

Total

CHF

1'200.00