Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/508/2025 du 02.07.2025 sur OCL/317/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/6413/2022 ACPR/508/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 2 juillet 2025 |
Entre
A______, représentée par Me Benjamin GRUMBACH, avocat, Etude GRUMBACH Avocats, rue Saint-Léger 6, 1205 Genève,
recourante,
contre l'ordonnance de classement rendue le 3 mars 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 17 mars 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à la poursuite de l'instruction, avec des actes d'enquête qu'elle énumère.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le ______ mars 2022, B______, né le ______ 1975, fils de A______ et C______, est décédé dans la cellule 1______ de l'Établissement fermé D______, où il exécutait un traitement institutionnel depuis le 25 novembre 2019.
C'est l'appointé E______ qui, à 17h41, en ouvrant l'œilleton de la cellule où B______ se trouvait seul à ce moment-là, a vu ce dernier "pendu à la voie lactée" [installation métallique sécurisant la fenêtre] avec un drap, le corps face à la vitre, les cuisses contre une tablette située sous la fenêtre et les pieds ne touchant pas le sol. Il a immédiatement déclenché l'alarme et tenté de porter secours à B______, d'abord en essayant, en vain, de défaire le nœud, puis en le soulevant, tout en réclamant des renforts et des ciseaux anti-pendaison.
Malgré l'intervention du personnel médical, le décès de B______ a été constaté à 18h30.
b. En sus de leurs autres inspections du corps de B______, les experts ayant procédé à l'autopsie ont constaté des plaies superficielles dans la région de l'œil gauche, qui pouvaient être la conséquence de heurts avec des coins de meubles ou des angles, lors de mouvements convulsifs dans le contexte d'une pendaison [procès-verbal d'audience du 26 janvier 2024, p. 4]. D'autres plaies préexistantes ont également été relevées, notamment d'anciennes cicatrices au niveau du cou, de l'abdomen, des membres inférieurs et supérieurs gauches, "focalement parallèles entre elles et d'aspect évocateur de lésions auto-infligées" [Rapport d'autopsie du 26 août 2022, p. 22], ainsi que l'absence de deux dents.
Ils ont conclu que leur examen du corps de B______ n'entrait pas en contradiction avec l'hypothèse d'une pendaison à l'aide d'un lien souple et large, tel qu'un drap.
c. Au niveau médical, B______ avait fait l'objet d'un diagnostic de dépression sévère, avec un trouble de la personnalité de type "Borderline". Un traitement pour les troubles de l'humeur, notamment, avait été introduit durant son hospitalisation, en sus de sa médication habituelle.
B______ avait essayé de porter atteinte à sa vie en décembre 2018, août 2019 et février 2020, par veinosection. Il avait été "mis à l'abri" d'idées suicidaires le 26 janvier 2022, avec notamment une "notion de désir de pendaison". Un programme de soins en proximité et une surveillance rapprochée avaient été tentés, puis B______ avait été transféré à l'unité F______ le 12 février 2022. À l'Unité G______ [unité de D______ dans laquelle B______ se trouvait avant de rejoindre l'Unité F______], à des dates indéterminées, le précité aurait essayé de se pendre à deux reprises, avant de progressivement verbaliser une envie de vivre durant les derniers jours de son hospitalisation.
d. À l'Unité F______, B______ a tour à tour occupé une cellule individuelle [du 12 au 21 février 2022, du 23 au 27 février 2022 et du 15 au 16 mars 2022], une cellule "sécurisée" [du 21 au 23 février 2022 et du 27 février au 15 mars 2022] et une cellule double [dès le 16 mars 2022].
e. H______, l'infirmier référent de B______, a expliqué que ce dernier avait été placé à l'Unité F______ pour une mise à l'abri de risques suicidaires, présentant auparavant des "idées noires" et proférant des menaces de passage à l'acte. Les cellules individuelles et sécurisées, occupées par B______ à l'Unité F______, étaient prévues pour pallier aux risques de gestes auto-agressifs, avec notamment des couvertures "anti-suicide". À son arrivée dans cette unité, le précité avait verbalisé des idées suicidaires scénarisées, impliquant une pendaison et il présentait des humeurs fluctuantes, raison pour laquelle il avait, à deux reprises, été placé en cellule sécurisée. Une quinzaine de jours après son arrivée, il avait montré des signes d'une amélioration "progressive mais lente" et, après une évaluation médicale, il avait été décidé que B______ pouvait réintégrer une chambre "dé-sécurisée" aux alentours du 14 mars 2022, puis une chambre double le 16 suivant. Une surveillance avait été maintenue, pour un risque de suicide de niveau "moyen", impliquant des évaluations médicales et infirmières quotidiennes, ainsi que deux contrôles par heure de sa cellule. Le jour du décès, il avait discuté vers 17h10 avec B______, qui ne présentait aucun signe d'une velléité de passer à l'acte.
f. Pour E______, l'état de santé de B______ s'était dégradé depuis un an, mais rien ne laissait présager que ce dernier allait se suicider, n'ayant jamais clairement mentionné une telle intention.
Son collègue, I______, a également déclaré n'avoir jamais entendu B______ dire qu'il voulait mettre fin à ces jours. En revanche, ce dernier n'était pas en grande forme, à savoir qu'il était très renfermé sur lui.
g. J______, qui a partagé la cellule de B______ trois jours avant son décès, a décrit ce dernier comme une personne sociable. Si le précité avait parfois évoqué, sur le ton de la "rigolade", sa propre mort, sans plus de précision, il n'avait jamais fait part de pensées suicidaires, ni montré de signes laissant envisager un passage à l'acte. À l'Unité F______, la journée se composait de divers rendez-vous avec le service médical et, durant la nuit, un passage était effectué toutes les deux heures, "pour savoir si tout va bien".
h. Par courrier du 22 septembre 2022, A______, psychiatre de profession, a adressé une "dénonciation pénale" au Ministère public contre D______, "pour homicide par négligence, lésions corporelles graves par omission, brigandage par omission et extorsion par omission", se constituant partie plaignante.
Pour elle, le décès de son fils découlait de graves négligences commises par D______. Malgré qu'elle les eût requises de nombreuses fois (par des courriers restés parfois sans réponse), l'établissement n'avait pas pris les mesures adéquates pour prévenir tout acte auto-agressif de B______, alors qu'il était notoire que ce dernier avait, par le passé, verbalisé des idées suicidaires et tenté de porter atteinte à sa vie. En outre, le traitement administré à son fils avait eu pour effet secondaire de provoquer un risque de suicide accru. De surcroît, B______ avait: entamé, en février 2022, une grève de la faim de dix jours et "n'aurait toutefois pas été pris en charge par le service médical", été privé de participer aux ateliers, seule source de créativité, et reçu des propos "injurieux, rabaissant et inutilement blessants" par le personnel de D______, ainsi que l'information – infondée – qu'il y allait rester de nombreuses années, augmentant son sentiment de profond mal-être.
Elle avait signalé à D______ ses craintes à propos de l'état de santé de son fils, ayant constaté, lors d'une visite, des blessures sur celui-ci. Pour les plaies à l'œil gauche que présentait ce dernier lors de l'autopsie, elle présumait qu'un tiers lui avait porté "de très nombreux coups d'une grande intensité au visage".
En outre, B______ s'était fait dérober des biens lui appartenant, soit notamment sa console de jeux-vidéos, un casque audio, des chaussures, des biens alimentaires ou encore des cigarettes et les blessures sur son visage laissaient penser que l'auteur avait usé de violences pour parvenir à ces fins, face à quoi D______ était resté passif.
Enfin, la famille d'un autre détenu, dénommé "K______", l'avait contactée, affirmant que B______ avait endommagé une montre de marque L______ appartenant à celui-là. Par craintes de représailles contre son fils, elle en avait donc acheté une d'une valeur de CHF 7'300.- mais D______ avait refusé de faire entrer un tel objet au sein de l'établissement.
Devaient ainsi être entendus: les détenus dénommés "K______", "M______", "N______" et "O______", tous détenus à D______, afin de clarifier leurs relations avec B______, ainsi que P______ et Q______, respectivement Directeur-adjoint et Directeur de D______.
i. La police a identifié les détenus dont A______ avait sollicité l'audition, à l'exception de "N______", aucune personne portant ce nom, ou un homonyme, n'étant enregistrée dans la base de données de l'Office cantonal de la détention. Pour les autres, il s'agissait de O______, K______ et M______.
Selon ses déclarations, O______ avait uniquement eu "des petits problèmes" avec B______, dans le cadre d'un échange, d'un commun accord, entre une console de jeux-vidéos et un lecteur DVD. Le précité s'était sinon "embrouillé verbalement" avec K______, sans en venir aux mains. B______ n'avait jamais évoqué d'avoir été victime d'une quelconque agression, ni ne lui avait parlé d'envies de suicide dans les semaines précédant son passage à l'acte.
K______ et M______ ont été renvoyés au Kosovo, respectivement au Nigeria, avant d'avoir pu être entendus par la police.
j.a. Les seuls rapports d'incidents établis en lien avec B______ concernent l'histoire de la montre endommagée.
Il en ressort que, le 21 juillet 2021, A______ a appelé D______, expliquant que la montre de marque L______ déposée quelques jours plus tôt était destinée à K______, en dédommagement pour celle cassée par son fils. Elle a été invitée à déposer une main courante si elle subissait des pressions de la famille [de] K______. À la suite de quoi, B______ a été interrogé sur le sujet, confirmant avoir accidentellement cassé une montre de K______, que sa mère devait faire réparer, tout en en achetant une autre d'une valeur de CHF 7'300.-. K______ a demandé s'il pouvait commander une montre valant CHF 180.- aux frais de B______, ce qui devait lui suffire comme dédommagement. Les deux intéressés ont été rappelés aux règles interdisant les échanges de ce genre et K______ a été informé qu'il allait devoir faire réparer sa montre à ses frais, sans demander un dédommagement quelconque.
j.b. Aucun rapport d'incident lié à des événements de violence concernant B______ n'a été découvert.
k. Pour Q______, B______ ne souhaitait pas participer aux ateliers proposés par D______, ayant les moyens financiers externes pour subvenir à ses besoins. Sans en connaître les détails, il avait le souvenir d'un conflit entre O______ et B______ et, concernant l'histoire entre ce dernier et K______, aucune mesure n'avait été prise car le premier nommé ne s'était jamais plaint d'avoir été menacé. Il n'existait pas de rapport d'incidents mentionnant une agression dont aurait été victime B______. Celui-ci avait été placé à l'Unité F______ après une tentative de suicide et, selon lui, ce dernier était derechef passé à l'acte en raison du refus "de l'octroi de la conduite". En général, les risques auto-agressifs étaient du ressort du service médical, tandis que les risques hétéro-agressifs relevaient du pénitentiaire. Pour lui, le décès de B______ n'était pas dû à un dysfonctionnement au sein de D______ et il était "illusoire" de penser pouvoir garantir "absolument" tout risque de suicide au sein de l'établissement.
l. À la suite de l'avis de prochaine clôture de l'instruction du Ministère public, A______ a requis: l'audition de K______, du dénommé "N______", de P______ et du responsable du personnel médical présent lors du décès de B______, ainsi que la production de tous les documents médicaux de D______ faisant état de violences subies par son fils.
m. Par ordonnance du 18 novembre 2024, le Ministère public a rejeté ces réquisitions de preuves, au motif qu'elles n'étaient pas pertinentes et que les auditions sollicitées n'étaient pas susceptibles d'apporter des éléments nouveaux sur les circonstances entourant le décès de B______.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'à teneur du dossier, l'intervention – active – d'un tiers dans le décès de B______ pouvait être exclue, ce dernier s'étant volontairement donné la mort. Malgré ses reproches contre D______, A______ ne désignait pas quel agent du personnel pénitentiaire ou du corps médical aurait agi contrairement à son devoir de prudence. La situation de B______, qui avait auparavant essayé de passer à l'acte, était connue et il ne pouvait pas être reproché aux collaborateurs de D______ de n'avoir pas surveillé l'état de santé de l'intéressé. Les éléments constitutifs de l'infraction d'homicide par négligence n'étaient ainsi pas réunis et il en allait de même pour les autres infractions dénoncées par A______ sous la forme d'omission. Rien ne permettait d'établir que B______ était en conflit avec un autre détenu ou un gardien. Si B______ avait été agressé sans en avertir l'établissement, celui-ci ne pouvait pas en être tenu responsable.
D. a. Dans son recours, A______ souligne que B______ avait de fortes tendances suicidaires, souffrait de troubles dépressifs et "borderline". Il était en outre "attesté" qu'il subissait des violences physiques de la part d'autres détenus, ainsi que du "racket", tandis que son traitement médical n'était pas adapté et que l'ensemble du personnel pénitencier avait conscience de tous ces problèmes mais s'était "borné à ignorer les appels de détresse". Ce contexte "permissif et incitatif" avait aggravé l'état psychiatrique et psychologique de B______, alimenté encore par ses nombreux changements d'environnements, entre les différentes cellules à l'Unité F______, puis son retour dans une cellule ordinaire, dans laquelle se trouvait un drap ayant permis à son fils de se pendre. Le manque d'action du personnel de D______, à qui incombait un devoir de surveillance et de protection, était blâmable et fautif et avait conduit au décès de son fils. En outre, les "vols subis avec violence par le défunt et les extorsions" étant établis, notamment au regard des dents manquantes, et le personnel de D______ assurant un rôle de garant à l'égard de B______, les autres infractions reprochées sous la forme d'omission étaient également réalisées. Par ailleurs, il appartenait au Ministère public – et non à elle – d'instruire la cause pour identifier les auteurs de la négligence et de la mauvaise prise en charge de B______, tout comme il appartenait à D______ de prévenir toutes violences et d'assurer une surveillance étroite des détenus. Compte tenu des circonstances globales, le Ministère public devait instruire d'avantage les circonstances ayant entouré le décès de B______.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).
1.2. En vertu de l'art. 121 al. 1 CPP, si le lésé décède sans avoir renoncé à ses droits de procédure, ceux-ci passent à ses proches au sens de l'art. 110 al. 1 CP – soit, notamment, ses parents en ligne directe –, dans l'ordre de succession. Les bénéficiaires du transfert de ces droits peuvent, conséquemment, agir sur les plans pénal et civil, cumulativement ou alternativement, en particulier demander la poursuite et la condamnation des personnes pénalement responsables de l'infraction dénoncée (ATF 146 IV 76 consid. 2.2).
1.3. En l'occurrence, s'il est patent que la recourante, mère du défunt, est une proche au sens de l'art. 110 al. 1 CP, elle ne consacre aucun développement, ni ne fournit le moindre document, permettant d'attester qu'elle bénéficierait du transfert des droits procéduraux de son fils.
Cela étant, rien au dossier ne permet de considérer que les parents de l'intéressé ne seraient pas ses héritiers directs (art. 458 al. 1 CC). Dans cette mesure, la recourante doit se voir reconnaître un intérêt juridiquement protégé à recourir contre l'ordonnance querellée sous l'angle des infractions concernées (art. 382 al. 1 CPP).
Partant, le recours est recevable.
2. La recourante conteste le classement de la procédure.
2.1. À teneur de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne notamment le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'après la clôture de l'instruction (art. 318 al. 1 CPP), aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).
De manière générale, les motifs de classement sont ceux qui déboucheraient à coup sûr ou du moins très probablement sur un acquittement ou une décision similaire de l'autorité de jugement (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 p. 1255). Le principe in dubio pro duriore, qui découle du principe de la légalité, s'applique (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2). Il signifie qu'en principe, un classement ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2;
137 IV 285 consid. 2.5).
2.2. L'art. 117 CP punit quiconque, par négligence, cause la mort d'une personne.
2.3. La négligence est l'imprévoyance coupable commise par celui qui, ne se rendant pas compte des conséquences de son acte, agit sans user des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP).
Elle suppose en premier lieu la violation d'un devoir de prudence. Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l'auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu'il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu'il excédait les limites du risque admissible (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.3; 143 IV 138 consid. 2.1). Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1; 134 IV 255 consid. 4.2.3). Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (ATF 145 IV 154 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1386/2021 du 16 mars 2023 consid. 2.2.1).
En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1).
2.4. Un crime ou un délit peut être commis par le fait d'un comportement passif contraire à une obligation d'agir (art. 11 al. 1 CP).
Selon l'art. 11 al. 2 CPP, reste passif en violation d’une obligation d’agir quiconque n’empêche pas la mise en danger ou la lésion d’un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu’il y soit tenu à raison de sa situation juridique, notamment en vertu: de la loi (let. a); d'un contrat (let. b); d'une communauté de risques librement consentie (let. c) ou de la création d'un risque (let. d).
2.5. L'art. 125 CP réprime le comportement de quiconque, par négligence, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé.
2.6. Se rend coupable de brigandage (art. 140 al. 1 CP) quiconque commet un vol en usant de violence à l’égard d’une personne, en la menaçant d’un danger imminent pour la vie ou l’intégrité corporelle ou en la mettant hors d’état de résister. Si l'auteur est tributaire de la victime pour parvenir à ses fins, l'extorsion (art. 156 CP) est seule applicable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_356/2012 du 1er octobre 2012 consid. 1.2.3).
2.7. En l'occurrence, la recourante dénonce – de manière globale – la surveillance, le suivi et la prise en charge de son fils par le personnel (médical et pénitencier) et la direction de D______. Elle estime, en substance, que par son inaction, cet établissement a permis la réalisation d'infractions contre celui-ci, nommément des lésions corporelles graves, de l'extorsion et du brigandage. Elle accuse cette même entité d'avoir fautivement manqué à ses devoirs légaux de prudence, ce qui avait d'une part, conduit à une détérioration de l'état psychologique de son fils et d'autre part, permis à ce dernier de passer à l'acte.
La question de savoir si – et le cas échéant, dans quelle mesure – les collaborateurs de D______ occupaient une place de garant à l'égard du défunt peut souffrir de rester indécise, compte tenu de ce qui suit.
Tout d'abord, la recourante tient pour établi que son fils était victime de violences physiques et de "racket".
Malgré les recherches, aucun rapport d'incident impliquant des faits de violence à l'encontre (ou de la part) de B______ n'a été retrouvé. En outre, les témoins interrogés à ce sujet, détenus et agents, ont tous déclaré que le précité n'avait jamais été impliqué dans une altercation physique.
Si la recourante allègue avoir, lors d'une visite, constaté des plaies sur son fils, rien ne permet d'en retracer les éventuelles origines. Il ne peut en tous cas pas être établi qu'elles seraient, cas échéant, le fait d'un tiers, étant rappelé au demeurant que le défunt présentait à son décès, selon les experts ayant procédé à l'autopsie, des cicatrices s'apparentant à des blessures auto-infligées. Ces experts ont également attribué les blessures à l'œil gauche constatées chez feu B______ aux circonstances entourant la mort de celui-ci.
En définitive, les convictions de la recourante, selon lesquelles son fils aurait été victime de violences physiques, ne trouvent pas d'assise au dossier. Par conséquent, faute du moindre soupçon de la réalisation de l'infraction de lésions corporelles à l'encontre du défunt durant l'exécution de sa mesure à D______, celle-ci ne peut être reprochée par omission aux collaborateurs de cet établissement.
Dans ces circonstances, il s'ensuit également que les éléments constitutifs des infractions d'extorsion et de brigandage par omission dénoncées par la recourante n'apparaissent pas réunis.
Rien ne permet de retenir que le défunt aurait fait l'objet d'intimidation ou de menaces de quelconque sorte.
Certes, l'existence d'un litige avec O______ n'est pas contestée. Toutefois, selon les explications de ce dernier, le désaccord s'inscrivait dans le cadre d'un échange de biens et, en l'absence du moindre rapport d'incident ou d'élément contraire, n'a pas dépassé le stade du simple désaccord. Dans tous les cas, B______ ne s'en est jamais plaint auprès du personnel de D______.
Pour le cas de la montre de K______, ce dernier n'a pas pu être entendu avant son expulsion du territoire suisse. Quoiqu'il en soit, l'affaire est documentée par les seuls rapports d'incidents impliquant B______. Il en ressort que la recourante a été invitée à signaler toute menace reçue de la famille [de] K______ – menace qu'elle ne démontre pas, ni même n'allègue – et que les deux détenus ont été rappelés aux règles interdisant le genre d'arrangement qu'ils avaient convenu. K______ a, en outre, demandé s'il pouvait commander une montre, aux frais de B______, d'une valeur de CHF 180.-, pour régler le différend, ce qui lui a été refusé. Enfin, O______ a décrit cette histoire entre les deux intéressés comme une "embrouille" verbale, affirmant toutefois qu'ils n'en étaient jamais venus aux mains.
Pour ces volets, c'est à bon droit que le Ministère public a classé la procédure.
2.8. La recourante accuse encore – indistinctement – les collaborateurs de D______ d'homicide par négligence.
À titre liminaire, plusieurs allégations de la recourante, soit notamment que son fils aurait été victime de propos injurieux ou inadéquats du personnel de l'établissement, ne reposent sur aucun élément concret. Il ne saurait donc en être tenu compte. De même, il ne peut pas être considéré que B______ a été exclu des ateliers, le directeur de D______ ayant affirmé que celui-ci avait volontairement choisi de ne pas s'y rendre. Enfin, les éventuels effets de la médication du précité sur sa santé, qui ne sont pas avérés au demeurant, ne s'opposent pas au raisonnement qui suit.
Il n'est pas contesté que durant son séjour à D______, B______ a verbalisé des envies suicidaires et qu'il a, plusieurs fois, essayé de passer à l'acte. En particulier, un nouveau tentatem a motivé son transfert à l'Unité F______ le 12 février 2022. Dans cette unité, sa thymie a été décrite comme fluctuante par son infirmier référant, justifiant ses changements de cellules. Celles-ci étaient néanmoins équipées pour pallier aux risques auto-agressifs jusqu'au 16 mars 2022 à tout le moins, jour où l'intéressé a réintégré une cellule "dé-sécurisée". Des mesures de sécurité et de surveillance ont néanmoins été maintenues pour un risque "moyen" de suicide, comprenant des rendez-vous quotidiens avec le personnel médical et un contrôle de la cellule toutes les deux heures.
Compte tenu de ce qui précède, il appert déjà que D______ a, face à une détérioration de l'état mental de B______, mis en place un protocole préventif pour empêcher au mieux tout nouveau passage à l'acte.
À l'Unité F______, B______ a montré les signes d'une amélioration "progressive mais lente", ce qui a motivé, après un examen médical, son retour dans une cellule "dé-sécurisée", puis dans une cellule double. Le détenu, avec qui il a partagé sa chambre du 16 au ______ 2022, a affirmé que l'intéressé n'avait montré aucun signe d'une velléité de passage à l'acte, constat qui ressort également des déclarations des agents de détention entendus. Son infirmier référent a enfin expliqué avoir discuté avec lui, sur le ton de la "rigolade", peu de temps avant son décès.
S'il est aisé (et compréhensible du point de vue de la recourante, mère du défunt) de poser, a posteriori, un œil critique sur la prise en charge de B______ avant l'événement tragique du ______ mars 2022, reste néanmoins que, face aux circonstances telles que décrites plus haut, la décision, sur avis médical, d'assouplir les mesures autour du précité, tout en maintenant un risque de niveau "moyen" de suicide, n'apparaît pas blâmable au point de remplir les éléments constitutifs de l'infraction visée à l'art. 117 CP. Surtout qu'aucun élément ne permet de retenir que les mesures mises en place pour assurer le suivi et la surveillance de l'intéressé n'auraient pas été respectées par le personnel de D______, ce que la recourante n'allègue d'ailleurs pas.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/6413/2022 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'415.00 |
Total | CHF | 1'500.00 |