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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13877/2022

ACPR/476/2025 du 23.06.2025 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : JONCTION DE CAUSES;DÉTENTION PROVISOIRE;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ;CONNEXITÉ
Normes : CPP.29; CPP.30

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13877/2022 ACPR/476/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 23 juin 2025

 

Entre

A______, actuellement détenu à l’Établissement fermé La Brenaz, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de jonction rendue le 28 mars 2025 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 10 avril 2025, A______, prévenu, recourt contre l'ordonnance du 28 mars précédent, communiquée par pli simple, à teneur de laquelle le Ministère public a joint la procédure P/2______/2025 à la présente cause (P/13877/2022).

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. P/13877/2022

a.a. En 2022, le Ministère public a ouvert une instruction, sous la cote précitée, contre A______ et C______.

En substance, il reproche :

·        aux deux précités d’avoir, de concert, le 24 juin 2022, commis un brigandage (art. 140 CP) et utilisé, à cette occasion, une arme factice susceptible d’être confondue avec une vraie (art. 33 LArm);

·         à A______ d’avoir :

o   le 20 août 2022, violé les art. 140 et 22 cum 156 CP (tentative d’extorsion et chantage) ainsi que 33 LArm;

o   le 26 août 2022, alors qu’il se trouvait aux HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE, blessé et menacé un agent de sécurité (art. 123 et 285 CP);

o   le 27 août 2022, à Champ-Dollon, lieu où il était détenu, violenté (art. 123 et 285 CP) et injurié (art. 177 CP) des gardiens;

o   entre janvier et août 2022, contrevenu à une décision d’expulsion rendue à son encontre (art. 291 CP);

o   à des dates indéterminées, volé (art. 139 CP) divers objets, subsidiairement acquis ceux-ci en sachant qu’ils provenaient d’une infraction contre le patrimoine (art. 160 CP);

·         à C______ d’avoir séjourné illégalement en Suisse entre les 26 janvier et 25 juin 2022 (art. 116 [recte : 115] LEI).

a.b. Les prévenus ont été pourvus de défenseurs d’office.

a.c. A______ et C______, arrêtés respectivement les 23 août et 17 octobre 2022, ont été autorisés à bénéficier du régime de l’exécution anticipée de peine au début de l’année 2023.

a.d. Après avoir effectué divers actes d’enquête, le Procureur a informé les parties, le 3 mai 2023, qu’il considérait l’instruction comme close et entendait dresser un acte d’accusation. Il les a invitées à présenter d’éventuelles réquisitions de preuves.

a.e.a. Le 5 novembre 2023, C______ a formé un recours pour déni de justice et violation du principe de la célérité, qu’il imputait au Ministère public.

Par arrêt ACPR/170/2024 du 8 mars 2024, la Chambre de céans a déclaré sans objet le premier de ces griefs – le Ministère public ayant répondu, dans ses observations, à la demande formulée par le prévenu – (consid. 1.1) et rejeté le second, le Procureur étant toutefois invité à faire diligence, de façon à agir sans tarder dans la cause (consid. 2.2).

a.e.b. Saisi d’un recours contre cet arrêt, le Tribunal fédéral l’a partiellement annulé, le 4 décembre 2024 (cause 7B_438/2024).

En substance, il a considéré que la durée globale de l’enquête dirigée contre C______ violait le principe de la célérité (consid. 3.4.2), violation qu’il a constatée dans le dispositif de son prononcé.

a.f. Parallèlement à ces arrêts, le Procureur a, d’une part, ordonné la mise en liberté de C______ (le 16 mai 2024) et, d’autre part, administré certains des actes d’enquête sollicités, entre les étés 2023 et 2024, par A______.

b. P/1______/2024

b.a. En automne 2024, le Ministère public – en la personne d’un autre Procureur que celui chargé de la présente cause – a ouvert la procédure précitée contre A______, D______ et E______, tous trois détenus à l’Établissement fermé La Brenaz.

Il leur reproche d’avoir, le 18 octobre 2024, de concert, participé à une agression contre un autre codétenu, F______ (art. 134 CP).

b.b. Le dernier cité a porté plainte, par écrit, pour ces faits.

Il n’a pas été entendu par les autorités pénales, ayant été expulsé au Maroc au terme de l’exécution de sa peine, intervenu courant février 2025.

b.c. Le 17 février 2025, la cause P/1______/2024 a été disjointe à l’égard de A______, l'instruction étant menée sous le nouveau numéro P/2______/2025 et confiée au même Procureur que celui chargé de la cause P/13877/2022.

c. P/2______/2025

c.a. Le 6 mars 2025, le prévenu a été pourvu du même défenseur d’office que celui désigné dans la cause P/13877/2022.

c.b. Le 7 mars suivant, le Ministère public a tenu une audience commune dans les affaires P/1______/2024 et P/2______/2025, lors de laquelle les trois prévenus se sont exprimés.

A______ a alors sollicité l’administration d’actes d’enquête, à savoir une confrontation avec F______ ainsi que le versement de diverses pièces au dossier.

C. Dans sa décision de jonction déférée, le Procureur a considéré qu’il se justifiait "d’instruire et surtout de juger" conjointement les faits visés par les causes P/13877/2022 et P/2______/2025, dès lors qu’ils présentaient des "similitudes importantes, y compris au niveau des motivations".

D. a. À l'appui de ses recours et réplique, A______ expose avoir reçu le 31 mars 2025 l’ordonnance susvisée.

La jonction querellée violait aussi bien les art. 29 et 30 CPP que le principe de la célérité, cela pour deux principaux motifs.

Tout d’abord, l’instruction du dossier P/13877/2022 était achevée, tandis que celle de la procédure P/2______/2025 débutait. L’enquête menée dans ce dernier cadre serait assurément longue, en raison, d’une part, de son droit à la confrontation, lequel impliquait qu’il puisse poser des questions à F______, via une commission rogatoire au Maroc – démarche qui s’imposait, dès lors que les autorités pénales avaient négligé d’entendre le précité avant son expulsion –, et, d’autre part, du "nombre de témoins à auditionner".

Ensuite, il était détenu depuis le 23 août 2022, de sorte que la peine d’ores et déjà subie par ses soins se confondait avec celle qui lui serait probablement infligée à l’issue de la présente cause.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public persiste dans les termes de sa décision.

L’infraction à l’art. 134 CP était instruite, les éléments de preuve recueillis rendant "dispensable" la commission rogatoire, au résultat aléatoire, sollicitée par le recourant. La jonction querellée n’était donc pas de nature à retarder, sensiblement, le renvoi en jugement de l'intéressé. Un avis de prochaine clôture serait d'ailleurs rendu d'ici peu pour l’ensemble des faits visés par les procédures P/13877/2022 et P/2______/2025.

S’agissant de C______, six nouvelles affaires avaient été ouvertes contre lui en 2024 et 2025. Celles-ci donneraient lieu, le cas échéant, à un acte d’accusation complémentaire, de façon à ne pas retarder l’avancement de la cause P/13877/2022.

E. a. Le 26 mai 2025, le Procureur, considérant que l’instruction du présent dossier était achevée, a informé les parties qu’il entendait dresser un acte d’accusation contre A______ et C______ du chef des infractions [énumérées aux lettres B.a.a ainsi que B.b.a supra].

Il leur a accordé un délai au 26 juin suivant pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve.

b. Le 2 juin 2025, le Tribunal des mesures de contrainte a refusé la demande de mise en liberté formée par A______ et ordonné sa détention provisoire [le prévenu étant préalablement en exécution anticipée de peine] jusqu’au 14 juillet suivant (OTMC/1708/2025).

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme (art. 385 al. 1 CPP) et – en l’absence de respect des réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai (art. 396 al. 1 CPP) prescrits, concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4 in fine ad art. 30) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à se prévaloir d’une violation aussi bien des art. 29 et 30 CPP que du principe de la célérité (art. 115 cum 382 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 29 al. 1 let. a CPP, les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu’un prévenu a commis plusieurs crimes/délits.

Cette disposition consacre, à l’instar de l'art. 49 al. 1 CP, le principe de l’unité de la procédure/des poursuites, à teneur duquel les actes répréhensibles perpétrés en concours par un même délinquant doivent être instruits, puis le cas échéant jugés, ensemble (ATF 138 IV 214 consid. 3.1).

2.2.1. En vertu de l’art. 30 CPP, si des raisons objectives le justifient, le ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la jonction ou la disjonction de causes.

La conduite de procédures séparées doit cependant rester l'exception. Elle tend à garantir la rapidité de l’instruction et à éviter un retard inutile (arrêt du Tribunal fédéral 7B_1184/2024 du 11 avril 2025 consid. 2.2.1 et 2.2.2).

Elle est admissible quand : le stade de l’enquête est plus avancé pour certains coprévenus que pour d’autres (arrêt du Tribunal fédéral 7B_1184/2024 précité, consid. 2.2); l’un d’eux est placé en détention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_684/2011 du 21 décembre 2011 consid. 3.2 in fine); le principe de la célérité est violé (arrêt du Tribunal fédéral 7B_300/2024 du 2 avril 2024 consid. 9.4 in fine).

2.2.2. L'art. 30 CPP est une norme potestative, qui laisse un pouvoir d'appréciation aux autorités pénales (arrêt du Tribunal fédéral 7B_779/2023 du 21 mars 2024 consid. 3.3 in fine).

2.3.1. En l’espèce, deux procédures ont été ouvertes contre le recourant, l’une pour divers crimes/délits qu'il est soupçonné d'avoir commis en 2022 (P/13877/2022) et l’autre du chef d’une agression survenue en 2024 (P/2______/2025).

En théorie (cf. art. 29 al. 1 let. a CPP et 49 al. 1 CP), l’intéressé devrait être poursuivi/jugé dans une seule et même cause, pour l’ensemble de ces infractions.

2.3.2. Il convient toutefois de déterminer si des raisons objectives justifient que les affaires précitées soient conduites séparément (art. 30 CPP).

Tel est le cas, au vu des quatre motifs suivants qui, pris dans leur ensemble, permettent de déroger au principe de l’unité de la procédure :

i. Le dossier P/13877/2022 est en état d’être jugé, le Ministère public ayant administré, consécutivement à son premier avis de prochaine clôture, daté du 3 mai 2023, les preuves complémentaires qu’il estimait nécessaires.

Inversement, l’instruction de la cause P/2______/2025 est moins avancée. Le recourant a, en effet, sollicité, le 7 mars 2025, l’exécution de divers actes d’enquête.

Bien que le Procureur considère que son enquête est achevée depuis le 26 mai 2025, jour du prononcé du second avis de prochaine clôture, l'on ignore le sort qu'il réservera aux réquisitions de preuve du recourant, ce dernier disposant d'un délai jusqu'au 26 juin pour en présenter.

Certes, ce magistrat a laissé entendre, dans ses observations au recours, qu’il allait rejeter lesdites réquisitions. Rien ne garantit cependant qu’il ne changera pas d’avis par la suite.

Il existe donc, au jour du prononcé du présent arrêt, une incertitude quant à la poursuite de l’instruction de cette seconde procédure et à sa durée.

ii. Le renvoi en jugement des prévenus dans l’affaire P/13877/2022 ne souffre plus aucun retard, dès lors que le Tribunal fédéral a constaté, en décembre 2024 déjà, une violation du principe de la célérité à l’égard de C______ et que le recourant est détenu depuis bientôt trois ans.

iii. Les faits visés par les causes P/2______/2025 et P/13877/2022 ne se confondent pas, de sorte qu’ils peuvent être instruits, respectivement jugés, séparément.

iv. Le Ministère public conserve la faculté de dresser un acte d’accusation complémentaire s’il s’avère, finalement, que l’infraction à l’art. 134 CP (P/2______/2025) est en état d’être jugée concomitamment au présent dossier (P/13877/2022).

L’on peine du reste à comprendre pourquoi le Procureur a envisagé une telle solution s’agissant des six nouvelles procédures ouvertes contre C______ en 2024 et 2025, mais non pour A______ (en lien avec l’affaire P/2______/2025).

2.4. Il s’ensuit que la jonction des causes P/13877/2022 et P/2______/2025 ne pouvait être ordonnée (art. 30 CPP).

Partant, le recours doit être admis et la décision querellée annulée.

3. 3.1. Vu l’issue du litige, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l’État (art. 428 al. 1 CPP).

3.2. Il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade (art. 135 al. 2 CPP), le défenseur d'office du recourant, chacune des causes P/13877/2022 et P/2______/2025 se poursuivant.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule, en conséquence, la décision de jonction querellée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son défenseur d'office, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).