Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/287/2025 du 09.04.2025 sur ONMMP/1226/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/25827/2024 ACPR/287/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 9 avril 2025 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de Champ-Dollon, chemin de Champ-Dollon 22, 1241 Puplinge, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 4 mars 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 7 mars 2025 au greffe de la prison de Champ-Dollon, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 3 novembre 2024 contre le service médical de la prison précitée.
Sans prendre de conclusions formelles, le recourant indique faire "recours" contre cette ordonnance et prie la Chambre de céans de "bien vouloir accepter [sa] plainte".
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 3 novembre 2024, A______ a déposé plainte contre le service médical de la prison de Champ-Dollon.
Il a exposé avoir demandé, dès son troisième mois de détention, à pouvoir passer un contrôle de ses yeux en raison de sa "mauvaise vue". Il avait toutefois dû patienter plusieurs mois avant de pouvoir effectuer ce contrôle et obtenir une ordonnance de l'ophtalmologue. Neuf autres mois s'étaient encore écoulés avant qu'il ne pût obtenir des lunettes pour la vue et il attendait toujours qu'on lui remît une seconde paire lui permettant de voir de loin. Pendant ces neuf mois, il avait été "forcé à lire et à écrire de manière contraignante" avec une paire de lunettes qui ne convenait plus à sa vue actuelle, étant précisé que "l'incompétence du service médical" de la prison, qui semblait de toute évidence "inconscient de sa souffrance", avait entraîné une baisse de sa vue de 1.5 à 1.75. Il percevait comme une "forme de torture" le fait qu'on l'entravât dans son "droit fondamental de lire et écrire" et qu'on nuisît à sa santé et il demandait réparation pour le préjudice ainsi subi.
C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a fait application de l'art. 310 al. 1 let. a CPP. La détention provisoire présentait des inconvénients, parmi lesquels celui de ne pas pouvoir exiger des services de l'État les mêmes prestations que celles que pourrait obtenir une personne non privée de sa liberté. Le fait que A______ eût dû patienter ne conduisait pas pour autant à une quelconque incrimination pénale des membres du service médical de la prison. Il était au surplus notoire que le fait de ne pas disposer de verres correctifs n'entraînait pas de dégradations de l'acuité visuelle.
D. a. Dans son recours, A______ considère que le Ministère public ne pouvait retenir qu'il était notoire que le fait de ne pas disposer de verres correctifs n'entraînait pas de dégradations de l'acuité visuelle. Le service médical ignorait ses problèmes de vue depuis seize mois et le "forçait" à lire et écrire en le "faisant forcer sur [ses] yeux", sa vue ayant, partant, continué à baisser. Outre le fait que cette attitude l'entravait dans son "droit fondamental de lire et écrire", elle s'apparentait à de la "torture", raison pour laquelle il avait alerté la Commission des visiteurs officiels du Grand Conseil et la Commission nationale de prévention de la torture. Il n'hésiterait pas, en cas de refus d'acceptation de sa plainte, à en informer les médias.
À l'appui de son recours, il produit:
- une lettre de la Commission des visiteurs officiels du Grand Conseil du 27 février 2025 par laquelle celle-ci, réagissant à un courrier de A______ du 19 précédent, l'a avisé du fait qu'il porterait cette correspondance à l'ordre du jour de sa prochaine séance;
- une lettre de la Commission nationale de prévention de la torture du 24 février 2025 par laquelle celle-ci, après avoir rappelé à A______ – qui l'interpellait sur sa situation – les principes régissant son activité, l'a informé de ce qu'elle n'était pas habilitée à intervenir dans des cas particuliers.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant fait grief au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte. Bien qu'il ne précise pas quelle(s) infraction(s) les faits dénoncés – une dégradation de sa vue en raison de "l'incompétence du service médical" ou encore le fait d'avoir été entravé dans son "droit fondamental de lire et écrire"– seraient susceptibles de réaliser, on peut inférer de ses doléances qu'il entend se plaindre de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP).
3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Au surplus, les dispositions sur le classement de la procédure sont applicables (al. 2).
Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
Un refus d'entrer en matière n'est possible que lorsque la situation est claire, en fait et en droit. En cas de doutes, ou lorsque l'acte dénoncé a eu des incidences graves (par exemple en présence de lésions corporelles graves), une instruction doit en principe être ouverte, quand bien même elle devrait ultérieurement s'achever par un classement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_454/2011 du 6 décembre 2011 consid. 3.2).
3.2. L'art. 125 CP réprime le comportement de quiconque, par négligence, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Elle suppose la réalisation de trois conditions : une négligence, une atteinte à l'intégrité physique et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments.
Les lésions corporelles par négligence constituent une infraction de résultat, qui suppose en général une action, mais qui, conformément à l'art. 11 al. 1 CP, peut aussi être réalisée par le fait d'un comportement passif contraire à une obligation d'agir.
Deux conditions doivent être remplies pour qu'il y ait négligence. En premier lieu, il faut que l'auteur viole les règles de la prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s'il apparaît qu'au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. L'attention et la diligence requises sont d'autant plus élevées que le degré de spécialisation de l'auteur est important (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5). Lorsque des prescriptions légales ou administratives imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence. La violation des devoirs de la prudence peut aussi être déduite des principes généraux, si aucune règle spéciale de sécurité n'a été violée. En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1 ; 143 IV 138 consid. 2.1 ; 133 IV 158 consid. 5.1).
Il faut ensuite qu'il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et le dommage survenu. En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s'est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l'analyse des conséquences de l'acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.1 p. 264 s.). L'existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n'est réalisée que lorsque l'acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat (ATF 116 IV 182 consid. 4a p. 185). La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l'acte attendu n'aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu'il serait simplement possible qu'il l'eût empêché (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1098/2017 du 5 avril 2018 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_170/2017 du 19 octobre 2017 consid. 2.2).
3.3. Conformément à l'art. 29 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP; F 1.50.04), le service médical est assuré par la division de médecine pénitentiaire (al. 1). Il prodigue des soins en permanence (al. 2).
3.4. Aux termes de l'art. 30 al. 1 RRIP, le détenu est soumis à un examen médical : à sa demande (let. a); lorsque son état de santé est susceptible de présenter un danger pour lui-même ou pour autrui (let. b).
3.5. En l'espèce, le recourant soutient que sa vue aurait diminué du fait de l'absence d'intervention du service médical de la prison, lequel aurait ignoré ses problèmes de vue, l'obligeant à "forcer sur ses yeux" pendant une période prolongée.
Le rôle du service médical précité est avant tout de prodiguer des soins à un détenu en cas de danger pour sa santé ou celle d'autrui, et non de lui fournir des moyens auxiliaires ou des prestations en tout point identiques à celles qu'il pourrait obtenir s'il se trouvait en liberté. À cet égard, la remise, à brève échéance, à une personne incarcérée d'une nouvelle paire de lunettes, qui plus est en présence d'une baisse somme toute relativement modérée de la vue – telle que l'allègue le recourant –, ne fait visiblement pas partie du catalogue des prestations auxquelles une personne détenue peut prétendre. Une telle obligation n'incombait ainsi pas au service mis en cause.
Faute de la réalisation d'un des éléments constitutifs de l'infraction de lésions corporelles par négligence, c'est à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte du recourant.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/25827/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 815.00 |
Total | CHF | 900.00 |