Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/262/2025 du 03.04.2025 sur OTDP/408/2025 ( TDP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/28090/2023 ACPR/262/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 3 avril 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance rendue le 17 février 2025 par le Tribunal de police,
et
LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 3 mars 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 février précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Tribunal de police a constaté l'irrecevabilité de son opposition à l'ordonnance pénale du 21 mars 2024.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à ce que son opposition soit déclarée recevable, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal de police pour nouvelle décision.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Par ordonnance pénale du 21 mars 2024, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'infraction à la LEI, étant précisé que ce dernier avait été entendu par la police comme prévenu à deux reprises, les 1er et 8 janvier 2024.
b. Le pli contenant cette ordonnance a été envoyé le lendemain, par recommandé, au nom et à l'adresse de A______, [à la rue] 1______ no. ______, [code postal] Genève.
c. L'envoi est revenu avec la mention: "non réclamé".
d. Le 29 mai 2024, A______ a sollicité du Ministère public copie de l'ordonnance pénale, envoyée "par erreur" à son épouse, C______, qui ne l'avait pas réceptionnée.
e. Le Ministère public a donné suite à cette demande par courrier du 5 juin suivant.
f. Par courrier A+ du 14 juin 2024, A______, sous la plume de son conseil, a formé opposition à l'ordonnance pénale du 21 mars 2024. Cet acte ne lui avait pas été valablement notifié car la Poste avait adressé l'invitation à retirer le pli recommandé le contenant au nom de son épouse. Cette erreur ne lui était pas imputable et il lui était impossible de retirer un courrier qui n'était pas à son nom. L'envoi, le 5 juin 2024, de la copie de ladite ordonnance valait première notification, de sorte que son opposition n'était pas tardive.
Il a produit l'avis de retrait en question, lequel fait état d'une "lettre/recommandé" et non d'un "acte judiciaire" et mentionne exclusivement le nom de C______.
g. Par ordonnance sur opposition tardive du 19 juin 2024, le Ministère public a transmis la cause au Tribunal de police, concluant à l'irrecevabilité de l'opposition de A______.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal de police retient que l'ordonnance pénale avait correctement été envoyée au domicile connu de A______, lequel avait toujours indiqué cette adresse comme étant son domicile de notification et devait s'attendre à recevoir un tel prononcé. L'opposition du 14 juin 2024 était ainsi tardive.
D. a. Dans son recours, A______ reprend les explications contenues dans son courrier du 14 juin 2024 et fait grief au Tribunal de police de n'en avoir pas tenu compte.
b. Dans ses observations, le Tribunal de police rappelle que A______ devait s'attendre à recevoir une communication des autorités, dès lors qu'il avait été entendu par la police dans les semaines ayant précédé le prononcé de l'ordonnance pénale. Quand bien même l'invitation à retirer le pli contenant celle-ci avait été adressée à la mauvaise personne, elle était néanmoins entrée dans la "sphère familiale" de A______. On pouvait dès lors attendre de ce dernier qu'il questionnât son épouse au sujet de cet avis de retrait.
c. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sans autres développements.
d. A______ n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant soutient ne pas avoir eu connaissance de l'ordonnance pénale du 21 mars 2024 lors de sa notification, laquelle n'était finalement intervenue que consécutivement à l'envoi, par le Ministère public, le 5 juin 2024, d'une copie de cette ordonnance.
2.1. L'ordonnance pénale est immédiatement notifiée par écrit aux personnes et aux autorités qui ont qualité pour former opposition (art. 353 al. 3 CPP) et le prévenu dispose d'un délai de dix jours pour y former opposition (art. 354 al. 1 let. a CPP).
2.2.1. Les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception, notamment par l'entremise de la police (art. 85 al. 2 CPP).
2.2.2. Est déterminante la prise de connaissance effective de l'envoi par le destinataire. À la prise de connaissance par le destinataire est assimilée la réception par un employé ou toute personne de plus de seize ans vivant dans le même ménage (art. 85 al. 3 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_363/2022 du 26 septembre 2022 consid. 2.2.1).
2.2.3. Aux termes de l'art. 85 al. 4 let. a CPP, un prononcé est également réputé notifié lorsque, expédié par lettre signature, il n'a pas été retiré dans les sept jours à compter de la tentative infructueuse de remise du pli, si la personne concernée devait s'attendre à une telle remise.
Constituant une exception au principe de la prise de connaissance effective (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2), cette fiction de notification ne peut toutefois intervenir que si la personne concernée a été effectivement avisée de la possibilité de retirer le prononcé, ce qui n'est en particulier pas réalisé lorsque l'envoi est retourné à l'expéditeur avec la mention selon laquelle le destinataire est "introuvable" ou "inconnu" à l'adresse indiquée, voire qu'il est "parti sans laisser d'adresse" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_467/2022 du 12 décembre 2022 consid. 1.1.2).
2.3. En principe, tant que l'acte n'a pas été notifié au destinataire, il est sans effet; les délais ne commencent pas à courir et on ne peut, par conséquent, pas reprocher à un justiciable d'avoir omis de respecter un délai (ATF 142 IV 201 consid. 2.4). Le délai de recours ne commence à courir qu'au moment où la partie a pu prendre connaissance de la décision, dans son dispositif et ses motifs (ATF 139 IV 228 consid. 1.3).
2.4. En l'espèce, le pli contenant l'ordonnance pénale a été correctement envoyé à l'adresse du recourant, avec le nom de ce dernier en évidence dans la fenêtre de l'enveloppe prévue à cet effet.
Ce pli n'ayant pas été réceptionné au domicile, la Poste a laissé un avis de retrait dans la boîte aux lettres.
Il appert toutefois que la personne invitée par l'avis à venir retirer le pli recommandé était non pas le recourant, mais son épouse. Il s'agit là d'une erreur de la Poste, l'enveloppe étant bien destinée à celui-ci et non celle-là.
Ainsi, point n'est besoin de savoir si le recourant devait s'attendre à recevoir un acte des autorités pénales. Au regard de l'avis de retrait, il ne pouvait dans tous les cas pas supputer que celui-ci le visait en réalité et concernait l'ordonnance pénale du 21 mars 2024, ce d'autant que l'avis en question mentionnait une "lettre/recommandé" et non un "acte judiciaire".
Enfin, l'art. 85 al. 3 CPP traite des prononcés des autorités pénales, et non de l'avis de retrait de la Poste. Il est donc sans importance que l'avis de retrait libellé au nom de l'épouse du recourant soit entré dans la "sphère familiale" de ce dernier.
Dans ces circonstances, la fiction de notification prévue à l'art. 85 al. 4 CPP ne saurait lui être opposée.
En conséquence, il doit être retenu que le recourant a pris connaissance de l'ordonnance pénale du 21 mars 2024 pour la première fois avec l'envoi de sa copie par le Ministère public, le 5 juin 2024.
Partant, l'opposition, envoyée le 14 suivant, n'est pas tardive.
3. Le recours sera admis et, partant, l'ordonnance querellée annulée.
Par souci d'économie de procédure, la cause sera renvoyée directement au Ministère public pour qu'il statue, au sens de l'art. 355 CPP, sur l'opposition formée par le recourant à l'ordonnance pénale du 21 mars 2024 (ACPR/38/2025 du 14 janvier 2025 consid. 3; ACPR/198/2023 du 17 mars 2023 consid. 3; ACPR/90/2021 du 10 février 2021 consid. 2.3).
4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. Le recourant, prévenu qui obtient gain de cause, conclut à l'octroi de dépens, sans toutefois les chiffrer, ni les justifier.
Tenue de statuer d'office (art. 429 al. 2 cum art. 436 al. 1 CPP), la Chambre de céans lui allouera, ex aequo et bono, une somme de CHF 600.- TTC, compte tenu de l'issue de la cause, dépourvue de complexité juridique, et du recours de 6 pages (page de garde et conclusions comprises).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l'ordonnance du Tribunal de police du 17 février 2025 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 600.- TTC, pour la procédure de recours.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit pour lui, son conseil), au Ministère public et au Tribunal de police.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).