Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/125/2025 du 17.02.2025 sur OTDP/2639/2024 ( TDP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/19079/2024 ACPR/125/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 17 février 2025 |
Entre
A______, domicilié ______, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance rendue le 15 novembre 2024 par le Tribunal de police,
et
LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,
LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104,
1211 Genève 8,
intimés.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 29 novembre 2024, au Tribunal de police, qui l'a transmis le jour-même à la Chambre de céans, A______ recourt contre l'ordonnance du 15 précédent, notifiée le 22 suivant, par laquelle le Tribunal de police a constaté l’irrecevabilité, pour cause de tardiveté, de l’opposition qu’il avait formée à l’ordonnance pénale du 14 mars 2024.
Le recourant, sans prendre de conclusions formelles, déclare former "appel" contre cette décision, afin que la recevabilité de son opposition soit reconnue.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 17 décembre 2023 à 10h49, un accident de la circulation s'est produit à la hauteur du numéro ______ de la rue 1______, à Genève, impliquant deux véhicules – en stationnement – détenus respectivement par A______ et B______.
b. Selon le rapport de renseignements du 10 janvier 2024, l'intervention de la police a été requise, le 17 décembre 2023, par B______, à l'avenue précitée. Le prénommé venait de constater des dégâts sur le pare-chocs arrière de son automobile, stationnée en ce lieu six jours plus tôt (soit le 11 décembre 2023). Ces dégâts pouvaient correspondre au véhicule stationné derrière le sien, détenu par A______.
Contacté par téléphone, celui-ci a confirmé avoir stationné son véhicule à cet endroit, le 13 ou le 14 décembre 2023. Il n'avait pas senti de choc lors de son stationnement. Indisposé, il ne s'était pas rendu sur les lieux de l'incident.
Des relevés effectués sur les deux véhicules font état d'une correspondance entre plusieurs griffures figurant sur le pare-chocs arrière de l'automobile de B______ et le support de plaque de la voiture de A______.
Au vu des dégâts "minimes" constatés sur le véhicule du requérant, il était probable que A______ n'ait pas senti le/les choc(s) lors de sa manœuvre. Il ne lui était, dès lors, pas reproché d'avoir omis de remplir ses devoirs en cas d'accident.
Ce document spécifie "Non" sous les rubriques "Formulaire signé par l'intéressé" et "Copie remise à l'intéressé", en lien avec A______.
c. Par ordonnance pénale n° 2______ du 14 mars 2024, envoyée le jour-même par pli recommandé, le Service des contraventions (ci-après: SdC) a condamné A______ à une amende de CHF 1'010.-, émoluments compris, pour "inattention, avec accident et dégâts matériels légers" (art. 26, 31 et 90 LCR; 3 OCR).
d. D'après le suivi postal, le précité en a été avisé pour retrait le 15 mars 2024; faute d'avoir été retiré dans le délai de garde, venu à échéance le 22 mars 2024, le pli a été retourné à son expéditeur avec la mention "non réclamé".
e. Un rappel a été adressé à A______ le 18 mai 2024.
f. Par lettre du 31 mai 2024, A______ a formé opposition à l'ordonnance pénale du 14 mars 2024. Il affirmait ne pas avoir reçu le pli recommandé contenant l'ordonnance litigieuse, n'ayant reçu aucun document écrit concernant cette affaire avant le rappel du 18 mai 2024, lequel l'avait "stupéfié".
Il contestait avoir su qu'une procédure pénale avait été "lancée contre lui par B______". Il s'était uniquement entretenu téléphoniquement avec un policier, à qui il avait expliqué ne pas avoir causé de dommages à la voiture de B______. Il avait néanmoins annoncé "le sinistre" à son assurance et expliqué à l'intéressé qu'il devait en faire de même, afin que leurs assurances règlent cette affaire entre elles. Il pensait que la police avait mieux à faire que d'être mobilisée pour une griffure sur un pare-chocs.
Il demandait, par conséquent, l'annulation de l'ordonnance en cause.
g. Par ordonnance du 19 août 2024, le SdC, constatant la tardiveté de l'opposition, a transmis la procédure au Tribunal de police afin qu'il statue sur la validité de ladite opposition et de l'ordonnance pénale.
h. Par pli – spontanément – déposé au Tribunal de police le 23 août 2024, A______ a demandé "la révision" de l'ordonnance pénale n° 2______ du 14 mars 2024, notamment pour les motifs suivants: il n'existait aucune preuve à son encontre, l'ordonnance litigieuse ne lui avait pas été notifiée adéquatement, l'incident en question aurait dû être traité comme un simple litige d'assurance, et non comme une contravention pénale, il n'avait jamais été convoqué par la police pour s'expliquer sur les faits reprochés ni n'avait eu accès au dossier de la procédure.
i. Dans sa détermination du 6 septembre 2024, après interpellation du 27 août précédent par le Tribunal de police sur la question de la recevabilité de son opposition, A______ a exposé "les circonstances exceptionnelles" qui l'avaient empêché de prendre connaissance de l'ordonnance litigieuse dans le délai légal. Il avait, en effet, dû effectuer une "mission professionnelle" à C______ [France] durant tout le mois de mars 2024 et s'était ainsi trouvé dans l'impossibilité de prendre connaissance de son courrier reçu en Suisse.
C. Dans la décision querellée, le Tribunal de police retient que l’ordonnance pénale rendue le 14 mars 2024 avait été valablement notifiée – de façon fictive – à A______ à l'issue du délai de garde, le 22 mars 2024, dans la mesure où celui-ci "devait s'attendre à une telle remise, à la suite de l'accident du 17 décembre 2023 et le rapport y relatif dressé par la police, après son intervention et les constats effectués sur les véhicules impliqués". Le délai pour former opposition était venu à échéance le 1er avril 2024. Expédiée le 31 mai 2024, l'opposition formée par A______ était tardive, partant irrecevable.
D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation de "plusieurs principes fondamentaux du droit suisse et international", réitérant ses précédents développements (cf. lettre B.h. et B.i. supra). La notification de l'ordonnance litigieuse n'avait pas été régulière. De plus, en application des principes dégagés par la jurisprudence, en lien avec la notification fictive d'un acte judiciaire, conformément à l'art. 85 al. 4 let a CPP, une restitution du délai d'opposition devait être admise en l'espèce.
b. Le Tribunal de police, dont l'attention a été attirée par la Chambre de céans sur l'éventuelle application de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_448/2024, s'en rapporte à justice.
c. A______ réplique et sollicite l'annulation de l'ordonnance attaquée, ainsi que la tenue d'une audience.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant conteste avoir dû s'attendre à la notification d'une décision et reproche aux autorités précédentes d'avoir retenu que son opposition était tardive, respectivement d'avoir refusé de lui restituer le délai d'opposition.
2.1. À teneur de l'art. 354 al. 1 cum 357 al. 2 CPP, le délai pour former opposition contre une ordonnance pénale rendue en matière de contraventions est de 10 jours.
À défaut d'opposition valablement formée, l'ordonnance pénale est assimilée à un jugement entré en force (art. 354 al. 3 et 357 al. 2 CPP).
Une opposition n'est pas "valable", au sens de cette disposition, si elle est tardive, soit pour avoir été formée hors du délai de 10 jours institué à l'art. 354 al. 1 CPP (ATF 142 IV 201 consid. 2.2).
2.2. Les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception, notamment par l'entremise de la police (art. 85 al. 2 CPP).
Le prononcé est réputé notifié si son destinataire ne l'a pas retiré dans les sept jours à compter d'une tentative de remise infructueuse, à condition qu'il ait dû s'attendre à une telle remise (art. 85 al. 4 let. a CPP).
2.2.1. Il existe une présomption de fait – réfragable – selon laquelle, pour les envois recommandés, la date de remise d'un pli, telle qu'elle figure sur la liste des notifications, est exacte. Cette présomption entraîne un renversement du fardeau de la preuve au détriment du destinataire. Si ce dernier ne parvient pas à établir l'absence de dépôt dans sa boîte ou sa case postale au jour attesté par le facteur, la remise est censée avoir eu lieu en ces lieu et date. Du fait notamment que l'absence de remise constitue un fait négatif, le destinataire ne doit cependant pas en apporter la preuve stricte. Il suffit d'établir qu'il existe une vraisemblance prépondérante que des erreurs se soient produites lors de la notification (arrêts du Tribunal fédéral 6B_314/2012 du 18 février 2013 consid. 1.4.1; 6B_281/2012 du 9 octobre 2012 consid. 2.1).
2.2.2. Une personne ne doit s'attendre à la remise d'un prononcé que lorsqu'il y a une procédure en cours, la concernant, qui impose aux parties de se comporter conformément aux règles de la bonne foi, à savoir de faire en sorte, entre autres, que les décisions relatives à la procédure puissent leur être notifiées. Le devoir procédural d'avoir à s'attendre avec une certaine vraisemblance à recevoir la notification d'un acte officiel naît avec l'ouverture d'un procès et vaut pendant toute la durée de la procédure (ATF 134 V 49 consid. 4, 130 III 396 consid. 1.2.3). Un simple interrogatoire par la police en qualité de témoin, voire de suspect, ne suffit en général pas à créer un rapport juridique de procédure pénale avec la personne entendue. Il ne peut donc être considéré qu'à la suite d'un tel interrogatoire, celle-ci doit prévoir que des actes judiciaires lui seront notifiés. Il est admis, en revanche, que la personne concernée doit s'attendre à la remise d'un prononcé lorsqu'elle est au courant qu'elle fait l'objet d'une instruction pénale au sens de l'art. 309 CPP. Ainsi, un prévenu informé par la police d'une procédure préliminaire le concernant, de sa qualité de prévenu et des infractions reprochées, doit se rendre compte qu'il est partie à une procédure pénale et donc s'attendre à recevoir, dans ce cadre-là, des communications de la part des autorités, y compris un prononcé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_448/2024 du 19 septembre 2024 consid. 3.2.2 et les arrêts cités).
De jurisprudence constante, celui qui se sait partie à une procédure judiciaire et qui doit dès lors s'attendre à recevoir notification d'actes du juge est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins. À ce défaut, il est réputé avoir eu, à l'échéance du délai de garde, connaissance du contenu des plis recommandés que le juge lui adresse. Une telle obligation signifie que le destinataire doit, le cas échéant, désigner un représentant, faire suivre son courrier, informer les autorités de son absence ou leur indiquer une adresse de notification (ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2; 141 II 429 consid. 3.1; 139 IV 228 consid. 1.1 et les références citées; arrêt 6B_448/2024 précité consid. 3.2.2).
2.3. En l'espèce, l'ordonnance pénale du 14 mars 2024 a été envoyée par pli recommandé au recourant, qui ne l'a pas retiré à l'échéance du délai de garde. Les éléments du dossier ne permettent pas de douter que l’avis de retrait postal lui soit bien parvenu; d'ailleurs, le recourant ne paraît plus le contester dans son recours.
Il reste à savoir si le recourant devait s'attendre à recevoir une décision judiciaire. Le Tribunal de police a estimé, dans son ordonnance entreprise, que tel était le cas, compte tenu de l'accident survenu le 17 décembre 2023 et du rapport y relatif dressé par la police, après son intervention, ainsi que des constats effectués sur les véhicules impliqués.
Or, il ne ressort pas de cette décision que le rapport précité aurait été transmis au recourant ni que ce dernier aurait pris connaissance de tout autre document précisant ses droits et obligations. Ledit rapport n'a du reste pas été signé par l'intéressé et il n'apparaît pas qu'une copie lui aurait été remise.
Certes, le recourant s'est entretenu, par téléphone, le jour-même avec un policier au sujet de l'accident. L'on ignore toutefois – et l'autorité intimée ne le précise pas – si le policier l'a informé qu'il faisait l'objet d'une instruction pénale, de sa qualité de prévenu ou encore des infractions qui lui étaient reprochées. Les éléments du dossier permettent, en outre, d'en douter. En effet, le recourant – qui ne s'est pas rendu sur les lieux de l'incident – a, à réitérées reprises, exprimé son incompréhension quant à la réception d'une "contravention pénale", alors qu'il avait contesté avoir endommagé le véhicule et annoncé "le sinistre" à son assurance. Les dégâts étaient, de plus, manifestement "minimes", au vu des constatations policières. Tout laisse, dès lors, penser que l'intéressé considérait cet incident comme relevant des instances civiles. Dans ces circonstances, l'entretien téléphonique susvisé ne peut, à lui seul, suffire à admettre que le recourant savait qu'il faisait l'objet d'une procédure pénale (cf. en ce sens, l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_448/2024 du 19 septembre 2024 consid. 3.6 cité supra consid. 2.2.2).
Par conséquent, au moment où l'ordonnance pénale lui a été expédiée, le 14 mars 2024, il ne devait pas s'attendre à se voir notifier une décision judiciaire. Il n'était dès lors pas tenu de relever ou faire suivre son courrier et ne pouvait ainsi pas se voir opposer la fiction de notification prévue à l'art. 85 al. 4 let. a CPP.
Il s’ensuit que le Tribunal de police eût dû entrer en matière sur l’opposition que le recourant avait formée à l’ordonnance pénale rendue contre lui, et non la déclarer irrecevable pour cause de tardiveté.
3. Fondé, le recours doit donc être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause sera renvoyée au Tribunal de police pour qu’il reprenne la procédure (art. 397 al. 2 in fine CPP).
4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. Le recourant, qui obtient gain de cause, mais agit en personne, ne justifie pas de frais de défense.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l’ordonnance attaquée et renvoie la cause au Tribunal de police, pour qu'il procède dans le sens des considérants.
Laisse les frais de la procédure à la charge de l’État.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, au Tribunal de police et au Service des contraventions.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).