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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10824/2021

ACPR/116/2025 du 11.02.2025 sur OCL/1450/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : VIOL;CONTRAINTE SEXUELLE;ABUS DE LA DÉTRESSE;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;RAPPORT DE SUBORDINATION
Normes : CP.190; CP.189; CPP.319; CP.193

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10824/2021 ACPR/116/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 11 février 2025

 

Entre

A______, représentée par Me Magali BUSER, avocate, ETTER & BUSER, boulevard Saint-Georges 72, 1205 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 18 octobre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 1er novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 octobre 2024, notifiée le 22 suivant, par laquelle le Ministère public a classé la procédure dirigée contre B______, auquel elle reprochait des infractions à l'intégrité sexuelle.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance entreprise et au renvoi en jugement de B______, sous suite de frais et dépens.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 14 janvier 2021, B______ a déposé plainte contre A______ pour diffamation (art. 173 CP), voire calomnie (art. 174 CP).

Depuis 2001, il était responsable du service ______ à la C______, qui deviendra, en 2010, la D______. A______ avait été engagée comme stagiaire dès 2008.

En substance, il a relaté que la prénommée avait entrepris de le séduire dès son arrivée, ce qui avait fonctionné dès lors qu'ils avaient débuté une relation de "sex friends" dès mai 2009 et ce, jusqu'en 2019.

Or, en 2020, A______ avait propagé, à son encontre et auprès de son employeur, de fausses accusations de harcèlement sexuel et psychologique, ainsi que de contrainte sexuelle, lesquelles ressortent de la plainte de A______ évoquée ci-après (let. B.b.). Ces accusations avaient conduit à sa suspension, puis à son licenciement.

Un rapport interne résumé ci-après sous la lettre B.c. l'avait innocenté.

b. Le 25 mai 2021, A______ a déposé plainte contre B______ pour lésions corporelles graves (art. 122 CP), contrainte (art. 181 CP), contrainte sexuelle (art. 189 al. 1 CP), viol (art. 190 al. 1 CP) et abus de la détresse ou de la dépendance (art. 193 al. 1 CP).

Elle a exposé les faits suivants :

En 2008, elle avait été engagée comme stagiaire ______ à la D______, puis avait obtenu un poste de ______ qu'elle occupait encore à la date de la plainte.

Elle avait rencontré B______ au début de son stage : il était son supérieur hiérarchique et l'avait été jusqu'à ce qu'il soit suspendu en 2020.

Au début de 2009, après que B______ avait entrepris de la séduire, ils avaient débuté une relation intime cachée qui avait duré jusqu'en 2010. Elle était très amoureuse de lui, mais aussi mal à l'aise quand il lui fallait demander des vacances. En 2010, elle avait appris qu'il entretenait une relation intime avec la secrétaire de son propre supérieur hiérarchique : humiliée, elle avait décidé de mettre un terme à leur relation.

Jusqu'en 2013, leurs rapports avaient été strictement professionnels, si ce n'est qu'à une reprise il l'avait prise dans ses bras. Durant l'été 2013, ils avaient entretenu une relation sexuelle consentie. Puis, en 2014 et 2015, cela s'était produit tous les un à deux mois. Elle était mal à l'aise, car il s'était, par exemple, en août 2015, présenté à son domicile alors qu'elle était malade pour la convaincre de reprendre le travail, puis ils avaient entretenu une relation sexuelle. Elle s'était sentie obligée de le faire pour ne pas subir de conséquences professionnelles.

En 2016, elle avait voulu mettre un terme à cette relation cachée pour la recentrer sur "une amitié privilégiée", sans connotation sexuelle. Toutefois, il avait continué à lui demander des faveurs sexuelles, qu'elle lui avait accordées à contrecœur, étant sous son emprise et incapable de lui dire non. Leurs échanges avaient mélangé la relation intime, gardée secrète, et les rapports professionnels. Le rythme des relations sexuelles avait été d'environ une par semaine, à son domicile à elle, en début d'après-midi.

En 2018, apprenant qu'il allait emménager avec sa compagne – soit la secrétaire de son supérieur hiérarchique déjà mentionnée ci-dessus –, elle avait à nouveau souhaité rompre, mais il l'en avait dissuadé. Désespérée et ne sachant plus vers qui se tourner, elle avait sombré dans la dépression et accepté l'acte sexuel par peur. À la fin de cette année, il lui avait prodigué des cunnilingus contre sa volonté : il décidait seul de le faire sans lui demander si elle en avait envie. Elle lui repoussait la tête des deux mains, mais il continuait de force. Elle simulait un orgasme pour qu'il arrête.

Le 28 février 2019, il s'était présenté à son domicile et ils avaient entamé une relation sexuelle consentie. Alors qu'elle était sur le dos et lui sur elle, il lui avait replié les jambes sur les épaules et introduit son sexe dans son vagin. La maintenant ainsi, il avait fait des mouvements de va-et-vient violents et forts, qui lui avaient fait mal. Elle l'avait repoussé à deux mains et lui dit "nan", mais il n'en avait cure et avait finalement éjaculé sur son corps. Elle avait travaillé l'après-midi et avait ressenti de fortes douleurs dans ses parties génitales. Elle s'était donc rendue aux urgences gynécologiques et en avait informé B______ par message, dont le texte est le suivant : "Je t'ai pas dit mais depuis cet après-midi j'ai mal au ventre. Je suis un peu fiévreuse et j'ai une boule qui s'est formée. Il faut que j'aille chez le médecin demain. Peut-être que c'est mieux de me remplacer."

Les attestations établies par le Service de gynécologie des HUG les 1er et 5 mars 2019 mentionnent, notamment, ce qui suit :

- A______ avait consulté pour une "boule vaginale" et "une induration à l'entrée du vagin" ;

- L'anamnèse révélait des "douleurs susupubiennes centralisées", une "légère dysurie", et des "pertes vaginales blanches, grumeleuses, non malodorantes" ;

- Le diagnostic était une "bartholinite G débutante", "IUB" et "vaginose mixte".

Selon la plaignante, il n'était pas fait état des violences subies, car elle les avait tues, par honte. Quant à B______, il avait, selon elle, minimisé et nié être responsable de sa souffrance.

Il ressort des messages électroniques échangés par les deux partenaires que, durant les jours qui ont suivi, B______ s'était inquiété de son état de santé, notamment en lien avec sa présence au travail.

Dès ce moment, elle avait mis un terme aux relations sexuelles avec B______.

En mars 2019, il lui avait refusé une augmentation de salaire qu'elle considérait justifiée, puis l'avait surchargée de travail en représailles, selon elle. Il avait tenté de se rapprocher d'elle, mais elle avait refusé.

Sa situation psychologique se péjorant, elle avait consulté un psychiatre qui l'avait mise en arrêt maladie en septembre 2019. Les points pertinents suivants résultent de l'attestation de ce médecin datée du 19 mai 2021 :

- A______ avait été victime d'abus sexuels de la part de son professeur de guitare lorsqu'elle était enfant (entre 11 et 13 ans), une thérapie ayant été suivie, à son arrivée à Genève, pour gérer le stress post-traumatique lié à ces abus.

- La patiente décrivait un état d'épuisement qui ne lui permettait qu'avec peine d'assumer ses tâches professionnelles, mais plus de s'occuper de ses tâches administratives et personnelles. Cet état était dû à une problématique de harcèlement professionnel de la part de son supérieur hiérarchique, B______.

- Elle avait évoqué d'emblée les violences sexuelles dont elle avait été victime, décrivant notamment le rapport sexuel susévoqué, le médecin attirant son attention sur le fait qu'il pourrait s'agir d'un viol.

Le comportement chicanier et harcelant de B______ avait continué. Sur les conseils de E______, cheffe unité design de la D______, elle avait décidé, en juin 2020, de rencontrer B______ dans un lieu public pour lui parler. Elle s'y était rendue avec F______, sa belle-sœur, qui avait été témoin de la discussion. Parallèlement, elle s'était ouverte aux ressources humaines de la D______, notamment par un entretien du 15 septembre 2020. Cela avait mené à la suspension de B______.

Celui-ci lui avait déclaré, déjà lors de leur première liaison, qu'il avait entretenu de nombreuses relations avec des femmes travaillant pour la D______.

Enfin, elle a confirmé avoir été victime d'attouchements de la part de son professeur de guitare lorsqu'elle avait entre 12 et 14 ans.

En annexe à sa plainte, elle, notamment, produit l'intégralité des messages qu'elle avait échangés avec B______ durant la période pertinente.

c. Le 12 novembre 2020, le cabinet de médiation G______, mandaté par la D______, a rendu un rapport de 119 pages faisant suite aux plaintes de A______ et de l'une de ses collègues à la D______ contre B______.

Après avoir auditionné de nombreux employés de la D______, le cabinet a constaté la divergence existant entre la version de A______ et celle de B______. Cela étant, comme l'écrivent les enquêteurs, l'absence de consentement de A______ aux comportements relevant du harcèlement commis par B______ ne pouvait être retenue, au vu de la relation ayant préexisté entre eux. Quant aux violences sexuelles, aucun élément de preuve ne permettait de corroborer les dires de A______.

À noter que la plainte de la collègue de A______ ne porte pas sur des comportements à nature sexuelle.

d. B______ a été entendu par la police le 3 novembre 2021. Il a contesté l'ensemble des faits reprochés.

Il avait entamé la relation avec A______ en 2009, après être allé boire un verre avec elle. Pour lui, c'était uniquement physique : elle ne lui avait jamais fait part de ses sentiments. La fin de leur relation en 2010 avait été décidée d'un commun accord, mais non parce que A______ avait pris connaissance de la relation stable qu'il entretenait avec une autre employée de la D______. Leur relation avait repris en 2010 ou 2011 : il lui avait proposé une relation de "sex friends" dont elle ne devait rien attendre. Elle avait été d'accord à condition qu'ils n'évoquent pas ensemble sa relation stable parallèle. Ils ne faisaient rien ensemble, à part leurs rapports sexuels, qui étaient épisodiques, soit chez elle, soit sur le lieu de travail. Il n'avait jamais exercé de pression pour qu'elle travaille, ni ne l'avait forcée à avoir des rapports sexuels de quelque sorte. Elle n'avait pas tenté de mettre un terme à leur relation en 2016 : au contraire, à cette époque, c'était la seule fois où ils étaient allés ensemble au restaurant et où elle était venue chez lui pour entretenir un rapport sexuel. Il ne l'avait jamais harcelée ; elle ne lui avait jamais fait part d'un quelconque mal-être par rapport à leur relation. Le travail était réparti équitablement entre tous ses subordonnés. S'agissant du 28 février 2019, il a contesté toute violence ou contrainte dans le rapport sexuel. Il s'était soucié d'elle lorsqu'elle était allée aux urgences. Ensuite, elle avait paru fâchée par cet épisode : ils avaient mis fin à la relation d'un commun accord en mars 2019. Il a contesté avoir refusé une augmentation de salaire à la plaignante. Il était cependant conscient qu'il s'agissait d'une personne fragile.

e. Lors de l'audience du 15 juin 2022, le Ministère public a mis en prévention B______ pour avoir :

- à tout le moins à une reprise en août 2015 et à de nombreuses reprises entre 2017 et 2019, déterminé A______ à entretenir des rapports sexuels avec lui en profitant du lien de dépendance fondé sur le fait qu'il était son supérieur hiérarchique et qu'elle n'osait pas exprimer son refus ;

- en fin d'année 2018, à plusieurs reprises, au domicile de A______, prodigué des cunnilingus à cette dernière contre sa volonté, celle-ci ayant essayé de le repousser avec ses mains, avant de feindre l'orgasme pour que cela se termine ;

- le 28 février 2019, dans la matinée, au domicile de A______, au cours d'une relation sexuelle vaginale consentie, alors qu'il était couché sur elle et lui tenait les jambes avec ses bras de sorte à la bloquer, effectué des va-et-vient avec son pénis de manière violente, alors que A______ lui demandait d'arrêter, essayant à plusieurs reprises de le repousser en appuyant avec ses deux mains sur son torse, et lui disant "nan" à plusieurs reprises, continuant la pénétration jusqu'à éjaculation.

Pendant cette audience, les médecins qui avaient reçu A______ aux urgences gynécologiques ont été entendus en qualité de témoin. Ils ne se rappelaient pas avoir vu la prénommée. Ils ont explicité l'attestation du 1er mars 2019. La bartholinite était favorisée par la consommation de tabac et toute pression mécanique (selle de vélo, rapport sexuel), voire une infection bactériologique. Elle pouvait survenir spontanément sans cause externe. Un rapport sexuel violent pouvait la favoriser. En l'occurrence, le rapport ne mentionnait pas de rapport violent ou forcé, si bien que les médecins partaient du principe que rien ne leur avait été communiqué ou que la patiente avait pu leur demander de ne pas le mentionner sur le rapport.

f. Les 6 septembre et 6 décembre 2022, les parties ont été entendues par le Ministère public.

A______ a confirmé les propos relatés dans sa plainte. Elle a, en outre, décrit qu'elle s'était rapprochée de B______ dans un moment de détresse où il l'avait prise dans ses bras. Elle a déclaré : "[U]ne relation affective a commencé pour moi". Elle était tombée amoureuse de lui. Elle avait remarqué que, si elle se rapprochait de lui, il lui disait qu'il ne l'aimait pas et que, si elle s'éloignait, il revenait vers elle. Après la pause qu'elle avait souhaitée, elle avait de nouveau ressenti de l'affection pour lui. Lors de la relation sexuelle de 2015 elle n'avait pas manifesté d'une quelconque manière qu'elle ne souhaitait pas un rapport sexuel. En 2016, lorsqu'elle avait voulu mettre un terme à leur relation, elle avait toujours de "l'affectivité" pour lui. En 2018, elle n'allait pas bien en raison de problèmes personnels avec sa mère et le père de son enfant ; elle se confiait alors à lui. Dès 2008, elle n'avait plus eu aucun autre partenaire que B______, car elle était "une femme de sentiments". Elle a affirmé que la qualité des rapports sexuels, pour elle, s'était amenuisée au fil du temps : B______ devenait de plus en plus brutal et égoïste. S'agissant des rapports dénoncés dans sa plainte, B______ pouvait comprendre qu'elle les refusait.

B______ a persisté dans ses explications, dont les éléments essentiels ressortent déjà de son audition par la police.

g. Le 5 juin 2023, le Ministère public a procédé à l'audition de H______, en qualité de témoin.

Elle avait rencontré B______ à la D______ en 1998 ou 1999. À l'été 1999, ils avaient entamé une relation qu'elle a qualifiée de "passionnelle, assez chaotique", "très sexuel[le]", ce alors que tous deux étaient mariés. Cela avait duré jusqu'en 2002. Il n'était pas violent lors des rapports sexuels, mais, à une reprise, des années plus tard, il lui avait saisi les seins, par surprise et alors qu'il était derrière elle, juste avant une séance dans les locaux de la D______. Ce "geste sexuel complétement déplacé" l'avait "surprise". Elle a aussi décrit avoir connu B______ comme quelqu'un d'apparence très calme, posée et discrète, mais qui pouvait, dans les épisodes chaotiques, se montrer menteur, notamment sur sa vie sexuelle, et capable de propos très violents. Elle pensait à un épisode datant de l'époque de leur relation où il était apparu qu'il couchait avec elle, alors qu'il était encore marié et avait une relation avec la babysitter de ses enfants à lui.

h. Le 18 juillet 2023, le Ministère public a entendu la doctoresse I______, médecin psychiatre, en qualité de témoin. Elle avait reçu A______ pour une situation de conflit du travail en septembre 2019, plus particulièrement d'un problème avec sa hiérarchie, soit B______. La patiente était en situation de détresse émotionnelle et dépressive. Elle avait pris un traitement médicamenteux pour soigner cet état. Selon l'analyse du témoin, il y avait une emprise émotionnelle au travail, assimilable à un harcèlement psychologique. Cette emprise se manifestait par des gestes d'approche (paroles tendres, intention de prendre la main) et des gestes menaçants (faire comme s'il ne s'était rien passé). En lien avec la relation sexuelle intervenue en février 2019, sa patiente manifestait des signes cliniques de stress post-traumatique : elle ne s'était pas tout de suite rendue compte de ce qu'elle subissait en raison de l'emprise émotionnelle dont elle était l'objet. Son évolution était favorable ; elle se rendait notamment aux HUG pour un suivi psychiatrique et gynécologique offert aux patients ayant subi une agression sexuelle. La témoin s'est dit convaincue que sa patiente avait subi un viol.

i. A______ a produit un rapport de bilan de consultation de psychotraumatologie du Département de santé mentale et psychiatrie des HUG, établi le 5 juillet 2022.

L'évaluation de la patiente, qui rapportait l'exposition à plusieurs événements potentiellement traumatiques dès son adolescence (abus sexuels par un professeur de guitare entre 12 ans et 14 ans, avec réactivation traumatique à l'âge de 24 ans et plainte déposée contre son agresseur "finalement relaxé", ainsi que "témoin indirect" d'assassinat durant les "années de plomb" [soit une guerre politique entre factions nationalistes corses], le plus récent consistant dans l'agression sexuelle commise par son supérieur hiérarchique), mettait en évidence un trouble de stress post-traumatique complexe. Les symptômes étaient relatifs au premier plan à l'agression sexuelle par son supérieur, mais pouvaient également être interprétés dans le cadre d'une altération persistante et généralisée de la régulation des affects, de la perception de soi et sur le plan relationnel ; ce type d'altération pouvait se retrouver à la suite de l'exposition à un ou des événements traumatiques, généralement répétitifs ou prolongés.

j. Le Ministère public a délégué à la police ou effectué lui-même les auditions, en qualité de témoins, de J______, K______, L______, M______ et N______, tous employés ou ex-employés de la D______, ainsi que de F______, belle-sœur de A______.

Il ressort en substance les éléments suivants de ces auditions.

Les témoins J______ et K______ avaient recueilli les confidences de A______ et avaient pu constater que celle-ci allait mal, notamment en raison de sa relation avec B______. A______ avait raconté à la témoin K______ que B______ la harcelait moralement et sexuellement et l'avait violée, de sorte qu'elle avait dû se rendre à l'hôpital. Les deux témoins ont relevé que B______ était "lourd" dans ses rapports avec les femmes, mais aucune d'elles n'avait connaissance de plaintes à son encontre et / ou d'un comportement répréhensible concret. Plus particulièrement, le témoin J______ s'est souvenue avoir surpris B______ avoir une relation sexuelle avec sa compagne d'alors, sur le lieu de travail, dans son bureau dont la porte était entrouverte. Elle avait rebroussé chemin et lui avait écrit un message pour lui conseiller de fermer la porte. Selon elle, il avait alors banalisé, sans s'excuser.

Le témoin L______ a déclaré que A______ lui avait fait comprendre qu'elle avait l'intention de faire "gicler" B______ et de le faire "disparaître". Elle n'avait jamais constaté de remarques ou de gestes déplacés de B______ ni à son encontre, ni à l'encontre d'une autre femme.

Le témoin M______ avait entretenu des relations sexuelles avec B______ en 2002. À ces occasions, il était "très agréable", "tendre, attentionné" et n'avait jamais été violent. Elle n'avait jamais constaté de remarques ou de comportements déplacés de celui-ci.

Le témoin N______, supérieur hiérarchique de B______, a souligné le comportement professionnel de celui-ci et l'absence d'attitudes déplacées à l'égard des femmes. Il considérait que la carrière de A______ avait été légèrement avantagée au point de vue salarial et des tâches confiées. La compagne de B______, qui était sa propre secrétaire, pouvait lire ses courriels entrants, ce qui faisait partie de ses fonctions.

Enfin, le témoin F______ avait pu constater le mal-être de A______ durant sa relation avec B______, ce dès 2013, mais il y avait eu aussi des périodes où tout allait bien. Elle avait aussi pu voir à quel point les messages de B______ au sujet du télétravail la faisaient souffrir. Aujourd'hui, sa belle-sœur souffrait de séquelles importantes qui l'empêchaient d'avoir une vie normale et vivait dans la peur. A______ lui avait dit qu'elle avait été violée, mais elle ne se souvenait plus quand elle lui en avait parlé.

k. Par avis de prochaine clôture du 7 mai 2024, le Ministère public a informé les parties de ce qu'il entendait rendre une ordonnance de classement.

Dans le délai imparti, les parties ont renoncé à former des réquisitions de preuves et ont sollicité des indemnités.

C. À teneur de la décision querellée, le Ministère public a considéré que l'ancien droit en matière de viol et de contrainte sexuelle en vigueur avant le 1er juillet 2024 était applicable aux faits dénoncés. Ceux-ci s'étaient déroulés à huis clos, en l'absence de témoin ; les versions des parties étaient opposées. Aucun acte d'enquête supplémentaire ne paraissait envisageable. Par ailleurs, les messages échangés entre les parties interpelaient en ce que A______ se montrait affectueuse et enjouée, alors que ces messages étaient postérieurs aux faits dénoncés. Elle avait d'ailleurs accepté d'entretenir des rapports sexuels après que, selon ses dires, elle y aurait été contrainte. S'agissant des cunnilingus prodigués, selon la plaignante, contre sa volonté, rien ne permettait de retenir que B______ pouvait comprendre qu'elle les refusait. Les attestations médicales ne permettaient pas de privilégier une version plutôt qu'une autre : même l'attestation des HUG faisant état d'un syndrome de stress post-traumatique ne permettait pas de lier ce trouble aux faits dénoncés, puisque A______ avait vécu d'autres expériences pouvant l'expliquer. Enfin, l'intéressée avait déposé sa plainte après que B______ l'avait fait contre elle pour diffamation et calomnie. Ainsi, aucune prévention suffisante de viol ou contrainte sexuelle n'existait.

S'agissant ensuite de l'abus de détresse, les parties avaient entretenu une relation intime consentie qui avait duré près de dix ans, sans que le prévenu n'ait usé de sa position hiérarchique pour déterminer A______ à lui accorder des faveurs sexuelles. Il y avait eu des pauses dans cette relation, à l'initiative de A______, sans que B______ n'exerce de pressions sur elle. Son consentement avait donc été donné librement, si bien qu'il ne pouvait être question d'un abus de détresse.

D. a. Dans son recours, A______ remet en cause l'appréciation des faits par le Ministère public, qui avait omis de prendre en compte des circonstances qu'elle avait exposées, ainsi que des éléments affaiblissant la crédibilité du prévenu et ressortant des certificats médicaux et des auditions des témoins. En droit, elle reproche au Ministère public d'avoir violé le principe in dubio pro duriore en rendant l'ordonnance de classement.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 90 al. 2 cum 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de classement, sujette à contestation devant la Chambre de céans (art. 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les infractions dénoncées par ses soins (art. 115 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir classé les faits constitutifs d'infraction à l'intégrité sexuelle qu'elle a dénoncés.

3.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s'interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe précité impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2). L'autorité de recours ne saurait ainsi confirmer un classement au seul motif qu'une condamnation n'apparaît pas plus probable qu'un acquittement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 2; 6B_258/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2.2). Il peut néanmoins être renoncé à une mise en accusation si la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs, ou lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).

3.2. Selon l'art. 190 CP, qui réprime le viol, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er juillet 2024, quiconque, contre la volonté d'une personne, commet sur elle ou lui fait commettre l'acte sexuel ou un acte analogue qui implique une pénétration du corps ou profite à cette fin d'un état de sidération d'une personne, est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus (al. 1). Selon l'al. 2 de cette disposition, quiconque, notamment en usant de menace ou de violence à l'égard d'une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister, la contraint à commettre ou à subir l'acte sexuel ou un acte analogue qui implique une pénétration du corps, est puni d'une peine privative de liberté d'un à dix ans.

La teneur de l'art. 190 al. 1 aCP en vigueur jusqu'au 30 juin 2024 était : "Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de un à dix ans".

L'art. 190 aCP tendait à protéger la libre détermination en matière sexuelle (ATF 131 IV 167 consid. 3 ; 122 IV 97 consid. 2b), en réprimant l'usage de la contrainte aux fins d'amener une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel, par lequel on entendait l'union naturelle des parties génitales d'un homme et d'une femme. Pour qu'il y eût contrainte en matière sexuelle, il fallait que la victime ne fût pas consentante, que l'auteur le sût ou acceptât cette éventualité et qu'il passât outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace (ATF 122 IV 97 consid. 2b). L'art. 190 CP ne protégeait des atteintes à la libre détermination en matière sexuelle que pour autant que l'auteur ait surmonté ou déjoué la résistance que l'on pouvait raisonnablement attendre de la victime (ATF 148 IV 234 consid. 3.3 ; 133 IV 49 consid. 4 et l'arrêt cité).

Le viol et la contrainte sexuelle supposaient ainsi l'emploi d'un moyen de contrainte. Il s'agissait notamment de l'usage de la violence. La violence désigne l'emploi volontaire de la force physique sur la personne de la victime dans le but de la faire céder (ATF 122 IV 97 consid. 2b). Il n'était pas nécessaire que la victime fût mise hors d'état de résister ou que l'auteur la maltraitât physiquement. Une certaine intensité était néanmoins requise. La violence supposait non pas n'importe quel emploi de la force physique, mais une application de cette force plus intense que ne l'exigeait l'accomplissement de l'acte dans les circonstances ordinaires de la vie. Selon le degré de résistance de la victime ou encore en raison de la surprise ou de l'effroi qu'elle ressentait, un effort simplement inhabituel de l'auteur pouvait la contraindre à se soumettre contre son gré (ATF 87 IV 66 consid. 1). Selon les circonstances, un déploiement de force relativement faible pouvait suffire. Ainsi, pouvait déjà suffire le fait de maintenir la victime avec la force de son corps, de la renverser à terre, de lui arracher ses habits ou de lui tordre un bras derrière le dos (ATF 148 IV 234 consid. 3.3).

En introduisant par ailleurs la notion de "pressions psychiques", le législateur avait voulu viser les cas où la victime se trouvait dans une situation sans espoir, sans pour autant que l'auteur eût recouru à la force physique ou à la violence. Les pressions d'ordre psychique concernaient les cas où l'auteur provoquait chez la victime des effets d'ordre psychique, tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder (ATF 128 IV 106 consid. 3a/bb ; ATF 122 IV 97 consid. 2b). En cas de pressions d'ordre psychique, il n'était pas nécessaire que la victime eût été mise hors d'état de résister (ATF 124 IV 154 consid. 3b). La pression psychique générée par l'auteur et son effet sur la victime devaient néanmoins atteindre une intensité particulière (ATF 131 IV 167 consid. 3.1 et les références citées). Pour déterminer si l'on se trouvait en présence d'une contrainte sexuelle, il fallait procéder à une appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes (ATF
148 IV 234 consid. 3.3 ; 131 IV 107 consid. 2.2).

Selon le nouveau droit, la notion de "contrainte" est abandonnée, ce qui implique une extension considérable du champ d'application de l'art. 190 CP. Cette modification relevait de la compétence du législateur, en vertu du principe de la légalité (C. PERRIER DEPEURSINGE / J. ARNAL, Révision du viol en droit suisse, in RPS 142/2024 p. 21 et suivantes, p. 26 ; M. MAZOU / F. BURGENER, La pratique judiciaire du Tribunal fédéral en 2021 et 2022 en matière de droit pénal matériel, JdT 2023 IV p. 327 et suivantes, p. 340).

3.3. L'art. 189 CP en vigueur depuis le 1er juillet 2024 prévoit que quiconque, contre la volonté d'une personne, commet sur elle ou lui fait commettre un acte d'ordre sexuel ou profite à cette fin d'un état de sidération d'une personne, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1) et que quiconque, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister, la contraint à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel, est puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 2).

Cette disposition avait elle aussi une teneur différente jusqu'au 30 juin 2024 : "Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister l'aura contrainte à subir un acte analogue à l'acte sexuel ou un autre acte d'ordre sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire".

3.4. Conformément à l'art. 193 al. 1 CP, quiconque, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail ou d'un lien de dépendance de toute autre nature, détermine celle‑ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

La question de savoir s'il existe un état de détresse ou un lien de dépendance au sens de l'art. 193 CP et si la capacité de la victime de se déterminer était gravement limitée doit être examinée à la lumière des circonstances du cas d'espèce (ATF 131 IV 114 consid. 1). La situation de détresse ou de dépendance doit être appréciée selon la représentation que s'en font les intéressés (cf. ATF 99 IV 161 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_895/2020 du 4 février 2021 consid. 2.4.1 et les références citées). L'art. 193 CP est réservé aux cas où l'on discerne un consentement. Il faut que ce consentement apparaisse motivé par la situation de détresse ou de dépendance dans laquelle se trouve sa victime. Il doit exister une certaine entrave au libre arbitre. L'art. 193 CP envisage donc une situation qui se situe entre l'absence de consentement et le libre consentement qui exclut toute infraction. On vise un consentement altéré par une situation de détresse ou de dépendance dont l'auteur profite. Les limites ne sont pas toujours faciles à tracer. L'infraction doit permettre de réprimer celui qui profite de façon éhontée d'une situation de détresse ou de dépendance, dans un cas où la victime n'aurait manifestement pas consenti sans cette situation particulière (arrêts du Tribunal fédéral 6B_895/2020 précité consid. 2.4.1 et les arrêts cités et 6B_457/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1).  

Selon la jurisprudence, l'infraction d'abus de la détresse n'est pas réalisée si la femme concernée n'a pas consenti à un rapport sexuel en raison de la dépendance, mais pour d'autres raisons, ou si elle en a pris l'initiative (ATF 124 IV 13 consid. 2c). Le Tribunal fédéral a ainsi exclu le lien de dépendance entre un thérapeute et sa patiente en constatant que les relations sexuelles n'étaient pas intervenues à l'initiative du prévenu, mais de la patiente, qui avait entrepris de manipuler et de séduire son thérapeute à cette fin, et qu'elles s'étaient produites parce que le prévenu, par faiblesse, n'avait pas su repousser les avances de la patiente, et non pas parce que cette dernière, en raison du lien thérapeutique, aurait été déterminée à les subir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1307/2020 du 19 juillet 2021 consid. 1.6.1).

Entre en revanche dans le champ d'application de l'art. 193 al. 1 CP, la situation où une employée est contrainte de subir des actes sexuels par un contremaître qui est habilité, dans l'entreprise, à déterminer le nombre de personnes nécessaires à l'exécution du travail et qui décide sur quel chantier les employés doivent travailler. Le contremaître avait en l'occurrence la possibilité d'influer sur les perspectives d'obtenir du travail de l'employée, qui en avait besoin, et en était de surcroît le chef. L'employée, étrangère peu au courant des usages du travail en Suisse, avait été isolée sur un chantier, malgré son refus d'accomplir des actes sexuels avec le contremaître, et avait été déterminée à s'exécuter par les remarques de celui-ci sur sa position dirigeante, sur l'obligation de lui obéir et sur le besoin de travail de l'employée qu'il connaissait (arrêt du Tribunal fédéral 6B_895/2020 du 4 février 2021 consid. 2.3).

3.5. En l'espèce, la recourante ne structure pas son exposé en droit en fonction des infractions qu'elle reproche au prévenu, mais énonce successivement des griefs juridiques généraux. Il y a lieu de regrouper ceux-ci en lien avec les infractions susévoquées qui, seules, entrent en considération.

3.6. S'agissant des faits susceptibles d'être qualifiés de viol, voire de contrainte sexuelle, soit des rapports sexuels lors desquels la recourante affirme qu'une contrainte aurait été exercée sur elle, ainsi que des cunnilingus subis contre sa volonté, les anciens art. 190 et 189 aCP entrent en considérant au vu de la date des faits dénoncés et en application du principe de la lex mitior.

3.6.1. Les constatations du Ministère public, selon lequel les faits se sont déroulés en l'absence de témoins et aucun élément de preuve objectif n'est disponible, sont exactes et incontestées.

La recourante se plaint toutefois que le Ministère public aurait insuffisamment tenu compte des certificats médicaux qu'elle avait produits, y compris celui de sa psychiatre.

S'agissant en premier lieu des certificats établis par les urgences gynécologiques, ceux-ci font certes état d'altérations touchant ses organes génitaux. Cela étant, et l'audition des médecins concernés le confirme, rien ne permet de rattacher ces altérations à des violences sexuelles, qui n'ont d'ailleurs pas été évoquées par la recourante devant les médecins. Comme ceux-ci l'ont souligné, l'état de la patiente pouvait s'expliquer par la consommation de tabac, une pression même non soutenue sur les organes génitaux (comme la pratique du vélo) ou une infection bactériologique. Il s'ensuit que les constatations des médecins urgentistes sont neutres sur ce point, puisqu'elles auraient été les mêmes en présence de rapports sexuels consentis.

Quant à l'attestation du médecin psychiatre, que la recourante ne mentionne pas dans ses griefs en droit, elle repose, naturellement, sur le récit de la recourante, sans être corroborée par des éléments objectifs, et n'apporte pas d'éléments concrets qui permettraient d'étayer les accusations portées contre le prévenu. Certes, ce médecin s'est dit convaincu que sa patiente avait subi un viol, mais cela ne permet pas encore d'objectiver le récit de celle-ci. Les spécialistes des HUG ont quant à eux mis en évidence un trouble complexe qui pouvait résulter d'une altération persistante et généralisée de la régulation des affects, de la perception de soi et sur le plan relationnel, trouble qui pouvait recevoir plusieurs interprétations, mais non exclusivement celle d'un rapport sexuel non consenti avec le prévenu.

Ainsi, les rapports médicaux produits ne sont pas objectivement à même d'appuyer le récit de la recourante.

3.6.2. Le Ministère public a ensuite retenu que les versions des deux parties étaient contradictoires : le prévenu avait été constant dans ses déclarations, mais celles de la recourante devaient être appréciées avec précaution, au vu de son attitude ambivalente (soit les échanges de messages électroniques intervenus entre les parties et l'ambiguïté de ses propos au sujet des cunnilingus).

La recourante conteste que le prévenu ait été crédible et constant.

Selon la recourante, le Ministère public avait omis de tenir compte d'autres comportements commis par le prévenu au préjudice d'employées de la D______, qui révélaient sa personnalité et son attitude inadmissible à l'égard des femmes.

Sur ce point, il est en effet établi que le prévenu avait une propension à nouer ou tenter de nouer des relations intimes sur son lieu de travail. La recourante fait plus particulièrement référence à deux comportements précis liés à deux employées : le prévenu aurait saisi par surprise les seins de l'une par derrière, ce alors que leur relation intime était terminée, et il aurait entretenu une relation sexuelle avec la seconde, alors que la porte de son bureau était entrouverte.

S'agissant de la première, le comportement du prévenu, s'il était avéré, soit de se saisir des seins d'une femme sans son consentement, serait problématique. Cette constatation est toutefois tempérée par le fait que la personne visée a affirmé, lorsqu'elle a été entendue comme témoin par le Ministère public, que le recourant ne s'était jamais montré violent lors de leurs rapports sexuels. Ainsi, il n'apparaît pas que ce comportement inadéquat entre deux anciens amants soit de nature à étayer le récit de la recourante ou à démontrer, comme elle le sous-entend, une propension à la violence chez le prévenu.

S'agissant de la seconde, le raisonnement est mutatis mutandis le même : il apparaît incongru d'établir un rapport entre le fait que le recourant ait pu entretenir une relation sexuelle – consentie – porte ouverte sur son lieu de travail et le récit de violences sexuelles de la recourante.

Ces éléments ne sont donc pas de nature à étayer la position de la recourante.

Ensuite, selon la recourante, la crédibilité du prévenu était écornée parce qu'il aurait menti en déclarant ne pas s'être rendu compte que la recourante était amoureuse de lui et en refusant de collaborer en s'abstenant de dire s'il était problématique d'entretenir une relation intime avec une subordonnée ou quels étaient les noms de toutes ses "conquêtes" travaillant pour le même employeur.

L'argument selon lequel le prévenu aurait menti en déclarant qu'il ne s'était pas rendu compte de l'amour que lui avait porté la recourante est peu compréhensible. Lorsque de tels sentiments sont en cause, il est délicat d'affirmer ce dont aurait dû se rendre compte le partenaire. En tous les cas, au vu des éléments disponibles, il ne peut être retenu que le prévenu aurait menti sur ce point.

Il en va de même de sa réponse à la question de savoir s'il était problématique d'entretenir une relation intime avec une subordonnée ou de son refus de donner la liste des personnes avec qui il avait entretenu une telle relation au sein de la D______. D'une part, il n'est pas interdit par la loi pénale d'entretenir une relation intime avec une subordonnée, de sorte que, sur cette question essentiellement éthique, les opinions peuvent diverger. En tout état, le comportement du prévenu montre qu'il n'avait pas de réserve sur ce plan, de sorte que sa réponse verbale apparaît sans pertinence. Quant à l'éventuelle liste des personnes avec lesquelles il aurait eu des relations sexuelles, elle n'apparaît, elle aussi, pas relevante, en ce que deux d'entre elles ont été entendues sans apporter d'éléments probants. Ainsi, la crédibilité du prévenu n'est pas remise en cause par ces circonstances.

Le prévenu a donc été invariable dans ses explications et il n'apparaît pas que ses récits successifs aient montré des différences rendant ses dénégations suspectes. La recourante ne pointe d'ailleurs aucune contradiction qui émaillerait ses dépositions. Enfin, le simple fait qu'un témoin ait évoqué un épisode datant de près de vingt ans auparavant, lors duquel le prévenu avait menti et tenu des propos violents, est sans incidence.

Il est exact que le récit de la recourante est constant, mais tel est le cas aussi de celui du prévenu. S'agissant de la crédibilité du récit de la recourante, celle-ci fait grief au Ministère public d'avoir omis qu'elle avait suivi une thérapie concernant les abus dont elle avait été victime enfant, ainsi que d'avoir passé sous silence les gestes et les pleurs qu'elle avait montrés en audience lors du récit des faits dénoncés. Ces deux éléments n'apparaissent toutefois pas pertinents : les abus dont elle a été victime dans son enfance sont mentionnés dans le rapport médical du 5 juillet 2022 des HUG comme la potentielle origine du syndrome de stress post-traumatique constaté et les gestes et pleurs ne peuvent être pris comme des éléments objectifs étayant son récit. Il n'en va pas différemment du fait qu'elle ait partagé son récit avec des tiers : il faut dans ce cadre souligner que l'un des témoins entendus a mentionné que la recourante avait manifesté sa volonté de nuire au prévenu, ce qui affaiblit sa crédibilité.

Ainsi, les deux versions contradictoires des parties sont incompatibles, étant précisé que celle de la recourante est légèrement moins crédible.

3.6.3. Finalement, la recourante soutient que le fait que sa plainte pénale ait été déposée en réponse à celle du prévenu pour diffamation et calomnie prouvait qu'elle n'avait aucune intention de lui nuire, mais agissait pour se défendre.

Les circonstances du dépôt de la plainte ne paraissent pas propres à faire apparaître comme plus crédible l'une ou l'autre des versions des parties, de sorte qu'elles sont sans incidence réelle sur leur appréciation. En tout état, le fait d'avoir attendu d'être visée par une plainte pour diffamation pour dénoncer pénalement certains faits n'est pas pour renforcer la crédibilité de la recourante.

3.7. Par conséquent, s'agissant des infractions de viol et de contrainte sexuelle, le raisonnement du Ministère public peut être confirmé. En résumé, aucun élément objectif ne vient appuyer les dires de la plaignante, puisque, notamment, les certificats médicaux qu'elle a produits ne contiennent pas de constatations relatives à des violences sexuelles de la part du prévenu. Quant aux témoins entendus, aucun d'entre eux n'a assisté aux faits reprochés et ils ne pouvaient donc que rapporter les propos entendus. Aucun élément de preuve supplémentaire n'est suggéré par la recourante, ni disponible. Il en découle que les versions des parties sont irréductiblement contradictoires et que l'on se trouve donc dans la situation exceptionnelle où un classement se justifie.

3.8. Concernant l'infraction d'abus de détresse, la recourante fait grief au Ministère public de n'avoir pas suffisamment tenu compte des rapports hiérarchiques qui existaient entre elle et le prévenu, plus particulièrement en lien avec la compagne de celui-ci, au motif qu'en tant qu'assistante du supérieur hiérarchique direct du prévenu, dite compagne avait pour tâche de répondre au téléphone et de lire les courriels qui parvenaient à ce supérieur. La recourante considère dès lors n'avoir pas été en mesure de se plaindre du comportement du prévenu au chef de celui-ci. En outre, l'ambiance au sein de la D______ était propice à ce genre de comportements.

Ces griefs peuvent d'emblée être écartés dans la mesure où, comme l'a prouvé le déroulement des événements, la taille de l'entreprise offrait à la recourante des possibilités plus larges de dénoncer un comportement dont elle aurait été victime que de se tourner vers le seul supérieur hiérarchique du prévenu. Ainsi, la recourante a dénoncé celui-ci aux ressources humaines de leur commun employeur : rien n'indique qu'elle en aurait été empêchée à aucun moment de leur relation. Puis, la D______ a immédiatement pris des mesures en diligentant une enquête interne : de toute manière, le prévenu ne saurait être tenu responsable de l'ambiance globale régnant dans l'entreprise.

En tout état, il peut être renvoyé au raisonnement du Ministère public sur ce point, qui n'est pas critiqué, par ailleurs, par la recourante. Ainsi, il a été retenu à bon droit que la recourante et le prévenu ont entamé une relation intime sur le lieu de travail, et que la recourante y a librement consenti, se disant même "amoureuse" du prévenu. En audience, elle a insisté sur les liens affectifs qui l'unissaient au prévenu, ce qui est incompatible avec un abus de la position hiérarchique de celui-ci, assimilable à de la contrainte. Qu'elle ait été "fragile" est sans incidence, puisque tout abus de la position hiérarchique est exclu. La presque totalité des relations sexuelles régulières qu'elle a entretenues n'a pas fait l'objet de plaintes de la recourante, car consenties et voulues par celle-ci. La recourante a par ailleurs interrompu leur liaison, sans faire état de mesures de rétorsion du prévenu. S'il est exact qu'ils étaient situés dans une même ligne hiérarchique, rien dans le dossier ne permet de retenir que le prévenu en aurait abusé pour parvenir à ses fins.

Comme cela ressort des constats des spécialistes en psychiatrie recueillis par le Ministère public, les troubles et symptômes de stress post-traumatique ne pouvaient pas être rattachés avec clarté aux faits objets de la plainte pénale. En effet, les gestes décrits par la psychiatre comme du harcèlement psychologique, soit l'alternance de gestes d'approche et de gestes menaçants, ne remplissent pas les conditions d'une infraction pénale. Tout au plus peut-on retenir que, selon cette spécialiste, l'emprise subie expliquerait le délai pris pour déposer la plainte pénale.

Il en découle qu'ici encore, aucun élément objectif ne vient étayer l'existence d'une infraction d'abus de détresse.

Ainsi, la commission d'une infraction à l'art. 193 al. 1 CP est exclue.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10824/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00