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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19362/2023

ACPR/9/2025 du 07.01.2025 sur OMP/20421/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RELATION DE CONFIANCE;TÉMOIN;AUDITION OU INTERROGATOIRE;TIERS APPELÉ À FOURNIR DES RENSEIGNEMENTS
Normes : CPP.116; CPP.152

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19362/2023 ACPR/9/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 7 janvier 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Jeremy CARRAT, avocat, CANONICA & Associés, rue François-Bellot 2, 1206 Genève,

recourant,

 

contre la décision rendue le 1er octobre 2024 par le Ministère public,

 

et

B______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 7 octobre 2024, A______ recourt contre la décision du 1er précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a confirmé son choix d'entendre C______, en qualité de témoin.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit fait interdiction au Ministère public d'auditionner C______.

b. Par ordonnance du 8 octobre 2024, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a accordé l'effet suspensif sollicité (OCRP/54/2024).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 9 juin 2023, B______, née le ______ 1927, s'est présentée à la police pour déposer plainte.

En substance, deux individus étaient venus lui réclamer des sommes importantes pour des travaux dont elle n'avait aucun souvenir. Elle n'avait été ni menacée, ni violentée. Sa nièce, C______, lui avait conseillé de dénoncer ces faits.

Le procès-verbal de l'audition mentionne qu'elle était accompagnée de C______, en qualité de "personne de confiance".

b. Par la suite et sur la base des investigations policières, le Ministère public a, le 8 septembre 2023, prononcé une ordonnance pénale contre A______, le déclarant coupable d'usure, de concert avec D______, pour les faits dénoncés par B______.

A______ y a formé opposition.

c. Par avis de prochaine clôture partielle de l'instruction, du 16 janvier 2024, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer les faits vis-à-vis de D______.

d. Le 25 janvier 2024, le Ministère public a reçu un courrier signé par B______ mais qui comprend aussi, en bas de page, le nom de C______, et est rédigé en grande partie à la première personne du pluriel.

Ledit courrier, qui fait suite à l'avis du Ministère public de classer partiellement la procédure l'égard de D______, comporte, entre autre, le passage suivant:

"Nous ne savons pas qui a fait quoi entre les deux individus mais ce sont pour ces raisons que nous demandons que madame B______ soit remboursée de l'argent extorqué soit SIX MILLE FRANCS".

e. Le 6 août 2024, le Ministère public a avisé A______ de la tenue d'une audience le 30 octobre suivant, à l'occasion de laquelle C______ serait entendue en qualité de témoin.

f. Par courrier du 10 septembre 2024, A______ s'est opposé à cette audition et a sollicité du Ministère public, en cas de refus d'annulation de l'audience, une décision sujette à recours.

C. Dans la décision déférée, le Ministère public retient que dès lors que C______ ne pouvait pas être auditionnée en qualité de personne appelée à donner des renseignements (ci-après: PADR), puisque que la personne de confiance ne figurait pas parmi les hypothèses visées à l'art. 178 CPP et que l'intéressée n'était par ailleurs pas prévenue, elle devait "nécessairement être auditionnée en qualité de témoin". La procédure pénale suisse n'excluait "jamais l'audition d'une personne susceptible de contribuer à l'enquête au motif qu'elle aurait eu, par ailleurs, un rôle préalable dans la procédure ou qu'elle ait tenu un statut particulier dans la vie de l'une ou l'autre des parties". En tout état, en supposant que la qualité de témoin devait être exclue pour une personne de confiance, C______ pourrait "être entendue en qualité de PADR".

D. a. Dans son recours, A______ rappelle que la personne de confiance est confinée à un rôle passif dans la procédure, excluant toute implication dans le cadre de celle-ci. C______ ayant accompagné à ce titre B______ lors du dépôt de plainte et l'ayant conseillée sur ses droits procéduraux, elle ne pouvait pas être auditionnée, que ce soit en qualité de témoin ou de PADR. Il existait en effet un risque concret que les éléments portés à sa connaissance en sa qualité de personne de confiance altèrent, voire faussent ses déclarations.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ACPR/359/2024 du 15 mai 2024 consid. 1.3.1 et les références citées) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.1).

2.             Il sied, en premier lieu, de définir la "personne de confiance" au sens du CPP.

2.1. On entend par victime le lésé qui, du fait d'une infraction, a subi une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (art. 116 al. 1 CPP).

2.2. La victime jouit de droits particuliers, notamment de se faire accompagner, pour tous les actes de procédure, par une personne de confiance (art. 117 al. 1 let. b et art. 152 al. 2 CPP).

2.3. En l'espèce, les faits dénoncés portent exclusivement sur le patrimoine de la plaignante, qui a expressément exclu toute atteinte à son intégrité physique. Il s'ensuit que l'intéressée ne revêt pas la qualité de victime au sens du CPP. Partant, c'est à tort qu'elle a bénéficié, en dépit de son âge, de l'accompagnement d'une "personne de confiance", soit en l'occurrence sa nièce, lors du dépôt de sa plainte.

Cela étant, dans la mesure où la nièce de la plaignante a assisté à l'audition de celle-ci à la police, se pose alors la question de savoir si elle peut désormais être entendue par le Ministère public.

3.             3.1. Le rôle de la personne de confiance est d'apporter un soutien moral à la victime durant toute la procédure pénale. Elle peut être un proche, un familier ou encore un collaborateur d'un centre LAVI. Son rôle est purement passif. Elle ne peut pas être une personne impliquée dans la procédure. Ce rôle est ainsi exclu pour un témoin ou une personne appelée à donner des renseignements (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 157; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2016, n. 4 ad art. 152).

3.2. On entend par témoin toute personne qui n'a pas participé à l'infraction, qui est susceptible de faire des déclarations utiles à l'élucidation des faits et qui n'est pas entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements (art. 162 CPP).

D'un point de vue juridique, n'importe qui peut, en principe, être témoin (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 7 ad art. 162). Il en va ainsi par exemple du lésé qui ne s'est pas constitué partie plaignante (art. 166 al. 1 CPP). Il n'y a pas non plus d'incompatibilité absolue entre la défense et le témoignage, puisque l'avocat du prévenu peut être témoin, de même que l'avocat de la partie plaignante (arrêt du Tribunal fédéral 1B_584/2022 du 25 avril 2023 consid. 3.3).

3.3. Selon l'art. 178 CPP, est entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, quiconque s'est constitué partie plaignante (let. a); n'a pas encore quinze ans au moment de l'audition (let. b); n’est pas en mesure de comprendre pleinement la déposition d’un témoin en raison d’une capacité de discernement restreinte (let. c); sans être soi-même prévenu, pourrait s’avérer être soit l’auteur des faits à élucider ou d’une infraction connexe, soit un participant à ces actes (let. d); doit être interrogé comme co-prévenu sur un fait punissable qui ne lui est pas imputé (let. e); a le statut de prévenu dans une autre procédure, en raison d’une infraction qui a un rapport avec les infractions à élucider (let. f); a été ou pourrait être désigné représentant de l’entreprise dans une procédure dirigée contre celle-ci, ainsi que ses collaborateurs (let. g).

La définition des personnes appelées à donner des renseignements est exhaustive. Cela implique que toute personne ne répondant pas à l'une des catégories énumérées aux lettres (a) à (g) de cette disposition et n'ayant pas le statut de prévenu est entendue comme témoin (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 8 ad art. 178).

3.4. En l'espèce, comme retenu plus haut (consid 2.3), c'est à tort que la nièce de la plaignante a accompagné celle-ci, à titre de "personne de confiance", lors du dépôt de la plainte contre le recourant.

Certes, la doctrine citée supra exclut qu'une personne entendue comme témoin ou PADR puisse revêtir la qualité de personne de confiance. L'inverse – soit lorsqu'un tiers a assisté à une audience en qualité de personne de confiance et est ensuite susceptible d'être entendu à son tour – ne semble toutefois pas avoir été tranché de manière claire par la jurisprudence.

Une telle exclusion se heurterait toutefois au principe selon lequel quiconque peut être, a priori, entendu en qualité de témoin, pour autant qu'il n'est pas prévenu ou qu'il ne doit pas être entendu en qualité de PADR.

Selon la pratique de la Chambre de céans et de la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice, l'audition d'une personne de confiance n'est pas d'emblée exclue. Il a plutôt été question de déterminer si un tel témoignage présentait les signes d'une déposition partiale (cf. ACPR/437/2012 du 15 octobre 2012 consid. 3.2; ACPR/406/2012 du 28 septembre 2012 consid. 3.2; AARP/99/2023 du 24 mars 2023 consid. 2.2 non remis en cause dans l'arrêt du Tribunal fédéral 7B_108/2023 du 11 septembre 2024).

Cette solution paraît devoir être adoptée pour le cas d'espèce.

En effet, si même l'avocat d'une partie plaignante ou d'un prévenu peut – sous réserve de son droit de refuser de s'exprimer – être entendu en qualité de témoin dans une procédure impliquant son client, on ne voit pas qu'il y aurait lieu d'interdire d'emblée l'audition comme témoin d'un tiers ayant accompagné préalablement une partie plaignante en qualité de personne de confiance.

La question de l'éventuelle partialité de C______ sera évaluée par le Ministère public puis, cas échéant, par le juge du fond. Le prévenu n'encourt ainsi pas de préjudice particulier au regard de ses droits procéduraux et n'en fait d'ailleurs valoir aucun.

En définitive, l'audition de C______ ne saurait être exclue et pourra donc avoir lieu, sous réserves de l'appréciation ultérieure de son témoignage, au vu de la situation particulière qui est la sienne.

4.             Justifiée, la décision déférée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère infondé, pouvait être d'emblée traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil), à B______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19362/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

705.00

Total

CHF

800.00