Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/953/2024 du 18.12.2024 sur ONMMP/3910/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/7192/2024 ACPR/953/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 18 décembre 2024 |
Entre
A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______,
tous représentés par Me Razi ABDERRAHIM, avocat, RIVE AVOCATS, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève,
recourants,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 septembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 23 septembre 2024, A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______ recourent contre l'ordonnance du 6 septembre 2024, notifiée le 11 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte du 18 mars 2024 contre N______.
Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction.
b. Ils ont versé les sûretés en CHF 1'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. le 18 mars 2024, A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______, composant l'hoirie de feu O______, ont déposé plainte pénale contre N______ pour faux dans les titres et escroquerie.
En substance, feu O______ était décédé le ______ 2014. N______, fille du défunt, avait fait établir en 2014 une "frédha" [acte de succession algérien], qui excluait deux de ses sœurs prédécédées de la succession. Toutefois, d'autres membres de la famille avaient assuré aux enfants de ces dernières qu'ils recevraient leur part d'héritage.
Faisant usage de cette "frédha" et des procurations que feu O______ lui avait remises de son vivant, N______ s'était rendue auprès de la société P______ SA (ci-après : P______) située à Genève pour faire distribuer les avoir disponibles aux héritiers, excluant cependant les enfants des sœurs prédécédées du partage.
À la suite d'une action du 23 février 2015, le Tribunal algérien de Q______ avait annulé, par décision du 23 juin 2015, la "frédha" précitée et mandaté un notaire qui avait établi un acte de succession contradictoire le 13 novembre 2016, incluant tous les enfants des sœurs prédécédées. Ce jugement avait été confirmé par le Tribunal de Q______, puis par la Cour suprême de R______.
Le 14 décembre 2020, A______ avait déposé une plainte pénale en Algérie contre N______ pour détournement de biens successoraux par moyens frauduleux.
Le 5 avril 2023, la Cour de R______ du Tribunal de Q______ avait notamment reconnu N______ coupable de détournement de biens successoraux avant partage et l'avait condamnée à six mois de prison ferme ainsi qu'à une amende de DZD 50'000.-. Il avait notamment été retenu que la précitée avait fait usage en Suisse, auprès de P______, de la "frédha" annulée, pour obtenir des avantages indus, au détriment de ses cohéritiers qui en avaient été initialement exclus. Un courrier avait été adressé à la banque suisse pour l'informer qu'il existait plusieurs procurations et que la gestion du compte était litigieuse, mais cette dernière n'en avait pas tenu compte.
b. Par courrier du 3 juin 2024, le Ministère public a invité P______ à lui communiquer diverses informations complémentaires, ce qu'elle a fait le 19 juin 2024.
Elle a alors indiqué avoir reçu l'acte de "frédha" litigieux le 8 septembre 2014 par l'intermédiaire d'un avocat. Ce dernier avait ensuite transmis, par courriel du 23 septembre 2014, une liste des héritiers et leurs coordonnées bancaires et, sur la base de ses instructions, dans lesquelles il était précisé que l'acte intitulé "frédha" était contesté par certains héritiers, elle avait procédé aux virements en faveur de ces derniers.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a premièrement retenu que le complexe de faits faisait déjà l'objet d'une poursuite pénale de la part d'une autorité étrangère, en Algérie, et que N______ y avait été condamnée pour détournement de succession avant son partage. L'acte de succession de 2014 avait au demeurant été annulé le 23 juin 2015 par le Tribunal algérien de Q______, soit après la distribution des avoirs.
De plus, cet acte paraissait refléter la position de certains héritiers, qui affirmaient que certains dons auraient été effectués du vivant du défunt, qu'un litige civil complexe et d'envergure les opposait aux plaignants. Or, il ne lui appartenait pas d'intervenir dans un litige de nature purement civile, en vertu du principe de la subsidiarité du droit pénal.
Enfin, il ne ressortait aucunement du dossier que la transmission de l'acte de succession à la société P______ eût été le fait de la mise en cause, étant précisé qu'il avait été transmis à la société par un avocat avec la mention que ledit acte était contesté par certains héritiers. Les éléments constitutifs de l'usage de faux et d'escroqueries n'étaient ainsi pas réalisés.
D. a. Dans son recours, l'hoirie de feu O______ a fait valoir que la procédure pénale en Algérie ne portait pas sur le même complexe de faits que celui dont il était question dans la plainte pénale du 18 mars 2024. En effet, la procédure introduite en Suisse visait uniquement les avoirs qui avaient été partagés par la société P______ et la justice pénale algérienne n'était manifestement pas compétente pour juger de ces faits.
De plus, aucun litige civil n'était actuellement en cours, de sorte que l'ordonnance de non-entrée en matière ne pouvait être justifiée par le principe de la subsidiarité du droit pénal.
Le fait que la "frédha" ait été annulée postérieurement aux versement par P______ n'était de plus pas pertinent, puisque tous les héritiers savaient que ce document était contesté. Le Ministère public aurait dû, au contraire, ouvrir une instruction à l'encontre de la société pour gestion déloyale, puisque cette dernière avait été informée de ce qui précédait.
L'audition de N______ était enfin facilement réalisable, cette dernière vivant en Suisse.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
2. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
Cependant, en tant que la recourante reproche au Ministère public de ne pas avoir instruit une potentielle infraction de gestion déloyale à l'encontre de P______, le recours est irrecevable, faute de décision préalable sujette à recours (art. 393 al. 1 let. a CPP) et d'identité des parties.
Le recours est recevable pour le surplus.
3. Les recourants reprochent au Ministère public de ne pas être entré en matière sur leur plainte.
3.1. Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou qu'il existe des empêchements de procéder (let. b).
Constitue un tel empêchement l'interdiction de la double poursuite (art. 11 CPP, principe ne bis in idem ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_303/2019 du 9 avril 2019 consid. 2.1.1).
Selon ce principe, qui est un corollaire de l'autorité de la chose jugée, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été jugé.
L'interdiction de la double poursuite suppose la présence de deux procédures: une première, par laquelle l'intéressé a été condamné ou acquitté par un jugement définitif, doté à ce titre de l'autorité de la chose jugée et non passible de remise en cause selon les voies de recours ordinaires, et une seconde, ultérieure, au cours de laquelle il aura été à nouveau poursuivi ou puni (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 6 ad art. 11). Tel est le cas lorsque l'ancienne et la nouvelle procédure sont dirigées contre la même personne et concernent des faits identiques ou des éléments qui sont en substance les mêmes. La qualification juridique desdits faits n'est, en revanche, pas déterminante (ATF 144 IV 362 consid. 1.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_303/2019 précité).
La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 10 ad art. 310).
Une non-entrée en matière s'impose lorsque le litige est de nature purement civile (ATF 137 IV 285 consid. 2.3).
3.2. L'art. 146 CP réprime le comportement de quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne et la détermine de la sorte à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.
La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2).
Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2).
3.3. L'art. 251 CP réprime quiconque constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique. Cette disposition – qui doit être appliquée de manière restrictive (ATF 117 IV 35 consid. 1d) – vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel).
3.4. En l'espèce, les recourants prétendent, dans un premier temps, que leur plainte faisant l'objet de la présente procédure porterait sur des faits distincts de celle déposée en Algérie et ayant abouti à une condamnation de la mise en cause. Selon eux, les autorités algériennes n'étaient pas compétentes pour juger de faits qui s'étaient déroulés en Suisse.
Cet argument ne saurait être suivi. En effet, la Cour de R______ a tenu compte, dans son arrêt, du complexe de faits s'étant déroulé en Suisse en considérant que l'utilisation de la "frédha" litigieuse par la mise en cause, afin d'obtenir le versement indu de certains avoirs successoraux par P______, au détriment des recourants, constituait un détournement frauduleux de succession avant son partage. Ainsi, les faits dénoncés aux autorités suisses sont strictement identiques à ceux ayant fait l'objet d'un jugement en Algérie, désormais exécutoire, et concernent les mêmes parties. Pour cette raison déjà, le Ministère public se trouvait face à un empêchement de procéder qui l'autorisait à rendre une ordonnance de non-entrée en matière.
Le litige est de plus majoritairement de nature civile, contrairement à ce que soutiennent les recourants, puisqu'il porte exclusivement sur les modalités de partage de la succession de feu O______ sur lesquelles subsistent des désaccords entre les héritiers. Pour cette raison également, le Ministère public était fondé à ne pas entrer en matière sur la plainte.
À titre superfétatoire et comme retenu par le Ministère public, la "frédha" litigieuse avait été transmise à P______ par l'intermédiaire d'un avocat et il n'était pas possible de déterminer s'il avait agi selon les instructions de la mise en cause ou d'un tiers. À ce moment, aucune décision judiciaire n'avait invalidé ce document, de sorte qu'il ne pouvait être considéré comme un faux. Le courriel comportant les instructions de l'avocat mentionnait en outre que certains héritiers le contestaient, ce qui excluait toute astuce. Les éléments constitutifs de l'escroquerie et du faux dans les titres n'apparaissaient dès lors pas réalisés.
Enfin, aucune mesure d'instruction supplémentaire n'aurait été de nature à apporter d'élément nouveau, la présente procédure étant déjà nantie des documents issus des procédures algériennes.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.
5. Les recourants, qui succombent, supporteront, conjointement et solidairement, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
Condamne A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Madame Valérie LAUBER, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/7192/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
|
|
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |