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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24012/2023

ACPR/868/2024 du 21.11.2024 sur ONMMP/4239/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : TRAITE D'ÊTRES HUMAINS;USURE(DROIT PÉNAL);ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;MALADIE MENTALE
Normes : CP.310; CP.182; CP.157

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24012/2023 ACPR/868/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 21 novembre 2024

 

Entre

 

A______, représenté par Me Anna SERGUEEVA, avocate, DMS Avocats, boulevard Georges-Favon 13, 1204 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 1er octobre 2024 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 14 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 1er octobre 2024, notifiée le 10 octobre 2024, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte qu'il a déposée contre B______, auquel il reprochait d'avoir abusé de sa précarité et de sa vulnérabilité en l'exploitant dans son restaurant oriental.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il instruise les faits dénoncés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 30 octobre 2023, A______ [recte A______] a déposé plainte contre B______, le patron du restaurant C______, sis à Genève.

Il a exposé être d'origine tunisienne et avoir suivi une formation de cuisinier dans son pays natal. Il avait émigré vers l'Europe pour des raisons économiques. Devenu sans domicile fixe en Suisse, il bénéficiait de l'aide ponctuelle d'organismes caritatifs et dormait souvent dans la rue.

En février 2022, alors qu'il mendiait de la nourriture auprès de restaurateurs, B______ lui avait proposé de travailler "quelques heures" dans son restaurant, en échange de quoi il serait nourri et hébergé au sous-sol de l'établissement. Aucun salaire n'avait été convenu, B______ s'engageant à régulariser sa situation administrative en lui "promettant de [lui] présenter une femme en vue d'un mariage".

Dès le lendemain et faute d'alternatives, il avait commencé à travailler comme un forcené (achats, plonge, cuisine, nettoyage), tous les jours entre 18h00 et 3h00 ou 4h00, dormant au sous-sol dans une pièce vétuste sur un canapé. Il avait touché l'équivalent d'un salaire de CHF 1'000.- le premier mois, puis de CHF 1'250.- mensuellement, qui lui étaient versés irrégulièrement par petites sommes. On ne lui donnait que le repas du soir. Il devait acheter le reste de sa nourriture. Épuisé, il avait quitté son emploi en mai 2022.

Depuis, et en raison de sa fatigue, son état de santé mentale s'était dégradé : une schizophrénie paranoïde lui avait été diagnostiquée.

Il a qualifié les faits susdécrits de traite d'êtres humains (art. 182 CP), d'usure (art. 157 CP), ainsi que d'infractions aux lois applicables aux assurances sociales.

En annexe à sa plainte, il a produit plusieurs documents émanant d'œuvres de bienfaisance et de médecins. Les premières relatent ses propos quant à ses conditions de travail, soit, notamment, qu'il aurait été exploité durant trois mois au sein d'un restaurant et que son employeur lui aurait inséré une puce dans le corps et lui aurait fait boire une potion contenant un "sort" (courriel du 15 juin 2022 du D______ [association caritative]) ou qu'il aurait révélé au mois de mai 2022 qu'il subissait de "terribles conditions" d'exploitation de la part de son employeur (attestation de la [fondation] E______ du 23 avril 2023). Quant aux seconds, ils évoquent un délire de persécution avec désorganisation de la pensée, trouble de la mémoire et hallucinations remarqué au deuxième trimestre de 2022. Le diagnostic était un trouble schizophréniforme.

b. La police a procédé à l'audition de B______ le 29 février 2024.

Celui-ci a contesté les faits reprochés. Il avait exercé différentes fonctions au restaurant C______ dès 2013, pour finalement en être le gérant de 2019 à 2020, puis le directeur de septembre 2022 jusqu'en mars 2023, ses déclarations quant aux dates précitées n'étant pas particulièrement limpides. Il employait entre trois et quatre personnes, toutes titulaires d'une autorisation de séjour en Suisse et déclarées. Les charges sociales étaient payées et les salaires se situaient entre CHF 3'200.- et CHF 3'600.- par mois. Les employés bénéficiaient de pauses pour manger et se reposer, de vacances et de deux jours de congé par semaine.

Il connaissait A______ : il l'avait rencontré dans un square de Genève lors d'une distribution de denrées à des sans-abris, parmi lesquels le prénommé, qui lui avait demandé du travail. Il lui avait rendu service en envoyant de petites sommes d'argent en Tunisie pour lui. A______ avait fait un essai quelques jours en 2019 dans le restaurant, mais, comme il était démuni de papiers, il ne l'avait pas engagé. Il avait remarqué qu'il n'était pas "normal", qu'il parlait tout seul et se comportait bizarrement et qu'il croyait avoir été ensorcelé. Il l'avait vu pour la dernière fois dans la rue à la fin de l'année 2023. Il ne comprenait pas pourquoi cet individu déposait plainte contre lui cinq ans après les faits.

Les policiers se sont déplacés au restaurant, mais celui-ci était fermé et en travaux pour une durée indéterminée, si bien qu'aucun contrôle n'a pu être effectué.

C. À l'appui de l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que les déclarations des parties étaient contradictoires et qu'aucun élément de preuve, comme un témoin impartial, n'était disponible, étant rappelé que le plaignant souffrait de troubles psychologiques. Il n'existait donc pas de prévention pénale suffisante.

D. a. Dans son recours, le recourant considère que la situation factuelle et juridique n'était pas claire, faute d'instruction suffisante.

Il admet que les faits étaient anciens, sans témoin direct, que les versions des protagonistes étaient contradictoires et qu'il souffrait d'une maladie psychique, mais affirme que l'audition des personnes de son "réseau social" (à savoir les collaborateurs des institutions de bienfaisance déjà mentionnées) pourrait faire progresser l'enquête. Ces personnes étaient spécialistes en la matière et aptes à attester du sérieux de ses griefs. De plus, son discours était cohérent quant à sa description des faits litigieux. Une inspection du restaurant serait enfin propre à prouver l'existence du local situé au sous-sol.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), s'agissant des infractions aux art. 182 et 157 CP dénoncées.

Il est par contre irrecevable, faute de qualité de partie plaignante du recourant, en ce qui concerne d'éventuelles infractions aux lois régissant les assurances sociales (voir à ce sujet l'ACPR/31/2024 du 19 janvier 2024 consid. 1.5 et 1.7).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1).

3.2. L'art. 182 al. 1 CP punit quiconque, en qualité d'offreur, d'intermédiaire ou d'acquéreur, se livre à la traite d'un être humain à des fins d'exploitation sexuelle, d'exploitation de son travail ou en vue du prélèvement d'un organe.

3.3. L'art. 157 CP poursuit, du chef d'usure, quiconque exploite la gêne, la dépendance, l’inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d’une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d’une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

3.4. En l'espèce, le recourant fait grief à l'autorité précédente de n'avoir pas suffisamment instruit les faits qu'il avait dénoncés dans sa plainte pénale.

Il requiert ainsi l'audition des collaborateurs des organismes de bienfaisance vers lesquels il s'était tourné et qui avaient donné du crédit à ses déclarations. Ce faisant, il perd de vue que ces personnes ont seulement été récipiendaires de ses dires tels qu'il les expose dans sa plainte et n'ont pas eu une connaissance propre des faits dénoncés. Par conséquent, leur audition ne serait pas de nature à renforcer la crédibilité de ses allégués.

Sa version des faits est d'ailleurs problématique au vu des troubles psychiatriques dont il souffre et qu'il reconnaît. Il admet lui-même proférer des propos délirants, notamment en lien avec son employeur, de sorte qu'il apparaît impossible de démêler ce qui tient de la fantasmagorie de ce qui pourrait constituer des soupçons fondés. Il souligne malgré tout la cohérence des reproches qu'il a formulés à l'encontre de son employeur, mais cette appréciation ne peut guère être partagée au vu des accusations fantaisistes d'implantation de puces et de sortilège qu'il a énoncées avant de les rétracter dans son recours.

Enfin, le transport sur place qu'il requiert – et qui a déjà été tenté par la police – n'est pas de nature à renforcer la prévention pénale : le mis en cause n'a pas contesté que le recourant s'était rendu dans les locaux du restaurant qu'il gérait, puisqu'il avait fait un essai de quelques jours il y a plusieurs années. Ainsi, même à supposer que les lieux décrits par le recourant existassent dans l'établissement public visé, cela ne viendrait pas encore donner du crédit à ses accusations d'exploitation.

Aucun élément de preuve objectif n'est susceptible de renforcer la prévention pénale, inexistante à ce stade au vu de la faible crédibilité de la version du recourant.

Il s'ensuit que le recours, voué à l’échec, doit être rejeté

4.             Le recourant, qui succombe et qui n'a pas sollicité le bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours (art. 136 al. 3 CPP), supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24012/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00