Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/864/2024 du 21.11.2024 sur ONMMP/3433/2024 ( MP ) , IRRECEVABLE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/12802/2022 ACPR/864/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 21 novembre 2024 |
Entre
A______ et B______, représentés par Me Jacopo RIVARA, avocat, RIVARA WENGER CORDONIER & AMOS, rue Robert-Céard 13, case postale 3293, 1211 Genève 3,
recourants,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 5 août 2024 par le Ministère public,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 16 août 2024, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 5 août 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte du 10 juin 2022 contre C______.
Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction.
b. Les recourants ont été dispensés de verser des sûretés (art. 383 CPP).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 10 juin 2022, A______ et B______, notaires exerçant à Genève (ci-après : l'Étude), ont déposé plainte contre inconnu des chefs de faux dans les titres (art. 251 CP), faux dans les certificats (art. 252 CP) et obtention frauduleuse d'une constatation fausse (art. 253 CP).
En substance, ils ont exposé que le 23 septembre 2015, D______, citoyen suisse domicilié au Tessin, qu'ils ne connaissaient pas, s'était présenté en leur Etude et leur avait reproché d'avoir établi, le 20 janvier 2014, pour C______, des copies certifiées conformes à un prétendu document original qu'il était le seul à détenir. D______ leur avait également fait grief d'avoir, le 5 mai 2014, légalisé sa signature, alors qu'il ne s'était jamais rendu dans cette Etude auparavant. Les documents litigieux avaient été produits par C______ dans le cadre de procédures en Italie l'opposant à lui.
Ils ont ajouté que C______ avait également produit, dans la procédure italienne, une facture portant le numéro 1______/D___.14 datée du 20 janvier 2014 prétendument établie par leur Etude, alors que tel n'avait pas été le cas.
Ils avaient déposé une plainte pénale à E______, en Italie, à l'encontre de C______ pour les faits précités. La procédure avait fait l'objet d'un classement, dans la mesure où la Procureure auprès du Tribunal de E______ avait notamment retenu qu'il ne pouvait être exclu que C______ eût effectivement reçu des prestations des deux notaires genevois, décision confirmée par le Tribunal.
b. Par courrier du 18 décembre 2022, les plaignants ont indiqué que, lors d'une audience ayant eu lieu le 21 juin 2017 par-devant le Tribunal de E______, C______ avait déclaré s'être rendue à deux reprises à l'Etude, n'avoir jamais vu les notaires, avoir dû déposer les documents qu'elle souhaitait faire certifier à la réception de l'Etude, et avoir payé en espèces.
c. Dans le cadre de la procédure pénale, plusieurs documents ont été transmis par les autorités pénales italiennes.
d. Le 2 juillet 2024, les plaignants ont adressé au Ministère public un complément de plainte, en indiquant que celle-ci était désormais dirigée à l'encontre de C______.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'en vertu du principe ne bis in idem ancré à l'art. 54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 (CAAS), dont l'Italie faisait partie, il existait un empêchement de procéder, les faits dénoncés dans la plainte pénale à l'encontre de C______ ayant déjà fait l'objet de décisions en Italie et ceux susceptibles d'être constitutifs de faux dans les titres y étant prescrits.
De plus, les éléments constitutifs des infractions aux art. 251, 252 et 253 CP n'étaient pas réunis. Les déclarations des plaignants et de C______ étaient contradictoires, cette dernière ayant indiqué par-devant les autorités italiennes s'être rendue à deux reprises auprès de l'Etude afin d'obtenir les documents litigieux.
En outre, un tiers – non concerné par la présente procédure – avait été condamné par les autorités italiennes pour avoir faussement accusé C______ d'avoir produit l'un des documents notariés que contestaient les plaignants. Les autorités pénales italiennes (E______) avaient de plus retenu qu'il ne pouvait être exclu, après une enquête approfondie de la Procureure, que C______ eût effectivement reçu des prestations des deux notaires. Au contraire, de nombreux éléments objectifs permettaient de conclure à la véracité des documents et de réfuter les faits dénoncés par ces derniers, dont les déclarations n'avaient pas apporté d'éléments concluants permettant de soupçonner que C______ avait falsifié les documents litigieux.
L'audition de D______ requise ne permettrait pas d'arriver à un autre résultat.
D. a. Dans leur recours, A______ et B______ soutiennent que l'infraction de faux dans les titres n'est pas prescrite en Suisse, mais uniquement en Italie.
Ils invoquent ensuite une mauvaise application du principe ne bis in idem, les décisions italiennes, notamment de non-lieu, ne concernant que certains documents falsifiés et non tous ceux dénoncés. L'argument selon lequel la véracité des documents litigieux avait fait l'objet de multiples procédures pénales était en effet infondé conformément à l'avis de droit d'une pénaliste italienne qui avait été sollicitée.
Dans un troisième argument, ils reprochent au Ministère public d'avoir retenu que leur version devait être considérée avec une certaine prudence, ce qui laisserait croire qu'ils avaient "distordu les faits". Les versions n'étaient de plus pas contradictoires, puisqu'il n'était pas contesté que C______ se fût rendue à l'Etude. Seule était litigieuse la question de savoir si les documents produits par cette dernière dans les procédures italiennes constituaient des faux, ce que les pièces versées au dossier pénal suisse permettaient d'établir avec certitude. L'analyse graphologique des signatures ainsi que l'audition de leur ancien réceptionniste devaient être nuancées.
Leurs auditions ainsi que celle de D______ auraient permis de confirmer ce qui précédait.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
2. 2.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) à l'encontre d'une ordonnance de non-entrée en matière, sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).
Reste à examiner si les recourants disposent d'un intérêt juridiquement protégé à recourir selon l'art. 382 al. 1 CPP.
2.2. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP). Tel est, en particulier, le cas du lésé (art. 115ss CPP).
2.3. Selon l'art. 115 al. 1 CPP, il faut entendre par lésé toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. Seul doit être considéré comme lésé celui qui est personnellement et immédiatement touché, c'est-à-dire celui qui est titulaire du bien juridique ou du droit protégé par la loi, contre lequel, par définition, se dirige l'infraction (ATF 119 Ia 342 consid. 2; 119 IV 339 consid. 1d/aa). Pour être directement touché, le lésé doit en outre subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêt du Tribunal fédéral 6B_655/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.1). Les personnes subissant un préjudice indirect n'ont donc pas le statut de lésé et sont des tiers n'ayant pas accès au statut de partie à la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_191/2014 du 14 août 2014 consid. 3.1).
L'intérêt juridique doit être actuel et pratique. De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique. Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit donc pas. Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_317/2018 du 12 décembre 2018 consid. 2.2).
2.4. Les infractions de faux dans les titres (art. 251 CP), de faux dans les certificats (art. 252 CP) et d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse (art. 253 CP) protègent, en premier lieu, un bien juridique collectif, à savoir la confiance que l'on peut accorder, dans les relations juridiques, à un titre en tant que moyen de preuve (ATF 137 IV 167 consid. 2.3.1) et dans la vie des affaires, aux pièces de légitimation, certificats et attestations (ATF 95 IV 68, JdT 1969 IV 78). Le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier lorsqu'il vise précisément à nuire à un particulier (ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3; 119 Ia 342 consid. 2b). Tel est le cas lorsque le faux est l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine, la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint ayant alors la qualité de lésée (ATF 119 Ia 342 consid. 2b; arrêt 6B_666/2021 du 13 janvier 2023).
2.5. Il incombe à la partie recourante d'alléguer les faits qu'elle considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir lorsque celle-ci n'est pas d'emblée évidente (arrêts du Tribunal fédéral 6B_552/2022 du 16 juin 2022 consid. 3; 1B_339/2016 du 17 novembre 2016 consid. 2.1).
2.6. En l'espèce, les documents dont la véracité est contestée et dont certains ont été produits dans le cadre de procédures italiennes opposant C______ à D______, étaient susceptibles de porter préjudice à ce dernier, puisque vraisemblablement destinés à prouver les allégations de celle-là. Il n'est pas contesté que les recourants n'ont pas pris part à ces procédures et qu'ils n'ont aucunement été concernés par leur issue, du moins directement. Ils ne le soutiennent au demeurant pas. Ainsi, les recourants n'ont pas démontré avoir été directement atteints dans leurs intérêts individuels par les actes dénoncés. Ils ne font en effet valoir aucune atteinte propre à leurs intérêts patrimoniaux, ni que les documents litigieux, prétendument faux, auraient eu pour but de leur nuire spécifiquement. Au contraire, sans l'intervention de D______, qui s'est présenté à leur Etude en 2015, les recourants n'auraient de toute évidence pas eu connaissance de l'existence de ces documents, dont la production devant les instances italiennes n'a eu aucun impact direct sur eux. Partant, les recourants revêtent tout au plus la qualité de dénonciateurs et, comme tels, n'avaient pas d'autre droit que celui d'être informés des suites réservées à leur dénonciation.
Faute d'un intérêt juridiquement protégé des recourants à contester l'ordonnance querellée, la qualité pour recourir doit leur être niée et, partant, leur recours déclaré irrecevable.
3. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
4. Corrélativement, aucun dépens ne leur sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare le recours irrecevable.
Condamne A______ et B______, par moitié chacun, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et B______, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/12802/2022 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |