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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19984/2024

ACPR/850/2024 du 15.11.2024 sur ONMMP/3850/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19984/2024 ACPR/850/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 15 novembre 2024

 

Entre

A______ et B______, représentés par Me Grégoire GEISSBÜHLER et Me Vincent CERUTTI, avocats, SCHMIDT & ASSOCIES, rue du Vieux-Collège 10, 1204 Genève,

recourants

contre la décision de non-entrée en matière rendue le 30 août 2024 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 13 septembre 2024, A______ et B______ recourent contre la décision du 30 août 2024, notifiée le 3 septembre 2024, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leurs plaintes du 26 août 2024.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu’une instruction soit ouverte des chefs d’escroquerie « et/ou » de faux dans les titres et que cette autorité rende une ordonnance pénale ou renvoie « le » prévenu en jugement.

b. Ils ont payé les sûretés, en CHF 1'800.-, qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             A______ et B______ louent une villa à C______ [GE] depuis le 15 mars 2021. Jouxtant la propriété se trouvent deux parcelles, comportant l’une, le domicile de la bailleresse et de son mari, D______, et, l’autre, une bâtisse viti-vinicole.

b.             A______ et B______ affirment avoir découvert dans le courant du mois de juin 2023 que trois compteurs d’eau et d’électricité situés au sous-sol de la bâtisse viti-vinicole avaient été inscrits à leurs noms, en d’autres termes qu’ils se voyaient facturer la consommation d’eau et d’électricité qu’ils ne consommaient en réalité pas. Ils en accusent D______ « et/ou » E______, comptable chargé de gérer les trois propriétés.

c.              A______ et B______ ont mandé un huissier judiciaire, qui – à l’intérieur de la villa – a pris des photos et constaté la présence d’une nourrice avec compteur d’eau desservant selon panonceaux le sous-sol, la piscine, deux installations d’arrosage automatique et le rez-de-chaussée, ainsi que la présence d’un tableau électrique étiqueté « comptage piscine » et « comptage agro-viticole ». Une entreprise d’électricité leur a confirmé ultérieurement que deux compteurs « chez vous dans le local technique » enregistraient la consommation de la piscine et des prises des cuves et du local technique, « etc. ».

d.             Interpellés par les époux A______/B______, les SIG leur ont répondu que E______ avait demandé le 15 mai 2023 d’inscrire à leurs noms « le rapport d’usage » liés à ces compteurs, et ce, à dater du 15 mai 2021. Les SIG les ont invités à régler leur différend avec le bailleur, sauf à annuler le « rapport d’usage » et à supprimer en conséquence la fourniture de leur énergie, ou alors à faire analyser l’attribution des locaux aux différents compteurs.

e.              Les numéros des compteurs cités par les SIG (let. d. supra) ne sont pas les mêmes que ceux mentionnés par l’entreprise d’électricité (let. c. supra).

f.               Dans leurs plaintes pénales, A______ et B______ allèguent avoir payé l’intégralité des factures reçues des SIG sur une période de deux ans, soit près de CHF 13'500.-, et exposent avoir ouvert action en remboursement de cette somme contre la bailleresse par-devant le Tribunal de première instance, en avril 2024. Ils se plaignent d’escroquerie et de faux dans les titres, sans aucun autre développement que l’énoncé des deux dispositions légales.

C. Dans la décision attaquée, le Ministère public retient que A______ et B______ s’opposent à la bailleresse au sujet de la clé de répartition des charges d’eau et d’électricité. Le litige relevait du droit du bail à loyer, de sorte qu’il n’y avait pas à entrer en matière sur leurs plaintes.

D. a. À l'appui de leur recours, A______ et B______ s’estiment astucieusement trompés par D______ et E______, qui leur avaient dissimulé le changement de titularité des compteurs, après avoir fallacieusement étiqueté ceux-ci pour les conforter dans leur erreur. Pendant deux ans, D______ s’était enrichi à concurrence de ce qu’il avait économisé sur la facturation des SIG. L’étiquetage au-dessus du compteur intitulé « piscine » constituait un faux dans les titres, puisque d’autres consommations d’eau y étaient en réalité comptabilisées.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 1, 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), y compris sous l’angle du faux dans les titres, puisqu’il est allégué que cette infraction visait à leur nuire, en tant qu’élément d’une infraction contre leur patrimoine (ATF 148 IV 170 consid. 3.5.1).

2.             À teneur de l'art. 310 al. 1 let a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute sur la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais, au juge matériellement compétent de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

3.             Les recourants s’estiment victimes d’une escroquerie, commise au moyen de faux dans les titres.

3.1.       L'art. 146 CP réprime le comportement de quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne et l’aura de la sorte déterminée à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

Pour que le crime d'escroquerie soit consommé, l'erreur dans laquelle la tromperie astucieuse a mis ou conforté la dupe doit avoir déterminé celle-ci à accomplir un acte préjudiciable à ses intérêts pécuniaires, ou à ceux d'un tiers, sur le patrimoine duquel elle a un certain pouvoir de disposition. La dupe et celui qui dispose doivent être identiques, mais pas celui qui dispose et le lésé. Si la dupe ne porte pas préjudice à elle-même, mais à un tiers (escroquerie triangulaire), la réalisation de l'infraction présuppose que la dupe soit responsable (« verantwortlich »), respectivement compétente (« zuständig »), pour le patrimoine du lésé et puisse en disposer, au moins de fait (ATF 133 IV 171 consid. 4.3 ; ATF 128 IV 255 consid. 2e). L'élément constitutif de l'astuce est réalisé lorsque l'auteur, pour tromper autrui, recourt à un édifice de mensonge, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier. L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. L'astuce n'est exclue que lorsque la dupe est coresponsable du dommage parce qu'elle n'a pas observé les mesures de prudence élémentaires qui s'imposaient (ATF 128 IV 18 consid. 3a).

Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a omis de prendre des mesures de prudence élémentaires, il ne suffit pas de se demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la tromperie. Il faut prendre en considération la situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaissait et l'a exploitée, par exemple une faiblesse d'esprit, l'inexpérience ou la sénilité, mais aussi un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur (ATF 135 IV 76 consid. 5.2 ; ATF 128 IV 18 consid. 3a). L'astuce ne peut donc être niée que si la tromperie pouvait être empêchée par des précautions qui peuvent être qualifiées d'élémentaires dans la situation de la dupe. Une coresponsabilité de celle-ci n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 147 IV 73 consid. 3.2). Ainsi, n'importe quelle négligence de sa part ne suffit pas à exclure l'astuce (ATF 126 IV 165 consid. 2a). Il n'est donc pas nécessaire que la dupe soit exempte de la moindre faute (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1074/2024 du 21 août 2024 consid. 3.1.).

3.2.       L'art. 251 CP réprime quiconque constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique. Cette disposition – qui doit être appliquée de manière restrictive (ATF 117 IV 35 consid. 1d) – vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel).

Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s'y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (ATF 146 IV 258 consid. 1.1). Il peut s'agir, par exemple, d'un devoir de vérification qui incombe à l'auteur du document ou de l'existence de dispositions légales, comme les art. 958a ss CO, qui définissent le contenu du document en question. En revanche, le simple fait que l'expérience montre que certains écrits jouissent d'une crédibilité particulière ne suffit pas, même si dans la pratique des affaires il est admis que l'on se fie à de tels documents (ATF 146 IV 258 consid. 1.1). Pour que le mensonge soit punissable comme faux intellectuel, il faut que le document ait une valeur probante plus grande que dans l'hypothèse d'un faux matériel : on parle de « valeur probante accrue » (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1092/2023 du 24 mai 2024 consid. 3.1).

3.3.       En l’espèce, les recourants allèguent, certes, avoir dû payer des consommations d’eau et d’électricité qui n’auraient jamais été les leurs ; mais ils ne disent pas – ni même ne tentent d’estimer – quelle eût été leur consommation propre, effective, si des installations tierces n’avaient pas été raccordées aux leurs. Dans leur plainte, ils prétendent au remboursement de l’intégralité, ni plus ni moins, des factures des SIG qu’ils ont acquittées pendant deux ans. Les numéros des compteurs cités par les SIG ne correspondent cependant pas à ceux mentionnés par l’entreprise d’électricité venue dans la villa, et les SIG ont invité les recourants à faire analyser l’attribution des locaux aux différents compteurs ; ce qui prouve bien que les explications avancées par les recourants sur la distribution des flux qu’enregistraient ces compteurs sont largement conjecturales.

On ne voit de plus pas en quoi un étiquetage fallacieux – dans un local technique auquel eux-mêmes avaient accès – révélerait une quelconque astuce de la part des personnes qu’ils mettent en cause.

On ne voit pas non plus comment l’étiquetage spécifique « piscine » – seul repris dans l’acte de recours – constituerait un titre, au sens de l’art. 110 al. 5 (recte : 4) CP. La véracité des chiffres d’une consommation d’eau ou d’électricité n’est pas établie par une telle inscription, qui plus est apposée unilatéralement et sans valeur officielle aucune, mais par le relevé, chiffré, qu’exprime le compteur. On ne se trouve ainsi pas dans une configuration analogue à celle d’un sceau de boucherie falsifié, comme dans l’ATF 103 IV 27 invoqué par les recourants. L’étiquetage « piscine » ne revêt aucune force probante quelconque.

Par ailleurs, il n’est ni allégué ni établi que l’appareil de mesure en question aurait subi une modification assimilable à une falsification des poids et mesures, au sens de l’art. 248 CP, ou à une soustraction d’énergie, au sens de l’art. 142 CP (en tant que ces dispositions s’appliquent aux compteurs électriques ou aux appareils servant à établir un décompte de consommation, cf. M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 7 ad art. 142 et n. 7 ad art. 248).

En réalité, les recourants mettent en cause la création à leur insu d’un « rapport d’usage » avec les SIG auquel ils affirment n’avoir jamais été parties, mais qu’ils imputent à une manœuvre des personnes visées dans leurs plaintes.

Or, si les SIG devaient avoir été dupés sur la base d’un simple appel téléphonique passé par un représentant direct ou indirect de la bailleresse, on ne saurait y voir la moindre astuce, là non plus. Il résulte des explications écrites données par les SIG que ceux-ci ont accepté sans autre la demande qui leur était faite.

En outre, on peut exclure qu'une escroquerie triangulaire eût été commise, puisque même si les deux personnes mises en cause avaient, ensemble ou séparément, déterminé les SIG à des actes préjudiciables aux intérêts des recourants, on ne voit pas que ceux-là aient eu un quelconque pouvoir de disposition sur le patrimoine de ceux-ci (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_54/2019 du 3 mai 2019 consid. 3.4).

En conclusion, le comportement prêté aux deux personnes mises en cause ne revêt pas de qualification pénale.

4.             Le recours s'avère infondé. Dès lors, il pouvait être traité d’emblée sans échange d’écritures ni débats (art. 390, al. 2 et 5 a contrario, CPP).

5.             Les recourants, qui succombent, supporteront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne les recourants, solidairement, aux frais de l’État, arrêtés à CHF 1'800.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ et B______, soit pour eux leur conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19984/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'715.00

-

CHF

Total

CHF

1'800.00