Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
PS/85/2024

ACPR/849/2024 du 15.11.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC
Normes : CPP.56.letf

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/85/2024 ACPR/849/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 15 novembre 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Julien MARQUIS, avocat, VÖGELI MARQUIS Avocats, rue De-Candolle 24, 1205 Genève,

requérante,

et

B______, Procureure, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

citée.


EN FAIT :

A. Par acte du 31 octobre 2024, déposé en personne et reçu le lendemain au Ministère public, qui l'a transmis le 4 novembre 2024 à la Chambre de céans, A______ a demandé à la Procureure B______ de se récuser dans la procédure pénale P/1______/2024.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Dans le cadre de la procédure P/1______/2024, A______ est soupçonnée d'avoir participé à un important trafic de stupéfiants et de recel.

a.b. A______ a été arrêtée le 19 juin 2024, puis placée en détention provisoire le 23 juin 2024, avant d'être finalement libérée, moyennant la mise en œuvre de mesures de substitution, par ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du 3 octobre 2024, nonobstant le préavis négatif du Ministère public.

a.c. Le 21 juin 2024, Me C______ a été désigné en qualité de défenseur d'office de A______ dans le cadre de la procédure précitée.

a.d. L'instruction de cette procédure est conduite par la Procureure B______.

b. Le 18 septembre 2024, D______ a déposé plainte contre A______, avec qui elle partageait sa cellule à la prison de E______, lui reprochant en substance de lui avoir fait subir de graves pressions psychologiques, de l'avoir forcée à faire un faux témoignage la concernant et d'avoir colporté de fausses allégations à son égard auprès de la direction de la prison et de détenues.

Cette plainte a donné lieu à l'ouverture de la procédure référencée P/2______/2024, dans le cadre de laquelle D______ est assistée par Me F______. B______ est chargée de cette procédure.

c. Par ordonnance du 24 octobre 2024, B______ a ordonné la jonction des procédures P/2______/2024 et P/1______/2024, considérant qu'il se justifiait, en vertu du principe de l'unité de la procédure, de traiter l'ensemble des faits reprochés à A______ dans une seule et même procédure.

d. Parallèlement, B______ a, le même jour, imparti à Me C______ un délai au 30 octobre 2024 pour se déterminer sur l'existence d'un éventuel conflit d'intérêts, eu égard au fait qu'il aurait défendu les intérêts de D______ dans le cadre d'une procédure pénale parallèle et que cette dernière était actuellement représentée, dans le cadre de la procédure P/2______/2024, par Me F______, son associé au sein de la même Etude G______.

e.a. A______ a interjeté recours contre l'ordonnance de jonction, motif pris d'une violation des art. 29 et 30 CPP. Les deux procédures impliquaient des personnes différentes, concernaient des infractions distinctes et ne portaient pas sur les mêmes faits.

e.b. Par ordonnance du 31 octobre 2024, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté la demande d'effet suspensif requis par la recourante, la procédure de recours suivant son cours pour le surplus.

f. Par ordonnance d'interdiction de postuler du 30 octobre 2024, B______ a fait interdiction à Me C______, ainsi qu'à tout membre de l'Etude G______, d'intervenir au soutien des intérêts de A______ dans le cadre de la procédure P/1______/2024. Me C______ se trouvait en situation de conflit d'intérêts concret vis-à-vis de A______, puisqu'il avait œuvré à la défense des intérêts de D______ dans une procédure parallèle, en remplacement de Me F______. Quant à ce dernier, nommé à la défense des intérêts de D______ dans une procédure parallèle, il avait œuvré à la défense des intérêts de A______ à l'occasion d'une audience par-devant le Ministère public dans la procédure P/1______/2024. Il existait ainsi un risque concret que l'un ou l'autre des avocats précités fasse usage des informations acquises dans le cadre de leur mandat principal ou lorsqu'ils avaient agi en remplacement de leur associé, ce d'autant que D______ et A______ avaient des intérêts contraires dans la procédure P/1______/2024.

g. Le 31 octobre 2024, Me C______ a pris note de l'interdiction de postuler, estimant que, bien que celle-ci lui parût problématique, son propre intérêt subjectif à la profession d'avocat et au respect des règles de la LLCA prenait le dessus sur sa capacité à pouvoir défendre A______.

C. a. Dans sa requête, A______ reproche à B______ d'avoir souhaité se "venger" d'elle et de son avocat, en empêchant ce dernier de la défendre après qu'il fut parvenu à obtenir sa libération par le TMC. Elle demande que son dossier soit traité par une "procureure neutre", et non par une magistrate souhaitant "se venger" d'elle et de son avocat.

b. B______ a spontanément transmis ses observations à la Chambre de céans, en même temps que la demande de récusation, concluant au rejet de la requête. A______ ne saurait présager d'une quelconque forme de partialité, l'ordonnance d'interdiction de postuler étant conforme au droit et dictée par la nécessité de lui offrir une défense efficace.

c. Par courrier du nouveau conseil du 7 novembre 2024, A______ maintient sa requête de récusation.

EN DROIT :

1.             1.1. La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat du Ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP).

1.2. En sa qualité de prévenue (art. 104 al. 1 let. a CPP), la requérante dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).

2.             2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c’est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1 et 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1).

2.2. En l'espèce, dans la mesure où la demande de récusation est motivée par l'interdiction de postuler prononcée le 30 octobre 2024 par le Ministère public, elle a été formée à temps, au sens qui vient d'être rappelé.

3.             La requérante reproche à la citée d'avoir souhaité se venger d'elle et de son avocat en empêchant ce dernier de la défendre dans la procédure P/1______/2024.

3.1.       À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH (ATF 143 IV 69 consid 3.2). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat (ATF 149 I 14 consid. 5.3.2 ; 147 III 89 consid. 4.1 ; 144 I 159 consid. 4.3). Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération, les impressions purement subjectives des parties n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 ; 142 III 732 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_450/2024 du 1er juillet 2024 consid. 2.2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (CourEDH Lindon, § 76 ; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 609 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011 ; N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, 2009, n. 14 ad art. 56).

3.2.       Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention sous l'angle de l'art. 56 let. f CPP ; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que le juge est prévenu ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. En effet, la fonction judiciaire oblige à se déterminer rapidement sur des éléments souvent contestés et délicats. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises notamment par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_305/2019 et 1B_330/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.4.1).

3.3.       En l'espèce, la requérante reproche à la citée d'avoir fait interdiction à Me C______ d'intervenir à la défense de ses intérêts par vengeance, pour la punir, ainsi que son conseil, du fait que ce dernier était parvenu à obtenir sa mise en liberté.

Certes, la magistrate citée n'a pas été suivie par le Tribunal des mesures de contrainte, cette autorité ayant, par ordonnance du 3 octobre 2024, décidé d'ordonner la mise en liberté de la requérante nonobstant son préavis négatif.

Aucun élément au dossier ne permet toutefois d'accréditer la thèse de la "vengeance" soutenue par la requérante. Si la citée a décidé d'interdire à Me C______ d'intervenir à la défense des intérêts de celle-ci dans le cadre de la procédure P/1______/2024, c'est bien pour les raisons explicitées dans son ordonnance d'interdiction de postuler du 30 octobre 2024, parce qu'elle estimait qu'il existait désormais un conflit d'intérêts concret de l'avocat précité envers la requérante, au vu de la jonction avec la procédure P/2______/2024.

Indépendamment du bien-fondé de l'interdiction précitée, sur lequel la Chambre de céans n'a pas à se prononcer dans le cadre de la présente requête, la magistrate citée était légitimée à émettre des réserves quant au fait que deux parties, dont les intérêts lui paraissaient diamétralement opposés, puissent être représentées par deux avocats associés au sein de la même Etude, ce d'autant que chaque avocat avait été amené à assister l'autre partie par le passé.

Si la requérante ne partageait pas cet avis, il lui appartenait, si elle s'y estimait fondée, de contester ladite décision par les voies de droit ordinaires, et non d'agir par le biais d'une demande de récusation, une telle institution n'ayant pas vocation à réparer d'éventuelles erreurs de procédure.

En définitive, le fait que la magistrate citée ait fait interdiction à Me C______ d'intervenir à la défense des intérêts de la requérante n'est nullement de nature à la rendre partiale à l'égard de cette dernière.

4.             Faute de motif de récusation, la requête est infondée et doit, partant, être rejetée.

5.             La requérante, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 800.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la requérante, soit pour elle son conseil, et à B______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/85/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

 

- demande sur récusation (let. b)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00