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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19659/2021

ACPR/842/2024 du 13.11.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RETARD INJUSTIFIÉ;EXPERTISE MÉDICALE
Normes : CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19659/2021 ACPR/842/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 13 novembre 2024

 

Entre

A______, domicilié c/o B______, ______, Pologne, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

pour retard injustifié du Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


Vu :

-          la plainte pénale déposée le 13 octobre 2021 par A______ pour lésions corporelles par négligence (art. 125 al. 2 CP) contre les Drs D______, E______, F______, G______ et H______, à l'occasion de différentes opérations pratiquées aux HUG (prothèse à la ______) et de soins reçus à [l'hôpital] de I______ [GE];

-          la demande adressée par le Ministère public au CURML, le 22 août 2022, visant à ce qu'il lui propose le nom d'un expert pour établir si la prise en charge du plaignant avait été réalisée de manière adéquate ou si elle l'avait été en violation des règles de l'art et si la responsabilité médicale d'un ou plusieurs des professionnels de la santé susvisés pourrait être engagée;

-          le projet d'ordonnance et mandat d'expertise médicale adressé par le Ministère public aux parties, le 11 novembre 2022, désignant, au titre d'expert, le Dr J______ du Service d'orthopédie et de traumatologie du CHUV;

-          l'opposition des médecins précités à cette désignation, courant décembre 2022;

-          la nouvelle demande du Ministère public au CURML, début 2023, afin qu'il lui propose le nom d'un autre expert ne travaillant ni aux HUG ni au CHUV, et ses relances successives;

-          la réponse du CURML du 22 mai 2023, désignant comme experte la Dre K______, [médecin] au CURML, et comme co-expert le Dr L______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur [à l'hôpital] M______ à N______ [VD];

-          le pli du Ministère public du 24 mai 2023 adressé aux parties, les informant de ces choix et les invitant à lui faire part de leurs éventuels motifs de récusation;

-          les réserves des médecins susmentionnés et l'opposition de A______ du 6 juin 2023, qui estimait que les experts proposés n'avaient pas assez d'expérience, et sollicitant la désignation du Dr J______ ou d'un expert avec un profil semblable, le cas échéant exerçant dans un pays francophone étranger;

-          l'ordonnance et mandat d'expertise médicale rendue par le Ministère public le 12 juin 2023, désignant la Dre K______ et le Dr L______;

-          l'arrêt du 21 août 2023 de la Chambre de céans (ACPR/658/2023) admettant le recours interjeté par A______ contre cette décision, au motif qu'elle ne mentionnait, même pas brièvement, les objections du recourant quant à ce choix, ni du reste les réserves émises par les médecins mis en cause, l'annulant et retournant la cause au Ministère public pour décision motivée;

-          le courrier de A______ du 4 décembre 2023 au Ministère public, s'enquérant de l'avancement du processus de nomination des experts;

-          le courrier du Ministère public du 7 décembre 2023, l'informant : qu'il avait interpellé la directrice du CURML, le 8 septembre 2023, afin qu'elle lui indique si les personnes proposées disposaient bien de toutes les compétences, de l'expérience et de l'indépendance nécessaires pour procéder à l'expertise et que, par pli du 19 octobre 2023, celle-ci lui avait répondu que le choix de la Dre K______ était confirmé mais que, dans l'intervalle, le Dr L______ n'était plus disponible; qu'il restait dès lors dans l'attente d'une nouvelle proposition d'expert, étant précisé qu'il n'entendait pas confier l'expertise au Dr J______;

-          la relance de A______ du 29 février 2024;

-          le pli du Ministère public du 13 mars 2024, l'informant qu'il était toujours dans l'attente d'une nouvelle proposition de la directrice du CURML et lui transmettant copie de sa correspondance du 11 décembre 2023 avec cette dernière et de la réponse de celle-ci du 22 décembre 2023, selon laquelle elle allait se diriger du côté de [l'hôpital] O______ de P______ [BE], compte tenu de sa recherche infructueuse d'un co-expert à ce jour;

-          le courrier de A______ du 16 avril 2024 au Ministère public, l'invitant fermement, faute de nouvelles de sa part depuis le 13 mars 2024, à élargir ses recherches à l'étranger (France, Belgique francophone ou Luxembourg) et le renvoyant, au surplus, au curriculum vitae du Dr J______, consultable sur internet;

-          la lettre de relance de A______ du 15 juillet 2024, s'émouvant de ce que onze mois s'étaient écoulés depuis l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 21 août 2023 et presque trois ans depuis le dépôt de sa plainte pénale, alors qu'il n'y avait toujours pas d'experts en vue;

-          le pli du Ministère public du 17 juillet 2024, l'informant qu'il était toujours dans l'attente d'une nouvelle proposition de la part du CURML, transmettant copie de son courrier de relance du 3 juin 2024 et de celui qu'il adressait le même jour au CURML;

-          le courrier de A______ du 12 septembre 2024 au Ministère public, s'enquérant de l'avancement de la procédure;

-          la réponse du Ministère public du même jour, l'informant qu'il était toujours dans l'attente de nouvelles de la directrice du CURML; cette dernière lui avait adressé un courrier, le 5 août 2024, qu'il joignait, à teneur duquel les médecins qu'elle avait contactés à Berne, Q______ [VS] et R______ [FR], avaient tous décliné, de sorte qu'elle se dirigeait sur l'hôpital de S______ [BS];

-          le recours pour retard injustifié déposé par A______ le 20 septembre 2024;

-          les observations du Ministère public du 8 octobre 2024;

-          le pli qu'il a adressé le même jour au CURML, l'invitant à lui indiquer, d'ici au 25 octobre 2024, si ses recherches avaient été fructueuses;

-          la réplique du recourant du 18 octobre 2024.

Attendu que :

-          le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à ce que soit constaté le retard injustifié du Ministère public et à ce qu'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à rendre lui soit imparti pour mettre en œuvre l'expertise envisagée auprès d'un expert en chirurgie orthopédique spécialiste du genou commis à l'étranger, respectivement un délai de 30 jours pour missionner le Dr J______. Ce dernier avait été écarté à tort, au motif non pertinent soulevé par les mis en cause – qui n'étaient même pas prévenus et donc non légitimés à donner leur avis sur la nomination en cause –, qu'il pratiquait au CHUV, hôpital dans lequel il avait séjourné après son hospitalisation aux HUG, alors que le seul séjour déterminant était celui passé aux HUG, d'une part, et que le praticien susvisé n'était pas encore employé du CHUV au moment de son passage dans cette institution, d'autre part. Treize mois après l'arrêt de la Chambre de céans, le Ministère public n'avait toujours pas mis en œuvre l'expertise promise et n'envisageait pas d'autre acte d'instruction, alors que la plainte pénale datait de trois ans;

-          dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Tout d'abord, les médecins en cause, qui étaient des tiers, avaient la qualité de parties dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de leurs intérêts, de sorte que c'était à bon droit qu'un délai leur avait été imparti pour faire part de leurs éventuels motifs de récusation. Ensuite, compte tenu des motifs de récusation avancés par eux, il avait renoncé à confier l'expertise au Dr J______. Il avait également, à de très nombreuses reprises, entrepris des démarches auprès du CURML pour obtenir le nom d'un co-expert. Aucune inaction ne pouvait ainsi lui être reprochée. Quant au retard pris par le CURML pour proposer le nom d'un co-expert, il n'était imputable ni à cette organisme ni à lui-même, vu les difficultés pour trouver un expert hors des HUG et du CHUV, auprès desquels le plaignant avait été hospitalisé. Enfin, une telle expertise était nécessaire et, en son absence, tout autre acte d'instruction – au demeurant non proposé par le recourant – serait prématuré;

-          dans sa réplique, le recourant conteste les arguments du Ministère public et persiste dans son recours.

Considérant en droit que :

-          le recours pour déni de justice et violation du principe de la célérité n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP). Par ailleurs, le présent recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane du plaignant (art. 104 al. 1 let. b CPP). Il est donc recevable;

-          à teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Cette disposition concrétise le principe de célérité, et prohibe le retard injustifié à statuer, posé par l'art. 29 al. 1 Cst., qui garantit notamment à toute personne, dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Un déni de justice ou un retard injustifié est établi lorsqu'une autorité s'abstient tacitement ou refuse expressément de rendre une décision dans un délai convenable (Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4132). Si l'autorité refuse de statuer sur une requête qui lui a été adressée, soit en l'ignorant purement et simplement, soit en refusant d'entrer en matière, elle commet un déni de justice formel (ACPR/187/2012 du 8 mai 2012; G. PIQUEREZ/ A. MACALUSO, Procédure pénale suisse : Manuel, 3e éd., Zurich 2011, n. 187). Une autorité commet un déni de justice formel et viole l'art. 29 al. 1 Cst. lorsqu'elle n'entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délais prescrits, alors qu'elle devrait s'en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157; 135 I 6 consid. 2.1 p. 9; 134 I 229 consid. 2.3 p. 232). Les art. 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1). Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le principe de la célérité peut être violé même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3);

-          il appartient au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, par exemple en l'invitant à accélérer la procédure et à statuer à bref délai, s'il veut pouvoir ensuite soulever ce grief devant l'autorité de recours (ATF 130 I 312 consid. 5.2 ; 126 V 244 consid. 2d). Il serait en effet contraire au principe de la bonne foi, qui doit présider aux relations entre organes de l'État et particuliers en vertu de l'art. 5 al. 3 Cst., qu'un justiciable se plaigne d'un déni de justice devant l'autorité de recours, alors qu'il n'a entrepris aucune démarche auprès de l'autorité concernée pour remédier à la situation (ATF 149 II 476 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_4/2023 du 27 février 2023 consid. 2.2);

-          en l'espèce, le Ministère public – qui admet à juste titre ne pas pouvoir faire avancer l'instruction en l'absence d'une expertise médicale – s'est évertué, depuis le 22 août 2022, à trouver un expert, en s'adressant au CURML, comme cela est l'usage;

-          le premier nom proposé par cette institution, le Dr J______, ayant fait l'objet d'une opposition de la part des médecins mis en cause, courant décembre 2022, le Ministère public a, début janvier 2023, sollicité le nom d'un autre expert ne travaillant ni aux HUG ni au CHUV. Ce n'est qu'en mai 2023, après plusieurs relances, que le CURML lui a proposé le nom de la Dre K______ et du Dr L______ comme co-expert. Si les médecins mis en cause ont émis des réserves quant à ce choix, le recourant, lui, s'y est opposé, sollicitant la désignation du Dr J______ ou d'un expert avec un profil semblable exerçant à l'étranger. Ce nonobstant, le Ministère public a, le 12 juin 2023, désigné les deux experts proposés par le CURML, sans motiver ce choix, de sorte que la Chambre de céans a, le 21 août 2023, annulé l'ordonnance et mandat d'expertise médicale et renvoyé le dossier à l'autorité intimée pour nouvelle décision motivée;

-          le 4 décembre 2023, le recourant s'est enquis de l'avancement du processus de nomination des experts. Le Ministère public lui a répondu trois jours plus tard qu'il avait relancé le CURML et que, s'il avait reçu la confirmation que la Dre K______ avait toutes les compétences et l'expérience nécessaires, le Dr L______ n'était plus disponible, de sorte qu'il restait dans l'attente de la proposition d'un nouveau co-expert. Il a ajouté qu'il n'entendait pas confier l'expertise au Dr J______, comme demandé à nouveau par le recourant;

-          ce dernier n'a pas remis en cause cette orientation. Ses relances successives, ensuite, sur l'avancement de la procédure ont été suivies de réponses du Ministère public, qui a, de son côté, régulièrement relancé le CURML, la dernière fois le 8 octobre 2024;

-          on ne saurait ainsi reprocher au Ministère public d'être resté inactif, celui-ci étant lui-même tributaire du CURML;

-          certes, le temps écoulé jusqu'à ce jour pour mettre en œuvre l'expertise médicale est problématique et pourrait s'approcher d'un retard injustifié. À ce stade toutefois, le Ministère public ne saurait être tenu responsable de la difficulté pour le CURML de trouver des experts ayant les compétences requises et suffisamment disponibles pour remplir la mission confiée;

-          ces considérations scellent le sort du recours, qui doit être rejeté;

-          l'échéance du 25 octobre 2024 fixée par le Ministère public au CURML pour le tenir informé de ses recherches étant passée, l'autorité intimée sera invitée, à réception du présent arrêt, à s'enquérir immédiatement auprès du CURML du résultat de ses démarches et, si elles devaient être négatives, à explorer avec cet organisme toutes les solutions, y compris à l'étranger, pour pouvoir concrétiser l'expertise;

-          enfin, les griefs du recourant ayant trait aux compétences et à l'expérience de l'experte K______ pressentie ainsi qu'à la qualité de parties des médecins mis en cause dans le processus de désignation des experts, en tant qu'ils devront être appréhendés par le Ministère public dans sa future ordonnance d'expertise, sont exorbitants au présent litige;

-          le recourant, qui n'obtient pas gain de cause, supportera les frais de la procédure, exceptionnellement réduits à CHF 400.-, compte tenu des particularités du cas d'espèce (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 400.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19659/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

315.00

Total

CHF

400.00