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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8365/2023

ACPR/784/2024 du 29.10.2024 sur ONMMP/2332/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.144

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8365/2023 ACPR/784/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 29 octobre 2024

 

Entre

A______ et B______, tous deux représentés par Me Florence YERSIN, avocate, Yersin Lorenzi Latapie Alder, boulevard Helvétique 4, 1205 Genève,

recourants,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 29 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 10 juin 2024, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 29 mai précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur leur plainte.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 17 avril 2023, A______ et B______, propriétaires de l'immeuble sis rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, ont porté plainte contre C______ pour dommages à la propriété.

L'intéressé, architecte, louait depuis 2006 un appartement dans leur immeuble. Le 25 janvier 2023, par l'intermédiaire de leur fils et au cours d'une visite de contrôle, ils avaient découvert que l'intérieur du logement avait substantiellement été modifié, avec en particulier la destruction de cloisons. Les travaux avaient été effectués en toute "illégalité", sans autorisation préalable de leur part ni des autorités compétentes. Une remise en état s'avérait impossible pour plusieurs aspects du mobilier touché et ils estimaient leur dommage à plus de CHF 30'000.-.

b. Entendu par la police le 9 novembre 2023, C______ a expliqué sous-louer l'appartement à un ami depuis 2021. Il n'avait pas personnellement effectué les travaux litigieux mais avait mandaté des sociétés de construction pour le faire "au cours de l'année 2010". Il avait agi sans l'autorisation des propriétaires ni des autorités. Il souhaitait améliorer l'habitabilité des lieux et la luminosité. Il s'engageait à remettre l'appartement dans son état d'origine et à déposer une autorisation de construire, avec l'approbation des propriétaires.

c. Le Ministère public a proposé la tenue d'une médiation. A______ et B______ ont donné leur accord mais C______ n'a jamais répondu à cette proposition, qui a été abandonnée.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que les faits reprochés à C______ sont susceptibles d'être constitutifs de dommages à la propriété (art. 144 CP). Comme les travaux litigieux avaient vraisemblablement été effectués en 2010 ou 2011, la prescription de dix ans (art. 97 al. 1 let. c CP) était atteinte et il existait dès lors un empêchement de procéder définitif.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______ font grief au Ministère public de n'avoir pas tenu compte de l'art. 144 al. 3 CP. Ils avaient estimé le coût des travaux de réparation à CHF 30'000.- au moins, de sorte qu'ils faisaient valoir un "dommage considérable" au sens de cette disposition. Dès lors, les faits se prescrivaient par quinze ans, soit a minima en 2025. Il n'existait ainsi pas d'empêchement de procéder.

b. Dans ses observations, le Ministère public admet avoir "déterminé de manière erronée" le délai de prescription applicable aux faits dénoncés. Le recours devait néanmoins être rejeté par substitution de motifs. Le litige entre les bailleurs et leur locataire relevait essentiellement du civil et les premiers conservaient la possibilité de saisir les tribunaux compétents en matière de baux et loyers si le second ne respectait pas ses engagements de remettre en état l'appartement. En outre, C______ n'avait pas eu l'intention de causer un dommage à A______ et B______. Il avait plutôt cherché, selon ses déclarations, à apporter des améliorations au logement. Pour cette raison également, la culpabilité du mis en cause et les conséquences de ses agissements étaient moindres que ceux envisagés par le législateur au regard de l'infraction à l'art. 144 CP. D'autant qu'il s'était engagé à prendre en charge les travaux de remise en état. Il se justifiait ainsi de faire application de l'art. 52 CP.

c. Dans leur réplique, A______ et B______ contestent les nouveaux motifs de non-entrée en matière du Ministère public. C______ avait, à dessein, "abîmé un appartement entier", sans solliciter les autorisations nécessaires. L'autorité intimée ne pouvait prendre pour acquis les justifications données par le mis en cause. L'existence d'une procédure civile n'excluait pas, ipso facto, la poursuite pénale et les conséquences des travaux accomplis étaient loin d'être "légères" vu qu'ils nécessitaient plus de CHF 35'000.- de frais de remise en état. Enfin, ils n'avaient pas à supporter les frais de la procédure alors que le Ministère public avait initialement rendu l'ordonnance querellée sur la base d'une application erronée du délai de prescription.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).


 

2.             Les recourants estiment que l'infraction de dommages à la propriété est réalisée.

2.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Le ministère public doit ainsi être certain que les faits ne sont pas punissables, ce qui est notamment le cas lorsque le litige est d'ordre purement civil (ATF 137 IV 285 consid. 2.3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1076/2014 du 7 octobre 2015 consid. 2.6; 1B_111/2012 du 5 avril 2012 consid. 3.1). 

2.2. Dans le domaine patrimonial, le principe de la subsidiarité du droit pénal est admis en ce sens qu'il incombe au droit civil, prioritairement, d'aménager les rapports contractuels et extra-contractuels entre les individus (ATF 141 IV 71 consid. 7; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1116/2021 du 22 juin 2022 consid. 3.1).

2.3. L’art. 144 ch. 1 CP réprime le comportement de quiconque endommage, détruit ou met hors d'usage une chose, soit appartenant à autrui, soit frappée d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui. L'art. 144 ch. 3 CP consacre une forme qualifiée de l'infraction, lorsque l'auteur cause un dommage considérable, soit supérieur à CHF 10'000.- (ATF 136 IV 117 consid. 4.3.1).

L'atteinte peut consister à détruire ou à altérer la chose. Mais elle peut aussi consister dans une modification de la chose qui a pour effet d'en supprimer ou d'en réduire l'usage, les propriétés, les fonctions ou l'agrément. L'auteur se rend coupable de dommages à la propriété dès qu'il cause un changement de l'état de la chose qui n'est pas immédiatement réversible sans frais ni effort et qui porte atteinte à un intérêt légitime (ATF 128 IV 250 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_872/2022 du 1er mars 2023 consid. 3.1).

2.4. En l'espèce, la question de la prescription applicable n'est plus sujette à débat, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y revenir.

Le mis en cause ne conteste pas avoir effectué les travaux décriés, sans l'autorisation des recourants, propriétaires.

Au vu des modifications dont il est question, soit notamment la destruction de cloisons, un tel comportement est susceptible de réaliser les éléments constitutifs de l'infraction visée à l'art. 144 CP.

Néanmoins, le mis en cause affirme avoir agi dans le dessein d'améliorer l'habitabilité du logement. De leur côté, les recourants allèguent un dommage supérieur à CHF 30'000.-, sans prétendre que les modifications apportées par le mis en cause auraient rendu l'appartement inhabitable, voire même insalubre. Il n'est également pas question de travaux mal réalisés. Les altérations en cause ne le sont ainsi que d'un point de vue esthétique et fonctionnel.

Partant, l'application de l'art. 52 CP par le Ministère public ne souffre aucune critique.

À cela s'ajoute que le mis en cause semble être toujours le locataire principal du bien, même s'il le sous-loue actuellement. Or, une fois que le bail prendra fin, il sera tenu légalement de le restituer dans l'état qui résulte d'un usage conforme au contrat (art. 267 al. 1 CO). Si les recourants prétendent que certains travaux effectués sont irréversibles, ils disposeront là aussi, en vertu du droit privé, de moyens d'obtenir le cas échéant un dédommagement financier.

Face à de pareilles circonstances, il peut être retenu que le droit civil, qui a vocation à régler intégralement la cause et offre une protection suffisante aux recourants contre les agissements contraires au droit reprochés au mis en cause, supplée le droit pénal.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ et B______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/8365/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00