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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16214/2020

ACPR/629/2024 du 27.08.2024 sur OMP/4090/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CONFISCATION(DROIT PÉNAL);CRÉANCE;PRODUIT DE L'INFRACTION;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.263; CP.70; CP.71; CP.158; CP.146; CP.138; CPP.434

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16214/2020 ACPR/629/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 27 août 2024

 

Entre

A______, représentée par Me L______, avocat,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre rendue le 26 février 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 8 mars 2024, A______, tiers saisi, recourt contre l'ordonnance du 26 février précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé de lever le séquestre ordonné sur son appartement, situé au chemin 1______ no. ______, à B______ [GE] (parcelle 2______, immeuble 3______/2______).

Elle conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 12'161.25, à l'annulation de cette décision et, cela fait, principalement, à la levée dudit séquestre, subsidiairement au renvoi de la cause au Procureur afin qu'il procède à l'audition de témoins puis rende une nouvelle ordonnance.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Les sociétés C______ SA (ci-après : C______) et D______ SA sont actives dans le domaine, respectivement, de la promotion immobilière (PP 102'023) et de la transformation/rénovation d’immeubles (PP 706'107).

E______ est organe de fait de la première (PP 300'005) et administrateur de la seconde (PP 706'107).

a.b. A______, concubine du prénommé (PP 400'258 et 400'294), exerce, via F______ SARL, entité dont elle est l’unique associée gérante et employée, des prestations d'architecte et d'architecte d'intérieur (PP 400'296, 12'204'191 et 12'204'206).

a.c. G______ SARL (ci-après : G______) exploite une entreprise générale de construction (PP 300'017); H______ en est l'un des associés gérants (PP 400'450).

b.a. Dès 2016, C______ et/ou D______ SA sont intervenues dans de nombreuses opérations immobilières, à Genève, commercialisées sous la structure dite de "quote-part terrain avec contrat d'entreprise générale" (PP 300'005 et s.).

b.b. D'après les explications fournies par un notaire ayant instrumenté les actes signés lors de l'une de ces opérations, les promotions de ce type se déroulent, en général, comme suit (PP 600'596.02 et ss) :

·      signature d'une promesse de vente, assortie d'un droit d'emption, entre un agent immobilier et le propriétaire d'un terrain;

·      développement, par ledit agent, d'un projet sur cet immeuble (établissement de plans d'architecte [les logements à constituer étant destinés à la vente sur plans], d'un dossier de géomètre et d’un plan de financement, obtention d'une autorisation de construire et fixation du prix de vente des futurs lots de copropriété par étages à créer), phase dite de pilotage ou de mise en valeur;

·      négociation [par l'agent immobilier et/ou le pilote s'il s'agit d'une société distincte] d'un contrat d'entreprise générale pour la construction des habitations [acte qui sera signé, ultérieurement, par cette entreprise et chacun des acquéreurs des lots];

·      commercialisation desdits lots (en vue de trouver des acheteurs), étape dite de courtage;

·      signature, par le vendeur du terrain, d'un acte de constitution de propriété par étages sur son bien, dans lequel l'agent immobilier renonce au droit d'emption préalablement concédé (de façon à "économiser les frais" que générerait la vente successive dudit terrain, tout d'abord entre le propriétaire de celui-ci et le promoteur, puis entre ce dernier et les acquéreurs);

·      signature des actes de vente par le propriétaire de l'immeuble et ces mêmes acquéreurs;

chacun desdits actes doit, s'il énonce le prix global auquel le lot est acheté, préciser la façon dont ce coût est ventilé entre : (1) la quote-part de terrain acquise; (2) les honoraires de pilotage du projet mis à la charge de l'acheteur; (3) le coût de construction du futur logement – étant relevé que l'acquéreur s'engage, dans l'acte notarié, à conclure, à un tel coût, avec la société choisie par le promoteur, un contrat d'entreprise générale –.

Toujours selon ce notaire, la valeur de la quote-part évoquée sous chiffre (1) peut inclure, outre le prix du terrain, la commission de courtage due par le vendeur de l'immeuble à l'agent immobilier, lorsque celle-ci est répercutée sur l'acheteur, ce qui est usuellement le cas. La valeur totale desdites quotes-parts excède alors le coût effectif de l'immeuble, procédé qui est admis par le fisc. Dite commission est ensuite reversée au courtier.

c. C______ a développé un projet immobilier sur une parcelle située au chemin 1______ no. ______, selon la structure "quote-part terrain avec contrat d'entreprise générale", consistant dans la conception, puis la vente sur plans, de quatre appartements en propriété par étages (PP 600'596.06 et ss).

Dite parcelle étant située en zone villa, le prix des logements à y construire n’a pas été contrôlé par l’État (PP 600'596.02).

Ce projet, initié à la fin de l'année 2018, a subi diverses modifications.

c.a. Dans un premier temps, il était prévu que chacune des habitations serait vendue à prix coûtant, sans marge bénéficiaire (PP 308'301.25 à 308'301.27 et 500'588).

Aux dires de E______, le prix envisagé était de CHF 1'200'000.- par logement (correspondant aux coûts du terrain [CHF 2'000'000.-] et de la construction [CHF 2'800'000.-], réparti de manière égale entre les quatre futurs copropriétaires [CHF 500'000.- + CHF 700'000.- = CHF 1'200'000.-]; PP 500'588 et s.).

A______ devait acquérir l'un de ces appartements (PP 308'301.25 et 500'587).

Les trois autres acheteurs intéressés se sont, finalement, désistés (PP 308'301.25 à 308'301.27).

c.b. À cette suite, le projet a été remanié.

c.b.a. Le coût de la parcelle a été fixé, en avril 2020, dans la promesse de vente signée entre les propriétaires de celle-là et C______, à CHF 2'200'000.- [hors commission de courtage] (PP 600'596.06).

c.b.b. D______ SA a piloté ce nouveau projet (PP 600'596.06).

Durant cette phase, A______ a accompli, via sa société F______ SARL, diverses prestations d'architecte (PP 323'020 et 500'153).

c.b.c. À l'invite de E______ (PP 400'460), G______ a estimé à CHF 3'150'000.- environ le coût global de la construction des quatre habitations (sans différencier les frais afférents à chacune d'elles; PP 12'207'199) – appartements dont la configuration varie, les surfaces habitables ainsi que celles des terrasses/balcons et jardins n'étant pas identiques (PP 12'203'021) –.

Le prénommé a adjugé le chantier à cette société (PP 400'275 ainsi que 400'660 et s.).

En automne 2020, E______ a soumis à G______ une convention, signée par A______, à teneur de laquelle cette entité s'engageait à assumer l'activité d'architecte déployée jusqu'alors par F______ SARL, chiffrée à CHF 200'000.- (PP 500'154 et 12'101'445 et ss).

D'entente entre E______ et G______, cette somme a été ajoutée au prix global de la construction (PP 500'154 et 500'583), prix entretemps passé à CHF 3'164'500.- (PP 12'207'419).

Sur instruction du précité, le montant de CHF 3'364'500.- (CHF 3'164'500.- + CHF 200'000.-) a été ventilé comme suit entre les quatre logements concernés : CHF 702'000.- pour celui que A______ était toujours intéressée à acquérir et CHF 887'500.- pour chacun des trois autres (PP 400'460 et s., 500'589 ainsi que 12'207'419).

c.b.d. La commercialisation de ces trois dernières habitations (étape dite de courtage) a été assurée par C______ et D______ SA (PP 600'596.06).

c.b.e. En octobre 2020, les vendeurs de la parcelle ont constitué, sur celle-ci, une propriété par étages (PP 600'596.07).

c.b.f. Les 15, 16 et 22 décembre suivant, les acquéreurs des lots ont signé, devant un notaire, des actes de vente aux conditions suivantes (PP 600'596.29 à 600'596.115) :

Copropriétaires

Prix d'acquisition global

Quotes-parts de terrain acquises

Coût des quotes-parts

Honoraires de mise en valeur dus à D______ SA

 

Prix forfaitaire de la construction

Époux I______

1'690'000.-

247/1000èmes

725'000.-

77'500.-

887'500.-

J______ K______

1'650'000.-

240/1000èmes

613'500.-

149'000.-

887'500.-

A______

1'258'800.-

241/1000èmes

556'800.-

-

702'000.-

D______ SA

1'612'500.-

272/1000èmes

725'000.-

-

887'500.-

c.b.g. Le 6 janvier 2021, devant ce même notaire, les propriétaires de la parcelle ont signé les contrat précités et C______ a renoncé au droit d'emption préalablement concédé (PP 600'596.07).

Ledit notaire a ensuite dressé un décompte attestant que la différence de CHF 420'300.- entre la somme des valeurs des quotes-parts figurant dans les actes de vente (CHF 2'620'300.-) et le coût du terrain (CHF 2'200'000.- selon la promesse de vente), correspondait aux commissions de courtage de C______ et D______ SA (PP 600'596.07 et PP 600'596.122).

c.b.h. D'après un document établi par C______ (PP 12'100'950), ces commissions ont été répercutées comme suit sur les copropriétaires :

·      époux I______ : CHF 175'000.-;

·      J______ et K______ : CHF 63'500.-;

·      A______ : CHF 6'800.-;

·      D______ SA : CHF 175'000.-.

c.b.i. Les contrats d'entreprise générale signés par les acquéreurs et G______ pour les prix forfaitaires stipulés dans les actes de vente ne mentionnent, ni l'existence des prestations d'architecte accomplies par F______ SARL, facturées CHF 200'000.-, ni le détail des coûts afférents à chacun des logements (PP 12'207'214 et ss, 12'207'283 et ss ainsi que 12'207'311 et ss).

d. Parallèlement, plusieurs personnes ayant acquis des habitations dans le cadre de promotions immobilières commercialisées sous la structure "quote-part terrain avec contrat d'entreprise générale" ont déposé plainte pénale contre C______ et/ou les sociétés de construction mandatées à ces occasions, soit pour elles leurs organes (PP 100'100 et ss).

Les acheteurs des lots de l'immeuble situé au chemin 1______ no. ______ n'en font pas partie.

e. Au début de l’année 2022, le Ministère public a étendu, d'office, l'instruction à la promotion intervenue sur ce dernier immeuble.

e.a.a. Le Procureur, considérant que C______ et les acheteurs étaient liés, dans le cadre de cette promotion, par un contrat de mandat (PP 308'302 et 500'064), soupçonne E______, d’une part, d'avoir invité ceux-là à conclure un acte de vente avec les propriétaires du terrain pour un prix supérieur au coût effectif de la parcelle, la différence [i.e. les commissions de courtage] ayant été reversée à C______/D______ SA, et, d’autre part, de s'être fait promettre, par G______, en échange de l'adjudication du chantier, une rétrocession indue en faveur de F______ SARL [CHF 200'000.-], alors que des honoraires de mise en valeur avaient déjà été facturés aux "clients". Ces actes, effectués à l'insu des acquéreurs, étaient susceptibles d'être constitutifs de gestion déloyale (art. 158 CP), voire d'escroquerie (art. 146 CP), et de corruption privée passive (art. 322novies CP ; PP 300'005 et s.).

e.a.b. Il suspecte également H______ d'avoir violé les art. 138 (abus de confiance), 146 et 322octies (corruption privée active) CP, en ayant promis à E______ la rétrocession sus-évoquée, rétrocession qu'il avait intégrée aux prix forfaitaires dus par les maîtres de l'ouvrage, de sorte à la leur cacher, et en ayant prélevé les CHF 200'000.- concernés "du compte [bancaire] chantier", destiné à la construction des logements (PP 300'017).

e.b. Le 17 janvier 2022, le Ministère public a ordonné le séquestre de l’appartement de A______, en mains du Registre foncier, et la restriction du droit d’aliéner ce bien, en vue de sa confiscation, respectivement de garantir l'exécution d'une créance compensatrice, au motif que l’intéressée avait acquis ledit appartement à un prix nettement inférieur – sous l'angle des coûts du terrain et de la construction – à celui payé par les autres acheteurs, sans justification valable (PP 308'023).

e.c.a. Entendu en qualité de prévenu, E______ a contesté tout acte pénalement répréhensible (PP 400'251). Aucune relation de mandat n’avait lié C______ aux acquéreurs des lots (PP 500'064). Ces derniers avaient acheté un projet; seul le prix final les intéressait, et non sa ventilation (marges des différents intervenants et détails des coûts de la construction; PP 400'277 cum 500'094). Il n'avait jamais voulu tromper les intéressés (PP 500'095). Il avait personnellement négocié avec G______ le paiement des CHF 200'000.- dus à F______ SARL (PP 500'154), somme qui était sans rapport avec l'adjudication du chantier (PP 400'277). A______ avait bénéficié d'un appartement à prix coûtant, comme cela avait été convenu avec elle lors de la version initiale du projet (PP 500'588 à 500'590).

e.c.b. Aux dires de H______, prévenu, les copropriétaires des logements situés au chemin 1______ no. ______ n'avaient pas été informés du paiement, par G______, des CHF 200'000.- [susmentionnés] (PP 500'583); cette somme n'était en aucun cas destinée à rémunérer l'obtention du chantier (PP 400'457). A______ avait assisté, durant la construction desdits logements, à tous les "rendez-vous de chantier" et aux séances hebdomadaires "concernant les dessins techniques à exécuter", ce qui avait représenté un volume "très impressionnant d'heures" (PP 500'584).

e.c.c. Auditionnée en qualité de personne appelée à donner des renseignements, A______ a déclaré savoir qu’elle avait bénéficié d'"un meilleur prix que les autres" acheteurs; elle ignorait toutefois comment cet avantage avait été calculé, ni sur quoi il avait porté (PP 400'302 et s.). Ce n'était pas elle qui avait fixé ledit prix; elle avait accepté celui qu'on lui avait proposé "dès le départ", étant précisé qu'elle était "là avant les autres acquéreurs" (PP 500'587). Elle ignorait que les CHF 200'000.- facturés par F______ SARL avaient été répercutés sur le prix des constructions (PP 400'304); c'était E______ qui avait négocié la convention afférente à cette somme avec G______, qu'elle-même s'était contentée de signer (PP 500'154). Au cours du chantier, elle avait participé à de très nombreuses séances et réunions, à la suite desquelles elle avait modifié "[d]es plans" en fonction de ce qui avait été discuté (PP 500'588).

e.d. Le 24 novembre 2023, A______ a requis du Ministère public qu'il lève le séquestre ordonné sur son appartement (PP 308’301.01 et ss).

La différence de prix entre son lot et celui des autres acheteurs ne résultait nullement d’une infraction. Elle avait conclu, en 2018/2019, un accord pour acquérir une habitation à prix coûtant, lequel avait simplement été respecté. Les intervenants de la promotion étaient libres de négocier avec les autres acquéreurs un tarif plus élevé, correspondant au prix du marché.

Subsidiairement, à supposer qu'une infraction existât, les conditions de l'art. 70 al. 2 CP étaient réunies. Elle était de bonne foi au moment de l’acquisition de son logement et avait fourni une contre-prestation justifiant le "rabais" litigieux, à savoir une activité soutenue lors de l'exécution du chantier.

En tout état, la saisie querellée était disproportionnée, la probabilité du prononcé d'une future confiscation/créance compensatrice ne s'étant en aucun cas renforcée lors de l'instruction.

C. Dans sa décision déférée (PP 308'302 et ss), le Ministère public a considéré que les avantages financiers consentis par E______ à A______ avaient nécessairement prétérité les autres acheteurs. Le prévenu devait, sauf à violer son devoir de gestion, informer ces derniers du fait que des commissions avaient été versées à C______/D______ SA/F______ SARL, de façon à ce qu’ils puissent en réclamer la restitution; il devait également s'assurer que les prix de construction négociés pour leur compte le soient dans leur intérêt. L'accord conclu par A______ en 2018/2019 n’était plus applicable au moment de la signature des actes de vente, les prix du terrain et de la construction ayant sensiblement augmenté dans l'intervalle.

Les réquisits de l'art. 70 al. 2 CP n'étaient pas réalisés. Bien que A______ ait acquis son appartement de bonne foi, l’existence d’une contre-prestation équivalente devait être niée, faute, pour l’intéressée, d’avoir produit un contrat attestant qu’elle aurait été mandatée pour accomplir une activité pendant le chantier, non plus qu’un décompte des prestations/heures effectuées par ses soins.

À cette aune, le maintien du séquestre se justifiait.

D. a.a. À l'appui de ses recours et réplique, A______ persiste, pour l'essentiel, dans ses précédents arguments.

Elle ajoute qu'une infraction à l'art. 158 CP ne pouvait entrer en ligne de compte, dès lors que E______ n'avait jamais été chargé de veiller aux intérêts pécuniaires des acheteurs, ni n'avait bénéficié d'un pouvoir de gestion autonome sur leurs avoirs.

a.b. Elle joint à cet acte, entre autres pièces nouvelles, un décompte établi à l'en-tête de F______ SARL, détaillant l'activité accomplie au titre de "suivi de la construction (…) de[s] 4 appartements".

b. Invité à se déterminer, le Ministère public conclut au rejet du recours, pour les motifs exposés dans sa décision, précisant qu'au vu des "déclarations et positions" de la recourante, sa bonne foi était "loin d'être établie".

 

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner du tiers saisi qui, partie à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir lever le séquestre ordonné sur son appartement (art. 105 al. 2 et 382 al. 1 CPP).

1.2. Il en va de même des pièces nouvelles produites à l'appui de cet acte (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2. 2.1.1. Le prononcé (art. 263 CPP) et le maintien (267 al. 1 CPP) d'un séquestre supposent la réalisation des deux conditions suivantes, notamment :

i. Des soupçons suffisants laissent présumer la commission d'une infraction (art. 197 al. 1 let. b CPP).

ii. Il est probable que les objets ou valeurs concernés par la saisie seront, au terme de la procédure, confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou utilisés pour couvrir une créance compensatrice (art. 263 al. 1 let. e CPP).

ii.a. La finalité des art. 70 (confiscation) et 71 (créance compensatrice) CP est d'ôter à l'auteur ou au tiers bénéficiaire toute rentabilité à l'infraction commise. Il s’agit de supprimer l'avantage financier résultant de l'activité illicite et ce, que ledit auteur/tiers dispose toujours de cet avantage – auquel cas une confiscation est envisageable – ou non (parce qu'il l'a aliéné, etc.) – hypothèse qui justifie alors le prononcé d'une créance compensatrice – (arrêt du Tribunal fédéral 7B_191/2023 du 13 mars 2024 consid. 2.3.3 et 2.3.4; L. MOREILLON/Y. NICOLET, La créance compensatrice, in RPS 135 (2017), p. 417 et p. 419).

Dit avantage doit, pour être saisissable, avoir une valeur économique; il peut revêtir la forme d'une augmentation de l'actif (par exemple, le versement des fonds délictueux sur un compte bancaire; arrêt du Tribunal fédéral 1B_398/2022 du 13 décembre 2022 consid. 5.1) ou d'une non-augmentation du passif (telles que les économies réalisées grâce à la commission de l'infraction; L. MOREILLON/ A. MACALUSO/ N. QUELOZ/ N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 14 ad art. 70; L. MOREILLON/ Y. NICOLET, op. cit., p. 420).

ii.b. Le séquestre doit être maintenu tant que subsiste la probabilité du prononcé d'une mesure fondée sur l’art. 70/71 CP, l'intégralité des objets/valeurs concernés devant demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle (arrêt du Tribunal fédéral 7B_191/2023 précité, consid. 3.1).

Toutefois, cette probabilité doit se renforcer au cours de l'instruction (ibidem).

2.1.2. Le séquestre est une mesure conservatoire, fondée sur la vraisemblance. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques délicates ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (arrêt du Tribunal fédéral 7B_191/2023 précité, consid. 3.1).

2.2. En l'espèce, il sied de déterminer si la recourante a été favorisée de manière illicite lors de l’acquisition de sa quote-part de terrain, au détriment des autres acheteurs, premier motif sur lequel repose la saisie querellée.

À teneur du dossier, la valeur des quatre quotes-parts de terrain stipulée dans les actes de vente notariés incluait, outre le prix de la parcelle, des commissions de courtage – commissions que les propriétaires de ladite parcelle devaient à C______/D______ SA et qu’ils ont répercutées sur les acquéreurs –.

Si l’on déduit de la valeur de chacune de ces quotes-parts le montant de la commission imputé à son/ses détenteur(s), l'on constate que le coût effectif du terrain (CHF 2'200'000.-) a été réparti de façon égale entre les intéressés, soit à raison de CHF 550'000.- par lot. Ainsi, pour :

·      les époux I______ : CHF 725'000.- – CHF 175'000.- = CHF 550'000.-;

·      J______/K______ : CHF 613'500.- – CHF 63'500.- = CHF 550'000.-;

·      la recourante : CHF 556'800.- – CHF 6'800.- = CHF 550'000.-;

·      D______ SA : CHF 725'000.- – CHF 175'000.- = CHF 550'000.-.

La différence entre les prix de ces quotes-parts s'explique donc, non par un tarif préférentiel consenti à la recourante sur le coût du terrain, mais par la quotité de la commission mise à la charge de chacun des acheteurs.

À supposer que ces commissions soient le produit de l’une et/ou l’autre des infractions reprochées à E______ – question qui souffre de demeurer ici indécise –, la recourante n'en aurait retiré aucun gain illicite, susceptible d'être saisi.

En effet, les sommes concernées ont enrichi C______ et D______ SA.

Par ailleurs, si l'on part de l'hypothèse que lesdites commissions étaient illicites, l'on ne saurait faire grief à la recourante d’avoir réalisé une économie, en s'étant acquittée d'une part moins élevée de celles-ci que les autres acquéreurs.

Il s’ensuit que le premier argument à l’appui du séquestre litigieux est impropre à en justifier le maintien.

2.3. Reste à examiner si la recourante a été avantagée de manière illicite lors de la construction de son appartement, au détriment des autres copropriétaires, second motif sur lequel repose la saisie querellée.

2.3.1. Il résulte de la procédure que le prix global de la construction des quatre logements concernés (CHF 3'164'500.-) a été majoré, par E______ et H______ – la recourante ne semblant pas avoir été associée à cette décision –, de CHF 200'000.-, somme correspondant aux honoraires d’architecte facturés par F______ SARL.

Ce coût final (CHF 3'364'500.-) a été réparti entre la recourante (CHF 702'000.-) et les trois autres copropriétaires (CHF 887'500.- chacun).

2.3.2. En admettant que le montant de CHF 200'000.- soit le produit de l’une et/ou l’autre des infractions reprochées aux deux prénommés – point que l’on peut se dispenser de trancher in casu –, la recourante n'en aurait retiré aucun bénéfice illicite personnel, susceptible d'être saisi.

En effet, cette somme n’était pas destinée à construire son appartement, mais à régler des prestations d’architecte.

De plus, seule F______ SARL a bénéficié des valeurs concernées, société qui jouit d'une personnalité juridique distincte de son associée gérante et employée.

Par surcroît, si l'on part de l'hypothèse que cette commission était illicite, l'on ne saurait faire grief à la recourante d’avoir réalisé une économie, en ne s’acquittant pas de celle-ci, le cas échéant dans la même mesure que les autres acheteurs.

2.3.3. La recourante soutient que le coût effectif de la construction de son logement s’est élevé à CHF 702'000.- (cette habitation ayant été acquise à prix coûtant).

Dans l’affirmative, les fonds investis par les copropriétaires de l’intéressée n’auraient alors pas profité indirectement à cette dernière.

Bien que l’on connaisse le prix global de la construction des quatre appartements (CHF 3'164'500.-), le dossier ne comporte aucun élément permettant d’évaluer les frais nécessaires à leur réalisation individuelle – l’instruction n’ayant pas porté sur cet aspect –.

Une répartition égalitaire de la somme précitée entre les acheteurs (CHF 3'164'500.-/4 = CHF 791'125.-) apparaît théorique, ces habitations comportant toutes des spécificités.

La marge bénéficiaire que G______ prévoyait de réaliser sur chaque logement n’est pas non plus connue – marge à laquelle il est renoncé en cas de prestations exécutées à prix coûtant –.

Il s’ensuit que, deux ans et demi après le prononcé de la saisie, les actes d’enquête accomplis ne permettent pas d’infirmer, avec une vraisemblance suffisante, la thèse avancée par la recourante.

2.3.4. À cette aune, le second argument à l’appui de ladite saisie ne peut pas (cf. consid. 2.3.2), respectivement plus (cf. consid. 2.3.3), en justifier le maintien.

2.4. En conclusion, le recours se révèle fondé.

L'ordonnance entreprise sera donc annulée et le séquestre levé, à charge pour le Ministère public d'entreprendre les démarches qui s’imposent auprès du Registre foncier.

3. 3.1. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

3.2. La recourante sollicite le versement d'une juste compensation (CHF 12'161.25), fondée sur l'art. 434 CPP, eu égard à l'activité déployée par son conseil devant la Chambre de céans (25 heures).

3.2.1. Les tiers qui, par le fait d'actes de procédure, subissent un dommage ont droit à une juste compensation (art. 434 al. 1 CPP), notion qui inclut les frais de défense engagés par leurs soins (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1210/2017 du 10 avril 2018 consid. 4.1).

Pareille prétention se règle dans le cadre de la décision finale ou, si le cas est clair, par le ministère public pendant la procédure préliminaire (art. 434 al. 2 CPP).

Se fondant sur cette dernière norme, la Chambre de céans n'entre en principe pas en matière sur les conclusions tendant à l’octroi de dépens pour la procédure de recours (ACPR/330/2024 du 6 mai 2024, consid. 4.1.1).

3.2.2. À la lumière de ces principes, il appartiendra à la recourante de solliciter le défraiement de ses dépens, le moment venu, auprès du Procureur ou du juge du fond, conformément aux réquisits de l'art. 434 al. 2 CPP.

Il ne sera donc pas entré en matière sur sa requête.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance du 17 janvier 2022, par laquelle le Ministère public a ordonné le séquestre de l'appartement de A______ sis au chemin 1______ no. ______, en mains du Registre foncier, et la restriction du droit d'aliéner ce bien.

Ordonne la levée du séquestre portant sur cet immeuble.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

 

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).