Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/18956/2023

ACPR/622/2024 du 23.08.2024 sur ONMMP/2310/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18956/2023 ACPR/622/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 août 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Damien MENUT, avocat, MENUT WINIGER REVELO Avocats, rue des Glacis-de-Rive 23, 1207 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 10 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 mai 2024, notifiée le 30 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de ladite ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public, pour qu'il ouvre une instruction pénale et entreprenne plusieurs actes d'instruction aux fins d'établir l'identité du ou des auteurs des infractions dénoncées.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 31 août 2023, A______, conductrice poids lourds au sein du service de la voirie de la Commune de B______, a déposé plainte contre inconnu pour calomnie (art. 174 CP) et corruption active (art. 322ter CP).

Seule femme de son service, elle avait fait abstraction des quelques remarques déplacées et sexistes émises par des collègues, mais dernièrement c'était "allé trop loin". À son retour de vacances, en juillet 2023, un collègue lui avait demandé si elle était bien partie en vacances avec son supérieur, C______. Interloquée, elle s'était directement rendue auprès de ce dernier, qui lui avait dit ignorer l'origine de cette rumeur. Il avait été convoqué par le chef de service, D______, et avait reçu, à cette occasion, un avertissement oral, après que plusieurs personnes eurent rapporté ce ragot et le fait qu'il l'aurait privilégiée face à d'autres chauffeurs. Le dernier nommé aurait refusé de donner ses sources, invoquant la protection de la personnalité des employés. La rumeur s'était propagée dans d'autres services de la ville. Or, elle n'était jamais partie en vacances avec C______ ni n'avait entretenu de relation avec lui. Les innombrables discussions concernant la "jolie blonde" qui se "tape" son chef, et qui "couche avec son responsable" la faisaient passer pour la "salope" du service et étaient calomnieuses et profondément blessantes.

Elle a sollicité l'audition de E______, responsable des ressources humaines, et de D______, ainsi que le dépôt, par ce dernier, des documents, courriels, messages type WhatsApp ou autres, qui traitaient des faits dénoncés.

b. Entendu par la police le 27 novembre 2023, D______ a expliqué qu'au sein du service de collecte des déchets, il y avait environ quatre-vingts employés, et C______ en était l'adjoint du chef. Il y avait également un service des ressources humaines et une commission du personnel. Les employés allaient librement dans ces deux services pour faire part de ce qu'ils avaient à dire. Cinq à six mois plus tôt, des rumeurs ou des plaintes lui étaient parvenues, par le biais de la commission du personnel et le responsable des ressources humaines, en lien avec la gestion de C______. Selon ces bruits, le prénommé était proche de cinq à six employés, dont A______, et les favorisait en termes de planification. En mai ou juin 2023, C______ avait été convoqué, de manière informelle, et il lui avait été conseillé de faire attention, que ces critiques fussent fondées ou non. C______ l'avait mal pris et avait contesté les faits. Il ignorait qui était à l'origine de ces ragots ni même s'ils provenaient d'une seule ou de plusieurs personnes ou encore s'il s'agissait de conversations de café. Il n'avait pas entendu de rumeurs concernant A______ et cette dernière n'avait pas pris contact avec lui ni ne lui avait parlé de son mal-être.

c. Entendu par la police le 14 décembre 2023, E______, responsable des ressources humaines de la voirie, avait entendu, via des rumeurs de cafétéria et à la commission du personnel, que C______ était proche d'un petit groupe de collaborateurs, dont A______. Il s'agissait d'une proximité amicale. Certains membres du personnel avaient vu C______, accompagné de quelques autres employés, y compris A______, dans plusieurs bars, ce qui en soi n'était pas interdit. En raison de la diffusion des rumeurs, il y avait eu une petite alerte de la commission du personnel pour une suspicion de favoritisme. Pour sa part, il n'avait pas constaté un tel comportement. Cependant, à l'occasion d'une des séances organisées régulièrement, D______ avait sensibilisé C______ sur l'existence de ragots de favoritisme afin d'éviter que ce dernier soit décrédibilisé. Il n'y avait pas eu de sanction et les propos tenus étaient confidentiels. Quelques mois plus tard, C______ lui avait demandé l'origine de ces rumeurs, mais il n'avait donné aucun nom, voulant maintenir une relation de confiance avec la commission du personnel et ne souhaitant pas lever la confidentialité. De toute manière, il ne connaissait pas les noms exacts des personnes concernées. Récemment, il avait entendu des bruits de couloir disant que A______ avait déposé plainte en raison de la rumeur selon laquelle elle "couchait" avec C______. Il ignorait la ou les personnes à l'origine de cette rumeur-ci ni celles qui l'avaient propagée et ne pensait pas qu'un collègue ou un autre service le saurait, y compris le président de la commission du personnel.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public constate que malgré l'enquête de police et les auditions effectuées, l'auteur des propos litigieux n'avait pas pu être formellement identifié.

D. a. Dans son recours, A______ relève, d'une part, que, faute de s'exprimer à ce sujet, le Ministère public semblait admettre l'atteinte à l'honneur dont elle se plaignait.

D'autre part, contrairement à ce qu'avait retenu l'autorité précédente, les auditions menées avaient apporté de nouveaux éléments susceptibles de permettre l'identification de l'auteur. Les rumeurs avaient été entendues par le biais de la commission du personnel et E______ semblait connaître les noms des personnes impliquées, dès lors qu'il avait refusé de les donner. Tous les moyens pour identifier l'auteur de l'infraction reprochée n'avaient donc pas été épuisés, en l'état.

Elle sollicite l'audition du Président de la commission du personnel, ainsi que toute autre personne au sein de cette commission en mesure d'apporter des éléments pertinents; le dépôt par D______ de documents, e-mails, messages WhatsApp ou autres traitants des faits dénoncés; et la révélation par E______ du nom de la personne qui lui avait transmis les rumeurs.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le Procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue. Parmi les motifs de fait, on trouve l'impossibilité d'identifier l'auteur ((Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 et 9a ad art. 310).

3.2. En l'espèce, malgré les actes entrepris, il n'a pas été possible d'identifier la ou les personnes à l'origine de l'information qui circulait sur le compte de la recourante – soit des vacances avec son supérieur hiérarchique, ce qui, selon elle, laissait sous-entendre une relation intime avec ce dernier – ou qui aurait contribué à sa propagation.

En effet, il ressort des déclarations recueillies qu'il pourrait s'agir de bruits de couloir rapportés à la commission du personnel, espace empreint de confidentialité, dans lequel les employés s'expriment librement sur la vie du service. Par ailleurs, il apparaît que les propos incriminés concernaient, à l'origine, une éventuelle problématique de favoritisme de la part de C______ envers un petit groupe de collaborateurs sous sa responsabilité, plutôt que d'une relation intime avec la recourante. Or, par définition, une rumeur est changeante, au gré des oreilles qui l'écoutent et des bouches qui la colportent. Il est ainsi quasi impossible d'en remonter le fil pour établir l'identité de la ou des personnes à son origine ayant participé à sa propagation. D'ailleurs, même le responsable des ressources humaines n'a pas été en mesure de donner de nom, ignorant celui des personnes pouvant être en cause. Une nouvelle audition de E______ à ce sujet apparaît donc peu probante. Pour le même motif, l'audition du président de la commission du personnel, dont aucun élément au dossier ne permet de retenir qu'il aurait recueilli les propos incriminés ou qu'il détiendrait plus d'information quant à l'identité de la ou des personnes éventuellement impliquées, n'est pas non plus utile.

Partant, il n'apparait pas que la ou les personnes à l'origine de la rumeur et de sa propagation pourraient être identifiées par le biais d'actes d'instruction complémentaires, y compris ceux sollicités. Aucun élément au dossier ne laisse non plus supposer l'existence d'un quelconque document, courriel, message WhatsApp ou autre, concernant les faits dénoncés. Les personnes interrogées n'y font aucunement mention, au demeurant. De plus, le sujet ayant été évoqué de manière volontairement informelle avec C______, la réalité de tels écrits semble d'autant moins vraisemblable.

Cette conclusion dispense la Chambre de céans – et dispensait le Ministère public – d'examiner si les propos litigieux étaient attentatoires à l'honneur de la recourante.

C'est donc à bon droit que le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte, et les mesures d'instruction réclamées seront rejetées.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18956/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00