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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12175/2022

ACPR/621/2024 du 23.08.2024 sur ONMMP/2323/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;ÉMISSION TÉLÉVISÉE
Normes : CPP.310; CP.173

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12175/2022 ACPR/621/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 août 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Céline GHAZARIAN, avocate, quai Gustave-Ador 2 - case postale 433, 1211 Genève 12,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 10 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 mai 2024, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale pour diffamation et calomnie contre les journalistes B______, C______ et D______.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la procédure au Ministère public pour qu'il reprenne l'instruction, sous suite de frais judiciaires et dépens.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'400.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 2 juin 2022, A______ a déposé plainte pour diffamation et calomnie contre [le groupe de média] E______, ainsi que contre B______, D______ et C______, journalistes, auxquels elle reprochait d'avoir porté atteinte à son honneur dans l'émission "F______" intitulée "Fake news, ______", diffusée le ______ mars 2022 sur E______ et le ______ mars 2022 sur G______. Ce reportage la présentait comme une adepte de théories du complot et de théories pseudo-scientifiques, propageant des infoxs ("fake news") pour gagner de l'argent et s'opposant aux mesures sanitaires de la pandémie, ainsi qu'en l'assimilant à des mouvements violents.

Interpellée par le Ministère public, A______ a produit une copie du reportage.

Celui-ci dure environ 52 minutes et se rapporte à la propagation d'infoxs, plus particulièrement dans le cadre de la lutte contre les mesures liées à la pandémie de Covid-19. Les opinions de personnes actives en politique, dans la santé, dans l'administration, y compris des opposants aux mesures susmentionnées, sont rapportées et explicitées par des commentaires de spécialistes et des séquences vidéo.

L'émission était présentée sur le site internet de E______ en ces termes : "Des manifestants qui veulent s’emparer du Palais fédéral, des appels à la violence, des menaces, des agressions. La pandémie a propagé un autre virus, les fake news, la désinformation. Une arme essentielle du mouvement de contestation de la politique sanitaire suisse, une nébuleuse d’intérêts particuliers et d’adeptes de théories du complot. Au point d’inquiéter sérieusement les responsables de la sécurité intérieure du pays".

Le reportage comporte plus spécialement les passages suivants :

- La diffusion d'une capture d'écran du site internet de A______, sur laquelle son nom et sa photographie sont reconnaissables, avec un gros plan sur la rubrique "Faire un don" (minute 15:30), précédée des explications de H______, chercheuse à l'Institut d'études en communication et de recherche sur les médias de l'Université de I______, selon laquelle la diffusion de fausses informations peut être motivée par des intérêts économiques ou personnels. La chercheuse donne ainsi préalablement trois exemples (minute 14:30) : certaines personnes diffuseraient de fausses informations pour obtenir plus de visiteurs sur leurs sites Internet et s'enrichir grâce à des publicités, d'autres vendraient des produits de médecine alternative ou d'autres encore auraient un intérêt personnel à vendre des livres ou donner des conférences diffusant l'une ou l'autre des théories du complot et gagner de l'argent par des appels aux dons. La capture d'écran susmentionnée est présentée simultanément à ce dernier exemple.

Selon A______, ce passage constituait une accusation de propager de fausses informations dans son intérêt personnel, à savoir pour gagner de l'argent et s'enrichir sur le dos des personnes qui la suivent.

- Une voix hors champ déclare : "Toutes les questions peuvent être abordées, débattues, y compris les risques du vaccin, son efficacité, la justesse des mesures politiques, leur légalité… toutes les questions sont légitimes. Mais le danger, c'est lorsqu'elles sont récupérées par des acteurs de la désinformation intéressés, partisans du complotisme et de théories pseudo‑scientifiques… là, on franchit une limite" (minute 34:05) ; suivent plusieurs brefs extraits de vidéos, dont une de A______ affirmant que "le vaccin est le réinfectant, c'est le vaccin qui est le delta" (minute 34:35).

Selon A______, ses déclarations étaient tronquées et déformées et ses sources scientifiques omises pour la présenter comme une adepte des théories complotistes et une menace pour la société.

- Une voix hors champ déclare : "Nous observons depuis des mois certains mouvements complotistes sur les réseaux sociaux. Leur point commun : tous considèrent le vaccin comme toxique. Parmi eux, l'une des personnalités, très influente, c'est A______" (minute 35:10) ; suit un extrait de vidéo du 29 mai 2021, dans laquelle la précitée affirme : "Le principe de précaution, c'est de ne pas embrasser et surtout les jeunes, ne pas avoir de relations sexuelles avec une personne vaccinée. C'est comme le sida, c'est que vous passez le vaccin à travers les relations sexuelles" (minute 35:20).

Selon A______, la citer comme personnalité influente des mouvements complotistes constituait une atteinte à son honneur vu les faits graves imputés à ces mouvements dans le reportage (violence, prise d'assaut du Palais fédéral, etc.)

- Une voix hors champ déclare : "A______ habite à J______ [GE], nous l'avons sollicitée plusieurs fois, elle n'a jamais répondu. Elle n'est pas docteur en médecine, elle a étudié la psychologie, a accompli un doctorat en santé publique, d'où son titre de docteur. Elle joue la carte de la scientifique pour démonter les mesures sanitaires suisses. Par exemple ici, lors d'une conférence en Valais, elle conteste les tests PCR" (minute 35:40) ; suit un extrait de vidéo d'une conférence "M______" du ______ novembre 2021 dans laquelle A______ déclare : "C'est le test qui n'a aucune validité, qui a 99% de faux positif, si vous mettez de l'eau saline dans votre nez vous êtes négatif, si vous mettez du coca cola, vous êtes positif… [rires] non mais je vous le dis, si jamais vous voulez essayer… [rires]" (minute 36:05).

A______ conteste avoir été contactée formellement pour participer à ce reportage. Il était fait abstraction de son parcours scientifique au cours des 30 dernières années pour la dénigrer et porter atteinte à son image. Elle avait été filmée dans sa sphère privée, lors d'une réunion qui n'était pas destinée au public. S'agissant du test PCR, la vidéo était tronquée pour dénigrer sa crédibilité et faisait abstraction de ses explications scientifiques.

- Une voix hors champ déclare : "Elle est extrêmement présente sur les réseaux sociaux avec près de 11'000 abonnés sur Telegram, 11'000 sur Facebook, 17'500 sur Twitter, sans parler des innombrables interventions sur des médias alternatifs où elle développe des théories parfois à la limite du délirant. Comme ici, elle fait des révélations sur le contenu du vaccin…" (minute 36:20) ; suit un extrait de vidéo dans laquelle A______ affirme : "Ils ont isolé une chose en particulier, c'est un parasite et c'est un œuf de parasite. Et ils ont eu la bonne idée de la mettre sous une lampe pour la chauffer, pour la faire se développer donc comme un œuf et qu'est-ce qui est arrivé ? c'est que l'œuf a éclos et qu'il est sorti hop une hydre. (…) cette hydre est vivante, elle bouge (…) elle a des yeux, elle a des comportements que l'on ne comprend pas, un genre alien, un animal tout petit comme ça (…) il se colle au système neurologique apparemment…" (minute 36:45), puis un commentaire de la voix hors champ : "Là, elle ne parle pas de l'animal mythologique mais bien de l'animal" (minute 37:20).

Selon A______, il existait d'autres scientifiques nettement plus suivis qu'elle sur les réseaux sociaux. Ces propos visaient à confirmer qu'elle cherchait à endoctriner ses lecteurs par de fausses informations.

- Une voix hors champ déclare : "K______ est une émission pro QAnon, une mouvance qui pense que le monde est gouverné par une élite mondialisée appartenant à une secte pédo-satanique. Son animateur, L______ [prénom], assume complètement. C'est avec lui que A______ a créé tout récemment une ONG basée à J______ [GE], dont le nom est évocateur : K______. L'ONG propose une école en ligne notamment pour les enfants déscolarisés à cause des mesures coronavirus, elle propose un centre médical qui recrute des médecins, y compris les bannis du système et… bien sûr une boutique… Parmi les produits en vente, on trouve des kits de purification contre le vaccin anti-covid… un kit à 155 euros qui contient entre autres deux flacons de MMS, un produit considéré comme dangereux et faisant l'objet d'un sévère avertissement de Swissmedic et de toutes les autres agences de santé" (minute 38:55).

Selon A______, il était faux de l'assimiler au mouvement QAnon. Elle n'avait jamais approuvé ou validé la vente du MMS.

De manière générale, A______ fait grief à ce reportage de la présenter comme une menace pour la société, ce qui portait atteinte à son image et à sa réputation, mettait en danger sa sécurité personnelle et portait préjudice à sa vie privée et professionnelle.

b. Le Ministère public a invité B______, D______ et C______ à fournir des observations.

En réponse, après avoir souligné que le reportage n'était pas centré autour de la plaignante, ils ont rappelé qu'elle n'était pas accusée de mettre en danger la sécurité intérieure du pays. Il n'était pas non plus prétendu que les dons qui lui seraient faits seraient contraires au droit ou à la morale. Certes, le reportage laissait entendre qu'elle propageait des théories pseudo-scientifiques et qu'elle était perçue comme une personne de référence dans les mouvements complotistes, mais cela était conforme à la vérité. Aucune association n'était faite entre la plaignante et la mouvement QAnon.

Les journalistes ont souligné avoir tenté à plusieurs reprises, dont deux fois par courriel, de contacter A______, sans succès.

À l'appui de leurs observations, B______, D______ et C______ ont notamment produit une copie de deux courriels adressés à A______ pour lui proposer de participer au reportage et lui soumettre un script de celui-ci.

c. Le Ministère public a transmis les observations de B______, D______ et C______ à A______, qui s'est prononcée à leur sujet.

d. Le Ministère public a versé à la procédure une page du site internet www.youtube.com dont il ressort qu'une vidéo de la conférence de A______ "M______" du ______ novembre 2021 y est visible.

C. À teneur de l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'affirmer qu'une personne était "complotiste" n'était pas de nature à la rendre méprisable, même si elle était désignée comme une personne "très influente" dans ce mouvement. D'ailleurs, le fait d'évoquer des actes violents commis par celui-ci ne revenait pas à assimiler A______ à une personne violente. Avoir montré le site Internet de la prénommée en lien avec l'évocation de motivation économique à la diffusion de fausses informations ne permettait pas de retenir qu'elle avait adopté un comportement méprisable. S'agissant de la diffusion de fausses informations, elle avait défendu publiquement des opinions critiquées par les journalistes, ce qui n'avait pas pour conséquence de la rendre méprisable. Il en allait de même de l'usage du terme "délirant" pour qualifier ses opinions exprimées sur les réseaux sociaux notamment. Quant à de prétendus dégâts à sa crédibilité et à son image, A______ avait été critiquée sur ses qualités professionnelles, ce qui n'était pas pénalement relevant. Le fait qu'elle n'ait éventuellement pas été contactée pour le reportage était sans incidence. La séquence filmée lors d'une réunion qu'elle décrit comme privée était par ailleurs disponible librement sur Internet. Enfin, le rapprochement mentionné avec une émission proche du mouvement QAnon et l'animateur de celle-ci n'équivalait pas à assimiler A______ à un auteur d'attentat ou d'autre acte violent.

D. a. Dans son recours, A______ conteste cette approche consistant à prendre isolément chaque passage de l'émission, sans s'attacher à l'impression générale qui s'en dégageait, notamment quant à l'objet du reportage. Elle était ainsi dépeinte comme une personne présentant un danger pour la sécurité du pays, inconsciente et sans scrupules. En tout état, le simple soupçon diffusé par l'émission aurait été suffisant pour une entrée en matière sur sa plainte. Le tout était renforcé par le dessein lucratif qui lui était prêté.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public son refus d'entrer en matière sur sa plainte pour infraction contre l'honneur.

3.1. À teneur des art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7).

3.2. Aux termes de l'art. 173 ch. 1 CP, se rend coupable de diffamation quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon.

Cette disposition protège la réputation d'être un individu honorable, c'est-à-dire de se comporter comme une personne digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. Il faut donc que l'atteinte fasse apparaître la personne visée comme méprisable. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'être humain (ATF 148 IV 409 consid. 2.3; 137 IV 313 consid. 2.1.1; 132 IV 112 consid. 2.1). La réputation relative à l'activité professionnelle ou au rôle joué dans la communauté n'est pas pénalement protégée. Il en va ainsi des critiques qui visent comme tels la personne de métier, l'artiste ou le politicien, même si elles sont de nature à blesser et à discréditer (A TF 145 IV 462 consid. 4.2.2; 119 IV 44 consid. 2a; 105 IV 194 consid. 2a). Dans le domaine des activités socio-professionnelles, il ne suffit ainsi pas de dénier à une personne certaines qualités, de lui imputer des défauts ou de l'abaisser par rapport à ses concurrents. En revanche, il y a atteinte à l'honneur, même dans ces domaines, si on évoque une infraction pénale ou un comportement clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises (ATF 145 IV 462 consid 4.2.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1120/2023 du 20 juin 2024 consid. 1.1.1).

Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 148 IV 409 consid. 2.3.2; 145 IV 462 consid. 4.2.3; 137 IV 313 consid. 2.1.3). Aussi, il est constant qu'en matière d'infractions contre l'honneur, les mêmes termes n'ont pas nécessairement la même portée suivant le contexte dans lequel ils sont employés (ATF 148 IV 409 consid. 2.3.2; 145 IV 462 consid. 4.2.3; 118 IV 248 consid. 2b). Selon la jurisprudence, un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble
(ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 et l'arrêt cité; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1120/2023 du 20 juin 2024 consid. 1.1.1).

Dans la discussion politique, l'atteinte à l'honneur punissable ne doit être admise qu'avec retenue et, en cas de doute, niée. La liberté d'expression indispensable à la démocratie implique que les acteurs de la lutte politique acceptent de s'exposer à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. Il ne suffit ainsi pas d'abaisser une personne dans les qualités politiques qu'elle croit avoir. La critique ou l'attaque porte en revanche atteinte à l'honneur protégé par le droit pénal si, sur le fond ou dans la forme, elle ne se limite pas à rabaisser les qualités de l'homme politique et la valeur de son action, mais est également propre à l'exposer au mépris en tant qu'être humain (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.4 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1120/2023 du 20 juin 2024 consid. 1.1.6).

3.3. Exception faite du régime particulier découlant de l'art. 28a CP (protection des sources), le journaliste ne bénéficie d'aucun privilège en cas d'atteinte à l'honneur par voie de presse (ATF 131 IV 160 consid. 3.3.2).

3.4. Selon la jurisprudence de la Chambre de céans, le fait d'être désigné comme "complotiste" n'est pas attentatoire à l'honneur : affirmer qu'une personne réfute la pensée majoritaire, voire officielle – en l'occurrence en lien avec l'épidémie de Covid-19 et les mesures prises par les autorités –, la fait apparaître comme réfractaire, mais nullement comme méprisable (ACPR/7/2023 du 4 janvier 2023). Il en va de même si une personne est désignée comme "une leader du mouvement opposé au certificat Covid", ainsi que proche de la mouvance "QAnon", dans la mesure où il n'est pas soutenu que la personne appartiendrait à dite mouvance (ACPR/196/2024 du 15 mars 2024 et ACPR/7/2023 du 4 janvier 2023).

Dans le même contexte, la Chambre de céans a retenu que la qualification d'"illuminé" (soit une personne dénuée d'esprit critique, qui soutient une doctrine avec une foi aveugle, un zèle fanatique) ou "irréductible" (soit quelqu'un qui ne transige pas, qu'on ne peut fléchir) n'était pas attentatoire à l'honneur (ACPR/10/2023 du 4 janvier 2023).

3.5. Le dictionnaire de l'Académie française (9ème éd.) définit comme délirant : au sens pathologique ou psychopathologique, ce qui est en proie au délire qui en présente les caractères ou, au sens figuratif, exubérant, excessif, débridé, extravagant.

3.6. En l'espèce, la recourante soutient que, de manière globale, le reportage la présenterait comme un danger pour la sécurité du pays eu égard à la partie introductive du reportage et au ton général de celui-ci. Ce faisant, elle occulte, comme l'ont souligné l'autorité précédente et les journalistes, que le reportage – qui n'est pas uniquement centré sur sa personne – ne la désigne à aucun moment comme violente ou mettant en danger la sécurité du pays. Au contraire, le reportage aborde des aspects variés des courants s'opposant aux mesures étatiques liées à la pandémie de Covid-19, sans faire d'amalgame entre les participants à ces courants et sans les définir en bloc comme violents ou présentant un danger pour la société. Un spectateur neutre comprend, que ce soit en visionnant la globalité du reportage litigieux ou des seuls passages concernant la recourante, que toutes les personnes, y compris celle-ci, qui ont pu être opposées aux mesures susmentionnées, ne sont pas des acteurs violents ou mettant en danger les institutions. Plus particulièrement, le portrait de la recourante est nuancé et détaillé en termes précis, qui ne la font jamais apparaître, ni pris dans le détail, ni globalement, comme une personne adoptant des comportements indignes ou déshonorants. Au contraire, les extraits vidéos la montrent s'exprimant calmement et posément. Cette présentation précise et objective ne saurait être mal interprétée par un téléspectateur. La recourante n'a ainsi pas été présentée, ni indirectement ni implicitement, comme un danger ou une propagatrice d'actes violents.

Il faut d'ailleurs souligner que la recourante, en s'engageant publiquement et politiquement sur ce sujet lié à la santé publique et objet de votations, s'exposait à une critique de ses positions, notamment par des journalistes dans des médias de masse. Les propos qu'elle dénonce doivent être interprétés, de manière générale, à l'aune de ces critères et non comme le seraient ceux dirigés contre une personne qui ne s'exprime que dans le cadre privé.

Ainsi, comme il a déjà été jugé par la Chambre de céans, le fait d'être présentée comme associée à des personnes proches de la mouvance "QAnon" n'est pas attentatoire à l'honneur. Il en va de même pour la qualification de "complotiste" ou la référence aux "pseudo-sciences". Ces deux dernières désignations n'emportent pas une appréciation de nature à rendre méprisable la personne désignée, dès lors que le fait de croire à un autre système de valeurs, qui ne reposent pas exclusivement sur des bases scientifiques, n'est pas indigne.

Il en va de même du mot "délirant" employé par les journalistes. Ceux-ci n'avaient de toute évidence aucune intention de qualifier littéralement et médicalement les propos visés, mais bien plutôt d'utiliser le sens figuratif de ce mot et de souligner le caractère débridé et extravagant de certaines affirmations de la recourante. D'ailleurs, l'usage de ce terme est encore atténué par les mots "à la limite du", qui montrent une certaine retenue.

S'agissant ensuite des appels aux dons formulés par la recourante, il n'est pas inusuel que des organismes actifs publiquement (politiques, associatifs, non gouvernementaux, etc.) y recourent. En soi, cette pratique n'est pas méprisable. Ensuite, le contexte du reportage démontre bien que la recourante n'est pas présentée comme souhaitant recueillir des dons en promouvant la déstabilisation de la société ou la violence, contrairement à ce qu'elle affirme. La chercheuse interviewée à ce moment du reportage souligne que certaines personnes concernées souhaitent obtenir un soutien financier en échange de livres ou de conférences en diffusant l'une ou l'autre théorie dont elles se déclarent les adeptes. La page Internet de la recourante est présentée immédiatement après. Le fait de vouloir gagner de l'argent par des livres ou des conférences données à des personnes qui s'intéressent à des thématiques qui ne sont pas scientifiquement prouvées n'est pas méprisable. Cette séquence est donc dénuée de caractère diffamant.

Il est difficile de discerner la critique de la recourante en lien avec la prétendue usurpation du titre de docteur. En effet, la présentation contenue dans le reportage concernant l'obtention de son doctorat n'est en rien propre à diminuer la considération dont jouit la recourante, bien au contraire, puisqu'est mis en avant sa formation et son expérience. Il n'est aucunement sous-entendu qu'elle usurperait ce titre ou un titre quelconque, cette interprétation étant uniquement celle de la recourante.

Par conséquent, les griefs de la recourante seront rejetés.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'400.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'400.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/12175/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'315.00

Total

CHF

1'400.00