Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/1563/2024

ACPR/615/2024 du 21.08.2024 sur ONMMP/2484/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON;FAUX MATÉRIEL DANS LES TITRES;FORCE PROBANTE;TITRE(DOCUMENT)
Normes : CPP.310; CP.110

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1563/2024 ACPR/615/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 21 août 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Me KINZER Daniel, avocat, Esplanade de
Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,

recourant

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 juin 2024 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié sous messagerie sécurisée le 17 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 précédent, notifiée le 7 juin 2024, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 16 janvier 2024, complétée les 30 mars et 24 mai 2024.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour « poursuivre » l'instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        A______ et B______ s'opposent dans une procédure de divorce.

b.        En audience du 19 septembre 2023, B______, que A______ soupçonne d’avoir résidé et travaillé en Grande-Bretagne après leur séparation, a accepté de remettre à A______ une copie complète de son passeport. Elle s’est exécutée à l’échéance fixée par le tribunal, le 13 octobre 2023, précisant que quelques séjours en Grande-Bretagne apparaissaient, pour un engagement bénévole dans une fondation y ayant son siège.

c.         A______ a demandé au Tribunal civil que le passeport original fût déposé. Par ordonnance du 14 décembre 2023, le tribunal s’y est refusé, faute de pertinence, dans la mesure où les faits que le document pourrait prouver avaient reçu une réponse définitive du Tribunal fédéral, sur mesures protectrices de l’union conjugale, le 14 septembre précédent ; que le tribunal n’avait pas vocation à connaître de la révision des dispositions prises dans ce cadre ; et que, dans la mesure où A______ se prévalait d’un faux dans les titres, il lui incombait de saisir l’autorité compétente.

d.        Dans sa plainte du 16 janvier 2024, forte de quarante-quatre pièces, A______ estime que des tampons d’entrée en Grande-Bretagne de B______ pour les années 2020 à 2022 avaient été occultés, par un moyen ou un autre, sur la copie du passeport communiquée au tribunal. B______ n’étant titulaire que d’un (unique) passeport, il excluait que les tampons « manquants » pussent se trouver dans un autre passeport. Il était victime d’une escroquerie et d’un faux dans les titres, car la situation personnelle réelle de B______ eût entraîné à la baisse toutes les contributions d’entretien qu’il lui devait.

e.         Après que, sur réquisition du Ministère public, B______ eut déposé l’original de son passeport, le Ministère public en a tiré une copie, puis l’a communiquée à A______, le 18 mars 2024. Il observait à l’attention de ce dernier qu’aucune falsification n’apparaissait ; en revanche, une page recto-verso comportant un visa pour les États-Unis et un timbre humide montrant une sortie du territoire de l’Autriche manquait dans la copie déposée au Tribunal civil.

f.          Le 18 mars 2024, B______, seule et aussi par avocat, a donné sa version des faits, relevant notamment que, depuis 2021, A______ avait demandé à dix-sept reprises à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) des attestations pour connaître son domicile et que les timbres officiels britanniques dans son passeport (entre 2015 et 2019) spécifiaient qu’elle n’avait pas l’autorisation d’exercer une activité lucrative. Elle a également produit des pièces.

g.        Les 30 mars et 24 mai 2024, A______, répondant au Ministère public que les vérifications opérées par cette autorité confirmaient l’absence de tampons d’entrée en Grande-Bretagne entre 2020 et 2022, a produit trente-trois pièces supplémentaires, qui fourniraient autant d’indices à l’appui d’une résidence, avec activité lucrative, de B______ en Grande-Bretagne. L’escroquerie s’étendait à la production en justice par B______, dans le canton de Berne [où il est domicilié], d’une attestation falsifiée de l’OCPM sur son domicile [à elle] à Genève, produite à l’appui d’une opposition à un séquestre qu’il avait obtenu, au motif que la cause de celui-ci risquait de tomber par suite du contenu de ce document.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que la copie du passeport produite par-devant le Tribunal civil n’était, certes, pas conforme à l’original, mais que les deux pages manquantes n’auraient pas eu d’influence sur le cours du procès. L’intention de B______ de se procurer un avantage illicite faisait par conséquent défaut.

D. a. À l’appui de son recours, A______ observe, en premier lieu, que le Ministère public admettait la communication d’un faux à une autorité judiciaire. Les explications de B______ n’en étaient pas. L’élément constitutif subjectif de l’infraction était réalisé, car celle-ci voulait dissimuler qu’entre 2020 et 2022 elle bénéficiait d’un titre de séjour au Royaume-Uni. Or, cette révélation aurait pu la priver de l’usage du domicile conjugal, à Genève, voire réduire sa pension alimentaire. Remettre une copie intégrale de son passeport aurait parachevé la preuve de l’inexistence de tampons d’entrée pour la période susmentionnée, alors que, par « quelques pages habilement » insérées entre les tampons britanniques apposés en 2019 et en 2023, elle pouvait plaider le doute sur cet intervalle de temps.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

E. Le 10 juillet 2024, A______ a produit auprès du Ministère public dix-neuf pièces supplémentaires, au motif que la consultation du dossier l’avait conduit à démontrer la falsification de l’attestation de l’OCPM (ainsi qu’à soupçonner un nouveau faux, l’attestation du remboursement d’un billet d’avion Genève-C______ [Royaume-Uni] et retour, en 2021).

EN DROIT :

1.             Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 1, 91 al. 1 et 3, 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2, 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

Dans la mesure où un faux dans les titres peut porter atteinte à des intérêts individuels lorsqu'il vise à nuire à une personne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.2) et que tel est le cas si ce document constitue l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine (ibidem) – respectivement quand il est, ou pourrait être, présenté à une personne susceptible de prendre des dispositions préjudiciables à ses intérêts sur cette base (ATF 148 IV 170 consid. 3.5.1) –, le recourant a qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP), puisqu’il prétend, pour l’essentiel, que les contributions d’entretien mises à sa charge sont fondées sur un domicile fallacieux de B______ à Genève.

2.             Le recours porte uniquement sur la remise d’une copie incomplète du passeport de B______ au Tribunal civil. Les autres accusations portées contre celle-ci avant le prononcé attaqué ne sont pas renouvelées dans l’acte de recours, pas même sous l’angle d’une omission de statuer du Ministère public. Enfin, les éléments mis en exergue le 10 juillet 2024 sont postérieurs à la notification du refus d’entrer en matière et n’ont pas fait l’objet d’une décision du Ministère public. Il y a donc lieu de s’en tenir à l’examen des modifications demandées (art. 385 al. 1 CPP).

3.             Le recourant estime que l’élément constitutif subjectif d’un faux dans les titres a été rendu vraisemblable et que le Ministère public devrait à tout le moins interroger sa partie adverse.

3.1.       Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe une non-entrée en matière ne peut être prononcée par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1).

3.2. Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

Le caractère de titre, au sens de l’art. 110 al. 5 CP, d'un écrit est relatif. Le document ne vaut pas nécessairement titre dans son ensemble. Il n'a la qualité de titre que sur les points où il est apte à prouver un fait ayant une portée juridique ; il ne l'a pas dans la mesure où il mentionne un fait qui n'a pas de portée juridique ou un fait qu'il n'est pas apte à prouver (ATF 132 IV 59 consid. 5.1 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II3e éd., Berne 2010, n. 38 ad art. 251 CP).

3.3. En l'espèce, les faits dénoncés par le recourant s'insèrent dans le cadre de la procédure de divorce l'opposant à la mise en cause. Sa plainte est tout entière fondée sur le postulat que cette dernière aurait dissimulé au juge des mesures protectrices de l’union conjugale et/ou au juge du divorce, qu’elle avait son domicile réel – et exerçait une activité lucrative – en Grande-Bretagne. Il pensait pouvoir en trouver la démonstration dans le passeport unique dont elle était détenteur.

À cet égard, on peine à le suivre dans ses argumentations successives.

Soit le passeport comportait la trace officielle d’allées et venues entre Genève et C______, et ces voyages, aussi peu fréquents qu’ils eussent été pendant la période intéressant le recourant, ne devenaient pas pour autant l’indice d’un domicile légal dans cette ville ou attesteraient, tout au plus, de contacts à caractère professionnel, para-professionnel ou analogue – rémunérés ou non –, à l’instar de voyages d’affaires. Soit le passeport ne comportait la trace d’aucun voyage en territoire britannique pendant la période soupçonnée par le recourant (2020-2022), et cette éventualité ne signifiait pas encore que, pendant ce laps de temps, la mise en cause s’était établie en Grande-Bretagne, i.e. n’était plus domiciliée à Genève ni n’y travaillait. Du reste, le billet dont le recourant met en doute le remboursement, en 2021, portait bien sur un vol Genève-C______ et retour, et non l’inverse.

Sous l’angle du faux dans les titres, le fait d’occulter, dans la copie d’un passeport, la trace officielle de voyages aller-retour entre la Suisse et le Royaume-Uni sur une certaine période ne serait pas propre à établir intrinsèquement un domicile et un emploi hors de Genève pendant dite période.

Le juge civil ne s’y est pas trompé.

De façon significative, il n’a pas ordonné le dépôt du passeport : le 19 septembre 2023, il s’est borné à acter l’engagement de la mise en cause à en remettre une copie au recourant, à la demande de celui-ci, charge à elle de s’exécuter au plus tard le 13 octobre 2023 ; puis, dans son ordonnance du 14 décembre suivant, il s’est refusé à ordonner l’apport de l’original, faute de pertinence. En d’autres termes, il a considéré que ce document ne serait pas utile pour trancher la cause. Sous l’angle du droit pénal, cette appréciation revient à dénier au passeport litigieux toute aptitude à prouver un fait ayant une portée juridique, comme on l’a vu.

Le tribunal eût-il dû être d’un autre avis qu’on ne verrait pas encore en quoi la production d’une copie, non pas caviardée, mais tronquée, du passeport l’aurait induit en erreur sur des faits déterminants pour le sort du procès. En effet, la copie qui lui a été communiquée a, selon les vérifications opérées par le Ministère public et non contestées par le recourant, été amputée de deux pages attestant, non pas de séjours (ou d’entrées, ou de sorties) en Grande-Bretagne, mais d’un visa d’entrée aux États-Unis et d’un timbre de sortie d’Autriche. On ne voit pas en quoi la découverte de déplacements dans ces deux pays (dont l’un est antérieur à la période 2020-2023) accréditerait a posteriori l’hypothèse soulevée par le recourant, à savoir la dissimulation d’une domiciliation et d’un emploi à C______, ni même quel « doute » cette dissimulation aurait entretenu, dans l’intervalle, sauf dans l’esprit du recourant.

Dans ces circonstances, une audition de la personne mise en cause, titulaire du passeport, n’apporterait pas d’élément utile, d’autant moins que la position de celle-ci est connue, pour ressortir tant de ses déterminations du 18 mars 2024 à l’attention du Ministère public que des pièces tirées de la procédure civile, telles que le recourant les a produites.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier:

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1563/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00