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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/45/2024

ACPR/570/2024 du 05.08.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;INTERPRÈTE;DROIT DE PARTIE;GARANTIE DE PROCÉDURE;SAUVEGARDE DU SECRET;PLAIGNANT
Normes : CPP.183.al3; CPP.68.al5; CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/45/2024 ACPR/570/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 5 août 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,

requérante

et

 

B______, interprète, domiciliée ______ [GE]

C______, interprète, domiciliée ______ [GE],

LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève – case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. a. À l’audience du Tribunal correctionnel du 11 juin 2024, A______ a demandé la récusation de B______, puis, de C______, qui œuvraient ou avaient œuvré en qualité d’interprète hindi dans la procédure pénale dirigée contre elle.

b. Le surlendemain, la Direction de la procédure du Tribunal correctionnel (ci-après, la Direction de la procédure) a transmis à la Chambre de céans copie du procès-verbal d’audience, avec d’autres pièces.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Par acte d’accusation du 14 février 2023, complété et corrigé le 15 août 2023, des membres de la famille [de] A______, dont notamment A______, ont été mis en accusation devant le Tribunal correctionnel pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions, cas échéant aggravées, aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LÉI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.

b.             Après des renvois d’audience en 2023, les débats ont été ouverts le 15 janvier 2024, puis, ajournés au 25 janvier 2024 et ensuite repris le 10 juin 2024.

c.              Dans l’intervalle, D______, partie plaignante, a déposé, le 21 décembre 2023, à l’invite de la Direction de la procédure, l’état de frais de son avocat d’office, qui comprend notamment des frais d’interprète de C______ entre 2018 et 2023, principalement pour des conférences avec son conseil ; puis, elle a demandé, le 17 janvier 2024 (pièce COR 328), que cette dernière soit désignée comme interprète à chaque fois que sa propre présence serait requise, au motif qu’elles se comprenaient bien, à la différence de l’interprète qui avait officié lors de l’audience du 15 janvier précédent (et qui n’était pas B______, cf. pièce COR 209).

Le 14 février 2024, elle a demandé, pour les mêmes motifs, que B______ soit désignée (pièce COR 370).

Cette seconde demande a été communiquée par messagerie électronique à toutes les parties, le 16 février 2024 (pièces COR 372 s.).

d.             Aux débats ouverts le 10 juin 2024, B______ a été requise comme interprète. Les parties, et notamment pas A______, qui semble avoir bénéficié du concours d’un interprète de langue anglaise, n’ont soulevé aucune cause de récusation (p.-v. p. 2).

e.              À l’audience du 11 juin 2024, lors de la déposition d’une autre partie plaignante, a surgi un incident au sujet de la traduction qu’assurait B______.

Ladite partie plaignante s’était vue demander, en référence à une de ses déclarations antérieures, pourquoi elle estimait que « les injustices, c’était ici » [qu’elle les subissait], et non pas en Inde ; elle a répondu : « il y avait beaucoup plus de travail ici ».

Selon A______, à qui son défenseur fit immédiatement écho, la partie plaignante aurait en réalité déclaré qu’il y avait « plus », mais non pas « beaucoup plus », de travail en Suisse.

La présidente du Tribunal correctionnel a demandé à B______ de traduire strictement les propos tenus, y compris lorsque le plaignant disait à celle-ci qu’il n’avait pas compris.

f.               Les avocats des prévenus ont alors voulu savoir si B______ connaissaient les parties plaignantes hors procédure. L’intéressée a répondu par la négative (comme D______ l’avait déclaré d’emblée à la police, à l’occasion de sa déposition-plainte, pièce PP A-10'001).

g.             Un des prévenus, par son avocat, a demandé le remplacement de B______.

A______, par son défenseur, a appuyé cette requête, qu’elle a assortie « subsidiairement » d’une demande en récusation, aux motifs, premièrement, que l’interprète aurait insisté deux fois auprès de la partie plaignante concernée pour savoir si celle-ci n’avait pas plutôt dit qu’il y avait « beaucoup plus » de travail en Suisse qu’en Inde et que, deuxièmement, elle avait « fonctionné » lors de rendez-vous entre D______ et le conseil de cette dernière.

Ledit conseil a rétorqué que « la précédente interprète durant l’instruction » (comprendre : C______) avait aussi traduit des entretiens entre elle et sa cliente. L’avocat de A______ a alors immédiatement requis la récusation de C______.

h.             La transcription de la déposition litigieuse n’a pas été modifiée.

i.               Le 12 juin 2024, le Tribunal correctionnel a refusé de faire remplacer B______.

C. Le dossier de la procédure montre que :

-               aucune contestation n’est survenue pendant la procédure préliminaire quant au choix ou à la qualité des interprètes de langue hindi ;

-               les services de B______ furent requis par la police, dès le début de l’enquête (pièce PP A-10'000) ;

-               ceux de C______ furent aussi requis par la police (pièce PP A-13'000), puis, par le Ministère public (en dernier lieu lors de l’audience contradictoire du 4 mars 2021, tenue en présence de tous les défenseurs des prévenus, pièce PP E-50'303), puis, encore devant le Tribunal correctionnel, le 25 janvier 2024, audience lors de laquelle les parties n’ont pas fait valoir de motif de récusation contre elle ;

-               au cours de l’instruction, le 4 mars 2021, la partie plaignante à l’origine de l’incident de traduction du 11 juin 2024 s’était exprimée comme suit sur sa charge de travail – en réponse aux questions du défenseur de A______ –  : « Ici, il y avait plus de travail (…) je travaillais plus ici qu’à E______ [Inde] » (pièce PP 50'314) ;

-               l’avocat de A______ a consulté l’intégralité de la procédure le 25 octobre 2023 (pièce CONSULT 41), puis, le 9 janvier 2024 (pièce CONSULT 80) uniquement les classeurs dits « TCO », comportant en particulier les pièces relatives à la correspondance, à l’assistance judiciaire des parties plaignantes et à leurs états de frais avant jugement.

D. a. A______ a fait parvenir au greffe de la Chambre de céans deux écritures spontanées, datées du 26 juin 2024 et consacrées l’une à B______ et l’autre, à C______.

Elle fait valoir que l’interprète officiant ou ayant officié à la demande de l’autorité pénale ne peut pas être le même que celui mis en œuvre par une partie au procès.

Elle reproche à B______ d’avoir menti, le 11 juin 2024, en ayant nié connaître les parties plaignantes en dehors de la procédure, puis, que des vérifications entreprises « immédiatement dans la procédure numérisée » avaient permis de constater l’existence de la lettre du 14 février 2024 (cf. let. B.c. supra), qui établissait des liens avec elles. Cette attitude violait l’art. 57 CPP.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le Code de procédure pénale ne désigne pas l'autorité compétente pour trancher une demande de récusation visant un traducteur-interprète. Le Tribunal fédéral a comblé la même lacune au sujet de la demande de récusation d'un expert désigné par le ministère public en appliquant par analogie l’art. 59 al. 1 let. b CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_488/2011 du 2 décembre 2011 consid. 1.1).

La Chambre de céans a fait application de cette jurisprudence au traducteur-interprète, l'art. 68 al. 5 CPP renvoyant aux dispositions relatives aux experts, y compris à l'art. 183 al. 3 CPP traitant des motifs de récusation (ACPR/799/2017 du 22 novembre 2017 consid. 1. ; cf. aussi L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2e éd., Bâle 2016, n. 10 ad art. 68).

La Chambre de céans est donc compétente pour statuer.

2.             Une demande de récusation peut être formée par oral en audience (ACPR/45/2022 du 25 janvier 2022 consid. 2.2. et les références), puis, motivée par écrit (ACPR/288/2018 du 25 mai 2018 consid. 1.4.2). Compte tenu de l’issue des requêtes, il n’est pas nécessaire de s’interroger si l’intervalle de quinze jours séparant, en l’espèce, les requêtes orales de leurs compléments écrits est compatible avec l’exigence de célérité qui doit présider au traitement des récusations (cf. A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd. Bâle 2019, no 10 ad art. 58).

3.             Nulle part la requérante ne s’exprime sur la condition temporelle posée à l’art. 58 al. 1 CPP. Elle affirme toutefois que les motifs de récuser les deux interprètes seraient apparus le 11 juin 2024.

3.1.       Selon l’art. 58 al. 1 CPP, la demande de récusation doit être présentée « sans délai », dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). En matière pénale, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un motif de récusation de rendre vraisemblable qu'elle a agi en temps utile, en particulier de rendre vraisemblable le moment de la découverte de ce motif (arrêt du Tribunal fédéral 1B_305/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.2.1). L'autorité qui constate qu'une demande de récusation est tardive n'entre pas en matière et la déclare irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_239/2010 du 30 juin 2010 consid. 2.2 ; ACPR/303/2014 du 18 juin 2014 ; A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 3e éd., Zürich 2020, n. 4 ad art. 58).

3.2.       En l'espèce, les requêtes de récusation ont été formées verbalement, à l’audience du 11 juin 2024. Elles se fondent sur la circonstance que chacune des interprètes visées aurait fourni ses services à l’une ou l’autre des parties plaignantes pour des conférences de celles-ci avec leurs conseils, i.e. hors auditions de procédure.

Or, la requérante pouvait et devait se rendre compte, depuis longtemps, c’est-à-dire bien avant l’incident qu’elle a provoqué le 11 juin 2024 sur un point précis de traduction, que B______, interprète officiant ce jour-là – qui avait déjà participé à des audiences auxquelles la requérante ou son défenseur étaient présents – avait aussi été mise en œuvre dans le contexte des entretiens susmentionnés. En effet, la requérante voit une cause de récusation dans la lettre du conseil de D______, du 14 février 2024, émettant le souhait que cette interprète fût requise ès qualités « à chaque fois » que sa propre présence le serait aussi, et ce, au motif qu’elle se comprenait bien avec elle, contrairement à l’interprète présent à l’audience du 15 janvier 2024. La Direction de la procédure a communiqué cette lettre aux autres parties – et donc à la requérante, par son avocat – le 16 février 2024, par messagerie électronique. La requérante ne peut donc pas feindre de l’avoir découverte par suite de vérifications opérées à l’audience même en parcourant « la procédure numérisée », d’autant que, par surcroît, son défenseur avait encore consulté les classeurs « TCO » qui comportent cette correspondance, imprimée. En outre, à l’ouverture des débats, le 10 juin 2024, aucune partie – et donc pas non plus la requérante, qui comparaissait accompagnée de son avocat – n’a fait valoir de motif de récusation contre B______. En d’autres termes, la requérante échoue à rendre vraisemblable n’avoir appris que le 11 juin 2024 que cette dernière avait traduit, avant le procès, des entretiens entre D______ et le conseil de celle-ci.

Par conséquent, seule est litigieuse, en ce qui concerne B______, la question de savoir si un point de sa traduction du 11 juin 2024 la rendrait suspecte de prévention.

La requête, sur ce point, a été présentée sans délai.

3.3.       Quant à elle, C______, seconde interprète visée, n’avait pas été requise, le 11 juin 2024, et n’était donc pas présente à l’audience. La demande de la récuser est survenue après l’incident susmentionné. Cela étant, la note de frais et honoraires du conseil de D______, adressée le 21 décembre 2023 à la Direction de la procédure, ne faisait pas mystère de sa mise en œuvre pour des conférences entre avocat et cliente, d’autant moins que ses propres factures y étaient jointes. Or, la requérante, par son défenseur, a eu accès le 9 janvier 2024 aux classeurs « TCO », qui compilent, comme on l’a vu, toute la correspondance depuis que le tribunal est saisi de la cause et toute la documentation relative à l’assistance judiciaire et aux états de frais déposés par les parties plaignantes. Par surcroît, C______ a œuvré comme traductrice à l’audience du 25 janvier 2024 sans que sa participation n’ait soulevé de question de récusation.

En d’autres termes, si, aux yeux de la requérante, les activités de traduction de C______, exercées pour les besoins de la défense d’une partie à l’assistance judiciaire, revêtaient une apparence de conflit d’intérêts ou de partialité, il lui eût appartenu de s’en prévaloir dans les jours qui suivirent leur prétendue découverte, soit dans les jours qui ont suivi la consultation de la procédure, voire qui ont suivi l’audience du 25 janvier 2024.

Or, la requérante n’en a rien fait. Elle a attendu l’incident de traduction relatif à l’interprète présente à l’audience du 11 juin 2024, pour s’en prendre, peu après, à la seconde interprète.

Sur cet aspect, sa requête est tardive et sera déclarée irrecevable.

4.             Dans ses déterminations écrites, la requérante invoque l'art. 56 let. b et f CPP, ainsi que l’art. 6 CEDH.

4.1.       Par renvoi des art. 68 al. 5 et 183 al. 3 CPP, l'art. 56 CPP s'applique à la récusation d'un interprète-traducteur.

À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

Cette disposition constitue une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP (ATF 126 I 68 consid. 3a). Elle assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises de la personne exerçant ladite fonction. Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'une dite personne dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de la personne visée ne peut guère être prouvée ; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 139 III 433 consid. 2.1.1 ; 138 IV 142 consid. 2.1).

S'agissant des relations sociales mentionnées à l’art. 56 let. f CPP, il doit s'agir de rapports d'amitié ou d'inimitié étroits avec une partie ou son conseil juridique. S'agissant des premiers, cela exclut, a contrario, l'obligation de se récuser de par la simple présence de liens sociaux de courtoisie, de camaraderie ou d'amitié peu étroite ou ancienne (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., no 28 ad art. 56 CPP).

4.2.       En l’occurrence, la requérante n’allègue ni n’établit que les prestations de B______ le 11 juin 2024 dénoteraient une faveur, une marque d’amitié ou une apparence de partialité au profit des parties plaignantes, ou une prévention quelconque contre elle.

Comme l’a relevé le Tribunal correctionnel dans son refus de relever l’interprète de sa mission (let. B.i. supra), la controverse sur la réponse à la question de savoir s’il y avait eu « plus » ou « beaucoup plus » de travail en Suisse qu’en Inde relève, à teneur du procès-verbal, davantage d’une incompréhension entre elle et le déclarant que d’une erreur d’interprétation. Admettrait-on l’erreur qu’on n’y discernerait aucun caractère délibéré – même la requérante ne se risque pas à l’affirmer – et que, par conséquent, son éventuelle portée dirimante aurait été purgée par la voie de droit utilisée, celle de l’art. 184 al. 5 CPP (applicable par renvoi de l’art. 68 al. 5 CPP), par laquelle pouvait encore être soulevée la prétendue inobservation de l’art. 57 CPP. Au surplus, l’incident paraît d’autant plus stérile que la même question, posée par le même avocat de la requérante pendant la procédure préliminaire, avait reçu une réponse claire de la même partie plaignante (cf. pièce PP 50'314), ce qui ne pouvait que ressortir d’une prise de connaissance diachronique de ses dépositions. Pour le surplus, savoir laquelle des nuances sur la charge de travail doit l’emporter est affaire d’appréciation des preuves.

Que, par ailleurs, D______ ait exprimé de façon motivée en février 2024 une préférence pour cette interprète – suivie en cela par la Direction de la procédure – ne saurait tomber per se sous le coup de l’art. 56 CPP, d’autant moins que la traduction litigieuse le 11 juin 2024 ne portait pas sur une déclaration de celle-ci à l’audience.

C’est en vain que, dans son complément de motivation, la requérante invoque une décision du Tribunal fédéral (arrêt 1B_404/2012 du 4 décembre 2012). Dans cette affaire était en jeu l’admissibilité du recours à l’interprète d’audience (« amtlicher Dolmetscher ») pour traduire des conférences (« Instruktionsgespräche ») entre un prévenu et son défenseur, que ce soit avant, pendant ou après l’audition par l’autorité pénale (consid. 3.). Pour le Tribunal fédéral, que l’interprète officiellement requis pour pareille audition soit le même que celui qui traduirait les discussions ou apartés, confidentiels, entre prévenu et défenseur posait des problèmes de maxime de l’instruction, de droits de la défense, de conflit d’intérêts et de secret professionnel : mieux valait mandater un interprète distinct.

En premier lieu, l’interprète requise le 11 juin 2024 devait traduire les déclarations des parties plaignantes en audience. Les questions de maxime de l’instruction, de droits de la défense, de conflit d’intérêts et de secret professionnel ne se posaient donc pas, en tout cas pas lorsqu’a surgi l’incident sur ce qu’avait réellement voulu dire une autre partie plaignante que D______.

En outre, le Tribunal fédéral a voulu préserver les droits du prévenu, sous l’angle de la confidentialité des échanges entre celui-ci et son défenseur. Contrairement à ce qu’affirme la requérante à cet égard, la doctrine qu’elle cite (J.-P. GRETER / B. ILSCHNER / A. SEPPEY, L’audition d’un comparant allophone en procédure pénale, Forumpœnale 2017, p. 421) n’a pas étendu ces principes à la partie plaignante dans un sens encore plus rigoureux que pour le prévenu. En effet, ces auteurs se bornent à faire état de l’arrêt précité du Tribunal fédéral, en prônant la précaution d’une garantie préalable de paiement pour l’interprète privé. À l’aune des principes dégagés par le Tribunal fédéral, on ne voit d’ailleurs pas ce qui justifierait de traiter plus strictement la partie plaignante.

Quoi qu’il en soit, la partie qui eût éventuellement pu se plaindre, en l’espèce, de conflit d’intérêts ou de problèmes de confidentialité eût été non pas la requérante, mais bien plutôt D______, puisque l’interprète dont elle avait suggéré le nom opérait, au moment de l’incident de traduction, pour le compte d’une autre partie plaignante, dont les intérêts procéduraux auraient pu ne pas converger avec les siens. En d’autres termes, la requérante n’était pas chargée de défendre les intérêts de ces parties-là, a fortiori si elle devait avoir disposé, de son côté, des services de l’interprète de langue anglaise présent à l’audience.

La requérante ne démontre pas que ses propres droits de prévenue bénéficieraient d’une protection plus large, fondée sur l’art. 6 CEDH, qui la légitimerait à intervenir dans ce sens. Elle a pu soulever l’incident du 11 juin 2024 dans des conditions conformes aux garanties conventionnelles, et en tout cas sans aucun désavantage par rapport aux parties plaignantes.

Sa demande doit donc être rejetée, dans la mesure où elle est recevable.

5.             En tant que les deux requêtes s’avéraient d’emblée, l’une tardive, l’autre infondée, il n’y avait pas à demander aux interprètes visées de prendre préalablement position, non plus qu’au Tribunal correctionnel ou aux autres parties (ACPR/956/2023 du 7 décembre 2023 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_1/2024 du 28 février 2024 consid. 5.2.).

6.             La requérante, qui succombe, assumera les frais de la procédure (art. 59 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare irrecevable la requête dirigée contre C______.

Rejette, dans la mesure de sa recevabilité, la requête dirigée contre B______.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour elle son défenseur, et au Tribunal correctionnel.

Le communique pour information aux autres parties, à C______ et à B______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges ; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/45/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00