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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/28/2024

ACPR/458/2024 du 17.06.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC;AVIS(OPINION);MÉDIA
Normes : CPP.56.letf; CPP.58

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/28/2024 ACPR/458/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 17 juin 2024

 

Entre

 

A______, représenté par Me ______, avocat,

requérant,

et

 

B______, Procureur extraordinaire du Ministère public genevois,

cité.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 4 mars 2024 à B______, Procureur extraordinaire chargé de la procédure pénale P/24178/2022, A______ a demandé sa récusation.

b. B______ a transmis cette demande le 25 mars suivant à la Chambre de céans, avec sa détermination.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été reconnu coupable d'escroquerie par métier, instigation à gestion déloyale qualifiée, gestion déloyale qualifiée, contrainte, tentative de contrainte et faux dans les titres par arrêt du Tribunal correctionnel du 25 octobre 2021, dans la cause P/2880/2013, conjointement avec son co-prévenu C______.

b. Par suite de l'appel formé par les prévenus, l'audience devant la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a été fixée au 7 novembre 2022. Quelques jours avant l'audience, les prévenus ont, à leur demande, reçu un support contenant les écoutes téléphoniques ordonnées par le Ministère public dans la cause P/2880/2013. Ils ont alors constaté qu'y figuraient une centaine de conversations entre eux-mêmes et leur avocat respectif, dont une partie avait fait l'objet de transcriptions par des auteurs inconnus (police ou Ministère public selon eux).

La récusation de la Procureure ayant instruit la procédure P/2880/2013 a été demandée, et les débats d'audience ont été (et sont toujours) ajournés par la Chambre pénale d'appel et de révision.

c. Par arrêt ACPR/191/2023 du 15 mars 2023, la Chambre de céans a prononcé la récusation de la Procureure.

Cette dernière avait, dans l'intervalle, été élue juge au Tribunal civil avec entrée en fonction au 1er janvier 2023.

d. Dans l'intervalle, A______ a déposé plainte pénale, le 11 novembre 2022, pour abus d'autorité, contre l'ancienne Procureure et contre l'inspecteur de la Brigade financière qui s'était occupé des écoutes téléphoniques. Il a demandé que certains actes d'enquête soient accomplis. C______ a, ultérieurement, également déposé plainte pénale pour les mêmes faits.

La cause est enregistrée sous le numéro de procédure P/24178/2022.

e. Le 26 janvier 2023, le Grand conseil genevois a élu deux procureurs extraordinaires, parmi lesquels B______ – Procureur général de la République et canton de Neuchâtel –, en qualité de procureurs extraordinaires du Ministère public genevois, conformément à l'art. 76 let. c LOJ entré en vigueur le 20 août 2022 (E 2871). L'élection complémentaire de deux autres procureurs extraordinaires a été reportée [faute de candidats, il ne sont toujours pas élus].

f. Par décision du 31 mars 2023, le Président du Conseil supérieur de la magistrature a, sur requête du Procureur général genevois, et en application de l'art. 82A al. 3 LOJ, désigné B______, en qualité de procureur extraordinaire dans la procédure P/24178/2022.

g. Le 21 juin 2023, A______ a demandé à B______ la mise à disposition des pièces consultables. Il n'a pas reçu de réponse.

h. Par lettre du 9 janvier 2024, B______ a informé les parties que, sur la base du résultat de la perquisition des messageries électroniques de plusieurs inspecteurs de la police et de l'état de faits retenu par la Chambre de céans dans son arrêt du 15 mars 2023, il estimait que l'enquête était arrivée à son terme et envisageait de classer la procédure. Il leur a imparti un délai au 15 février suivant pour solliciter d'éventuels actes d'instruction.

i. Par lettre du 15 février 2024, A______ a fait part de ses réquisitions de preuves complémentaires.

j. Le 27 février 2024, le média E______ a diffusé un reportage intitulé "Affaire des écoutes : justice en déroute", qui contenait les passages suivants :

"En charge de l'instruction, le procureur extraordinaire [B______] n'apporte aucune contribution au dossier, n'a procédé à aucune audition ni complément d'enquête, malgré la pile de preuves incriminantes. Celui qui indiquait à E_____ dans un échange d'e-mail n'être là que « pour rendre service à son collègue de Genève », envisage même de classer l'affaire. […]

Sollicité, B______ a décliné notre demande d'interview. Il indique que le Ministère public doit encore décider s'il maintient son intention de classer, à la lumière de ces éléments. « Cette réflexion n'a évidemment pas à se faire en public »".

k. Le lendemain, 28 février 2024, le média F______ a publié un article intitulé "Attaqué dans l'affaire des écoutes à Genève, le procureur B______ se défend", qui reprend en substance le contenu du reportage de E______ de la veille.

L'article contient en outre les passages suivants :

"Non, la procureure genevoise, […], mouillée dans l'affaire dite des écoutes à Genève […] n'aurait pas eu pour « dessein de nuire à autrui ». C'est du moins ce qu'affirme le procureur extraordinaire chargé d'instruire l'affaire, le neuchâtelois B______, « sur la base des éléments qui figurent au dossier, et des considérants de l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 15 mars 2023 ».

F_____ a interrogé le magistrat après les dernières révélations du média E_____, ce mardi 27 février. […] La nouveauté, c'est que E_____ met en cause le procureur extraordinaire neuchâtelois chargé de faire la lumière sur l'illégalité – ou non – de ces écoutes. Le principal intéressé indiquait par ailleurs à E_____, dans un échange d'e-mail, n'être là que « pour rendre service à son collègue de Genève ». Le média stipule que B______ envisagerait de classer l'affaire.

Confronté aux éléments ci-dessus, le procureur de Neuchâtel B______ rétorque à F_____ : « On sait que la procureure visée pa[r] la plainte a effectivement ordonné des écoutes qui étaient susceptibles d'inclure des conversations couvertes par le secret professionnel de l'avocat. Ce fait n'est pas illicite ». L'homme de loi nuance cependant : « On sait aussi que ces conversations n'ont pas bénéficié des mesures de protection nécessaires. Il s'agit d'une erreur procédurale. Tout cela a été établi dans le cadre de la procédure de récusation (nldr : de la procureure […]) ». Pour lui, ce qui reste à déterminer, c'est « s'il y a eu un 'dessein de nuire à autrui' selon les termes de l'article (…) du Code pénal qui réprime l'abus d'autorité ». Alors, d'après le procureur externe mandaté, était-ce le cas ? Il rétorque : « Sur la base des éléments qui figurent au dossier et des considérants de l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 15 mars 2023, le Ministère public est d'avis que cet élément constitutif de l'infraction n'est pas réalisé ». B______ précise encore, quant à sa nomination pour gérer ce dossier : « J'avais accepté d'être candidat à un poste de procureur extraordinaire pour rendre service à mon collègue D______, puisque le canton de Genève avait de la peine à recruter les quatre personnes dont il aurait besoin en application de la loi d'organisation judiciaire ». Mais, pour lui, « faire un lien entre cette disponibilité et le cours de cette enquête est hors de propos »."

C. a. Dans sa demande de récusation, A______ invoque une violation de l'art. 56 let. f CPP, en raison de l'apparence de partialité de B______ dans la conduite de l'instruction de la procédure P/24178/2022, dont témoignaient ses déclarations à F______.

Après avoir rappelé que le magistrat était soumis au secret de fonction – contrairement à l'avocat qui était libre, sous réserve du secret professionnel, de s'exprimer aux médias sur une procédure pénale en cours – il estime que "d'apparence (à tout le moins)", les déclarations de B______ relayées par F_____ constituaient une "prise de position définitive" par voie médiatique du Procureur extraordinaire quant à un classement de la procédure P/24178/2022 au motif que les éléments constitutifs d'une infraction n'étaient pas réunis.

Ces déclarations ne se limitaient pas à l'énoncé de faits évidents (au sens de la Décision rendue par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 30 avril 2021 dans la procédure BB.2020.296), mais annonçaient la décision qu'entendait rendre leur auteur dans le cadre d'une procédure pendante et préjugeaient de l'issue de la procédure.

Cela était d'autant plus le cas que : B______ était saisi de réquisitions de preuve depuis le dépôt de plainte, sans que rien n'ait été entrepris depuis lors ; sa décision au fond était déjà annoncée, alors même qu'il était saisi de réquisitions de preuve complémentaires depuis le 15 février 2024 ; il n'avait ni ordonné, ni exécuté d'acte d'instruction depuis sa désignation le 31 mars 2023.

En outre, B______ avait écrit par e-mail, à E_____, s'être présenté à cette fonction pour rendre service à son collègue de Genève. Cette déclaration, qui ne pouvait être simplement qualifiée de maladroite, suscitait une apparence de prévention, soit "une bienveillance" à l'égard du Procureur général genevois alors que, précisément, le but de la désignation de B______ en qualité de Procureur extraordinaire était l'indépendance qu'il devait incarner vis-à-vis des autorités genevoises.

b. Dans ses observations, B______ estime que la requête est mal fondée. La loi imposait au ministère public de préaviser sa décision s'il entendait prononcer un classement. Or, dans les courriels qu'il avait adressés à la presse – et qu'il produit à l'appui de ses écrits –, il avait précisé qu'il devait encore prendre connaissance des observations des plaignants avant de décider s'il maintenait ou non son intention de classer.

Par ailleurs, lorsqu'il lui avait été demandé pour quelle raison il avait accepté de faire acte de candidature au moment où le Grand Conseil recherchait quatre candidats au poste de procureur extraordinaire et avait de la peine à les trouver, il avait répondu avoir accepté pour rendre service à son collègue procureur général du canton de Genève. Il ne voyait pas en quoi cette déclaration pourrait influer sur l'issue de la procédure.

Il aurait été préférable que la presse ne soit pas alertée à ce moment de l'instruction, et il "n'avait guère [eu] d'autre choix" que de prendre brièvement position à ce sujet, ce qu'il avait essayé de faire "de la manière la plus neutre possible".

c. A______ réplique que sa requête de récusation ne visait pas l'annonce du prochain classement de la procédure, mais les déclarations univoques tenues par le magistrat à la presse, alors même qu'il était saisi de réquisitions de preuve. L'art. 318 al. 1 CPP n'autorisait pas le magistrat à préjuger, qui plus est par la voie médiatique, des réquisitions de preuve que soumettraient les parties. En outre, le contexte dans lequel le magistrat aurait accepté son mandat de procureur extraordinaire n'était pas pertinent, puisque seule importait l'apparence de partialité, révélée par la déclaration selon laquelle il s'était présenté pour "rendre service" à son collègue de Genève. Aucun élément, dans les observations du magistrat, ne venait contredire cette apparence. Les échanges de courriels avec les médias, désormais produits, permettaient de constater que la position exprimée était tout sauf la plus neutre possible.

D. Il ressort de l'échange de courriels entre B______ et les journalistes, les éléments suivants.

a.a. Le 26 février 2024, E_____ a contacté B______ en lui disant avoir appris qu'il avait l'intention de classer la procédure pénale, malgré les "nombreux éléments qui tend[aient] à démontrer l'implication de deux inspecteurs de police et de l'ex-procureure […] dans l'écoute et l'exploitation de conversations téléphoniques entre avocat/client". Le journaliste souhaitait entendre le magistrat sur ces points.

a.b. Le même jour, B______ a répondu : "[…] je ne peux que décliner votre demande […]. Le ministère public doit maintenant […] prendre connaissance [des observations des parties] et décider s'il maintient son intention ou si les éléments soulevés par les plaignants modifient l'idée qu'il se fait du dossier. Cette réflexion n'a évidemment pas à se faire en public".

b.a. Le 28 février 2024, B______ a été contacté par une journaliste de F_____, qui lui a soumis des extraits du reportage de E_____, et posé plusieurs questions.

b.b. Le même jour, B______ a répondu. À la question de savoir pourquoi il n'avait pas confronté l'ancienne procureure aux éléments du dossier, il a répondu comme suit :

"La question qui est posée au ministère public n'est pas de savoir si des écoutes ont eu lieu ni si elles ont été correctement traitées ; on sait que la procureure visée par la plainte a effectivement ordonné des écoutes qui étaient susceptibles d'inclure des conversations couvertes par le secret professionnel de l'avocat. Ce fait n'est pas illicite. On sait aussi que ces conversations n'ont pas bénéficié des mesures de protection nécessaires. Il s'agit d'une erreur procédurale. Tout cela a été établi dans le cadre de la procédure de récusation. Ce qui reste à faire est de déterminer s'il y a eu un « dessein de nuire à autrui », selon les termes de l'art. 312 du code pénal qui réprime l'abus d'autorité. Sur la base des éléments qui figurent au dossier et des considérants de l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 15 mars 2023, le ministère public est d'avis que cet élément constitutif de l'infraction n'est pas réalisé. Les mandataires des plaignants sont d'un autre avis, cet avis sera examiné et une décision sera prise. Vous comprendrez que, du point de vue du ministère public, cette réflexion n'a pas à se faire en public".

Les réponses apportées par B______ aux autres questions posées par la journaliste ont été résumées dans l'article du 28 février 2024 reproduit ci-dessus (B.k.), notamment sur les raisons l'ayant conduit à se porter candidat au poste de procureur extraordinaire du canton de Genève. A______ fondant sa requête de récusation sur l'utilisation, par le cité, des termes "rendre service", il n'y a pas lieu de retranscrire ici l'entier de la réponse du magistrat.

EN DROIT :

1.             1.1. Lorsqu'est en cause la récusation d'un procureur, il appartient à l’autorité de recours, au sens des art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ, de statuer, de sorte que la Chambre de céans est compétente à raison de la matière.

Cela vaut aussi pour le procureur extraordinaire, qui fait partie intégrante du Ministère public genevois (art. 76 let. c CPP).

1.2. Le requérant est plaignant dans la procédure P/24178/2022, de sorte qu'il dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 et 104 al. 1 let. b CPP).

2.             2.1. Selon l'art. 58 al. 1 CPP, la demande de récusation doit être présentée "sans délai", dès que la partie a connaissance du motif de récusation.

Il est admis que le dépôt d'une demande de récusation six à sept jours après la connaissance des motifs est effectuée sans délai, ce qui n'est pas le cas d'une demande déposée deux à trois semaines plus tard (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, N. 3 ad art. 58 CPP et références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_14/2016 du 2 février 2016 consid. 2 et 1B_60/2014 du 1er mai 2014 consid. 2.2).

2.2. En l'espèce, le requérant a eu connaissance le 28 février 2024, à la lecture de l'article de F, des motifs invoqués à l'appui de sa requête. Expédiée le 4 mars suivant, la demande n'est pas tardive.

3.             Le requérant reproche au cité son apparente partialité.

3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

3.1.1. L'art. 56 let. f CPP a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres a à e de l'art. 56 CPP. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH (ATF 143 IV 69 consid 3.2 p. 74). Cet article du Code de procédure concrétise aussi les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable cette protection lorsque d'autres autorités ou organes (cf. art. 12 CPP) que des tribunaux (cf. art. 13 CPP) sont concernés (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2; 127 I 196 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.1).

3.1.2. Durant la phase de l'enquête préliminaire, ainsi que de l'instruction et jusqu'à la mise en accusation, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure (art. 61 let. a CPP). À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuve et peut rendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2; 138 IV 142 consid. 2.2.1).

3.1.3. La procédure de récusation n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 148 IV 137 consid. 2.2; 144 I 159 consid. 4.3; 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1; arrêt 7B_189/2023 du 16 octobre 2023 consid. 2.2 et les arrêts cités).

3.1.4. Les déclarations d'un magistrat, singulièrement celles figurant au procès-verbal des auditions, doivent être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur. Des propos maladroits ou déplacés ne suffisent en principe pas pour retenir qu'un magistrat serait prévenu, sauf s'ils paraissent viser une personne particulière et que leur tenue semble constitutive d'une grave violation notamment des devoirs lui incombant (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 7B_186/2023 du 19 juillet 2023 consid. 3.1).

3.1.5. Selon l'arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, cité par le requérant (cf. C.a. supra), en présence de déclarations d'un procureur aux médias, il n'y a en principe pas lieu de soupçonner une partialité lorsque seuls des faits évidents sont mentionnés, sans que le magistrat ne se prononce sur les conséquences qui en découlent. De même, des déclarations maladroites d'un procureur à la presse ne sauraient justifier un soupçon de partialité, [par exemple] quant à l'issue d'une opposition introduite par le prévenu contre ses ordonnances, si ces déclarations ne sont pas dirigées contre la personne du prévenu et s'il n'y a pas de faute grave (consid. 3.2).

En cas d'information du public par le ministère public via les médias, il convient toujours de prendre en compte l'ensemble de la prise de position, pour déterminer si la personne [prévenue] a été condamnée d'avance ("vorverurteilt wurde") ou s'il a seulement été communiqué de manière appropriée sur l'état d'avancement de l'enquête en cours. La désignation d'un accusé comme coupable ou une qualification juridique prématurée des événements ne peut pas être justifiée par un intérêt public au sens de l'art. 74 al. 1 let. a-d CPP (consid. 4.1).

Citant les Directives de la Conférence Suisse des chargés de communication des Ministères publics (CCCMP) du 7 novembre 2014, la Cour des plaintes rappelle que, selon le chiffre 6 desdites directives, il ne faut informer que sur des faits avérés et s'abstenir de spéculations, de suppositions et d'appréciations (consid. 4.2).

3.1.6. À teneur de l'art. 74 al. 1 CPP, le ministère public et les tribunaux ainsi que, avec leur accord, la police, peuvent renseigner le public sur une procédure pendante lorsque : a. la collaboration de la population est nécessaire à l’élucidation d’infractions ou à la recherche de suspects; b. la population doit être mise en garde ou tranquillisée; c. des informations ou des rumeurs inexactes doivent être rectifiées; d. la portée particulière d’une affaire l’exige.

Le chiffre 4.3 de la Directive A.7 du Ministère public genevois ("Communication et relations avec les médias"), prévoit que les procureurs sont habilités à communiquer sans autre avis pour répondre aux sollicitations usuelles des médias et lorsqu'ils sont interpellés sur les lieux d'un événement pour lequel ils se sont déplacés ou à l'occasion d'une audience au tribunal.

3.2. En l'espèce, le requérant semble, dans un premier temps, reprocher au cité d'avoir pris position dans les médias sur la procédure en cours, révélant ainsi, selon lui, sa partialité. À teneur de la demande de récusation, seule la position du cité exprimée à F_____ est en cause, à l'exclusion de celle communiquée à E_____, de sorte que celle-ci ne sera pas examinée. En tant que telle, la démarche du cité, consistant à répondre aux questions de la journaliste de F_____, était autorisée par l'art. 74 al. 1 let. d CPP et la Directive A.7 du Ministère public genevois, la présente affaire ayant déjà fait l'objet de nombreuses communications dans les médias. Même s'il aurait été plus prudent que le cité s'abstienne de tout commentaire à ce stade de la procédure, le seul fait qu'il ait répondu aux questions des médias ne le rend pas suspect de prévention.

Conformément à la jurisprudence sus-rappelée, il faut donc examiner les déclarations du magistrat en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur. Ainsi, seuls les propos figurant dans le courriel du cité seront analysés, ceux publiés par les médias pouvant être partiels, voire déformés. Or, dans son message à F_____, le cité a expliqué à la journaliste que, sur la base des éléments au dossier de la procédure et des considérants de l'arrêt de la Chambre de céans du 15 mars 2023, il était d'avis que l'élément constitutif de l'abus d'autorité n'était pas réalisé. Il a ensuite précisé que les mandataires des plaignants étaient d'un autre avis, qu'il allait examiner pour ensuite rendre sa décision.

C'est à tort que le requérant voit, dans ces explications, une apparence de partialité. Le cité venait en effet de rendre un avis de prochaine clôture, dans lequel il annonçait avoir l'intention de classer la procédure. En exposant à la journaliste que, sur la base des éléments au dossier, il estimait les conditions de l'art. 312 CP non réalisées, il n'a fait que confirmer les motifs de l'acte de procédure susmentionné. Il a ensuite annoncé qu'il allait prendre connaissance des avis – contraires – exprimés par les plaignants – dont fait partie le requérant –, pour ensuite rendre sa décision. On ne saurait dès lors considérer que le magistrat aurait, par ces propos, "préjugé des réquisitions de preuve" et "de l'issue de la procédure". Le cité a, au contraire, clairement annoncé qu'il prendrait une décision après avoir examiné les arguments des plaignants. En s'adressant aux médias, le magistrat n'est pas sorti du cadre autorisé par l'art. 74 CPP, ni n'a préjugé de sa décision à rendre. Le grief tombe donc à faux.

Que le magistrat n'ait pas jugé utile de donner suite aux actes d'instruction requis par le requérant dans sa plainte pénale, ni répondu à sa demande de consultation du dossier, ne constitue pas davantage un indice d'une quelconque prévention.

3.3. Le requérant reproche, dans un second temps, au cité d'avoir accepté de se porter candidat à l'élection des procureurs extraordinaires du canton de Genève pour "rendre service" au Procureur général genevois D______. Il considère que cette explication révélerait une "bienveillance" à l'égard du Procureur général genevois, soit, à bien le comprendre, une apparente absence d'indépendance.

On relèvera tout d'abord que l'art. 56 let. f CPP commande la récusation d'un magistrat lorsque le rapport d'amitié étroit que celui-ci entretient "avec une partie ou son conseil juridique" est de nature à le rendre suspect de prévention. En l'occurrence, le Procureur général genevois n'est pas partie à la procédure P/24178/2022, de sorte que l'on ne se trouve pas dans la situation évoquée par cette disposition. Quoi qu'il en soit, en expliquant avoir fait acte de candidature au poste de procureur extraordinaire "pour rendre service à [s]on collègue D______, puisque le canton de Genève avait de la peine à recruter les quatre personnes dont il aurait besoin en application de la loi d'organisation judiciaire", le cité n'a pas mis en lumière un lien particulier l'unissant à son collègue genevois. Selon la définition du dictionnaire Larousse en ligne, rendre service à quelqu'un signifie lui être utile, l'aider (www.larousse.fr/dictionnaires/francais/service/72393). Il n'y a, dans cette intention à l'égard d'un collègue d'un autre canton, rien qui porte atteinte à l'indépendance d'un magistrat, donc à celle du procureur extraordinaire cité. Ce d'autant que le cité a été désigné à cette fonction, dans la procédure P/24178/2022, par le président du conseil supérieur de la magistrature (art. 82A al. 3 LOJ) et non par le procureur général genevois.

4.             Infondée, la requête sera dès lors rejetée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande de récusation formée contre le procureur extraordinaire B______ dans la procédure pénale P/24178/2022.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant (soit pour lui son conseil) et à B______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/28/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

 

 

- demande sur récusation (let. b)

CHF

1'000.00

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'095.00