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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21653/2015

ACPR/323/2024 du 03.05.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : JONCTION DE CAUSES
Normes : CPP.29.al1; CPP.30; CP.49

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21653/2015 ACPR/323/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 3 mai 2024

 

Entre

A______, comparant par Me Marc OEDERLIN, avocat, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de jonction rendue le 12 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 25 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 mars 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné la jonction des procédures pénales P/2524/2020 et P/21653/2015 sous ce dernier numéro.

Le recourant conclut à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de disjoindre ces deux causes, frais de la procédure laissés à la charge de l'État.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est prévenu, dans la procédure pénale P/21653/2015, de plusieurs infractions contre le patrimoine. Les comportements reprochés s'inscrivent dans le cadre de la faillite de diverses sociétés dont il était administrateur, parmi lesquelles B______ SA, C______ SA et D______ SA, en liquidation, dont l'administration de la faillite est assumée par l'Office cantonal des faillites.

b. Il est également prévenu, dans la P/2524/2020, de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 CP) pour avoir, à Genève, entre le 1er juin 2019 et le 31 mai 2021, alors qu'il en avait les moyens ou aurait pu les avoir, omis de s'acquitter de la contribution d'entretien due en faveur de E______, fixée par jugement du Tribunal de première instance du canton du Jura du 25 avril 2018, rectifié le 25 mai 2018, confirmé par la Cour de justice du canton du Jura le 27 novembre 2018, puis par arrêt du Tribunal fédéral du 2 juillet 2019, à un montant de CHF 21'200.- par mois, l'arriéré se montant à CHF 508'800.- pour la période pénale en cause.

Cette procédure a été ouverte à la suite de la plainte déposée par le Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (ci-après : SCARPA) le 31 janvier 2020. A______ s'est déterminé par écrit sur cette plainte le 2 mars 2020 et a été entendu par le Ministère public les 7 mai 2021 et 4 avril 2023. Lors de l'audience du 4 avril 2023, l'arriéré avoisinait CHF 1'000'000.-. Le SCARPA n'a toutefois pas souhaité déposer une plainte complémentaire pour la période postérieure à mai 2021.

A______ s'est exprimé longuement sur les faits, en particulier sur sa situation financière, à l'occasion de ses observations du 2 mars 2020, dix-neuf annexes à l'appui, ainsi que lors des deux audiences précitées. Il s'est engagé à l'issue de celle du 7 mai 2021 à produire l'ensemble des preuves liées à ses charges ainsi qu'à sa situation financière actuelle et passée. Le 20 septembre 2021, il a produit quelques pièces liées à ses charges et un certificat de salaire du 25 février 2020 émanant d'une société F______ à G______ [Émirats arabes unis].

c. Dans la procédure P/21653/2015, le Ministère public a, le 12 mars 2024, tenu une audience valant audience finale au sens de l'art. 317 CPP. À cette même date, il a envoyé aux parties un avis de prochaine clôture de l'instruction à teneur duquel il les informait de son intention de dresser un acte d'accusation à l'encontre de A______ pour les actes mentionnés dans le procès-verbal de l'audience du même jour, ainsi que pour les faits visés dans la procédure P/2524/2020. Il entendait par ailleurs rendre une ordonnance de classement partiel pour certains faits. Un délai était accordé au 9 avril 2024 aux parties pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu qu'au vu des principes de l'unité et de l'économie de procédure, ainsi que de l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les faits reprochés au même prévenu commandaient qu'ils soient poursuivis dans une seule et même procédure. L'article 49 CP imposait la règle de l'unité des poursuites, qui voulait que les infractions commises en concours soient réprimées dans un seul et même jugement.

D. a. À l'appui de son recours, A______ expose que l'ordonnance querellée était survenue alors que l'instruction dans la procédure P/2524/2020 était à l'arrêt et qu'il tentait de démontrer qu'il ne bénéficiait d'aucune ressource financière lui permettant d'envisager le versement d'une contribution. Le 29 janvier 2024, il avait déposé une demande de révision des mesures protectrices de l'union conjugale devant le Tribunal de première instance tendant à contester l'appréciation faite par la chambre d'appel de H______ [JU] selon laquelle il aurait à l'époque gagné plus de CHF 10'000'000.- par année.

Il était sur le point de solliciter du Ministère public une audience pour qu'il puisse s'exprimer sur ce fait nouveau ainsi que l'audition de son conseil d'alors, Me I______, sur ses capacités financières ayant conduit le Tribunal de première instance à rejeter sa requête en divorce du 30 août 2016, faute de versement des émoluments judiciaires de CHF 12'000.- et CHF 20'822.- exigés les 21 novembre 2017 et 11 septembre 2018. Son impécuniosité depuis de nombreuses années devait être instruite au vu des montants en jeu.

Or, l'ordonnance de jonction querellée lierait irrémédiablement le sort des deux procédures, un acte d'accusation étant prêt dans la plus ancienne.

b. Le Ministère public conclut principalement à l'irrecevabilité du recours, faute pour le recourant de se prévaloir d'un intérêt juridique protégé, subsidiairement à son rejet.

Le recourant ne donnait aucune explication sur l'éventuelle atteinte à ses droits que lui causerait la jonction querellée. Il n'avait d'ailleurs pas requis l'effet suspensif à l'appui de son recours.

Par ailleurs, la mise en œuvre des actes d'instruction qu'il appelait de ses vœux pouvait être sollicitée dans le délai octroyé par l'avis de prochaine clôture.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir.

2.             La question de la qualité pour agir du recourant se pose toutefois sous l'angle de l'intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.1. Les mémoires de recours doivent être motivés (cf. art. 385 et 396 CPP). Dans le cadre de cette obligation, il appartient en particulier au recourant d'établir sa qualité pour recourir – dont son intérêt juridique au sens de l'art. 382 CPP –, notamment lorsque celle-ci n'est pas d'emblée évidente (arrêt du Tribunal fédéral 1B_304/2020 du 3 décembre 2020 consid. 2.1 et la référence citée).

2.2. À teneur de l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci.

Le recourant, quel qu'il soit, doit être directement atteint dans ses droits et doit établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif. Le recourant doit en outre avoir un intérêt à l'élimination de cette atteinte, c'est-à-dire à l'annulation ou à la modification de la décision dont provient l'atteinte (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 382). L'intérêt doit être juridique et direct, le but étant de permettre aux tribunaux de ne trancher que des questions concrètes et de ne pas prendre des décisions uniquement théoriques. À noter que l'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection qui n'est pas, lui, nécessairement juridique mais peut aussi être un pur intérêt de fait ; ce dernier ne suffisant pas à fonder une qualité pour recourir. Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt futur ne suffit pas (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, 2ème éd., n. 2 ad art. 382 CPP et les références citées).

Le recours d'une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision est en principe irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.3.1).

2.3. En l'espèce, la question de l'existence pour le recourant d'un intérêt juridique direct pour se plaindre de la décision de jonction des procédures querellées se pose, mais souffrira de demeurer indécise vu les considérations qui suivent.

3. 3.1 À teneur de l'art. 29 al. 1 CPP, les infractions sont poursuivies et jugées conjointement notamment lorsqu'un prévenu a commis plusieurs infractions (let. a).

Le principe d'unité de la procédure découle déjà de l'art. 49 CP et, sous réserve d'exceptions, s'applique à toutes les situations où plusieurs infractions, respectivement plusieurs personnes, doivent être jugées ensemble (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénales suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 1 ad art. 29). Ce principe tend à éviter les jugements contradictoires quant à l'état de fait, l'appréciation juridique ou la quotité de la peine. Il sert en outre l'économie de la procédure (ATF 138 IV 214 consid. 3; 138 IV 29 consid. 3.2).

3.2. Selon l'art. 30 CPP, si des raisons objectives le justifient, le Ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la disjonction de procédures pénales. Elle sert, avant tout, à garantir la rapidité de la procédure et à éviter un retard inutile. Ces raisons objectives excluent en revanche de se fonder sur de simples motifs de commodité (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds.), op. cit., n. 2 ad art. 30).

La disjonction des causes en vertu de l'art. 30 CPP doit cependant rester l'exception et l'unité de la procédure la règle, dans un but d'économie de procédure, d'une part, mais aussi afin de prévenir le prononcé de décisions contraires, d'autre part. Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré qu'en vertu du principe de l'unité de procédure, le ministère public était tenu de joindre des procédures à l'encontre du même prévenu quand bien même la nature des infractions était fort différente, en l'occurrence violences domestiques et escroquerie (ATF 138 IV 214 consid. 3.6 et 3.7).

3.3. En l'espèce, le recourant est – le seul – mis en cause dans les deux procédures jointes. Conformément au principe de l'unité de la procédure, les faits objets de ces deux procédures – et les infractions qui y sont associées – doivent donc en principe être poursuivis conjointement, afin qu'un seul juge se prononce, le cas échéant, sur l'ensemble.

De plus, ces deux procédures ont pour toile de fond la situation personnelle et en particulier financière du recourant, lequel a pu s'exprimer longuement sur cet aspect lors de ses auditions dans la P/2524/2020 des 7 mai 2021 et 4 avril 2023, et produire toutes pièces utiles.

Comme justement relevé par le Ministère public, il lui était loisible de solliciter, dans le délai au 9 avril 2024 fixé dans l'avis de prochaine clôture du 12 mars 2024, des actes d'instruction en lien avec les infractions dont il est prévenu dans les deux procédures jointes. Le recourant ne dit pas s'il l'a fait.

Ainsi, contrairement à ce qu'il soutient, ces deux procédures en sont au même stade d'instruction, de sorte qu'il n'existe pas non plus sur ce plan de motif pour empêcher leur jonction, qui est la règle dans un tel cas de figure.

C'est ainsi à juste titre que le Ministère public a rendu l'ordonnance querellée.

4. Le recours, pour autant que recevable, sera donc rejeté.

3.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette, pour autant que recevable, le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/21653/2015

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

Total

CHF

985.00