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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10232/2021

ACPR/265/2024 du 18.04.2024 sur OCL/1682/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.05.2024, 7B_566/2024
Descripteurs : PRÉVENU;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);FRAIS JUDICIAIRES;FAUTE
Normes : CPP.319; CPP.426; CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10232/2021 ACPR/265/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 18 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de classement partiel sur opposition et l'ordonnance pénale rendues le 5 décembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par ordonnance de "classement partiel sur opposition" du 5 décembre 2023, notifiée le lendemain, le Ministère public a classé la procédure à l'égard de A______ en tant qu'elle concerne les faits qualifiés d'escroquerie et de faux dans les titres "(chiffre d'affaire mensonger)" (chiffre 1 du dispositif), l'a condamné aux frais de ladite ordonnance (ch. 2) et lui a refusé toute indemnisation sur la base de l'art. 429 al. 1 let. a CPP (ch. 3).

b. Par ordonnance pénale du même jour, notifiée le 7 suivant, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'abus de confiance.

c. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 18 décembre 2023, A______ recourt contre ces deux ordonnances.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, s'agissant de l'ordonnance de classement partiel, à l'annulation des chiffres 2 et 3 du dispositif et à l'allocation en sa faveur d'une indemnité de CHF 5'026.-, et, s'agissant de l'ordonnance pénale, à l'annulation du "classement implicite" qu'elle contient "en tant qu'elle concerne les soupçons d'avoir ordonné de façon illicite des versements en faveur des membres de la famille de M. C______ (autres que M. D______) et d'avoir ordonné de façon illicite des versements en faveur de M. C______", avec renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il l'interpelle "sur ses requêtes en indemnisation, puis notifie une ordonnance de classement formelle sur cet aspect et statue sur lesdites requêtes".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 11 mai 2023, l'établissement E______, SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE (ci-après: E______) a déposé plainte contre A______, en sa qualité d'associé gérant président de la société F______ SÀRL, EN LIQUIDATION (ci-après: F______ SÀRL), des chefs d'escroquerie (art. 146 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), violation de l'art. 23 de l'Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19 (OCaS-COVID-19; RS 951.261), respectivement de l'art. 25 de la Loi sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19 (LCas-COVID-19; RS 951.26).

Le 27 mars 2020, F______ SÀRL, représentée par A______, avait sollicité – et obtenu – un crédit COVID-19 de CHF 65'200.- auprès de la banque G______ (ci-après, G______). Ce montant avait été versé sur le compte de la société. Cette dernière avait été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal de première instance du ______ mai 2020.

Dans ce contexte, A______ avait effectué de nombreux retraits d'espèces et versements paraissant sortir du cadre autorisé et convenu par le prêt. Il avait adressé deux courriers, les 23 juillet et 27 août 2020, à la société, pour demander le bilan pour l'année 2019 notamment, se réservant "toute mesure utile pour la sauvegarde de ses droits" en cas de manquement. F______ SÀRL n'avait pas répondu. Comme G______ avait fait appel, le 21 octobre 2020, à la caution solidaire pour un montant de CHF 65'200.-, il était subrogé aux droits de la banque à concurrence de ce montant.

b. Sur ordre de dépôt du Ministère public du 21 mai 2021, G______ a, parmi d'autres documents, transmis une convention de crédit COVID-19, remplie et signée le 27 mars 2020 par A______.

Le chiffre d'affaire de F______ SÀRL retenu était de CHF 652'509.-. En signant la convention, le "Preneur de crédit" autorisait "l'organisation de cautionnement compétente à demander de manière autonome toute information et tout document auprès [de lui], d'autorités, de banques, d'entreprises de comptabilité / fiduciaires / organes de révision ou de tiers".

c. Le 24 août 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______, lui reprochant d'avoir, en sa qualité d'associé gérant de F______ SÀRL, requis un crédit COVID-19 en indiquant un chiffre d'affaire non conforme à la réalité (CHF 652'509.-) et ainsi obtenu un crédit à hauteur de CHF 65'200.-, qu'il avait utilisé de manière non conforme à l'OCaS-COVID-19.

d. Par courrier du 25 août 2021, le Ministère public a sollicité de l'Administration fiscale cantonale (ci-après: AFC) l'envoi des déclarations d'impôts de F______ SÀRL pour les années 2018, 2019 et 2020.

Par réponse du 6 septembre suivant, l'AFC a transmis les états financiers de F______ SÀRL au 31 décembre 2018, établis par H______ SA, arrêtant le chiffre d'affaire pour l'année en question à CHF 332'934.65. Pour le surplus, elle n'était pas en possession de déclarations fiscales plus récentes.

e.a. Le 8 février 2022, la police a entendu A______, sur délégation du Ministère public.

Le chapitre "Remarques préliminaires" du procès-verbal, signé par le prévenu, contient le passage suivant:

"Les faits suivants me sont reprochés concernant la société F______ Sàrl dont je suis administrateur et en lien avec le crédit COVID-19 octroyé à ladite société le 27.03.2020, dont CHF 65'200.- ont été utilisés, d'avoir:

- entre le 03.04.2020 et [le] 28.05.2020, effectué 27 retraits d'argent liquide pour un montant total de CHF 46'431, dont 4 depuis l'Italie;

- entre le 14.04.2020 et le 28.05.2020, transféré CHF 20'623.- auprès de la société I______ Sàrl, laquelle appartient à M. C______, soit votre associé au sein de F______ Sàrl.

Concernant la faillite de votre société F______ Sàrl, laquelle a été prononcée le ______.05.2020 (commination notifiée le 07.02.2020):

- entre le 08.04.2020 et le 06.10.2020, avoir viré CHF 10'291.- à M. C______ personnellement (CHF 3'110.40) ou en faveur de personnes portant le même patronyme (CHF 7'180.65)".

e.b. Avant le début des questions, le procès-verbal comprend encore le passage suivant:

"En date du 11.05.2021, le E______ a déposé plainte pénale auprès du Ministère public contre vous, en tant qu'associé gérant président de l'entreprise à responsabilité limitée F______ Sàrl, pour des faits relevant de l'escroquerie, du faux dans les titres et de l'infraction à l'ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19".

e.c. Durant son audition, A______, assisté de son avocat, a expliqué que la comptabilité de F______ SÀRL était initialement gérée par H______ SA. Insatisfait par celle-ci, il avait changé pour un dénommé "J______", dont il ne se souvenait plus du nom, puis pour la société K______ SÀRL.

En réponse à la question de savoir s'il pouvait fournir la comptabilité de F______ SÀRL pour les années 2018, 2019 et 2020, il a affirmé que tous les documents se trouvaient chez K______ SÀRL. Il devait avoir "quelques copies" chez lui et les tenait à disposition au besoin.

Plus particulièrement, la police lui a demandé s'il pouvait fournir les documents comptables de F______ SÀRL qui avaient permis d'avancer le chiffre d'affaire de CHF 652'509.-, ce à quoi A______ a répondu que, dans ses souvenirs, les comptes 2019 n'étaient pas encore établis car la société venait de changer de comptable. "J______" avait calculé le chiffre d'affaire à fournir à la banque sur la base des écritures de 2019, même si la comptabilité pour cette année-là n'était pas encore clôturée. Les éléments comptables en question devaient se trouver chez lui [A______].

f. Selon le rapport de renseignements du 14 février 2022, l'audition de A______ était initialement prévue pour le 7 décembre 2021 mais avait été repoussée à deux reprises pour permettre au précité de réunir les documents comptables de F______ SÀRL. Malgré cela, l'intéressé s'était présenté muni de son passeport italien uniquement et n'avait, subséquemment, fourni aucun document.

g. Le 3 mars 2022, en réponse à un ordre de dépôt du Ministère public, K______ SÀRL a affirmé n'être aucunement liée à F______ SÀRL, ni A______.

h. Par ordonnance pénale du 27 juin 2022, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'escroquerie et de faux dans les titres.

Il a retenu que le précité avait signé une convention de crédit COVID-19 au nom et pour le compte de F______ SÀRL en indiquant un chiffre d'affaire pour 2019 contraire à la réalité et sur la base d'une comptabilité qui n'était pas tenue. Les explications de A______ sur l'utilisation des fonds prêtés n'étaient pas crédibles, étant précisé que ce dernier n'avait jamais été en mesure de fournir la moindre pièce justificative à l'appui. Les éléments au dossier permettaient au contraire d'établir que ces fonds avaient été utilisés pour des dépenses privées. En transmettant la convention de crédit à G______, tout en sachant que celle-ci était contrainte de s'y fier de bonne foi, A______ avait agi dans le but de tromper la banque en vue d'obtenir un prêt COVID-19 de manière illégitime.

i. Par courrier du 11 juillet 2022, A______ a formé opposition à l'ordonnance précitée.

Le chiffre d'affaire mentionné dans la convention de prêt n'était pas erroné. Il découlait de comptes provisoires de 2019, établis à l'époque par H______ SA, en lien avec les deux restaurants exploités par F______ SÀRL.

En annexe, figuraient:

- un courriel de H______ SA du 10 février 2020, avec la teneur suivante: "Bonjour, Et voici les chiffres d'affaire des 2 restaurants, ainsi que le bilan 2018 du [restaurant] L______";

- les états financiers de F______ SÀRL au 31 décembre 2018 et le détail du produit d'exploitation des deux restaurants pour l'année 2019, qui culminaient à CHF 652'509.30.

j. Le 7 octobre 2022, A______ a transmis au Ministère public plusieurs documents de F______ SÀRL, relatifs à la comptabilité de 2019 et obtenus de H______ SA.

Y figurait notamment une attestation de cette dernière du 23 août 2022, selon laquelle toutes les pièces comptables de la société avaient été rendues le 9 décembre 2020 à A______.

k. Entendu par le Ministère public le 21 octobre 2022, A______ a confirmé ses précédentes déclarations.

l. Le 25 novembre 2022, A______ a adressé au Ministère public un courrier pour se déterminer sur l'utilisation du prêt COVID-19 octroyé à F______ SÀRL.

En substance, les fonds empruntés avaient servi à s'acquitter des dettes et charges de la société, sans être distraits, ni utilisés à des fins étrangères. En particulier, le père de C______, D______, avait mis des fonds à disposition de F______ SÀRL au travers de son fils. Les paiements en faveur de D______ apparaissant dans les relevés bancaires intervenaient ainsi en remboursement de ce prêt.

m. Le 7 juin 2023, le Ministère public a adressé aux parties un avis de prochaine clôture.

Il entendait rendre un classement partiel en ce qui concernait "la mention d'un chiffre d'affaire erroné de CHF 652'509.- dans la convention de crédit COVID-19 remplie et signée par A______ le 27 mars 2020". Pour le surplus, une ordonnance pénale serait rendue pour abus de confiance, le prêt obtenu ayant été "en partie affecté à d'autres fins que celles autorisées et convenues".

n. Le 20 juin 2023, A______ a requis du Ministère public des précisions sur l'infraction d'abus de confiance devant faire l'objet d'une ordonnance pénale. L'instruction portait sur "quatre postes distincts (retraits cash; transferts d'argent en faveur de I______ Sàrl; transferts en faveur de M. C______; transferts en faveur des membres de la famille de M. C______)" et il voulait savoir lesquels étaient tenus pour établis par le Ministère public.

o. Le surlendemain, le Ministère public a répondu que la prise de position souhaitée par A______ serait traitée dans l'ordonnance pénale à venir.

p. Le 31 juillet 2023, A______ a souligné que les charges relatives à la falsification du chiffre d'affaire mentionné dans la convention de crédit devaient être distinguées de celles de l'utilisation des fonds octroyés. Comme le Ministère public avait annoncé abandonner les premières charges, une ordonnance de classement explicite était indispensable. Dans ce cadre, les honoraires pour l'activité globale de son conseil s'élevaient à CHF 11'666.67 (hors TVA). Pour tenir compte de la gravité des charges abandonnées, un pourcentage de 40% de l'activité facturable devait être imputé aux faits classés. Il concluait à une indemnité de CHF 5'026.-, TVA (7.7%) incluse.

C. a. Dans l'ordonnance pénale querellée, le Ministère public retient qu'il incombait à A______, en sa qualité d'associé gérant de F______ SÀRL et signataire de la convention, de veiller à une utilisation conforme du crédit COVID-19 obtenu, à savoir n'utiliser les fonds confiés, en CHF 65'200.-, que pour couvrir les besoins courants en liquidités de la société. À cet égard, quatorze retraits en espèces, pour une somme de CHF 40'249.47, ne pouvaient pas être justifiés et il pouvait être conclu qu'ils avaient été utilisés de manière indue. Il en allait de même pour trois versements à I______ SÀRL. La plupart des versements en faveur de membres de la famille de C______ étaient conformes à l'affectation convenue, sauf ceux versés directement à D______, soit CHF 20.- et CHF 1'033.07 le 17 avril 2020, en remboursement d'un prêt privé accordé à son fils.

Au total, A______ avait utilisé la somme totale de CHF 44'772.29 de manière non conforme à la convention de crédit COVID-19 et s'était ainsi rendu coupable d'abus de confiance.

b. Dans l'ordonnance de classement partiel sur opposition, le Ministère public estime que, dans la mesure où le chiffre d'affaire inscrit dans la convention de crédit était conforme à la réalité, il ne pouvait pas être reproché à A______ d'avoir eu l'intention de tromper G______, ni d'avoir fait figurer une information contraire à la réalité. Les soupçons d'une commission d'infractions aux art. 146 et 251 CP n'étaient pas suffisants.

En revanche, l'instruction avait été ouverte par suite de la plainte du E______, en raison des retraits en espèces et versements dénoncés. Pour ces agissements, A______ faisait l'objet d'une ordonnance pénale parallèle, pour abus de confiance. Dès lors, l'ouverture de l'instruction pénale trouvait son fondement dans les agissements illicites de celui-ci. En outre, le précité avait rendu plus difficile la conduite de la procédure en lien avec l'obtention des états financiers de F______ SÀRL. Il n'avait pas répondu aux courriers du E______ des 23 juillet et 27 août 2020 lui demandant de produire le bilan et le compte de pertes et profits de F______ SÀRL pour 2019. Pourtant, à teneur de l'attestation de H______ SA du 23 août 2022, il s'était vu remettre l'intégralité des pièces comptables de la société le 9 décembre 2020. D'importants efforts avait été déployés pour obtenir cette comptabilité et ce n'était "qu'en juillet 2022, soit 5 mois après son audition" que A______ avait produit les comptes de résultats des restaurants exploités par F______ SÀRL. Par son attitude, ses imprécisions, ses déclarations contradictoires et ses atermoiements, le prévenu avait compliqué la procédure et la détermination du chiffre d'affaire 2019 réalisé par la société en 2019. En outre, les actes d'instruction effectués étaient "tous nécessaires et avaient, pour chacun d'eux, vocation à élucider tant le chiffre d'affaire 2019 que l'utilisation indue du crédit". Il était ainsi fait application des art. 426 al. 2 et 430 al. 1 let. a CPP pour condamner A______ au paiement de l'intégralité des frais de la procédure de classement, arrêtés à CHF 520.-, et rejeter ses prétentions en indemnité.

D. a. Dans son recours, A______ soutient, au sujet de la recevabilité, avoir un droit inconditionnel au prononcé formel d'un classement, mais également "à ce qu'il soit statué" sur les frais de la procédure en lien avec les faits classés et à ce qu'il lui soit donné l'opportunité de former des prétentions en indemnisation.

Sur l'ordonnance de classement partiel

Le premier motif invoqué par le Ministère public pour le condamner aux frais et rejeter son indemnisation reposait sur deux "erreurs factuelles majeures". D'abord, dès l'ouverture de l'instruction, les soupçons contre lui ne portaient pas uniquement sur l'utilisation indue des fonds prêtés, mais également sur l'indication d'un chiffre d'affaire non conforme à la réalité. Ensuite, tous les agissements dénoncés par le E______ n'avaient pas, in fine, été considérés constitutifs d'abus de confiance.

Pour le second motif, les développements du Ministère public ne résistaient pas à l'examen pour quatre raisons: (1) il était faux de lui imputer une passivité pendant cinq mois puisque les charges afférentes au chiffre d'affaire 2019 ne lui avaient pas été notifiées lors de son audition du 8 février 2022. Cette audition s'était d'ailleurs déroulée en violation des art. 6 CEDH et 158 CPP puisque la police avait passé sous silence des charges pourtant présentes dans l'ordonnance d'ouverture d'instruction, tout en l'interrogeant sur des faits y relatifs. Le rapport de renseignements du 14 février 2022 n'incluait pas non plus la mention d'un chiffre d'affaire erroné. La première notification des charges en question était intervenue avec l'ordonnance pénale du 27 juin 2022, à laquelle il avait formé opposition en produisant les documents nécessaires pour prouver son innocence. Il avait ainsi réagi dans un délai de dix jours et non cinq mois. Dans ladite ordonnance, le Ministère public évoquait l'utilisation illicite du crédit pour démontrer un dessein d'enrichissement illégitime, comme composante des infractions d'escroquerie et de faux dans les titres. Les charges relatives au chiffre d'affaire n'avaient ensuite refait "leur apparition formelle qu'avec l'avis de prochaine clôture du 7 juin 2023". Le Ministère public avait ainsi entretenu la confusion sur les charges concrètement retenues, rendant plus difficile sa défense; (2) en sa qualité de prévenu, il n'était pas tenu de collaborer, ni de prouver son innocence. Il appartenait au Ministère public de lui notifier correctement les charges, puis de prouver sa culpabilité. Après la réception, le 11 juillet 2022, des documents utiles, l'autorité avait pris dix-sept mois pour procéder au classement; (3) l'émission de trois ordres de dépôt ne pouvait être qualifiée "d'importants efforts" et "d'investigations nombreuses et complexes"; (4) si, pour le Ministère public, les actes d'instruction entrepris étaient "nécessaires" pour élucider "le chiffre d'affaire 2019" et "l'utilisation indue du crédit", on ne pouvait lui reprocher de n'avoir pas fourni la preuve de son innocence concernant ce premier volet puisque les actes en question auraient de toute manière été ordonnés pour le second.

Sur le classement implicite

Les principes dégagés de la jurisprudence obligeaient le Ministère public à rendre une décision formelle "sur chacune des prétendues opérations par hypothèse constitutives d'abus de confiance car relatives à une utilisation sans droit d'une partie des valeurs patrimoniales confiées". Lors de son audition à la police du 8 février 2022, les charges lui avaient d'ailleurs été présentées de manière distincte. Or, le dispositif de l'ordonnance querellée se bornait à le déclarer coupable d'abus de confiance, en procédant par qualification juridique et non par faits. Il y avait ainsi un classement implicite de la procédure en lien avec les paiements à C______ et la famille de ce dernier. L'ordonnance de classement partiel sur opposition n'englobait pas ces charges abandonnées. Le Ministère public devait donc rendre une décision formelle, statuer sur les frais et son indemnisation, après l'avoir au préalable interpellé sur le sujet.

b. Dans ses observations, le Ministère public soutient qu'il était "faux" de dire que l'ordonnance pénale du 27 juin 2022 n'avait été rendue que pour l'indication d'un chiffre d'affaire contraire à la réalité et que l'intégralité des agissements dénoncés par le E______ avaient été classés. Avant son audition à la police, A______ n'avait pas daigné répondre aux courriers du E______ lui impartissant des délais pour fournir les états financiers 2019 de F______ SÀRL. Il ressortait ensuite du rapport de renseignements du 14 février 2022 que l'intéressé était censé ramener les documents utiles, ce qu'il n'avait pas fait. A______ ne pouvait donc pas feindre qu'à la sortie de son audition, il ne savait pas que le chiffre d'affaire de la société faisait partie des points à instruire, des questions à ce sujet lui ayant notamment été posées. Ladite audition était, par ailleurs, parfaitement valable, les questions au prévenu n'étant pas restreintes aux seuls faits figurant dans la notification des charges du début de l'audience.

Dans l'ordonnance pénale, il avait considéré que les versements effectués en faveur de la famille C______/D______ étaient conformes à l'affectation convenue. Il ne s'agissait toutefois pas d'un classement partiel, dans la mesure où l'avis de prochaine clôture préalable mentionnait que l'infraction d'abus de confiance serait retenue, "le prêt obtenu ayant été en partie affecté à d'autres fins que celles autorisées et convenues". Il avait donc déjà été annoncé qu'une partie du crédit était considérée comme ayant été utilisée de manière conforme à la convention de crédit. Dans l'hypothèse où l'ordonnance pénale contenait un classement implicite, cela ne changeait aucunement l'affectation des frais de procédure ni n'ouvrait le droit à une indemnisation.

c. Dans sa réplique, A______ se réfère à son recours et conteste, pour le surplus, avoir fait des affirmations "fausses" dans son écriture.

EN DROIT :

1.             1.1. En tant que le recourant conteste sa condamnation aux frais de la procédure de première instance et le refus de son indemnisation découlant de l'ordonnance de classement partiel, le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. En tant que le recours vise un classement implicite de l'ordonnance pénale, il est irrecevable.

1.2.1. Lorsque le ministère public décide de ne pas poursuivre certains faits, il doit prononcer un classement (art. 319 CPP). Le CPP subordonne l'abandon de la poursuite pénale au prononcé d'une ordonnance formelle de classement mentionnant expressément les faits que le ministère public renonce à poursuivre, de manière à en définir clairement et formellement les limites. Dès lors que le classement doit faire l'objet d'un prononcé séparé, écrit et motivé, il ne saurait être glissé et mélangé au contenu d'une ordonnance pénale. Si l'autorité d'instruction n'entend réprimer qu'une partie des faits dans le contexte d'une ordonnance pénale, il doit statuer conformément aux formes prévues par le CPP, c'est-à-dire prononcer simultanément une ordonnance pénale d'une part et une ordonnance de classement d'autre part. Lorsque le ministère public omet de rendre deux décisions séparées, mais établit une ordonnance pénale contenant un classement implicite, la voie de recours ouverte à la partie plaignante pour contester ce classement est celle du recours ordinaire prévu à l'art. 322 al. 2 CPP (ATF 138 IV 241 consid. 25 et 2.6; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1012/2020 du 8 avril 2020 consid. 4.1).

1.2.2. D’une manière générale, les personnes poursuivies ne peuvent recourir contre une décision rendue en leur faveur; tel est ainsi le cas lors d’un acquittement pur et simple sans frais, alors même qu’elles s’estimeraient lésées par les considérants de ces décisions (ATF 101 IV 327; ATF 103 II 155 consid. 3; ACPR/136/2022 du 1er mars 2022 consid. 1.2.1).

1.2.3. En l'occurrence, le recourant soutient que l'ordonnance pénale rendue contre lui contiendrait également le classement de certains faits pouvant être constitutifs d'abus de confiance, en lien avec l'utilisation des fonds prêtés par la banque, dans le cadre de la convention de crédit COVID-19.

Il est exact que dans ladite ordonnance, le Ministère public liste des comportements distincts (retraits d'espèces, transfert d'argent à une personne morale, à des personnes physiques) faisant l'objet des soupçons de la commission de l'infraction visée à l'art. 138 CP. Pour certains, il retient que l'utilisation des fonds confiés était conforme à l'affectation prévue et convenue, écartant de la sorte tout agissement pénalement répréhensible. Tel est notamment le cas pour les versements en faveur de C______ et des membres de la famille de ce dernier, à l'exception de son père, D______, à concurrence de CHF 1'033.07.

À supposer que ces faits soient classés de manière implicite dans l'ordonnance pénale, question qui n'a pas besoin d'être tranchée ici, ils le seraient en faveur du recourant, prévenu, qui ne disposerait pas d'un intérêt juridiquement protégé à recourir contre cette décision. L'intéressé ne saurait, ainsi, prétendre au prononcé d'une décision formelle. En effet, si la jurisprudence susmentionnée admet le principe du classement implicite, elle permet à la partie plaignante – et non au prévenu – de recourir contre l'ordonnance le consacrant.

Au demeurant, l'intérêt sous-jacent qui conduit le recourant à agir contre le classement implicite allégué serait la possibilité de demander une indemnisation sur les faits justement classés. Le grief doit donc être compris comme l'allégation d'un déni de justice, le Ministère public n'ayant pas, faute de décision de classement, statué sur l'éventuelle indemnité due au recourant.

Or, pour les motifs exposés ci-après, le recourant ne saurait, quoi qu'il en soit, pas prétendre, dans le cas d'espèce, au remboursement de ses dépens au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP.

2.             2.1. Le prévenu bénéficiant d'une ordonnance de classement a notamment droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

2.2. En vertu de l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge, s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

2.2.1. La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais, respectivement le refus de lui allouer une indemnisation à raison du préjudice subi par la procédure pénale, doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais, respectivement un refus d'indemnisation, n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF  144 IV 202 consid. 2.2; 119 Ia 332 consid. 1b; 116 Ia 162 consid. 2c).

2.2.2. Le silence du prévenu ne peut, en principe, justifier une condamnation aux frais, puisque le droit de se taire, soit celui de refuser de déposer (contre lui-même) ou de collaborer à la procédure lui est reconnu par l'art. 113 CPP. Par contre, il n’est pas incompatible avec les droits du prévenu de lui faire supporter tout ou partie des frais de procédure lorsqu’il est établi qu’il a, par son silence, obligé l’autorité d’instruction à procéder à des investigations nombreuses et complexes, alors qu’il lui aurait été facile de se disculper (ATF 112 Ib 446 consid. 4; ACPR/490/2023 du 26 juin 2023 consid. 2.4; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2a ad art. 426).

2.3. En l'espèce, le recourant a fautivement provoqué l'ouverture de la procédure et rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

En signant, de sa main, la convention de crédit COVID-19, le recourant avait autorisé l'organisme de cautionnement à requérir toute documentation nécessaire. Pourtant, il n'a jamais répondu aux requêtes, assorties d'avertissements, l'enjoignant à fournir la comptabilité de la société pour 2019, alors qu'il disposait de toutes les pièces utiles.

Ces manquements – injustifiés – étaient contraires à ses devoirs contractuels, mais également légaux. En effet, l'OCaS-COVID-19, à laquelle la convention en question était soumise, stipulait que le preneur de crédit devait confirmer par écrit ou par tout autre moyen que les données figurant dans le formulaire de demande étaient complètes et véridiques, et les organisations de cautionnement étaient tenues de vérifier l'exhaustivité et l'exactitude formelle de ces demandes (art. 11 al. 2 et 3).

Compte tenu de la facilité avec laquelle les crédits COVID-19 étaient accordés en raison de la situation exceptionnelle d'alors, le preneur de crédit qui se soustrayait à ses obligations et laissait ainsi apparaître des soupçons d'un comportement pénalement répréhensible, s'exposait à une plainte pénale.

Tel a justement été le cas en l'occurrence.

Une fois l'instruction ouverte, le Ministère public n'a pas été en mesure de lever les premiers doutes avec les documents obtenus le 6 septembre 2021 de l'AFC, la société du recourant n'ayant pas rempli sa déclaration fiscale pour l'année 2019.

Par la suite, le recourant s'est présenté à la police muni de son passeport uniquement, alors que la date de son audition avait été reportée à deux reprises pour lui permettre de réunir les documents comptables de la société, qu'il possédait. Lors de son interrogatoire, face aux sollicitations de la police visant à obtenir les documents en question, le recourant a apporté des réponses confuses et contradictoires, qui ont, au demeurant, mené le Ministère public sur une piste qui s'est avérée vaine après un acte d'instruction. Compte tenu de ce qui précède et de la teneur des questions ainsi que des chefs d'accusation qui lui ont été notifiés avant son audition, l'intéressé, assisté sur le moment de son conseil, ne pouvait ignorer que la comptabilité revêtait une importance dans les faits reprochés.

Malgré cela, c'est le 11 juillet 2022, soit cinq mois après son audition, dans le cadre de son opposition à l'ordonnance pénale, que le recourant a finalement produit un premier élément utile pour se disculper, ce qui a conduit le Ministère public à classer les faits en question.

Enfin, le recourant ne saurait faire valoir son droit de se taire ou de refuser de déposer contre lui, dans la mesure où il a lui-même déclaré à la police qu'il tenait à la disposition des autorités les "quelques copies" des pièces comptables qu'il détenait chez lui, ce à quoi il n'a donné suite que bien plus tard. En outre, si les actes d'instruction entrepris par le Ministère public ne s'avèrent pas nombreux, ni complexes, il faut relever qu'en contrepartie, l'émolument au paiement duquel le recourant est condamné, soit CHF 520.-, n'est pas élevé, ne serait-ce qu'au regard de l'art. 6 let. b RTFMP.

En définitive, c'est donc à bon droit que le Ministère public a condamné le recourant aux frais de la procédure de classement. Partant, l'autorité intimée pouvait également lui refuser toute indemnité sur la base de l'art. 429 al. 1 let. a CPP.

3.             En conclusion, le volet du recours contre l'ordonnance pénale du 5 décembre 2023, en tant qu'il porte sur le classement implicite contenu dans celle-ci, est irrecevable; le volet contre l'ordonnance de classement partiel sur opposition du même jour est infondé et sera rejeté.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10232/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

-

CHF

Total

CHF

1'500.00