Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/32/2023 du 16.01.2023 ( RECUSE ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PS/81/2022 ACPR/32/2023 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 16 janvier 2023 |
Entre
A______, domiciliée ______, comparant en personne,
requérante,
et
B______, juge, Tribunal des mesures de contrainte, rue des Chaudronniers 9,
case postale 3715, 1211 Genève 3,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
cités.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 9 novembre 2022, A______ a requis la récusation de B______, juge au Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) dans la procédure P/1______/2021.
Le magistrat a transmis la demande, le même jour, à la Chambre de céans, avec ses observations.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ est prévenue de diffamation, calomnie, injure, menaces et contrainte dans la procédure P/1______/2021.
b. Par ordonnance du 11 avril 2022, le Ministère public a ordonné la défense d'office en faveur de A______ et désigné Me C______ en qualité de défenseur d'office. Il ressort de la décision que la prévenue avait souhaité qu'un autre avocat soit nommé, mais que celui-ci avait refusé. Me C______ était ainsi désigné, car il assistait déjà la prévenue dans le cadre d'une autre procédure.
c. Le lendemain, le TMC a refusé la demande de mise en détention provisoire formée par le Ministère public contre A______ et ordonné, à la place, des mesures de substitution.
c.a. Le 24 août 2022, A______ a demandé que Me C______ soit relevé de sa mission. Elle estimait que sa défense était "extrêmement défaillante" et elle avait totalement perdu confiance en son avocat.
c.b. Par lettre du 13 septembre 2022, à laquelle était jointe une procuration signée par A______, Me D______ a informé le Ministère public être disposé à accepter le mandat de défenseur d'office.
c.c. Par ordonnance du 13 septembre 2022, le Ministère public a refusé de relever Me C______ de sa mission.
c.d. A______ a formé recours contre cette décision le 23 septembre 2022.
d. Le 1er novembre 2022, A______ a comparu devant le Ministère public. En cours d'audience, elle a été placée en arrestation provisoire, en raison du risque de réitération et de la violation des mesures de substitution ordonnées par le TMC le 12 avril 2022.
e. Le lendemain, le TMC, présidé par B______, a entendu A______, qui était assistée de Me E______, avocate-stagiaire excusant Me C______.
À teneur du procès-verbal d'audience, A______ a, d'emblée, annoncé souhaiter plaider sa cause toute seule et ne pas être représentée par Me E______, ni par l'étude de Me C______. Elle s'est référée à sa demande de changement d'avocat.
Après que A______ eut répondu aux questions du juge, Me E______ a plaidé et s'est opposée à la mise en détention provisoire de sa mandante, concluant à sa libération immédiate, subsidiairement à ce que les mesures de substitution soient prolongées. A______, qui a eu la parole en dernier, a déclaré que ce que son avocate avait dit était "juste", mais elle refusait qu'on lui impose des mesures de substitution.
f. Par ordonnance du 2 novembre 2022, B______ a ordonné la détention provisoire de A______ jusqu'au ______ décembre 2022 en raison du risque de réitération. Il a retenu que "la multiplicité des agissements de la prévenue dont la volonté délictuelle n'a nullement faibli et leur répercussion sur les plaignants, voire sur sa fille, pallient l'absence de grave mise en danger de la sécurité publique".
g. Le recours formé par A______ contre cette décision a été déclaré sans objet par la Chambre de céans (ACPR/815/2022 du 18 novembre 2022), la prévenue ayant été libérée dans l'intervalle – le 15 novembre 2022 – par le TMC par suite de la demande de mise en liberté formée par la précitée.
C. a. A______ motive sa demande de récusation contre B______ par le fait que "uniquement un juge partial [pouvait] faire une audience sans avocat et emprisonner une mère honnête et courageuse qui protég[eait] son enfant et se [battait] contre l'oppression du Pouvoir judiciaire". De plus, l'avocat avait plaidé contre sa propre cliente, alors même que les conditions de l'art. 221 CPP n'étaient pas remplies pour une détention provisoire. Le magistrat l'avait "maltraitée", avait porté atteinte à son honneur et à sa dignité, et violé ses droits humains et fondamentaux, ainsi que ceux de sa fille en "bafouant la justice et la Constitution". En effet, un juge impartial ne violait pas les art. 29 Cst et 6 CEDH.
b. B______ conclut au rejet de la demande, aucun motif prévu à l'art. 56 CPP n'étant réalisé. Lors de l'audience du 2 novembre 2022, A______, qui se trouvait en situation de défense obligatoire, était assistée par l'avocate-stagiaire de Me C______. Le recours formé par la précitée contre le refus de changement du défenseur d'office était toujours pendant devant l'autorité de recours.
c. A______ réplique. Le 1er novembre 2022, avant l'audience devant le Ministère public, elle avait fait connaître son refus catégorique d'être représentée par Me C______. Elle avait d'ailleurs déjà signé la procuration en faveur de Me D______. Elle avait expliqué tout cela à B______, qui l'avait totalement ignorée, comme si elle n'était pas capable de décider qui serait son avocat, ce qui était inacceptable. Il avait "forcé" sa représentation par une stagiaire, l'avait traitée "d'incapable de savoir ce [qu'elle] demand[ait]", n'avait pas permis qu'elle puisse se défendre, l'avait insultée "d'incapable de discernement" et l'avait ignorée. Seul un juge partial pouvait violer à ce point le droit d'être entendu et la CEDH, émettre des appréciations personnelles sans connaître le cas, en disant d'elle qu'elle était "une mère abjecte et Me C______ un excellent avocat".
d. La réplique susmentionnée a été adressée, pour information, à B______.
D. Le recours formé par A______ contre le refus du Ministère public de relever Me C______ de sa mission (cf. B.c.d. supra) a été rejeté par arrêt ACPR/12/2023 de la Chambre de céans du 5 janvier 2023.
EN DROIT :
1. 1.1. La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat du Ministère public (art. 56 et ss. CPP).
1.2. Prévenue à la procédure pendante (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), la requérante dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1CPP).
2. 2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c’est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF
140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1 et 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1).
2.2. En l'espèce, dans la mesure où la demande de récusation est motivée par l'audience du 2 novembre 2022, et l'ordonnance rendue le même jour par le cité, elle a été formée à temps.
3. 3.1. Un magistrat est récusable, aux termes de l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs que ceux évoqués par l'art. 56 CPP, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid 3.2 p. 74 ; ATF 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_568/2011 du 2 décembre 2011, consid. 2.2, avec références aux ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; 134 I 20 consid. 4.2 p. 21; 131 I 24 consid. 1.1 p. 25; 127 I 196 consid. 2b p. 198).
L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1, p. 609; arrêt de la CourEDH Lindon, par. 76; N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, 2009, n. 14 ad art. 56).
Reprocher à une autorité de faire son travail ne constitue pas un grief de nature à fonder sa récusation (ATF 138 IV p. 142 consid. 2.2.2. p. 145 ; ACPR/39/2013 du 29 janvier 2013). La procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises notamment par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_305/2019 et 1B_330/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.4.1).
3.2. En l'espèce, la recourante reproche au cité de l'avoir injuriée, notamment de l'avoir traitée de "mère abjecte", termes qui ne ressortent ni de la décision du 2 novembre 2022, ni du procès-verbal du même jour. En tant qu'il a estimé que les actes reprochés à la requérante avaient une répercussion sur la fille de celle-ci, le cité s'est livré – conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par sa charge – à une appréciation du risque de réitération et des conséquences des infractions retenues. Il n'y a là aucun motif de récusation.
La recourante reproche par ailleurs au cité, à la fois, d'avoir tenu l'audience du 2 novembre 2022 "sans avocat" et de lui avoir imposé l'avocate-stagiaire de son défenseur malgré qu'elle eût requis la révocation de celui-ci.
Lors de l'audience précitée, la requérante a expressément demandé à pouvoir se défendre seule, de sorte qu'elle ne saurait reprocher au cité d'avoir tenu une audience "sans avocat", ce qui n'est, au demeurant, pas le cas. Au moment de la tenue de l'audience, le 2 novembre 2022, la demande de révocation formée par la requérante avait été rejetée par le Ministère public et le recours – qui sera finalement rejeté – était pendant devant la Chambre de céans. C'est donc à bon droit que le cité a laissé l'avocate-stagiaire du défenseur d'office assister la requérante. Il n'y a là aucune "maltraitance" de la part du magistrat, étant relevé que la prévenue, qui a eu la parole en dernier – soit après la plaidoirie de l'avocate-stagiaire –, a pu préciser qu'elle refusait toute mesures de substitution.
On ne décèle ainsi, dans ce déroulement d'audience, aucune apparence de prévention du juge à l'égard de la prévenue. Que cette dernière ait considéré que sa mise en détention violait le droit n'est pas un motif de récusation, puisqu'elle a pu contester cette décision par la voie de recours, puis en formant une demande de mise en liberté.
4. La demande de récusation sera ainsi rejetée.
5. En tant qu'elle succombe, la requérante supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP) fixés en totalité à CHF 400.-, y compris un émolument de décision.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette la demande de récusation formée par A______ contre le juge B______ dans le cadre de la procédure P/1______/2021.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 400.-.
Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, à B______ et au Ministère public.
Le communique, pour information, à Me C______, défenseur d'office.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
PS/81/2022 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF |
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- délivrance de copies (let. b) | CHF |
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- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur demande de récusation (let. b) | CHF | 315.00 |
- | CHF |
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Total | CHF | 400.00 |