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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22795/2022

ACPR/909/2022 du 23.12.2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 10.01.2023, rendu le 12.01.2023, IRRECEVABLE, 1B_12/2023
Descripteurs : PROPORTIONNALITÉ;ANALYSE DE CHEVEUX;RESPONSABILITÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.197; CPP.251

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22795/2022 ACPR/909/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 décembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant par Mes Daniel KINZER et
Igor ZACHARIA, avocats, Etude, CMS von Erlach Partners SA, rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5067, 1211 Genève 3,

recourant

contre l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 28 novembre 2022, A______ recourt contre la décision du 14 précédent, notifiée sous pli simple, par laquelle le Ministère public charge le CURML de procéder à un prélèvement capillaire sur lui et d’en faire l’analyse.

Le recourant conclut, préalablement, à l’effet suspensif et, principalement, à l'annulation de cette décision.

b. La demande d’effet suspensif a été déclarée sans objet, le 30 novembre 2022 (OCPR/57/2022). Une demande de reconsidération sera rejetée le 5 décembre suivant (OCPR/59/2022).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, inspecteur principal de police, est prévenu de mise en danger de la vie d’autrui (art. 129 CP), lésions corporelles par négligence (art. 125 CP) et entrave aux mesures de constatation de l’incapacité de conduire (art. 91a LCR), pour avoir, à Genève, dans la soirée du 28 octobre 2022, vidé le chargeur de son pistolet en tirant dans les locaux de la police judiciaire et blessé ce faisant un collègue au pied. Un projectile a été extrait de la voûte plantaire gauche de celui-ci, aux Urgences des HUG, et un autre projectile a été retrouvé fiché dans la semelle de sa chaussure.

b.             La valeur de l’éthylotest, le 29 octobre 2022 à 3h.11, était d’au maximum 0,45 ‰ ; à 9h., la valeur de l’éthylomètre était nulle (0 ‰).

c.              A______ a refusé la prise de sang et d’urine. Il a nié toute consommation de stupéfiants.

d.             Le Ministère public a souhaité obtenir des HUG toute image de vidéosurveillance sur l’arrivée du blessé et de A______ aux Urgences et sur la prise en charge subséquente du patient. Aucune image n’est disponible. En revanche, le service de sécurité des HUG a consigné dans une note que « l’accompagnant » du blessé (A______), qui parlait fort et s’était montré « extrêmement » désagréable, se trouvait dans un état qui « laissait à penser » à une consommation d’alcool, « voire d’autres substances ». Pour sa part, la victime a déclaré que A______ s’était montré « assez agité et pressant » avec le personnel hospitalier, car il était « irrité » que la prise en charge ne fût pas plus rapide, et que, pendant les heures précédentes, elle ne l’avait pas vu consommer autre chose que de l’alcool.

C. Dans la décision attaquée, le Ministère public considère que la gravité des faits et du danger provoqué par le comportement de A______ imposait d’investiguer toute hypothèse, notamment la possibilité que celui-ci eût agi sous l’emprise de stupéfiants. Un prélèvement capillaire ne causerait au prénommé aucune douleur ni nuisance à sa santé.

D. a. À l'appui de son recours, A______ met en évidence le texte d’un rapport médical [recte : formulaire intitulé « prélèvement de sang / récolte des urines »] daté du jour des faits, qui retiendrait uniquement que son haleine sentait l’alcool, sans que la case relative aux pupilles dilatées ne soit cochée. La mesure querellée servirait à étayer les soupçons d’influence de produits stupéfiants, alors que de tels soupçons de commission d’une infraction devaient reposer sur des éléments qui faisaient défaut, en l’espèce. Le rapport de la sécurité des HUG sur son attitude était vague et non étayé. Le prélèvement de cheveux ne fournirait pas de réponse précise sur son état le soir des faits, alors que la police avait la compétence d’ordonner immédiatement un test rapide de dépistage des stupéfiants, mais s’était abstenue d’en faire usage ; la mesure litigieuse visait à pallier cette omission, sans avoir la même aptitude à prouver, et « faisait l’impasse » sur la dignité humaine.

b. La cause a été gardée à juger après la seconde ordonnance de la Direction de la procédure.

EN DROIT :

1.             L'acte de recours respecte les conditions formelles de recevabilité (art. 385 et 396 CPP).

L'ordonnance attaquée s'analyse comme un mandat d'examen corporel du prévenu, au sens de l'art. 251 CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 3 ad art. 251 et n. 2 ad art. 252 ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 58 ad art. 251/252).

Cette décision est sujette à recours (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit. n. 15 p. 2486 ad art. 393 ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit., n. 29 ad art. 251/252). Le recourant, prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), a un intérêt juridiquement protégé à en obtenir la modification ou l’annulation (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant estime qu’il n’y a pas lieu de procéder au prélèvement ordonné. La mesure ne reposerait pas sur des soupçons suffisants et serait disproportionnée.

2.1.       Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte – dont l’examen de la personne, au sens des art. 251 s. CPP (cf. l’intitulé du titre 5 du CPP, où sont rangées ces dispositions) – doit être prévue par la loi (let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

2.2.       Pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction d'un droit fondamental doit être apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude), et que ceux-ci ne peuvent pas être obtenus par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts) (ATF 147 IV 145 consid. 2.4.1 p. 163; ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 p. 412).

2.3.       Selon l’art. 251 al. 2 CPP, l’examen de la personne du prévenu sert à établir les faits (let. a) et/ou à apprécier sa responsabilité (let. b). En fait partie le prélèvement de cheveux (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit. n. 3 ad art. 251; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit., n. 58 ad art. 251/252). Ce prélèvement est considéré comme une atteinte à l’intégrité corporelle (loc. cit.) et ne peut donc être ordonné que s’il ne cause pas de douleur particulière ou ne nuit pas à la santé du prévenu (art. 251 al. 2 CPP). Il doit être pratiqué par un médecin ou un auxiliaire médical (art. 252 CPP). Il ne cause qu’une atteinte légère à l’intégrité corporelle (arrêt du Tribunal fédéral 6B _689/2020 du 22 décembre 2020 consid. 2.3.2). Il offre la possibilité d’une analyse rétroactive et complète de la consommation de drogue comme d’alcool (arrêt précité consid. 2.3.4). Savoir si le prévenu a consommé des drogues est un acte nécessaire, opportun et proportionnel pour établir les faits et déterminer sa responsabilité pénale (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit. n. 7 ad art. 251).

2.4.       En l’espèce, les critiques du recourant ne portent pas.

En premier lieu, il se fourvoie, s’il croit que le prélèvement contesté n’a été ordonné que pour, et ne servira qu’à, déterminer sa capacité de conduire le soir du 28 octobre 2022. Ce faisant, il passe sous silence la grande gravité de ses actes qui précèdent sa prise de volant pour emmener sa victime aux Urgences. Il se voit reprocher d’avoir ouvert le feu et vidé un chargeur de munition dans un lieu clos et relativement confiné – les locaux de la brigade de police à laquelle il était affecté et où était situé son bureau –, alors qu’un certain nombre de ses collègues s’y trouvaient, et d’avoir, dans ces circonstances, blessé au pied l’un d’eux, qui n’en pouvait mais. La prévention de mise en danger de la vie d’autrui (art. 129 CP) est un crime (art. 10 al. 2 CP), passible de cinq années de peine privative de liberté. Les lésions corporelles au sens de l’art. 125 CP sont, quant à elles, érigées en délit (art. 10 al. 3 CP).

Or, le prélèvement contesté, bénin et peu invasif, doit être mis en balance avec ces infractions, auxquelles s’ajoute l’entrave aux mesures de constatation de l’incapacité de conduire (art. 91a LCR), elle aussi constitutive d’un délit. En s’éloignant plusieurs heures des locaux où il venait de faire feu, le recourant a retardé les premières mesures, peu invasives et sans atteinte non plus à son intégrité corporelle (éthylotest, puis éthylomètre), qui eussent pu établir son alcoolémie ou un abus de stupéfiant. De fait, à l’heure où elles ont été mises en œuvre, ces mesures n’ont donné aucun résultat utile. Ultérieurement, par-devant le Ministère public, le recourant a refusé de se soumettre à des examens de sang et d’urine. Il ne peut donc s’en prendre qu’à lui-même s’il a contraint le Ministère public à chercher d’autres moyens de reconstituer son état d’imbibition, reconnu et admis, et une éventuelle consommation de stupéfiants, suspectée. Le recourant ne se hasarde pas à soutenir qu’un prélèvement capillaire serait douloureux ou nuisible à sa santé. On ne comprend pas ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme que trois centimètres de cheveux donnent une réponse sur une période de trois mois : que les cheveux soient portés longs ou courts n’est de toute façon pas pertinent (cf. arrêt 6B_689/2020, précité, consid. 2.3.4 au milieu). En revanche, refuser les prises de sang et d’urine et se plaindre ensuite que le prélèvement de cheveux attenterait à la dignité humaine est une attitude qui ne mérite aucune protection.

C’est à tort que le recourant renvoie à la fiche « prélèvement de sang / récolte des urines », telle que l’a apparemment remplie (puisqu’elle ne comporte aucune indication d’auteur ni signature) l’Inspection générale des services (ci-après, IGS). Si la case relative à la constatation d’une odeur d’alcool est bel et bien cochée, celle relative au test préliminaire de stupéfiants porte une croix à la réponse « non ». Ce choix autorise tout au plus la conclusion que ce test, comme l’indique la rubrique sur la même ligne, n’a pas été effectué, sans qu’on discerne au nom de quoi le Ministère public, à qui incombe la direction de la procédure (art. 61 let. a CPP) et l’administration des preuves dans la procédure préliminaire (art. 299 al. 2 CPP), devrait y renoncer sous prétexte que la police ne l’a pas entrepris auparavant.

On ne voit pas non plus en quoi des pupilles dilatées auraient dû être préalablement constatées pour faire naître un soupçon d’abus de stupéfiants. L’état d’agitation du recourant est suffisamment décrit dans l’extrait du rapport de la sécurité des HUG et dans la déposition de sa victime à l’IGS. L’état de celle-ci n’inspirait pas d’inquiétude à son arrivée aux Urgences – elle est restée consciente et n’apparaît pas avoir été prise en charge de façon prioritaire –, et l’on concevrait mal que des agents de sécurité de l’établissement dussent intervenir et apaiser la situation si l’empressement du recourant exprimait uniquement l’exubérance et la sollicitude de la camaraderie.

C’est également à tort que le recourant invoque l’art. 10 al. 2 de l’ordonnance sur le contrôle de la circulation routière (OCCR ; RS 741.013). Dans la fiche « prélèvement de sang / récolte des urines », précitée, l’IGS n’a pas coché, en première page, le motif de l’incapacité présumée de conduire, mais a choisi « autre », en ajoutant les nécessités de son enquête. Quelques lignes plus bas, elle a qualifié le recourant de « piéton ». Ces éléments montrent que la possibilité d’une conduite en état d’ébriété n’était pas la priorité des investigations de l’IGS à ce moment-là, au contraire de l’usage intempestif de l’arme dans des locaux professionnels, avec blessé. Quant à la conduite sous l’empire d’alcool, il faudra attendre quelques jours encore – et un ordre de dépôt du Ministère public – pour que l’IGS obtienne, examine et verse au dossier les images de vidéo-surveillance montrant le trajet emprunté par le recourant jusqu’aux HUG et la façon dont sa voiture évoluait dans le trafic (rapport IGS du 7 novembre 2022). C’est le lieu d’observer, en passant, que la jurisprudence même citée par le recourant à l’appui de l’application de l’art. 10 al. 2 OCCR n’imposerait pas au préalable, contrairement à ce qu’il soutient, de soupçon suffisant d’abus de drogue, au sens de l’art. 197 al. 1 let. b CPP (ATF 145 IV 50 consid. 3.5 p. 54).

En d’autres termes, le prélèvement de cheveux querellé vise des fins plus larges que la seule détermination de la capacité de conduire. Il a directement trait à la recherche d’éléments pertinents pour la responsabilité pénale, voire pour la fixation de la peine, et ce, pour l’ensemble des infractions sous enquête. Comme tel, il est nécessaire, opportun et proportionnel, comme l’exprime la doctrine.

3.                  Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté et, dès lors, pouvait être traité d'emblée par la Chambre de céans, sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 5 a contrario CPP).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son défenseur principal) et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/22795/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00