Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/832/2022 du 24.11.2022 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18454/2020 ACPR/832/2022 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 24 novembre 2022 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocate,
recourant,
contre la décision rendue le 5 septembre 2022 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 16 septembre 2022, A______ recourt contre la décision du 5 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'autoriser la visite de son frère, D______.
Le recourant conclut à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit autorisé à recevoir la visite de son frère, subsidiairement, que cette visite soit soumise à surveillance.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 3 octobre 2020, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre A______, pour voies de fait (art. 126 CP), injure (art. 177 CP), menaces (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP), encouragement à la prostitution (art. 195 CP), usurpation de fonctions (art. 287 CP), consommation de stupéfiants (art. 19a LStup) et infraction à l'art. 33 LArm.
b. Le 4 octobre 2020, le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné la mise en détention provisoire de A______, laquelle a été prolongée régulièrement jusqu'au 9 novembre 2020.
c. À cette date, sa mise en liberté, avec mesures de substitution, a été ordonnée par le Ministère public et validée par le TMC le lendemain.
d. Courant 2021, à la suite d'un signalement concernant un individu – identifié comme étant probablement A______ – qui inciterait de jeunes femmes mineures à se prostituer, la police a procédé à plusieurs auditions de victimes présumées ou d'amies de celles-ci.
e. Par ordonnance pénale rendue le 27 juillet 2022 dans le cadre de la cause P/______/2022, le Ministère public a déclaré A______ coupable de faux dans les certificats étrangers (art. 252 CP cum art. 255 CP) et de conduite sous retrait, refus ou interdiction d'utilisation du permis de conduire (art. 95 al. 1 let. b LCR), commise à deux reprises, et l'a condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende, sous déduction de 1 jour-amende correspondant à 1 jour de détention avant jugement, notamment pour s'être, le 26 juillet 2022, légitimé au moyen d'une pièce d'identité et d'un permis de conduire établis au nom son frère D______, dans le but de tromper les gardes-frontière.
f. Le 16 août 2022, le Ministère public a, en complément de la mise en prévention du 3 octobre 2020, prévenu A______ d'avoir, à des dates indéterminées durant l'été 2020, conduit et mis à disposition son bus afin de permettre des activités sexuelles et de prostitution impliquant des mineures; proposé à une mineure, âgée de 16 ans, de lui faire une fellation en échange d'un tour gratuit dans son véhicule professionnel, ce qu'elle avait refusé; proposé à une autre mineure, également âgée de 16 ans, de lui faire une fellation contre de l'argent, ce qu'elle avait refusé; avoir, lors de soirées dans son bus, fourni et vendu à réitérées reprises, sans autorisation, de l'alcool et de la drogue à des clients, notamment des personnes mineures dont certaines âgées de moins de 16 ans; et avoir conduit, à réitérées reprises, notamment en tant que chauffeur professionnel et alors qu'il transportait des clients, sous l'influence de stupéfiants. Il a également été prévenu d'infraction à l'art. 19 LStup et à l'art. 86 LPTh pour avoir, à tout le moins depuis le 7 octobre 2018, mis à disposition et vendu, à réitérées reprises, de la drogue, ainsi que des médicaments, sans autorisation, à divers clients; d'infractions à l'art. 95 al. 1 let. b LCR et à l'art. 38 al. 1 LTVTC pour avoir, à des dates indéterminées depuis le 11 juin 2022, circulé au volant de ses véhicules automobiles, notamment pour des courses professionnelles, sous une mesure de retrait du permis de conduire; avoir, depuis une date indéterminée, régulièrement consommé de la drogue; et avoir été en possession d'un engin pyrotechnique dont l'importation et l'utilisation étaient interdites en Suisse.
g. Lors des auditions des 15 août 2022 à la police et 16 août 2022 au Ministère public, A______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés.
h. Le 17 août 2022, le TMC a ordonné la mise en détention provisoire de A______ jusqu'au 15 novembre 2022, durée prolongée le 14 novembre 2022 jusqu'au 15 février 2023.
i. Le 2 septembre 2022, D______, frère du précité, a demandé l'autorisation de rendre visite à ce dernier à la prison de B______.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a relevé qu'il existait un risque de collusion, dès lors qu'il était possible que D______ devait être entendu ultérieurement dans le cadre de la procédure. Par ailleurs, dans la procédure P/1______/2022, A______ s'était, le 26 juillet 2022, légitimé avec la pièce d'identité et le permis de conduire de son frère, alors qu'il était contrôlé au volant d'un véhicule automobile, sous retrait de permis de conduire.
D. a. À l'appui de son recours, le recourant estime que le Ministère public n'expliquait pas en quoi la visite de D______ – dont rien n'indiquait que l'audition était prévue – pourrait porter préjudice à l'enquête. Faute de risque concret de collusion, le droit à entretenir des relations avec son frère primait, ce d'autant plus que le Ministère public n'interdisait pas les autres contacts avec D______. Il n'avait jamais tenté de faire pression sur les personnes impliquées dans la procédure et avait respecté les mesures de substitution ordonnées le 9 novembre 2020. Enfin, il s'était légitimé avec les documents officiels de son frère dans une procédure distincte, qui avait donné lieu à une ordonnance pénale entrée en force.
b. Le Ministère public conclut, sur le fond, au rejet du recours, avec suite de frais, et à la confirmation de la décision entreprise. Il soutient que le risque de collusion demeurait important, notamment vis-à-vis des jeunes femmes impliquées dans la présente procédure, qui étaient vulnérables en raison de leur jeune âge, et dont certaines devaient encore être identifiées par la police. Ce risque était également concret à l'égard des acheteurs de drogue, dont certains devaient encore être identifiés, ainsi qu'à l'égard des personnes ayant sollicité le prévenu aux fins d'obtenir des faveurs sexuelles potentiellement illicites. Or, une implication de D______ dans les activités de son frère restait à déterminer. En outre, il ne pouvait être exclu que A______ ne cherche à entrer en contact avec les personnes précitées par le biais de son frère.
c. Le recourant n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Les décisions relatives à l’exécution de la détention avant jugement et qui ne portent pas directement sur les relations avec le défenseur, au sens de l’art. 235 al. 4 CPP – tel le refus d’une autorisation de visite à un tiers – sont sujettes à recours selon les modalités prévues par le droit cantonal (art. 235 al. 5 CPP), soit en l’occurrence auprès de la Chambre de céans (art. 30 al. 1 de la loi d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale, du 27 août 2009 – LaCP; RS E 4 10), qui appliquera les art. 379 à 397 CPP par analogie (art. 30 al. 2 LaCP).![endif]>![if>
Le recours ayant été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émanant du prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de celle-ci (art. 382 al. 1 CPP), il est recevable.
2. Le recourant soutient que la décision querellée entrave de manière disproportionnée sa liberté personnelle et son droit au respect de la vie familiale.![endif]>![if>
2.1. La garantie de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et 13 Cst.) permettent aux personnes détenues d'entretenir des contacts avec les membres de leur famille, dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l'Etat (arrêt 1B_202/2016 du 14 juillet 2016 consid. 2.2).![endif]>![if>
Conformément aux exigences de l'art. 36 Cst., les restrictions à ces droits doivent reposer sur une base légale et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but de l'incarcération et au fonctionnement de l'établissement de détention (ATF 145 I 318 consid. 2.1 et 143 I 241 consid. 3.4). Ce principe est rappelé en matière d'exécution de la détention avant jugement à l'art. 235 al. 1 CPP qui prévoit que la liberté des prévenus en détention ne peut être restreinte que dans la mesure requise par le but de la détention et par le respect de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement. Cette disposition exige en effet que chaque atteinte à ces droits fasse l'objet d'une pesée d'intérêts dans le cadre de laquelle l'autorité doit tenir compte de l'ensemble des circonstances, soit en particulier des buts de la détention (prévention des risques de fuite, de collusion ou de réitération), des impératifs de sécurité de l'établissement pénitentiaire, de la durée de l'incarcération et de la situation personnelle du prévenu, notamment le lieu de résidence des proches et les besoins et possibilités réelles de correspondre et de recevoir des visites (ATF 145 I 318 consid. 2.1; arrêt 1B_202/2016 du 14 juillet 2016 consid. 2.2). Les garanties de la CEDH relatives aux conditions de détention n'offrent pas une protection plus étendue que celles garanties par la Constitution fédérale (ATF 145 I 318 consid. 2.1 et 143 I 241 consid. 3.4).
Selon les règles pénitentiaires européennes, les détenus sont autorisés à communiquer aussi souvent que possible avec leur famille par lettre, par téléphone ou par d'autres formes de communication et à recevoir des visites de leur part. Dans le cas des détenus soumis à une procédure pénale, les visites et autres contacts peuvent être limités et surveillés si cela est nécessaire pour les enquêtes pénales en cours, pour le maintien de l'ordre et de la sécurité, pour la prévention des infractions pénales et pour la protection des victimes d'infractions (ATF 145 I 318 consid. 2.2 et 143 I 241 consid. 4.3).
Le risque de collusion peut être justifié par l'intérêt public lié aux besoins de l'instruction en cours, par exemple lorsqu'il est à craindre que le prévenu ne mette sa liberté à profit pour faire disparaître ou altérer les preuves, ou qu'il prenne contact avec des témoins ou d'autres prévenus pour tenter d'influencer leurs déclarations (art. 221 al. 1 let. b CPP). Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).
2.2. En l'espèce, la mise en prévention complémentaire du 16 août 2022 est récente et l'instruction relative à celle-ci en est encore à ses débuts. Selon le Ministère public, il n'est pas exclu qu'au cours de celle-ci, D______ doive être auditionné, une éventuelle implication de celui-ci dans les activités de son frère restant à déterminer. À ce stade, une telle hypothèse est probable, dans la mesure où les deux frères paraissent proches, A______ s'étant notamment, le 26 juillet 2022, légitimé avec les documents officiels de son frère.![endif]>![if>
Force est par ailleurs de constater que l'atteinte aux droits fondamentaux du recourant reste limitée, dans la mesure où il est autorisé à entretenir des relations personnelles avec son frère par le biais d'échanges épistolaires, soumis à la censure. Compte tenu de la vulnérabilité des victimes présumées, qui sont mineures ou tout juste majeures, et du fait que ces dernières n'ont pas encore toutes été identifiées par la police, une telle restriction reste nécessaire pour les besoins de l'enquête. Au vu de la gravité de la mise en prévention complémentaire, soit l'infraction d'encouragement à la prostitution concernant un nombre encore indéterminé de personnes mineures, elle est proportionnée.
À cet égard, on relèvera que, même à suivre le recourant lorsqu'il affirme ne pas avoir tenté d'influencer les personnes impliquées dans la procédure, la restriction vaudrait, de toute façon, pour les faits concernant la première mise en prévention, et non pour les faits complémentaires ayant entrainé sa détention actuelle. En outre, contrairement à ce que soutient le recourant, les visites ne sont pas comparables aux échanges épistolaires, dès lors que son frère et lui pourraient se parler de façon rapprochée, sans que les gardiens ne distinguent leurs propos; ils pourraient également avoir recours à des gestes ou expressions qui leur sont propres et qui n'éveilleraient pas de soupçons. Une visite enregistrée pourrait, par ailleurs, ne pas appréhender certains propos s'ils étaient chuchotés.
3. Infondé, le recours doit être rejeté.![endif]>![if>
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).![endif]>![if>
5. L'indemnité du défenseur d'office du recourant, qui fait partie des frais de procédure (art. 422 al. 2 let. a CPP), sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).![endif]>![if>
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, comprenant un émolument de CHF 900.-.
Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.
Le greffier : Xavier VALDES |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/18454/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 900.00 |
- | CHF | |
Total | CHF | 985.00 |