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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17610/2022

ACPR/774/2022 du 08.11.2022 sur ONMMP/2924/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;SOUPÇON
Normes : CPP.310; CP.173

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17610/2022 ACPR/774/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 8 novembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______[GE], comparant par Me Serge MILANI, avocat, place des Eaux-vives 3, 1207 Genève,

recourante,

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 23 août 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 1er septembre 2022, A______ recourt contre l’ordonnance du 23 août 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur sa plainte pénale contre B______.

La recourante conclut à l’annulation de l’ordonnance précitée et au renvoi de la cause à l’autorité précédente pour l’ouverture d’une instruction.

b. Elle a versé les sûretés en CHF 900.- réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ ont une fille, C______, née en 2017. Depuis leur séparation, en 2019, ils s’affrontent devant les tribunaux civils pour la fixation du droit de garde, des relations personnelles et aliments.

b. En mai 2021, lors d’une audience devant le Tribunal civil, B______ a fait part de ses soupçons contre F______ – nouveau compagnon d’A______ –, lequel se serait exhibé nu devant C______ et sa cousine, âgée de cinq ans. B______ a annoncé avoir déposé plainte en France contre le précité.

c. Le 11 mai 2021, B______ a envoyé le message suivant à A______ : "Par mesure de précaution, je t’invite sérieusement [à] ne jamais laisser C______ seule avec F______ [soit F______] et surtout [à] lui demander d’éviter de plaisanter avec ses parties génitales devant elle, même en ta présence. Ce n’est certainement pas un jeu. Merci d’avance pour elle. Je compte sincèrement sur ta vigilance".

d. Ayant eu connaissance de ce message, F______ a déposé plainte contre B______ pour diffamation et calomnie. Par suite du décès d'F______, le ______ 2022, la procédure a été close.

e. Dans un courriel du 6 juillet 2022 adressé à G______ – père d’A______ –, B______ a expliqué au précité avoir déposé plainte contre F______ car C______ lui avait raconté que le précité avait joué devant elle et sa cousine "à leur montrer son zizi et ses fesses". La plainte était désormais "caduque", par suite du décès de l'intéressé. B______ a, ensuite, poursuivi en ces termes : "Néanmoins, je tiens à te dire que c’est mon devoir, en tant que père, de protéger ma fille [ ]. À ce titre, je t’invite à lire « D______ » de E______[écrivain] au sujet du viol subi de son frère jumeau par leur beau père [ ]. La mère du garçon a fermé les yeux par confort, par déni quand elle l’a appris des années après les faits [ ]. Je tiens à te dire que, malgré la réaction offusquée d’A______ d’avoir osé porter plainte contre F______, selon elle dans le seul but de chercher à lui nuire, je n’hésiterai pas une seule seconde à procéder à un nouveau signalement contre quiconque ayant un comportement déplacé vis à vis de C______ [ ]. Je ne développerai pas davantage mais il me paraissait essentiel que, en tant que grand père de C______, tu saches quelles ont été mes démarches pour la protéger".

f. À réception, G______ a répondu à B______ : "Dis-moi B______, es tu entrain d insinuer qu’A______ est complice de ce que tu prétends ?".

g. Sans réponse de B______, G______ lui a écrit à nouveau le 11 juillet suivant, en ces termes : "Puisque tu prétends m'écrire pour faire le point « sans laisser d'interprétation et de non dits », explique-moi clairement ce que tu sous-entends avec tes références à la famille E______[écrivain] ? Que tu t’es bien gardé de prévenir A______, parce que tu pensais qu’elle fermait les yeux par confort ?".

h. B______ a répondu, le même jour, que son propos était autour de sa fille C______ et de l’intégrité physique et psychique de celle-ci. "Effectivement, au vu de ta réponse, je note que tu n’es pas non plus prêt à entendre l’inaudible et que tu es enclin à fermer les yeux et les oreilles pour nier l’existence d’un risque potentiel inacceptable. Fin de discussion entre un grand père et un père au sujet d’un événement grave relaté par une enfant de 4 ans qui dit encore la vérité".

i. Le 20 août 2022, A______ a déposé plainte pénale contre B______, qui était revenu sur "cette affaire" en s’adressant à des tiers. Il accusait à nouveau F______, disparu le ______ 2022, d’actes d’ordre sexuel avec des enfants. Il l’accusait aussi, elle, "de façon allusive mais non équivoque" d’avoir eu un comportement indigne, d’avoir tenu une conduite contraire à l’honneur en violant son devoir d’assistance et d’éducation, et en ayant été complice d’actes d’ordre sexuel avec des enfants. Elle ne pouvait l’accepter, raison pour laquelle elle priait le Ministère public de lui accorder sa "protection" en qualifiant pénalement, comme il le jugeait utile, le comportement de B______.

C. Dans l’ordonnance querellée, le Ministère public a retenu qu’en raison du décès d’F______, il n’était plus possible de confronter les versions de chacun. Partant, les éléments constitutifs des infractions dénoncées dans la plainte n’étaient pas réunis.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que, sous le prétexte d’exposer à son père (à elle) avoir prétendument voulu protéger C______ en déposant plainte contre F______, B______ visait en réalité à jeter le soupçon sur elle. Le message du 6 juillet 2022 était certes moins explicite que celui du 11 mai 2021, dans lequel il lui avait écrit que "même en [s]a présence [à elle]", son compagnon n’avait pas à "plaisanter avec ses parties génitales" devant C______ ; toutefois, l’idée sous-jacente était la même. Il s’agissait, pour B______, de réaffirmer, en évoquant la famille E______[écrivain], qu’F______ avait bel et bien commis les actes dont il l’accusait et "qu’il se pourrait bien" qu’elle-même, par confort, eût fermé les yeux sur ces agissements. D’ailleurs, son père avait immédiatement demandé à B______ s’il insinuait qu’elle était complice. Les éléments constitutifs de l’infraction de diffamation étaient ainsi bien réalisés, puisque, en s’adressant à un tiers, B______ avait jeté sur elle le soupçon d’avoir violé son devoir d’assistance et d’éducation en ayant possiblement toléré la prétendue commission d’actes à caractère pédophile sur sa propre fille, ce qui était attentatoire à son honneur. L’accusation était certes indirecte, en se référant à la famille E______[écrivain], mais le fait de procéder de manière allusive ne saurait être une échappatoire, puisqu’il s’agissait de jeter le soupçon, au moins par dol éventuel, sur une personne identifiable – en l'occurrence elle-même –, que le destinataire du message avait bel et bien identifiée. Le refus d’entrer en matière car F______ était mort reposait sur un motif insuffisant. Cela équivalait en outre à dire à B______ qu’il pouvait désormais diffamer "feu son rival".

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger, sans échange d’écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public d’avoir refusé d’entrer en matière sur sa plainte pour diffamation.

3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la plainte que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réalisés. Cette condition s'interprète à la lumière de la maxime "in dubio pro duriore", selon laquelle une non-entrée en matière ne peut généralement être prononcée que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1279/2018 du 26 mars 2019 consid. 2.1). La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées).

3.2. Se rend coupable de diffamation (art. 173 al. 1 CP), celui qui, en s'adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur.

L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme ou de femme (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

L'art. 173 CP suppose une allégation de fait, et non un simple jugement de valeur (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.2 p. 315). Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 p. 315 s.). Les mêmes termes n'ont donc pas nécessairement la même portée suivant le contexte dans lequel ils sont employés (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.3). Un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.3 ; 137 IV 313 consid. 2.1.3).

Pour qu'il y ait diffamation, il faut encore que l'auteur s'adresse à un tiers. Est en principe considérée comme telle toute personne autre que l'auteur et l’individu visé par les propos litigieux (ATF 145 IV 462 consid 4.3.3 p. 466 et ss).

3.3. En l’espèce, faute d’intérêt juridiquement protégé personnel, la recourante ne saurait se plaindre de propos visant feu son compagnon, dont elle n'allègue pas non plus être une "proche" au sens des art. 175 al. 1 et 110 al. 1 CP.

Par ailleurs, le message du 11 mai 2021 n’entre pas en ligne de compte ici, la recourante n’ayant pas déposé plainte dans le délai légal (art. 31 CP).

Seul est donc litigieux le contenu du courriel du 6 juillet 2022 adressé par le mis en cause au père de la recourante. Dans ce message, le mis en cause a fait part au grand-père de sa fille des révélations que celle-ci avait faites à l'égard du nouveau compagnon de sa mère. Il a ensuite rappelé qu’il lui appartenait de protéger sa fille, ce qu’il avait fait en déposant plainte pénale contre F______, décédé depuis. Dans ce contexte, il invitait le père de la recourante à lire le livre de E______[écrivain], dans laquelle la mère du garçon abusé avait "fermé les yeux par confort, par déni quand elle l’a appris des années après les faits". Il a ensuite précisé que, "malgré la réaction offusquée d’A______" à l’égard de la plainte qu'il avait déposée contre F______, il n’hésiterait pas à procéder à un nouveau signalement contre quiconque ayant un comportement déplacé vis-à-vis de sa fille.

La recourante estime que ces propos jettent sur elle le soupçon d’une complicité de l’infraction visée à l’art. 187 CP ou d’une infraction à l’art. 219 CP. Or, dans la mesure où son père a, par deux fois, demandé au mis en cause s’il insinuait qu’elle avait fermé les yeux sur les agissements supposés de son compagnon, on ne saurait retenir la réalisation d’une diffamation, le destinataire du message n’étant lui-même pas sûr d’avoir compris les propos de cette manière. C’est également en vain que la recourante tente d’alléguer que le contenu du courriel du 6 juillet 2022 faisait écho au message du 11 mai 2021, puisque celui-ci avait été adressé à elle seule, son père n’en ayant donc pas connaissance.

Au demeurant, à lire l’enchainement des explications du mis en cause dans le courriel litigieux, on comprend qu’il déplore que son ex-compagne n’ait pas soutenu ("Malgré la réaction offusquée d’A______ ") la démarche – le dépôt de plainte – qu’il estimait être dans l’intérêt de leur fille. On ne saurait voir dans ce reproche une quelconque diffamation. Le fait pour la recourante d'avoir pris parti pour son compagnon, plutôt que d’adhérer à la démarche du père de son enfant, est intervenu après le dépôt de plainte contre F______. Il n'y a donc pas d'indice suffisant que le message litigieux visait à la soupçonner d’avoir été complice des faits à l'origine de la plainte, ou de les avoir tolérés.

Partant, c’est à bon droit que le Ministère public a retenu que les éléments constitutifs de l’infraction de diffamation ne sont pas réunis.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.-, y compris l’émolument de décision (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante (soit pour elle son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/17610/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

900.00