Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/2934/2017

ACPR/676/2022 du 04.10.2022 sur OMP/9827/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE)
Normes : CPP.267

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2934/2017 ACPR/676/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 octobre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______[TI], comparant par Me Antoine BOESCH, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale , 1211 Genève 4,

recourante,

contre l'ordonnance de levée de séquestre rendue le 9 juin 2022 par le Ministère public,

et

B______, domicilié ______[GE], comparant par Me Benjamin GRUMBACH, avocat, p.a. Dugerdil & Grumbach, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 juin 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a levé le séquestre opéré en mains de Me C______, notaire, portant sur le montant de CHF 3'296'864.10 consigné sur le compte de l'Étude.

La recourante sollicite, préalablement, la restitution de l'effet suspensif. Elle conclut, sous suite de frais et équitable indemnité de procédure, à l'annulation de l'ordonnance précitée.

b. Le 24 juin 2022, la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif sollicité (OCPR/34/2022).

c. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.D______, née le ______ 1920, ressortissante suisse et croate, a eu deux enfants: B______ et A______.

b. De son vivant, D______ possédait une fortune composée notamment de biens sis en Suisse et en Croatie. En particulier, elle était propriétaire de cinq parcelles situées à E______, soit:

- la parcelle n° 1______, dont l'adresse est 2______;

- la parcelle n° 3______, dont l'adresse est 4______;

- la parcelle n° 5______, dont l'adresse est 6______;

- la parcelle n° 7______, dont l'adresse est 8______; et

- la parcelle n° 9______, sise à E______.

Une habitation de type villa était érigée sur chacune des quatre premières parcelles listées.

c. Le 25 février 2005, par acte notarié et en présence de son fils, D______ a vendu la villa sise au 2______, pour un montant net total de CHF 2'625'000.-.

d.a. Le 15 septembre 2006, D______ a signé une procuration conférant à B______ le pouvoir de "signer tout acte de promesse de vente ou vente de la parcelle 3______ de E______, 4______, aux clauses et conditions qu'il avisera".

d.b. Le 13 novembre 2007, B______ a signé, au nom et pour le compte de sa mère, un acte de vente à terme portant sur la parcelle n° 3______, sise 4______, pour le prix de CHF 3'700'000.-.

e. Le 22 décembre 2006, D______ a fait donation à son fils, entre vifs, à titre d'avancement d'hoirie et de manière irrévocable, des parcelles n° 5______, 7______ et 9______.

f. Le 27 décembre 2006, elle a signé une nouvelle procuration en faveur de B______ pour faire "toutes les démarches nécessaires concernant [son] départ de Genève, de continuer à [la] représenter et défendre [s]es intérêts, y compris de retirer des sommes d'argent nécessaires de [s]es comptes selon [s]es instructions écrites ou verbales".

g. Le 19 janvier 2012, B______ et D______ ont conclu un contrat viager. Le premier s'y engageait à subvenir aux soins et aux besoins de sa mère, en sus de lui verser une rente mensuelle de CHF 1'000.-, en échange de quoi la seconde transférait à son fils la propriété foncière d'un terrain sis à F______ (Croatie) sur lequel était érigé une villa.

h. D______ est décédée à ______ le ______ 2016. Elle a laissé pour seuls héritiers légaux ses deux enfants. La succession a été ouverte en Croatie par décision judiciaire le 2 février 2016 et Me H______, notaire, a été désignée pour établir un inventaire des biens.

i. Selon le procès-verbal de la première réunion tenue le 22 février 2016, en présence de la notaire et des héritiers légaux, D______ ne possédait aucun patrimoine immobilier au moment de sa mort, hormis un droit à l'usage d'un lieu funéraire.

Une procédure de nature successorale a ainsi été initiée en Croatie, laquelle est toujours pendante. B______ a, de son côté, déposé plainte pénale contre sa sœur, en Croatie.

j. Le 12 décembre de la même année, A______ a déposé devant le Tribunal de première instance de Genève (ci-après: TPI) une action pour inclure dans la masse successorale des comptes bancaires à propos desquels elle alléguait ne pas disposer d'information, et les quatre villas sises à E______.

Par ordonnance du 29 janvier 2018, le TPI a suspendu la procédure jusqu'à droit jugé par les autorités croates concernant la succession de feu D______, dans l'attente de savoir si, au terme de cette procédure, des biens sis en Suisse n'auraient pas été pris en compte.

k. Le 9 février 2017, A______ a déposé plainte pénale contre B______, des chefs de gestion déloyale et/ou usure.

Elle avait été surprise d'apprendre, à la suite de l'inventaire dressé dans la procédure successorale croate, que sa mère s'était départie de la quasi-totalité de ses biens de son vivant. Des documents qu'elle avait pu se procurer, il apparaissait que son frère en avait été le principal bénéficiaire, alors que D______ avait toujours affirmé vouloir traiter égalitairement ses deux enfants. Ainsi, B______ avait bénéficié d'une procuration conférée par sa mère pour la gestion de ses biens, dont il avait mésusé pour s'enrichir. Le produit de la vente de la villa sise au 2______ avait disparu. B______ avait reçu en donation les deux villas sises au 6______ et 8______, d'une valeur nette globale estimée à CHF 3'055'000.-. Le produit de la vente de la villa – sise 4______ – avait été réparti entre sa mère, son frère et elle. Or, elle ne connaissait pas la raison derrière la part versée à B______, ni la destination subséquente de celle versée à D______, le compte crédité – sur lequel B______ avait une procuration – ayant été clôturé. Toutes ces libéralités étaient incompatibles avec des testaments rédigés par D______, en particulier celui daté du 27 juin 2011 – dont elle a produit une copie –, où elle léguait à sa fille les deux villas sises au 6______ et 8______. Le contrat viager du 19 janvier 2012 était inéquitable, compte tenu de la valeur réelle de la propriété immobilière transférée à B______ comparé à la rente mensuelle qu'il devait s'acquitter, et avait été conclu alors que D______ avait "92 ans" et adoptait des comportements étranges, vivant recluse et oubliant certains de ses actes. Le mari de cette dernière avait en outre attesté devant notaire avoir retourné chaque mois la rente de CHF 1'000.- à B______. Son frère avait ainsi obtenu la villa sise à F______ pour un montant "dérisoire" et probablement contre la volonté de D______, laquelle avait déclaré, devant notaire également, vouloir mettre fin au contrat viager.

l. Le 17 janvier 2018, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre B______ pour gestion déloyale, voire usure.

m. Le 15 janvier 2020, le Ministère public a entendu les deux parties.

B______ conteste les faits. La procédure civile croate était toujours pendante, en mains du Tribunal, aucun accord amiable n'ayant pu être trouvé. La procédure pénale croate était toujours en cours d'instruction. Il n'avait jamais cherché à se départir des biens reçus en donation par sa mère. Cette dernière "savait qu'il y avait eu des pertes financières" et comprenait ce qu'il lui expliquait à ce sujet.

A______ a précisé avoir initialement été convaincue que son frère gérait correctement les biens de leur mère. Elle avait toutefois constaté, en 2008, que les comptes bancaires de cette dernière présentaient une fortune personnelle d'environ CHF 3'000'000.- et qu'en 2012, il n'y avait plus rien.

n. Par ordonnance du 22 octobre 2021, le Ministère public a ordonné le séquestre, "en mains" du Registre foncier, des parcelles n° 5______, 7______ et 9______ sises à E______, ainsi que des trois immeubles érigés sur celles-ci, et l'inscription de restrictions du droit d'aliéner sur ces biens.

Il était nécessaire d'établir si B______, qui disposait d'une procuration de pleins pouvoirs sur les comptes I______ SA et J______ au nom de sa mère lui permettant de la représenter et de disposer des avoirs, ainsi que de contracter des engagements au nom de la précitée, avait failli dans ses devoirs de sauvegarde des intérêts de la précitée, à son propre profit, et, le cas échéant, d'établir l'éventuel enrichissement illégitime et son ampleur. Le dommage éprouvé par feu D______, respectivement la masse successorale, pouvait s'élever à plusieurs millions de francs suisses si les faits devaient être avérés, de sorte que seule une mise sous séquestre permettait la mise en sûreté des objets et valeurs pouvant être utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités, et confisqués en vue d'exécution d'une créance compensatrice.

o. Par arrêt du 10 février 2022 (ACPR/89/2022), la Chambre de céans a admis le recours de B______.

Les habilitations conférées à B______ ne fondaient pas encore une prévention pénale, d'autant moins que les actes entrepris par ce dernier ne semblaient pas s'écarter du libellé des procurations. De surcroît, celui-ci avait produit diverses déclarations écrites de sa mère, laquelle y affirmait, notamment, que son fils avait pleinement suivi ses instructions en lien avec la gestion de son patrimoine, qu'il la tenait informée, qu'elle endossait la responsabilité des éventuelles pertes survenues et que la distribution de ses biens procédait de sa pleine et éclairée volonté. Ni l'authenticité ni la validité de ces déclarations n'avaient été remises en question. De même, les explications données par celui-ci au sujet de l'utilisation du produit des deux ventes des villas sises 2______ et 4______, quai de E______, étaient corroborées par ses pièces et la documentation bancaire de J______ et de I______ SA. Plus généralement, la mère du recourant avait affirmé, par déclaration devant notaire, que la répartition de ses biens correspondait à sa volonté, sans que des éléments probants ne viennent mettre celle-ci en doute.

Ainsi, eu égard aux faibles soupçons qui pesaient sur le recourant après plusieurs années de procédure, le séquestre des parcelles concernées était disproportionné. Cette disproportion était en outre accentuée par les conséquences effectives de la mesure sur celui-ci. Si le Ministère public estimait justifié de mettre en sûreté des valeurs pour garantir le paiement des frais de la procédure, des peines pécuniaires, des amendes et indemnités, ou en vue de confiscation, il pouvait, pour respecter le principe de la proportionnalité, séquestrer en mains du notaire le produit de la vente, sans mettre celle-ci en péril.

p. Lors de l'audience du 23 février 2022 par-devant le Ministère public, A______ a été prévenue de dénonciation calomnieuse (art. 303 CP), à la suite de la plainte déposée le 21 août 2017 par son frère.

La précitée a contesté les faits.

q. Le 7 mars 2022, le Ministère public a levé le séquestre ordonné le 22 octobre 2021.

Le même jour, il a ordonné le séquestre, en mains de Me C______, notaire, du produit de vente des parcelles 5______ et 7______, réunies puis divisées pour former les parcelles 10______ à 11______, sises sur la commune de E______, appartenant à B______, d'un montant total de CHF 7'300'000.-, sous déduction du remboursement de la dette hypothécaire auprès de la L______, des impôts éventuellement dus, de la LPP, de la commission de courtage, de la provision légale pour l'impôt sur les gains immobiliers et des honoraires de la notaire prénommée.

r. Par pli du 16 mars 2022, Me C______ a informé le Ministère public que, conformément à la décision précitée, le montant de CHF 3'296.864.10 avait été consigné sur le compte de l'Étude.

s. Le 22 mars 2022, B______ a sollicité la levée du séquestre au motif que les charges à son encontre n'étaient pas suffisantes. Subsidiairement, il a demandé à ce qu'il soit réduit à CHF 500'000.-.

t. Par pli du 29 avril 2022, A______ s'y est opposée au motif que son frère, qui n'avait pas recouru contre l'ordonnance de séquestre du 7 mars 2022, n'avait pas invoqué de faits nouveaux justifiant la levée de la mesure. L'instruction devait se poursuivre. Les arguments de son frère relevaient "d'une plaidoirie sur le fond" et n'avaient pas leur place à ce stade de la procédure. De "lourds" soupçons pesaient sur B______, lequel n'avait jamais rendu compte ni expliqué comment le produit de la vente de la villa sise 2______ avait "fondu". En outre, il était "établi" que l'entretien mensuel de CHF 1'000.- prévu par le contrat d'entretien viager du 19 janvier 2012 avait été intégralement restitué à B______. Enfin, le séquestre lui permettrait à tout le moins, de récupérer, sous la forme d'une créance compensatrice, la contrevaleur de certains biens qui lui avaient été légués par testament du 27 juin 2011.

u. Par pli du 3 juin 2022, B______ a sollicité le classement "partiel" de la procédure et, partant, la levée du séquestre. À cette occasion, il a aussi transmis au Ministère public la "mise en accusation" rendue par le Ministère public de G______ dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre sa sœur en Croatie.

v. Le 8 suivant, le Ministère public a rendu un avis de prochaine clôture informant les parties de son intention de rendre des ordonnances de classement tant s'agissant des faits reprochés à B______ que de ceux reprochés à A______. Un délai au 1er juillet 2022 a été imparti aux parties pour faire valoir leurs éventuelles réquisitions de preuves et prétentions en indemnisation.

w. Le lendemain, B______ a réitéré sa demande de levée de séquestre, vu l'absence d'élément à charge contre lui et l'intention du Ministère public de rendre une ordonnance de classement.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public justifie la levée du séquestre par le fait que les soupçons d’infraction pénale pesant sur B______ ne s’étaient pas renforcés au cours de l’instruction et un classement serait prononcé en sa faveur.

Il ressortait du dossier qu'avant le décès de sa mère, B______ gérait une partie de son patrimoine et disposait d'un pouvoir de signature sur ses comptes. Il était bénéficiaire aussi d'une procuration l'habilitant expressément à s'occuper de ses affaires courantes et à vendre la villa sis 4______. Les explications données par B______ au sujet de l'utilisation du produit des ventes des villas sises 2______ et 4______ étaient corroborées par ses pièces et la documentation bancaire obtenue sur ordres de dépôt. Il avait aussi produit des déclarations écrites de sa mère en lien avec la gestion, expliquant qu'il avait scrupuleusement suivi ses instructions, qu'elle assumait seule l'entière responsabilité des pertes et qu'elle s'opposait à une redistribution du partage de ses biens car ceux-ci avaient été donnés selon sa volonté et qu'elle souhaitait la voir respectée au-delà de son décès, déclarant être totalement saine de corps et d'esprit et avoir effectué tout cela avec conscience et volonté.

A______ n'avait d'ailleurs pas remis en cause la capacité intellectuelle de sa mère mais seulement les signatures figurant sur les documents produits par son frère. Elle n'avait toutefois pas fourni les documents demandés à cet égard. Selon la traduction du constat du 20 janvier 2012 du Dr K______, psychiatre à G______ – produite par B______ –, D______ ne souffrait pas de troubles mentaux graves, elle était capable d'exprimer librement sa volonté, pouvait juger correctement de ses actions et prendre soin de ses intérêts personnels. Ainsi, aucun élément ne permettait de remettre en cause la validité du contrat viager conclu le 19 janvier 2012.

D. a. Dans son recours, A______ réitère les arguments soulevés le 29 avril 2022. De plus, vu le délai au 1er juillet 2022 qui avait été imparti aux parties pour faire valoir leurs réquisitions de preuve, le Ministère public pouvait encore renoncer à classer la procédure. S'agissant des charges pesant contre B______, les explications de ce dernier n'étaient "pas satisfaisantes". Elle avait toujours exprimé des doutes quant à l'authenticité des déclarations de sa mère. Ainsi, il existait une probabilité que les fonds séquestrés doivent lui être restitués.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais. A______ n'avait pas été en mesure de transmettre au Ministère public le document original du testament allégué du 27 juin 2011 et les autres écrits démontrant la véracité de ses allégations. Aucun élément du dossier ne permettait de remettre en question l'authenticité des documents produits par B______ ni la capacité intellectuelle de sa mère au moment où elle avait disposé de ses biens, de sorte que le maintien du séquestre n'était plus justifié.

c. B______ conclut au rejet du recours, aucun motif justifiant le maintien de la mesure.

d. A______ réplique. Elle produit une copie de ses observations sur avis de prochaine clôture, desquelles il ressort notamment qu'elle sollicite du Ministère public qu'il ordonne diverses analyses graphologiques, la production de documents de la part de B______ et procède à des auditions.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère d'avoir levé le séquestre opéré en mains de
Me C______, notaire, portant sur le montant de CHF 3'296'864.10 consigné sur le compte de l'Étude.

2.1. À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal lève la mesure et restitue les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit.

Le séquestre sera levé lorsque le lien de connexité entre l’objet séquestré et l’infraction n’a pas pu être démontré, exception étant faite pour le séquestre prononcé en vue d’une créance compensatrice et le séquestre en couverture des frais. En effet, la simple conjecture ne permet pas de justifier le maintien du séquestre sur un compte dont les avoirs ne sont pas en lien de connexité avec l’infraction reprochée; au contraire, les indices doivent se renforcer en cours d’enquête. Ainsi, l’autorité lèvera la mesure si les charges retenues contre le prévenu s’avèrent infondées et/ou les objets ou valeurs patrimoniales séquestrés ne pourront pas faire l’objet d’une restitution au lésé ou d’une confiscation (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 1b ad art. 267).

2.2. En l'espèce, dans son arrêt du 10 février 2022, la Chambre de céans a levé le séquestre portant sur les parcelles n° 5______, 7______ et 9______ sises à E______ et sur les trois immeubles érigés sur celles-ci, ainsi que l'inscription de restrictions du droit d'aliéner sur ces biens, au motif que ces mesures étaient disproportionnées, eu égard aux faibles soupçons pesant sur le prévenu après plusieurs années de procédure et compte tenu de leurs conséquences effectives sur celui-ci. Afin de garantir le paiement des frais de la procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités ou en vue de la confiscation, il convenait, si le Ministère public estimait que la mise en sûreté des valeurs était justifiée, de procéder au séquestre du produit de la vente des parcelles concernées, en mains du notaire.

À réception de l'arrêt précité, le Ministère public a entendu les parties. Puis, il a levé le séquestre du 22 octobre 2021 et ordonné le séquestre du produit de la vente des parcelles concernées, en mains du notaire. Il a ensuite sollicité des parties la production de documents, avant d'informer celles-ci de la prochaine clôture de l'instruction et de son intention de classer la procédure. Toutefois, le Ministère public a levé le séquestre avant même de rendre l'ordonnance de classement. Dans ces conditions, la levée du séquestre litigieux, qui aurait en principe dû intervenir avec l'ordonnance de classement (art. 320 al. 2 CPP), apparaît prématurée.

Certes, la Chambre de céans a relevé, dans son précédent arrêt, que la réalisation, par le prévenu, des infractions qui lui étaient reprochées paraissait incertaine au vu des éléments au dossier après plus de quatre ans de procédure. Toutefois, la recourante a eu la possibilité de faire valoir des réquisitions de preuve. Le Ministère public pourrait donc encore changer d'avis à l'issue des actes d'instruction qu'il serait amené à ordonner, étant précisé qu'il n'appartient pas, à ce stade, à la Chambre de céans de se prononcer sur lesdites réquisitions.

Ainsi, tant que la décision finale du Ministère public n'est pas rendue, il y a lieu de garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités et d'assurer la réalisation d'une éventuelle créance compensatrice. Le séquestre sera dès lors maintenu sur le montant de CHF 3'296'864.10 consigné sur le compte de l'Étude de Me C______, notaire. Vu la reddition imminente d'une ordonnance de classement, l'on ne saurait considérer que ladite mesure serait en l'état disproportionnée. Le Ministère public est, en tant que de besoin, invité à faire diligence, afin de mener à bien la présente procédure dans un délai raisonnable.

3.             Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par la recourante lui seront donc restituées.

5.             Bien que représentée par un avocat, la recourante, partie plaignante, n'a ni chiffré ni justifié sa demande d'équitable indemnité, au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de levée de séquestre du 9 juin 2022.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées en CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

 

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).