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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18417/2019

ACPR/648/2022 du 23.09.2022 sur OMP/8816/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);USURE(DROIT PÉNAL);SOUPÇON;SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.263; CP.157

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18417/2019 ACPR/648/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 septembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de séquestre rendue le 24 mai 2022 par le Ministère public,

et

C______, domiciliée ______ [VD], comparant par Me Sandro VECCHIO, avocat,
DEGNI & VECCHIO, rue du Général-Dufour12, 1204 Genève,

D______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Mattia DEBERTI, avocat,
NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 3 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 mai 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a séquestré ses avoirs à hauteur de CHF 400'000.-.

Le recourant conclut, avec suite de frais et indemnité de CHF 3'675.27, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la levée du séquestre.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

La plainte de C______

a. Le 9 septembre 2019, C______ a déposé plainte pénale contre A______, administrateur de la société E______ SA, active dans la gestion de patrimoine, ainsi que tout autre participant, pour gestion déloyale et escroquerie, en lien avec un investissement de CHF 250'000.- que l'intéressé lui avait conseillé, en 2016, au moyen de fonds déposés auprès de la banque F______.

A______, qu'elle connaissait depuis 2008, était venu la voir, sur son lieu de vacances, en France, pour lui proposer un placement de EUR 250'000.- auprès de la société G______ SPA, société italienne avec siège à H______. Prévu pour une durée de six mois, ce placement devait lui rapporter EUR 30'000.-. Elle avait accepté et validé l'ordre auprès de la banque, le 16 décembre 2016. Il s'était ensuite avéré que A______ était, via une société luxembourgeoise, administrateur de la société G______ SPA, avec un dénommé I______, ce qu'il ne lui avait pas dit, et était même actionnaire de celle-ci. Courant 2017, sans nouvelles dudit placement, elle avait contacté A______, lequel lui avait présenté un "contratto di associazione in partecipazione" prétendument conclu entre elle-même et la société G______ SPA, prévoyant le remboursement de l'investissement au 31 décembre 2018 et le paiement d'intérêts d'au minimum EUR 50'000.-.

La copie du contrat produite par C______ comporte une signature pour la société G______ SPA (dont le tampon humide est également apposé), mais aucune pour elle-même et aucune mention de date.

La plaignante a fait valoir un préjudice de CHF 300'000.- et requis le séquestre des avoirs du mis en cause.

b.a. Le Ministère public a, le 12 septembre 2019, ouvert une instruction pour abus de confiance et gestion déloyale contre A______. Il ne s'est pas prononcé sur la demande de séquestre.

b.b. Lors des audiences des 19 novembre 2019 et 24 janvier 2021 devant le Ministère public, A______, entendu en qualité de prévenu, a exposé que l'investissement incriminé avait été effectué en marge du contrat de gestion le liant à la plaignante et que son propre comportement ne dénotait aucun caractère pénal. La cliente avait signé l'ordre d'investissement, qu'il avait préétabli, et inséré elle-même le montant du placement. Il s'agissait de participer au développement d'un grand centre commercial, à L______, en Italie. G______ SPA devait s'occuper de signer un compromis d'achat de terrain et réaliser la construction d'une partie du centre. À ce moment-là, une grande enseigne s'était engagée à louer pour 18 ans et un grand fonds français avait promis le rachat du projet, pour EUR 11 millions. Il avait dit à C______ qu'elle récupérerait son investissement au bout de six mois, moyennant un intéressement de 10%.

La société G______ SPA avait été créée en 2012. Il avait injecté EUR 700'000.- en capital et I______ avait apporté deux sociétés immobilières d'une valeur équivalente. Le précité en avait été l'administrateur unique de 2012 à 2018, et lui-même lui avait succédé en 2018.

Le compromis d'achat sur lequel devait être construit le projet avait été signé fin 2016. Ensuite, pour des raisons techniques et financières, le contrat avait été rompu avec la société propriétaire du terrain et le projet ne s'était finalement pas réalisé. Il en avait informé C______ courant 2017. Lorsque celle-ci avait accepté d'investir, il l'avait informée être actionnaire de G______ SPA. Un contrat avait été signé entre C______ et G______ SPA, juste après janvier 2017 selon son souvenir. Le contrat n'était pas daté, mais il avait été signé par C______.

A______ a produit une copie du "contratto di associazione in partecipazione" auquel il faisait référence. Ce document contient, en première page, la mention dactylographiée "l'anno 2016, addì 11 del mese di gennaio" (soit, le 11 janvier 2016) et la signature manuscrite de C______.

Lui-même n'avait pas signé ce contrat, étant précisé qu'il n'était pas administrateur de la société à cette époque. L'accord avait été conclu entre I______ et C______. Lui-même avait pâti des actes de I______.

b.c. C______ a confirmé avoir été informée par A______ que G______ SPA allait construire un centre commercial et que c'était une affaire de six mois. Il lui avait assuré qu'il s'agissait d'une affaire sûre, car il y avait des investisseurs. Il n'avait montré aucun document, mais elle avait entièrement confiance en lui. Il ne lui avait nullement dit être actionnaire de G______ SPA.

Dans un premier temps, elle a déclaré ne pas avoir signé de contrat. Confrontée à la copie produite par le prévenu, elle a reconnu sa signature. Ultérieurement, elle déclarera avoir "oublié qu'[elle] l'avait signé".

Elle avait déposé plainte car, courant 2017, A______ lui avait dit "que la société avait changé le premier investissement et [qu'elle] allait être remboursée en décembre 2018". Elle n'avait jamais rencontré I______. Dans son portefeuille, elle avait détenu des obligations de G______ SPA que A______ lui avait rachetées, pour un montant équivalant à la somme investie. Son préjudice actuel s'élevait à CHF 250'000.-.

c. Par demande d'entraide internationale (ci-après, CRI) du 2 mars 2022, le Ministère public a requis du Ministère public italien, à H______, qu'il entende I______ – en qualité de personne appelée à donner des renseignements –, sur toute information utile concernant la société G______ SPA, son rôle dans le développement de ladite société, si le projet avait eu lieu et ce qu'il était advenu de l'investissement de C______.

À teneur de la réponse du 8 avril 2022 du Ministère public de H______ – non traduite en l'état du dossier remis à la Chambre de céans –, reçue par le Ministère public genevois le 20 suivant, I______ n'a pas pu être entendu, faute d'avoir été localisé.

d. Parallèlement, le 2 mars 2022, le Ministère public a ordonné l'expertise graphologique des deux contrats produits par les parties afin de déterminer s'ils avaient été signés par la même personne pour le compte de G______ SPA, et si la signature correspondait à celle figurant sur la carte d'identité de I______.

La plainte de D______

e. Le 1er juillet 2020, D______ a déposé plainte pénale contre A______, en faveur duquel il avait signé en 2005 une procuration pour gérant de fortune externe sur un compte auprès de K______ SA.

Il a exposé avoir confié au précité, le 5 janvier 2007, en vue d'investissements prétendument lucratifs, une somme de CHF 274'000.- en espèces, dont CHF 74'000.- lui avaient été restitués le 29 mai 2008 conformément à l'attestation du même jour. Selon ce reçu, A______ restait lui devoir CHF 200'000.-.

Par la suite, en 2008 et 2010, il avait confié à A______ des sommes supplémentaires de CHF 100'000.- et CHF 40'000.- en vue de leur investissement. En mars 2017, il avait éprouvé des doutes et réalisé que ces sommes n'avaient jamais été investies. Après discussion, A______ s'était engagé à les lui rembourser.

Le précité avait en revanche prétendu avoir restitué la somme de CHF 200'000.- reçue en 2007 et, dans le cadre de la procédure de poursuite initiée contre lui, avait produit un reçu du 1er octobre 2010 (ci-après, attestation n° 1), sur lequel sa propre signature avait été contrefaite, puisqu'il ne l'avait jamais signé, ainsi qu'en témoignait l'analyse graphologique privée qu'il avait fait réaliser.

f. Par suite de cette plainte, le Ministère public a prévenu A______ d'escroquerie, gestion déloyale et abus de confiance. Il est reproché au précité d'avoir : le 5 janvier 2007, perçu CHF 274'000.- en espèces de D______; le 27 mai 2008, requis et obtenu du précité une procuration personnelle et générale sur son compte bancaire auprès de K______ SA; le 29 mai 2008, restitué (sic) à D______ CHF 74'000.-; le 19 septembre 2008, requis et obtenu de D______ un versement de CHF 100'000.- (ci-après, attestation n° 2); le 1er octobre 2010, requis et obtenu du précité un versement de CHF 40'000.- (ci-après, attestation n° 3).

g. Le 7 octobre 2020, le Ministère public a ordonné auprès de K______ SA le séquestre des avoirs de A______, à hauteur de CHF 414'000.- (soit CHF 200'000.- + CHF 100'000.- + CHF 74'000.- + CHF 40'000.-), somme que le Procureur considérait représenter le dommage allégué par le plaignant.

h. Le 15 octobre 2020, A______ a informé le Ministère public avoir fait transférer une somme de CHF 414'000.- sur un compte séparé (1______) auprès de K______ SA, afin de permettre la levée des séquestres pesant, entre autres, sur ses comptes commerciaux.

Dans une lettre du même jour à K______ SA, le Ministère public a pris note que A______ avait sécurisé le montant précité sur un compte précis et prié la banque "de faire porter le séquestre uniquement sur ce compte et de lever le séquestre sur ses autres comptes, notamment commerciaux".

i.a. Le 2 février 2021, A______ a requis la levée du séquestre de ses avoirs.

Il a allégué que : les CHF 74'000.- avaient été rendus, selon le reçu du 29 mai 2008 ; les CHF 200'000.- avaient aussi été restitués, en vue de leur donation par D______ à son beau-fils, pour l'achat d'une villa en 2010 [vendue par A______], ce qu'attestait le reçu du 1er octobre 2010 (attestation n° 1 susmentionnée), signé par le plaignant; les CHF 100'000.- et CHF 40'000.- correspondaient en réalité aux intérêts à 5% de deux prêts qu'il avait octroyés au plaignant, en 2008 et 2010.

i.b. Il ressort des pièces au dossier, s'agissant du dernier point sus-évoqué, que D______ et A______ ont conclu deux contrats de prêt, le premier, le 9 mai 2008 portant sur CHF 400'000.- pour une durée de 5 ans, le second, le 20 septembre 2010 portant sur CHF 200'000.- pour une durée de 50 mois (soit 4 ans et deux mois). Ce fait n'est pas contesté par le plaignant, qui admet que les contrats avaient été rédigés par son avocate.

Les deux sommes prêtées ont été versées sur le compte de l'étude de l'avocate de D______. Ce dernier devait rembourser le premier prêt à hauteur de CHF 80'000.- par année et le second par 50 mensualités de CHF 4'000.-. Les deux contrats prévoyaient que "le prêt ne portera pas d'intérêts".

D______ a admis, lors de son audition du 28 avril 2021, qu'officiellement les contrats ne prévoyaient pas le versement d'intérêts, mais que A______ lui avait demandé d'en verser, "à part". Lors de son audition ultérieure, du 24 janvier 2022, il a affirmé que le montant des intérêts sur le prêt de CHF 400'000.- avait été arrêté à CHF 74'000.-, que A______ avait récupérés le 29 mai 2008, de sorte que l'attestation qu'il avait signée ce jour-là mentionnant qu'il avait récupéré cette somme était en réalité incorrecte car le précité avait repris ce montant à titre de paiement des intérêts. Le 28 avril 2021, il a déclaré avoir, en sus, versé des intérêts en CHF 18'000.-, "une autre fois", sans disposer d'aucune preuve.

De son côté, A______ affirme que, bien que les contrats de prêt aient expressément exclu le paiement d'intérêts, D______ et lui-même avaient convenu d'un intérêt annuel de 5% pour chacun d'eux, que l'emprunteur paierait à l'aide des sommes, non déclarées, dont il disposait auprès de K______ SA. Cela correspondait ainsi à CHF 100'000.- pour le premier prêt (5% x CHF 400'000.- x 5 ans) et de CHF 40'000.- pour le second (5% x CHF 200'000.- x 4 ans). Les CHF 100'000.- avaient été payés en une fois, d'avance, le 19 septembre 2008, par le débit du compte de D______ auprès de K______ SA en faveur de son compte personnel à lui (attestation n° 2). Pour les CHF 40'000.-, D______ avait signé un ordre de mise à disposition, en sa faveur, depuis son compte auprès de K______ SA (attestation n° 3).

j. Le Ministère public n'ayant pas donné une suite favorable à la demande de levée du séquestre, la Chambre de céans a, par suite du recours du prévenu, ordonné la levée, à concurrence de CHF 74'000.- (ACPR/480/2021 du 21 juillet 2021). Il n'existait aucun soupçon d'infraction en lien avec cette somme, restituée au plaignant en 2008, de sorte que le séquestre devait être levé à due concurrence, le plaignant ne s'y opposant d'ailleurs pas. Le séquestre sur les avoirs de A______ porterait ainsi désormais sur la somme de CHF 340'000.-, correspondant au préjudice allégué par le plaignant, laquelle devait encore faire l'objet d'une instruction.

k. Le 26 août 2021, le Ministère public a ordonné, d'une part, auprès de K______ SA la saisie de documents, notamment l'ordre du 1er octobre 2010 (attestation n° 1), et, d'autre part, la saisie, auprès de E______ SA, de divers documents.

l. Lors de l'audience du 1er septembre 2021 D______ a admis avoir signé des "feuilles en blanc", que le prévenu avait ensuite remplies.

À cette suite, A______ a requis la levée immédiate de "l'intégralité du séquestre résiduel".

Le 20 septembre 2021, le Ministère public a levé "partiellement" le séquestre en mains de K______ SA, "à hauteur de CHF 400'000.-" (sic). Il a motivé sa décision sur le fait qu'il ressortait de l'instruction de la procédure que le plaignant aurait signé des papiers "en blanc" à l'attention du prévenu.

m. Sur recours de D______, la Chambre de céans a, dans un arrêt ACPR/184/2022 du 15 mars 2022, annulé la décision précitée et renvoyé la cause au Ministère public, pour nouvelle décision. Dans l'intervalle, le séquestre sur le compte 1______ de A______ auprès de K______ SA, était maintenu.

La Chambre de céans a retenu que le Ministère public semblait considérer que la cause du séquestre avait disparu, faute de prévention pénale suffisante. Toutefois, le Procureur avait décidé d'une levée "partielle" du séquestre, en faisant référence non à l'ordonnance de séquestre initiale, du 15 octobre 2020, mais à une des deux ordonnances – sans spécifier laquelle – rendues le 26 août 2021, lesquelles visaient exclusivement la saisie de documents, de sorte qu'on ne voyait pas le lien avec la levée des fonds saisis. Qui plus est, le Ministère public avait ordonné la levée "à hauteur" de CHF 400'000.-, alors que le séquestre auprès de K______ SA portait toujours sur une somme de CHF 340'000.-. La situation paraissait ainsi des plus confuses, le Ministère public ne l'ayant pas éclaircie dans le cadre du recours, et il n'appartenait pas à l'autorité de recours de faire elle-même le travail qui incombait, de par la loi, à l'autorité inférieure.

n. Les 2 et 3 mars 2022, le Ministère public a requis l'expertise du reçu du 1er octobre 2010 pour les CHF 200'000.- (attestation n° 1), de l'ordre de paiement du 19 septembre 2008 pour les CHF 100'000.- (attestation n° 2) et de la lettre à K______ SA du 1er octobre 2019 (recte : 2010) pour les CHF 40'000.- (attestation n° 3), pour déterminer, d'une part, si l'attestation n° 1 avait été signée par D______ et, d'autre part, si les trois documents avaient été signés avant, simultanément ou après que le corps de texte avait été établi.

o. Le 16 mai 2022, le Ministère public a prévenu, à titre complémentaire, A______ d'usure, abus de confiance et gestion déloyale. Il lui reproche d'avoir :

- à une date indéterminée en 2007, accordé à D______ un prêt de CHF 400'000.- dont les intérêts, payés d'avance et pour un montant de CHF 74'000.-, "sur deux ans", s'élevaient à "9.25 % par an";

- à une date indéterminée en 2010, accordé à D______ un prêt de CHF 200'000.- dont les intérêts, payés d'avance et pour un montant de "CHF 100'000.-", s'élevaient à "10 % par année sur 5 ans";

- alternativement, prélevé sans droit, sur le compte bancaire de D______ et dans l'enveloppe que celui-ci lui avait confiée, les montants de CHF 74'000.- et CHF 100'000.-.

A______ a contesté les faits, répétant les explications précédemment données. Il n'avait pas annoncé [à l'administration fiscale] les intérêts perçus car ils provenaient d'un compte non déclaré par D______.

p. Par lettre de son conseil, du 20 mai 2022, adressé au Ministère public, A______, faisant référence à l'audience "hallucinante" du 16 précédent, a relevé que les faits sur lesquels s'était fondé le Procureur pour le prévenir d'usure étaient "faux". Les taux d'intérêts retenus étaient erronés, puisque le contrat de prêt de CHF 400'000.- avait été conclu pour 5 ans et celui de CHF 200'000.- pour 50 mois, soit 4 ans. En outre, les taux d'intérêts retenus par le Ministère public étaient inférieurs à ceux que le Conseil fédéral (15%) et le Tribunal fédéral (18%) considéraient usuraires. De plus, D______ avait en réalité terminé de rembourser le premier prêt en 2014 et le second en 2016, soit bien au-delà des échéances convenues.

Il a rappelé au Ministère public que par arrêt du 15 mars 2022, la Chambre de céans avait annulé l'ordonnance de levée de séquestre et l'avait invité à rendre une nouvelle ordonnance.

q. Le 24 mai 2022, le Ministère public a répondu que le prévenu semblait "confondre quelques-uns des éléments devant encore être instruits". Il était inhabituel que des intérêts fussent acquittés par l'emprunteur "en totalité dès ou même avant la réception du montant du prêt" et que, une fois le prêt remboursé par l'emprunteur, "le prêteur rembourse à l'emprunteur les intérêts que ce dernier lui a versés pour rémunérer le prêt". De fait, les CHF 74'000.- ne semblaient "pas [être] un remboursement, par [le prévenu], des intérêts qu'il avait lui-même débités du compte du plaignant pour ce prêt de 2008, mais un remboursement partiel des [CHF] 274'000.-" remis par le plaignant. Pour le second prêt, un cinquième de la somme prêtée avait été utilisé.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a ordonné, selon l'art. 263 CPP (sans autre précision), le séquestre des avoirs de A______ sur le compte 1______ auprès de K______ SA, à hauteur de CHF 400'000.-, "vu le dommage allégué par C______ d'environ CHF 250'000.-; vu le dommage allégué par D______ d'environ CHF 200'000.-, puis CHF 140'000.-; vu les charges complémentaires notifiées à A______ en date du 16 mai 2022; vu les actes d'instruction en cours, soit une commission rogatoire en Italie, plusieurs expertises graphologiques en cours".

D. a. Dans son recours, A______ s'étonne, s'agissant du volet D______, que le Ministère public, après avoir ordonné la levée du séquestre le 20 septembre 2021, ordonne à nouveau cette mesure. Non seulement aucun élément nouveau à charge n'était venu s'ajouter au dossier depuis la levée précitée, mais le nouveau séquestre était fondé sur des faits totalement erronés, "correspondant aux fruits de [l]a propre imagination" du Ministère public et n'ayant jamais été allégués par les parties. Quant au volet C______, le Ministère public ne pouvait justifier un séquestre près de trois ans après le dépôt de la plainte pénale, alors qu'aucun élément à charge n'était venu étayer le dossier dans l'intervalle. Les mesures d'instruction ordonnées (expertise graphologique et CRI) ne constituaient nullement des soupçons contre lui.

b. D______ conclut au rejet du recours et au maintien du séquestre à concurrence d'une somme d'au moins CHF 340'000.-. L'instruction, qui suivait son cours, n'avait pas permis d'écarter la culpabilité du prévenu. Les fonds pourraient être confisqués au terme de la procédure.

c. C______ conclut également au rejet du recours. Les soupçons à l'égard de A______ s'étaient bel et bien renforcés, puisque le précité s'était vu notifier de nouvelles charges en mai 2022. Les actes d'instruction (CRI et expertise graphologique) avaient été ordonnés car les explications du prévenu étaient apparues "farfelues" ; ce dernier ne saurait se présenter en victime de I______ pour se défausser de sa responsabilité à son égard à elle. Son préjudice était établi et il appartenait au prévenu, d'une manière ou d'une autre, de le réparer.

d. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Si D______ n'avait pas toujours été clair ni très cohérent, sa plainte n'était pas pour autant infondée. Il était acquis que plaignant et prévenu avaient procédé partiellement par écrit (parfois "en blanc"), qu'ils avaient convenu de dérogations orales à leurs accords écrits (dont la teneur était peu claire) et avaient souvent procédé de manière inhabituelle (contrats de prêt dont les intérêts, non mentionnés dans les contrats, étaient prélevés en totalité à l'avance). S'agissant de la plainte de C______, il avait été nécessaire de procéder par CRI pour entendre le correspondant ou associé ou partenaire en affaires de A______, I______, lequel résidait en Italie.

E. Selon le rapport d'expertise graphologique, rendu le 4 juillet 2022, la probabilité que les signatures au nom de I______ figurant sur les deux contrats en langue italienne soient de la main du précité est de 99.9 %.

Par ailleurs, la probabilité que la signature de D______ figurant sur le reçu du 1er octobre 2010 (attestation n° 1) soit de la main du précité est de 99%. L'expert n'a en revanche pas pu répondre, faute de pièces originales, à la deuxième question posée.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

2.2. Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP), qu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

2.2.1. L'art. 70 al. 1 CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits.

2.2.2. Lorsque les valeurs patrimoniales à confisquer ne sont plus disponibles, l'art. 71 al. 3 CP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, jusqu'à concurrence du montant présumé du produit de l'infraction, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale, et même celles de provenance licite. La mesure prévue par cette disposition se différencie ainsi du séquestre conservatoire résultant des art. 263 al. 1 let. c CPP (restitution au lésé) ou 263 al. 1 let. d CPP (confiscation), dispositions requérant en revanche l'existence d'un tel rapport de connexité (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2).

2.3. Le séquestre est fondé sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées). Une simple probabilité suffit, car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 64 et les références citées).

Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). L'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle. Le séquestre ne peut donc être levé (art. 267 CPP) que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 4.3 et les références citées). Les probabilités d'une confiscation, respectivement du prononcé d'une créance compensatrice, doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction et doivent être régulièrement vérifiées par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4 p. 96).

2.4. En l'espèce, s'agissant du volet D______, le compte n. 1______ du recourant auprès de K______ SA sur lequel le séquestre querellé a été ordonné est celui que le recourant avait désigné pour le séquestre initial de CHF 414'000.- (cf. B.h. supra).

Depuis, ledit séquestre a été ramené à CHF 340'000.- par la Chambre de céans le 21 juillet 2021 (cf. arrêt ACPR/480/2021 susmentionné), la saisie sur les valeurs de CHF 74'000.- n'étant pas justifiée.

Par ordonnance du 20 septembre 2021, le Ministère public avait en outre manifesté l'intention de lever complètement le séquestre, ordonnance ayant été annulée par la Chambre de céans, faute d'être suffisamment compréhensible (cf. arrêt ACPR/184/2022 susmentionné).

Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a, derechef, ordonné le séquestre du compte, à hauteur de CHF 400'000.-, dont CHF 140'000.- concernent le volet D______.

Cette décision est infondée, respectivement inutile, pour diverses raisons.

Premièrement, comme déjà énoncé, le compte visé par la mesure est celui mis à la disposition du prévenu pour le séquestre initial, de sorte qu'il est peu probable qu'il comporte des avoirs plus élevés que le montant – déjà séquestré – de CHF 340'000.-.

Deuxièmement, le séquestre de CHF 340'000.- – qui a toujours cours – est composé des sommes litigieuses de CHF 200'000.-, CHF 100'000.- et CHF 40'000.-. Le plaignant estime, s'agissant des deux dernières sommes, que le recourant a abusivement débité son compte de CHF 140'000.-, les ordres de virement produits par le prévenu n'ayant pas été signés par lui, ou l'ayant été "en blanc". Ces allégations ont conduit au séquestre initial de ces sommes. De son côté, le prévenu explique que ces retraits correspondraient, en réalité, au paiement des intérêts des deux prêts, de respectivement CHF 400'000.- et CHF 200'000.-, consentis au plaignant. Le séquestre nouvellement ordonné porte donc, à nouveau, sur des sommes – CHF 100'000.- et CHF 40'000.- – déjà frappées de séquestre. Que le Ministère public estime que l'explication fournie par le prévenu pour les débits litigieux correspondrait à une autre infraction (usure) que celle initialement retenue (abus de confiance ou gestion déloyale) ne l'autorise pas à séquestrer à nouveau la même somme litigieuse, ce qui aurait pour conséquence de porter le séquestre à CHF 280'000.- pour un préjudice allégué de CHF 140'000.-. D'ailleurs, le plaignant conclut au maintien du séquestre déjà ordonné.

Troisièmement, tout en reprochant au prévenu, dans la prévention complémentaire du 16 mai 2022, une infraction d'usure sur les sommes de CHF 100'000.- et CHF 74'000.- (cf. B.o. supra), le Ministère public a séquestré un montant inférieur, de CHF 140'000.- (soit CHF 100'000.- et CHF 40'000.-). Quoi qu'il en soit, les intérêts calculés par le Ministère public pour asseoir la prévention d'usure sont erronés. À teneur des documents figurant au dossier, le prêt de CHF 400'000.- ayant été conclu pour une durée de cinq ans (et non deux), la somme litigieuse de CHF 100'000.- correspondrait à un intérêt annuel de 5% l'an. Le prêt de CHF 200'000.- ayant été conclu pour cinquante mois, la somme séquestrée de CHF 40'000.- correspondrait à un intérêt annuel de 5%. Les motifs avancés par le Ministère public, sur ce point, ne justifient donc pas un séquestre, faute de prévention pénale suffisante.

Le séquestre est donc injustifié en tant qu'il porte sur CHF 140'000.- s'agissant de ce volet de la procédure.

2.5. Le séquestre de CHF 250'000.- pour le volet C______ est tout aussi injustifié.

La plainte a été déposée en 2019 et le Ministère public n'a pas estimé nécessaire de procéder à un séquestre à réception de celle-ci. Entendu plusieurs fois sur les faits reprochés par la plaignante, le prévenu a exposé que cette dernière avait conclu un contrat avec la société italienne G______ SPA, dont il était actionnaire mais pas administrateur au moment des faits. L'administrateur, I______, avait conclu un contrat avec la plaignante, ce qu'il a établi par la production d'un document signé par celle-ci, laquelle s'est souvenue l'avoir signé. Le prévenu a exposé avoir lui-même pâti des agissement de I______. Le 2 mars 2022, le Ministère public a ordonné une CRI pour entendre le précité, ainsi qu'une analyse graphologique pour déterminer si les signatures apposées sur les contrats signés au nom de la société G______ SPA l'avaient été par l'intéressé. Lors de cette démarche, le Ministère public n'a pas non plus jugé utile de séquestrer les avoirs du prévenu pour garantir le préjudice allégué par la plaignante. Le 20 avril 2022, il a reçu en retour la CRI l'informant que I______ n'avait pu être entendu. On ne comprend donc pas, et le Ministère public ne l'explique ni dans l'ordonnance querellée ni dans ses déterminations sur le recours, ce qui, le 24 mai 2022, justifiait qu'un séquestre fût soudainement ordonné. Ses dernières écritures se réfèrent à la CRI, mais on ne voit pas en quoi cet acte d'instruction constituerait un élément à charge contre le recourant, qui plus est après réception du rapport du Ministère public turinois informant de l'absence d'audition de I______. Depuis, le dépôt du rapport d'expertise graphologique paraît même confirmer la réalité d'un contrat entre la plaignante et la société G______ SPA, engagée par le précité.

Partant, le séquestre est injustifié également en tant qu'il porte sur la somme de CHF 250'000.-.

3.             Fondé, le recours doit ainsi être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée. Pour éviter tout doute, il est précisé que le séquestre sur le compte n° 1______ de A______ auprès de K______ SA demeure, en l'état, à concurrence de
CHF 340'000.-, conformément au précédent arrêt de la Chambre de céans, qui avait invité le Ministère public à se prononcer sur la demande de levée du séquestre.

4.             Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État.

5.             Le recourant, prévenu, a requis le versement d'une indemnité de CHF 3'675.27 TTC correspondant à 9 heures 45 d'activité au tarif de CHF 350.-/heure pour la rédaction du recours, portant sur 39 pages. L'indemnité lui sera allouée, la procédure justifiant le long rappel des faits et des arguments des parties.

6.             Les plaignants, en tant qu'ils succombent, n'ont pas droit à être indemnisés.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance de séquestre du 24 mai 2022.

Dit que le séquestre sur le compte 1______ de A______ ouvert auprès de K______ SA, à Genève, à concurrence de CHF 340'000.- demeure en l'état.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 3'675.27, TVA (7.7%) incluse.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant et aux plaignants (soit pour eux leur conseils respectifs) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).