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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/27/2022

ACPR/405/2022 du 09.06.2022 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/27/2022 ACPR/405/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 9 juin 2022

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

requérant,

et

D______, juge suppléant, p.a. Tribunal de police, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. Au détour d'une lettre reçue le 13 avril 2022 au Tribunal de police, qui l'a transmise à la Chambre de céans, A______ requiert la récusation de D______, juge suppléant au Tribunal de police, dans la procédure P/1______/2019.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 20 février 2020, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour violation grave des règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 LCR) pour avoir, le 18 juin 2019, roulé à la vitesse de 74 km/h sur un tronçon où la limite maximale autorisée était de 30 km/h.

L'intéressé avait auparavant été entendu par la police, assisté de son avocat de choix, Me B______. À cette occasion, il avait expliqué suivre des cours universitaires à E______ [États-Unis], revenant occasionnellement en Suisse, où il restait domicilié.

b. Le 11 février 2021, le Ministère public a transmis un acte d'accusation au Tribunal de police, reprochant à A______ une violation grave des règles de la circulation routière et le condamnant à une peine privative de liberté de onze mois, sans s'opposer à l'octroi d'un sursis avec un délai d'épreuve de trois ans. Il renonçait en outre à soutenir l'accusation lors de l'audience de débats.

Le dossier a été confié à D______, juge suppléant.

c. Par lettre du 21 septembre 2021, A______, par le biais de son conseil, a requis le renvoi de l'audience prévue initialement le 1er octobre 2021, expliquant qu'à cette date, il serait à E______ pour ses études et qu'un déplacement en Suisse était chronophage et coûteux mais qu'il souhaitait néanmoins comparaître en personne.

d. Le 22 septembre 2021, D______ a répondu que l'audience était maintenue.

e. Le 1er octobre 2021, D______ a ouvert les débats, constaté l'absence de A______ et du Ministère public avant de clôturer l'audience, annonçant que de nouveaux débats seraient fixés.

f. A______ a été reconvoqué le 19 janvier 2022 pour le 3 mai suivant.

g. Le 28 mars 2022, Me B______ a écrit à D______ pour solliciter l'ajournement des débats.

Il était, depuis le 3 février 2022, en arrêt maladie en raison d'un infarctus. Malgré sa reprise du travail à 25% depuis le mois de mars, il n'était pas en mesure de préparer l'audience du 3 mai 2022, son temps étant principalement consacré à rattraper les urgences accumulées durant son absence. Son état de santé devait être réévalué le 6 avril suivant et il s'engageait à en informer le Tribunal de police.

Ces explications tiennent sur l'équivalent d'une page, dans une lettre en comportant six. Le reste est consacré au fond du dossier, divisé par des chapitres sur le "rapport de police", le "dossier" et les "réquisitions".

Joint à ce courrier figure notamment un certificat médical faisant état d'une incapacité de travail à 100% du 24 février au 3 mars 2022.

h. Par lettre du 5 avril 2022, D______ a maintenu l'audience prévue, signifiant à Me B______ la possibilité de se substituer un confrère.

C. Le 12 avril 2022, Me B______, pour le compte de son client, a sollicité derechef le report de l'audience prévue le 3 mai 2022, lui tenant le discours suivant:

"Je me dois de vous dire ici qu'un tel refus est, compte tenu des circonstances, arbitraire, et que votre décision consacre un formalisme à ce point excessif qu'il témoigne si ce n'est méchanceté du moins une inimitié, certainement une absence totale de la moindre bienveillance (ce qui revient au même) à mon égard compte tenu de l'état de santé dont je vous ai fait part."

"Je ne pourrai représenter mon client lors de l'audience du 3 mai 2022 pour les raisons déjà indiquées.

Je ne serai donc pas présent à l'audience.

Vous ferez, seul, justice, comme le Prince.

Néanmoins, parce que c'est bientôt Pâques et que la période est propice, j'ai bon espoir que vous reveniez à d'autres et meilleurs sentiments.

Au cas où je me serais fait trop d'illusions, vous voudrez bien m'en excuser et considérer la présente comme une demande de récusation, demande que vous ne manquerez pas d'écarter également sans autre forme de procès, ce qui ne vous prendra pas trop de temps je l'espère".

Il expliquait avoir recouvré une capacité de travail à hauteur de 25% seulement. Or, les demandes de report d'audiences ne constituaient pas des abus de droit dans le cadre d'une défense privée, dès lors qu'elles se fondaient sur des circonstances objectives – comme tel était le cas pour lui – et non pas sur des motifs de nature purement privée.

Aucun certificat médical n'était annexé.

D. Le 3 mai 2022, D______ a tenu l'audience prévue et constaté l'absence de A______ et de son défenseur aux débats. La cause a été gardée à juger.

E. a. Concomitamment à la tenue de ladite audience, D______ a transmis à la Chambre de céans la demande de récusation, en y joignant ses observations.

La "décision incidente" refusant l'ajournement de l'audience ne relevait pas d'un formalisme excessif. La demande de récusation était en outre tardive et infondée. L'absence de certificat médical actualisé et la missive du 12 avril 2022 mettaient notamment en doute l'impossibilité de Me B______ d'assister à l'audience du jour même.

b. Dans sa réplique, A______ relève, en préambule, qu'il découlait "des observations du Tribunal de police qu'une décision a[vait] été rendue dans la procédure citée en objet. Après consultation du dossier en date du mercredi 11 mai 2022, force [était] de constater que celle-ci ne figur[ait] pas au dossier de la procédure". La procédure devait être suspendue jusqu'à notification de ladite décision, celle-ci pouvant être utile pour établir des "indices de partialité susceptibles d'agrémenter la demande de récusation". Sur le fond, il ne s'agissait pas de "déterminer si la décision rendue par le Tribunal de police [en lien avec le refus de renvoi d'audience] était ou non fondée, mais de constater que son Président a[vait], dans cette décision, témoigné d'une inimitié à l'encontre du conseil soussigné". À ce sujet, il était "vindicatif" de reprocher à Me B______ de ne pas avoir actualisé ses certificats médicaux alors que le refus d'ajournement avait précédé la date de la réévaluation de l'état de santé de celui-ci. Plutôt que de s'enquérir de l'évolution de la situation dont il avait été pleinement informé, D______ avait statué "péremptoirement", ce qui caractérisait une inimitié à l'égard de son conseil.

EN DROIT :

1.             1.1. La récusation des magistrats et fonctionnaires judiciaires au sein d'une autorité pénale est régie expressément par le CPP (art. 56 et ss. CPP).

À Genève, lorsque, comme en l'espèce, les tribunaux de première instance sont concernés – le Tribunal de police étant une section du Tribunal pénal selon l'intitulé du titre III de la 2ème partie de la LOJ (art. 95 et 96 LOJ) – l'autorité compétente pour statuer sur la requête est la Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ).

1.2. Prévenu dans la procédure pendante (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).

1.3.1. La demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP), soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1), sous peine de déchéance (ATF 138 I 1 consid. 2.2 p. 4).

La jurisprudence admet le dépôt d'une demande de récusation six à sept jours après la connaissance des motifs mais considère qu'une demande déposée deux à trois semaines après est tardive (arrêt du Tribunal fédéral 1B_13/2021 du 1er juillet 2021 consid. 2).

1.3.2. En l'espèce, le refus d'ajournement de l'audience, motif de la demande de récusation, a été adressé au requérant le 5 avril 2022, qui a réagi le 12 suivant, soit sept jours plus tard. En tenant compte de la date de réception, par le requérant, du courrier contenant ledit refus, soit le 6 avril 2022 au plus tôt, la demande de récusation paraît avoir été formée dans les temps au regard des critères susmentionnés.

2.             À titre liminaire, on peine à comprendre à quelle décision du Tribunal de police ne se trouvant pas encore au dossier le requérant fait référence dans sa réplique.

La "décision incidente", puisqu'il s'agit vraisemblablement de cela, telle que mentionnée dans les observations du cité désigne sans ambiguïté la lettre du 5 avril 2022 dont le requérant a reçu copie.

La demande de suspension dans l'attente d'une décision sur le fond de la cause s'avère infondée, dès lors que le motif de récusation invoqué ne peut reposer sur un jugement encore non rendu.

3.             3.1. L'objet du litige est circonscrit à la demande du requérant visant à la récusation du cité, par suite de la réponse apportée par celui-ci le 5 avril 2022, à sa demande de différer l'audience à venir. Conséquemment, l'examen ne portera pas sur le bien-fondé ou non du refus de l'ajournement de l'audience du 3 mai 2022, mais sur la question de savoir si le maintien de celle-ci consacre une inimitié du second à l'égard du conseil du premier. Dans ce contexte, admis et reconnu au demeurant par le requérant, il sera fait fi des considérations jurisprudentielles invoquées par celui-ci, puisqu'elles ne sont pas pertinentes pour la cause.

3.2. Un magistrat est récusable, aux termes de l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs que ceux prévus à l'art. 56 let. a à e, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). La procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de remettre en cause les différentes décisions prises par la direction de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_148/2015 du 24 juillet 2015 c. 3.1; 1B_205/2013 du 9 août 2013 c. 3.1.). La conduite de l'instruction et les décisions prises à l'issue de celle-ci doivent être contestées par les voies de recours ordinaires (arrêt du Tribunal fédéral 1B_292/2012 du 13 août 2012 consid. 3.2; ACPR/21/2013 du 16 janvier 2013).

3.3. En l'espèce, le cité disposait, en guise d'informations sur l'évolution de la santé de Me B______, d'un certificat médical attestant d'une incapacité de travail à 100% jusqu'au 3 mars 2022 et d'une lettre de l'intéressé du 28 mars 2022 dans laquelle il expliquait avoir repris une activité à 25%, taux qui ne lui permettait pas de préparer l'audience à venir.

Néanmoins, cinq des six pages de cette lettre étaient consacrées au fond du dossier, dans une cause ne présentant pas une grande complexité et suivie par Me B______ depuis la première audition du requérant à la police. En outre, l'audience en cause était prévue plus d'un mois après la demande de son report.

La synthèse de ces éléments permet de considérer que l'ajournement était conjectural lorsqu'il a été requis, car, à cette date, rien ne laissait présager que Me B______, malgré ses regrettables soucis de santé, ne serait pas, un mois plus tard, en mesure de plaider des arguments qu'il avait déjà présentés, dans une cause simple et familière. Par la suite, le prénommé a davantage démontré son acrimonie que son incapacité de travail, étant rappelé qu'aucun certificat médical au-delà du 3 mars 2022 n'a été produit par ses soins. En cela, il n'y avait pas lieu d'ajourner.

En résumé, le choix de maintenir l'audience découlait plus d'une exigence de rigueur et de célérité, mais non d'une quelconque inimitié personnelle du cité envers celui-ci. Les sentiments prêtés au premier relèvent ainsi de l'appréciation subjective du second, ce dernier étant manifestement guidé par son désaccord avec le refus d'ajournement de l'audience.

4.             La requête de récusation visant D______ est, partant, infondée et doit être rejetée.

5.             Le requérant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 700.-.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la requête de récusation.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à 700.- fr.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et à D______.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/27/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

615.00

-

CHF

Total

CHF

700.00