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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12706/2020

ACPR/396/2022 du 03.06.2022 sur OMP/7623/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE;ÉGALITÉ DES ARMES;CAS BÉNIN
Normes : RAJ.20

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12706/2020 ACPR/396/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 3 juin 2022

 

Entre

 

A______, domicilié ______, France, comparant en personne,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 4 mai 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte posté le 12 mai 2022, A______ recourt contre la décision du 4 précédent, par laquelle le Ministère public a refusé de lui nommer un défenseur d'office.

Il demande une telle désignation, la couverture de ses dépens et la condamnation de l'État de Genève à lui verser CHF 100 millions.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Depuis plusieurs années, A______ fait l’objet de plaintes de l’Université de Genève, pour vaquer sans droit dans le bâtiment B______, c’est-à-dire au mépris d’interdictions d’entrée à lui signifiées.

A______ conteste le bien-fondé de ces plaintes, invoquant en substance le caractère public des lieux et se prévalant d’un arrêt de la Chambre administrative (ATA/1367/2015 du 21 décembre 2015), dont il ressort cependant que l’accueil que l’Université réserve aux tiers et l’accès à ses locaux qu’elle leur accorde relèvent en principe des libres choix exercés par celle-ci et que le prononcé d’une interdiction d’entrée n’est pas une décision administrative attaquable.

a.b. En 2018, A______ a demandé un avocat d’office, pour se défendre d’une condamnation par ordonnance pénale à quarante-cinq jours-amende avec sursis, prononcée des chefs de violation de domicile (sur plainte de l’Université) et d’exhibitionnisme (sur plainte d’une agente de sécurité en service à B______). Sa requête a été rejetée par la Chambre de céans (ACPR/177/2018), puis admise par la Chambre pénale d’appel et de révision pour les besoins de la procédure de seconde instance (OARP/18/2019) ; le Tribunal fédéral a approuvé ce traitement différencié (arrêt 6B_761/2020 du 4 mai 2021 consid. 5.2.).

Dans le cadre de cette procédure-là (P/1______/2017), A______ a obtenu, sur recours interjeté personnellement, la suppression et l’effacement de ses données signalétiques personnelles (ACPR/117/2018).

b. En juillet 2020, l'Université de Genève, par son recteur, a déposé une nouvelle plainte contre A______ du chef de violation de domicile (art. 186 CP).

Après avoir récapitulé les comportements de l’intéressé depuis 2006 (utilisation indue de mots de passe informatiques ; visionnage bruyant de films pornographiques ; accaparement d’ordinateurs et de cabines de travail ; présence sans droit dans les salles d’enseignement ; comportement « déplacé, voire pervers » à l’égard d’étudiantes ; inobservation de diverses règles internes), l’Université reproche à A______ d'avoir pénétré dans le bâtiment universitaire de B______, le 8 juillet 2020, alors qu'il était frappé d'interdictions de fréquenter, pour une durée indéterminée, tous locaux universitaires, selon décisions notifiées en mains propres les 24 septembre 2014 et 22 février 2019.

c. Le 14 décembre 2020, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour violation de domicile (art. 186 CP) et, le lendemain, a émis un avis de recherche et d'arrestation (art. 210 CPP).

d. Le 19 janvier 2021, le Ministère public a suspendu l'instruction de la cause jusqu'au 8 juillet 2030, au motif que l'auteur ou son lieu de séjour était inconnu ou qu'il existait des empêchements momentanés de procéder (art. 314 al. 1 let. a CPP).

e. Le 2 mars 2022, l'Université de Genève a sollicité la reprise de la procédure, au motif que A______ avait été aperçu au premier étage du bâtiment B______ le 22 février 2022 à 13h50. Les agents de sécurité étaient intervenus afin de le raccompagner à l'extérieur de l'établissement.

f. À teneur des rapports d'interpellation et d'arrestation des 2 et 3 mars 2022, une patrouille de police s’était rendue dans le bâtiment de B______ le 2 mars 2022, vers 20h00, en raison d'un individu visionnant des films pornographiques et faisant l'objet d'une interdiction d'entrée. Sur place, les policiers avaient été mis en présence de A______.

Ils ont constaté que la dernière interdiction d'entrée dont le prénommé faisait l'objet était échue depuis le 22 février 2022. De ce fait, aucune nouvelle plainte pénale n'a été enregistrée. En revanche, une nouvelle interdiction de pénétrer dans les locaux litigieux, que A______ a refusé de signer, a été prononcée par l’Université.

g. Entendu le 3 mars 2022 par la police en qualité de prévenu, A______ a admis sa présence dans le bâtiment de B______ le 8 juillet 2020 et fréquenter les lieux de « temps en temps ». En revanche, il a soutenu que les interdictions d'entrée qui lui avaient été notifiées n'avaient pas d'effet juridique et répété que les établissements universitaires étaient ouverts au public. Il n'a pas souhaité s'exprimer sur sa situation personnelle et financière ni signer le document y relatif.

h. Le même jour, le Ministère public l'a prévenu de violation de domicile et relaxé, après lui avoir notifié une ordonnance pénale (dix jours-amende avec sursis, complémentaires à une peine antérieure de vingt jours-amende).

i. Le 8 mars 2022, A______ a formé opposition, par lettre motivée de huit pages; il s’y prévaut de décisions rendues en sa faveur par la Chambre de céans le 29 septembre 2020 [ACPR/690/2020, le libérant, faute de plaintes pénales valables, de tous frais judiciaires dans une procédure faisant suite aux plaintes déposées par l’Université en 2018 et en 2019] et par le Tribunal fédéral le 4 mai 2021 [6B_761/2020, précité, dont il ressort du consid. 7.4.3. qu’une plainte pénale de l’Université déposée contre lui en 2014 n’était pas valable non plus, faute d’émaner d’une personne habilitée à représenter l’alma mater]. Il se plaint que l’art. 186 CP soit détourné de ses fins.

Il demandait simultanément la nomination d'un avocat d'office et joignait deux avis d’impôt, par lesquels le fisc français constatait qu’il n’avait rien à payer « au titre des revenus » pour les deux exercices 2019 et 2020.

j. À l'audience du 11 mai 2022, il a refusé de s'exprimer sans être assisté d'un défenseur, au motif que la représentante de l'Université, présente, était juriste et titulaire du brevet d'avocat.

C. Dans l'ordonnance attaquée, le Ministère public retient que la cause ne présentait pas de difficulté particulière, factuelle ou juridique, et que la peine contestée (10 jours-amende avec sursis) montrait qu'elle était de peu de gravité.

D. a. Dans son recours, A______ explique avoir appris lors de sa comparution par-devant le Ministère public, le 11 mai 2022, que la défense d'office qu’il avait demandée le 3 mars précédent lui était refusée. Or, l'Université était représentée à l'audience par un titulaire du brevet d'avocat, ce qui violait le principe d'égalité des armes.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

L’objet du litige est strictement limité à la question d’une défense d’office, seule traitée par le Ministère public dans la décision attaquée, et non à une indemnisation du recourant par l’État de Genève.

2.             Le recourant estime avoir droit à un défenseur d'office en application du principe de l’égalité des armes.

2.1.       En dehors des cas de défense obligatoire visés à l'art. 130 CPP, l'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur d'office aux conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde de ses intérêts justifie une telle assistance. S'agissant de la seconde condition, elle s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office notamment lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP). Si les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement, il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs (comme l'indique l'adverbe « notamment »), en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes, garantie par l'art. 6 CEDH ; on peut ainsi reconnaître plus facilement au prévenu le droit à l'assistance d'un avocat, lorsque la partie plaignante a été mise au bénéfice d’un avocat d’office (arrêts du Tribunal fédéral 1B_538/2019 consid. 3.3) ou s’il s’avère qu’une des parties plaignantes est une société importante avec laquelle le prévenu est confronté dans un litige à ramification depuis de longues années (arrêt du Tribunal fédéral 1B_481/2019 du 27 novembre 2019 consid. 2.3.). La désignation d'un défenseur d'office peut ainsi s'imposer selon les circonstances, lorsque le prévenu encourt une peine privative de liberté de quelques semaines à quelques mois si, à la gravité relative du cas, s'ajoutent des difficultés particulières du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, qu'il ne serait pas en mesure de résoudre seul. En revanche, lorsque l'infraction n'est manifestement qu'une bagatelle, en ce sens que son auteur ne s'expose qu'à une amende ou à une peine privative de liberté de courte durée, la jurisprudence considère que l'auteur n'a pas de droit constitutionnel à l'assistance judiciaire (ATF 143 I 164 consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 1B 360/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.1).

2.2.       Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_494/2019 du 20 décembre 2019 consid. 3.1 et les arrêts cités). S'agissant de la difficulté objective de la cause, à l'instar de ce qu'elle a développé en rapport avec les chances de succès d'un recours (ATF 139 III 396 consid. 1.2; 129 I 129 consid. 2.3.1), la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi, qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes, ferait ou non appel à un avocat (ATF 140 V 521 consid. 9.1). La difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier. Quant à la difficulté subjective d'une cause, il faut tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure, ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (arrêt du Tribunal fédéral 1B 360/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.2).

2.3.       En l'occurrence, la question de l’indigence du recourant n’a pas été abordée dans la décision attaquée, et il n’est nullement évident que les deux avis d’exemption fiscale successifs, produits avec le recours, suffiraient à la prouver : ces documents ne disent rien, par exemple, de l’état de fortune du recourant, lequel n’allègue pas non plus qu’il vivrait d’aides publiques et reste muet sur l’état et la composition de ses charges.

2.4.       À supposer remplie cette première condition – ce qui n’est pas établi –, le recourant ne prétend pas – à juste titre – que la cause présenterait une gravité justifiant la désignation d'un avocat d'office. Il admet sa présence dans le bâtiment B______ à tout le moins le 8 juillet 2020. La peine infligée par l’ordonnance pénale subséquente, même si elle pourrait être augmentée par suite de l’opposition, reste indicative d’un cas bagatelle, pour se situer nettement en dessous des seuils fixés par l’art. 132 al. 3 CPP. À titre de comparaison, l’ordonnance pénale pour la contestation de laquelle le recourant s’est vu refuser un défenseur d’office pendant la procédure préliminaire, en 2018, lui infligeait quarante-cinq jours-amende avec sursis et portait sur deux infractions.

Le recourant axe uniquement son recours sur une violation du principe d’égalité des armes, en ce sens que l'Université avait été représentée à l'audience du 11 mai 2022 par un juriste, titulaire du brevet d'avocat.

L’Université se défend cependant elle-même, et non par le truchement d’un avocat indépendant. Certes, elle fait remonter son litige avec le recourant à plus de quinze années, mais ses plaintes pénales propres ont porté exclusivement sur un même comportement, répété, du recourant, à savoir l’insoumission à ses interdictions d’entrée, dont la plus ancienne date de 2014 seulement.

Le recourant n’est pas un étudiant ni un autre membre de la communauté universitaire (cf. art. 9 LU). On ne voit pas en quoi l’issue de la procédure revêtirait une importance particulière pour lui, qui semble ne passer du temps à l’intérieur de B______ que pour son agrément, le cas échéant pour y visionner ostensiblement – ce qu’il n’a pas démenti – des films pornographiques, et pour l’usage gracieux des commodités et des installations destinées aux étudiants.

Quant à la question de fond soulevée par le recourant dans son opposition, elle ne semble pas pouvoir sérieusement porter sur la validité de la plainte pénale du 15 juillet 2020 – puisqu’elle est signée d’un représentant autorisé de l’alma mater (art. 28 al. 1 et 2 de la loi sur l'Université, C 1 30 ; cf. l’arrêt précité du Tribunal fédéral 6B_761/2020 consid. 7.3.) –, mais sur le libre accès d’un non-étudiant aux locaux et facilités universitaires.

Pareille revendication est reprise par le recourant depuis de nombreuses années, sans qu’aucune autorité judiciaire ne lui ait donné gain de cause. Même si le recourant n’a jamais été condamné non plus pour violation de l’art. 186 CP, cela ne suffit pas à conférer de complexité à la présente procédure. Dans l’arrêt 6B_761/2020, précité, le Tribunal fédéral a observé – sous l’angle du droit pénal – que, lorsqu'il s'agit de lieux voués à une tâche de l'État, l'accès peut être interdit par des indications spéciales ou résulter de la destination des lieux, sans qu’il soit nécessaire que ces restrictions soient expressément formulées par l'ayant droit, puisqu'elles peuvent aussi résulter des circonstances ; ainsi, lorsqu'un lieu est ouvert au public dans un but précis et que ce but est clairement reconnaissable pour chacun, celui qui y pénètre en poursuivant d'autres objectifs agit contre la volonté de l'ayant droit (consid. 7.4.1. et la référence citée).

La question à trancher sous l’angle de l’art. 186 CP est donc clairement identifiée et ne pourra pas échapper au juge du fond.

On ne voit pas en quoi le concours d’un défenseur d’office éclairerait mieux la situation juridique que les développements susmentionnés du Tribunal fédéral. Il ne semble pas non plus que des questions de procédure se poseraient, d’autant plus que le recourant est désormais familiarisé avec les procédures judiciaires. C’est si vrai que, dans les affaires en lien avec les précédentes plaintes de l’Université, il a obtenu gain de cause à trois reprises sans l’assistance d’un défenseur, soit, comme on l’a vu, sur le prélèvement de ses données personnelles (ACPR/117/2018), sur la charge des frais d’un classement (ACPR/690/2020) et sur la violation de son droit d’être entendu pendant la procédure d’appel (arrêt du Tribunal fédéral 6B_761/2020).

3.             Le recours est par conséquent rejeté.

4.             La procédure est gratuite (art. 20 RAJ).

5.             Le recourant n’a en rien justifié des dépens auxquels il prétend.

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de l'instance à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDÈS, greffier.

 

Le greffier:

Xavier VALDÈS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).