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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21146/2020

ACPR/308/2022 du 03.05.2022 sur OPMP/8924/2020 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PROFIL D'ADN
Normes : CPP.255

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21146/2020 ACPR/308/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 3 mai 2022

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 9 novembre 2020 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


 

EN FAIT :

A. a.a. Par acte déposé le 7 juin 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 novembre 2020, notifiée selon ses dires au plus tôt le 28 mai 2021, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil ADN.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la destruction des échantillons prélevés.

a.b. Par arrêt du 15 septembre 2021, la Chambre de céans a déclaré le recours irrecevable (ACPR/597/2021)

a.c. Par arrêt du 22 février 2022 (1B_568/2021), le Tribunal fédéral a admis le recours contre cet arrêt, l'a annulé et a renvoyé la cause à la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 7 novembre 2020 à 00:36, une patrouille de police a demandé du renfort à la rue 1______, à D______ [GE], car ils subissaient divers jets de projectiles provenant d'un groupe de jeunes; un véhicule de service a été endommagé à la suite d'un jet de bouteille.

Le même jour, les données signalétiques et l'ADN de A______, interpellé à cette suite, ont été prélevés.

b. Par ordonnance pénale du 7 novembre 2020, le Ministère public a condamné A______, pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 CP) et d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP), pour avoir, vers 1h du matin au E______ [GE], de concert avec trois autres personnes, menacé les forces de police alors qu'elles procédaient à l'interpellation de C______, refusé de reculer malgré les sommations de police, et pris la fuite malgré les injonctions de police.

Le prévenu a formé opposition.

c. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire, A______, né en 1996, a été condamné en 2018 à deux reprises, la première fois pour vol, dommages à la propriété et infractions à la LCR et la seconde fois pour délit contre la loi sur le service civil.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a ordonné, le 9 novembre 2020, l'établissement du profil ADN de A______.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que faute de toute motivation, la décision querellée violait son droit d'être entendu. Sur le fond, l'établissement de son profil ADN n'était d'aucune utilité pour l'enquête diligentée à son encontre, le Ministère public ayant rendu une ordonnance pénale avant l'ordonnance querellée; le déroulement des faits n'était pas susceptible d'être éclairé par le prélèvement querellé. Il n'existait, en outre, aucun indice concret laissant soupçonner qu'il pourrait être lié à d'autres infractions d'une gravité suffisante. L'établissement d'un profil ADN avait dès lors été opéré en violation des exigences de l'art. 197 al. 1 CPP; l'ordonnance devait être annulée et les prélèvements détruits, ainsi que les données signalétiques saisies.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. L'instruction de la procédure était toujours en cours à la suite des oppositions aux ordonnances pénales des divers prévenus. Une infraction de dommages à la propriété était reprochée à certain des co-prévenus et le recourant présentait un antécédent spécifique. Dans la mesure où la police était régulièrement prise à partie lors d'attroupements de jeunes, difficilement identifiables, il ne pouvait être exclu que le recourant, vu ses antécédents et les circonstances de son interpellation, puisse être concerné par d'autres faits similaires de violences à l'égard de la police. L'établissement du profil ADN du prévenu était ainsi pleinement justifié et le demeurait encore "étant relevé que si dans le cadre de la présente procédure aucun bien n'a pu être saisi, cela n'est pas nécessairement le cas lors d'autres enquêtes pour des faits similaires".

c. Dans une écriture spontanée, le recourant transmet.

d. Dans sa réplique, le recourant, qui a produit des jurisprudences fribourgeoise et vaudoise sur des cas similaires considère que le Ministère public convenait que la décision litigieuse comportait une violation du droit d'être entendu, imposant son annulation. Le Procureur apportait, 6 mois après la décision litigieuse, une motivation fondée notamment sur l'opposition du prévenu. Une motivation alléguée a posteriori sur un événement inconnu de l'autorité au moment de la prise de décision ne pouvait, en toute bonne foi, justifier cette décision.

EN DROIT :

1.             La recevabilité du recours est acquise à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral.

2.             Le recourant reproche au Ministère public la violation de son droit d'être entendu, faute de motivation de la décision.

2.1. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu ancré à l'art. 29 al. 2 Cst féd. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les références citées).

2.2. En l'espèce, la motivation du Ministère public ne remplit à l'évidence pas les exigences légales. Cependant, l'argumentation développée par le recourant démontre qu'il a fort bien compris la décision querellée et le Procureur a produit sa motivation à l'occasion de ses observations sur recours.

Ce grief est, partant, infondé.

3.             3.1. Selon l'art. 255 al. 1 let. a CPP, le prélèvement d'un échantillon et l'établissement d'un profil ADN peuvent être ordonnés sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit. Le prélèvement non invasif d'échantillon (notamment par frottis de la muqueuse jugale) peut être ordonné (et effectué) par la police (art. 255 al. 2 let. b CPP). Toutefois, l'établissement d'un profil ADN, et donc l'analyse de l'échantillon prélevé, doit être ordonné par le ministère public ou le tribunal (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 26 ad art. 255).

Cette mesure ne se conçoit pas seulement lorsqu'il s'agit d'élucider le délit initial ayant donné lieu à la mesure de prélèvement, ou d'attribuer concrètement des infractions déjà commises et connues des autorités de poursuite pénale. Comme cela ressort clairement de l'art. 1 al. 2 let. a de la loi sur les profils d'ADN – applicable par renvoi de l'art. 259 CPP –, l'élaboration de tels profils doit également permettre d’identifier l'auteur d'infractions qui n'ont pas encore été portées à la connaissance des autorités de poursuite pénale. Il peut s’agir d’infractions passées ou futures. Le profil ADN peut ainsi permettre d'éviter des erreurs d'identification et d'empêcher la mise en cause de personnes innocentes. Il peut également jouer un rôle préventif et participer à la protection de tiers (ATF 145 IV 263 consid. 3.3 et les références citées).

En matière d'identification de personnes, un prélèvement d'ADN, notamment par frottis de la muqueuse, et son analyse constituent des atteintes – certes légères – à la liberté personnelle, à l'intégrité corporelle (art. 10 al. 2 Cst.), respectivement à la sphère privée (art. 13 al. 1 Cst.), ainsi qu'au droit à l'autodétermination en matière de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH). Les limitations des droits constitutionnels doivent être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). L'art. 255 CPP ne permet pas le prélèvement routinier d'échantillons d'ADN et leur analyse, ce que concrétise l'art. 197 al. 1 CPP. Selon cette disposition, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). L'établissement d'un profil ADN qui ne sert pas à élucider une infraction faisant l'objet d'une procédure en cours n'est conforme au principe de la proportionnalité que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu puisse être impliqué dans d'autres infractions, cas échéant futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité. Les antécédents doivent également être pris en compte. Cependant, l'absence d'antécédents n'exclut pas en soi l'établissement d'un profil ADN, mais constitue l'un des nombreux critères à prendre en compte dans l'appréciation globale des circonstances (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; 144 IV 127 consid. 2.1; 141 IV 87 consid. 1.3.1 et 1.4, tous avec références). L'âge est également un critère pertinent, en ce sens que l'établissement d'un profil ADN est susceptible d'avoir un impact négatif sur le développement et l'intégration dans la société d'une personne encore jeune (arrêts du Tribunal fédéral 1B_111/2015 du 20 août 2015 consid. 3.5 ; 1B_284/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.3).

3.2. Selon l'art. 260 CPP, la police, le ministère public, les tribunaux et, en cas d’urgence, la direction de la procédure des tribunaux peuvent ordonner la saisie des données signalétiques d’une personne (al. 2), ce par quoi on entend la constatation de ses particularités physiques et le prélèvement d’empreintes de certaines parties de son corps (al. 1). La mesure fait l'objet d'un mandat écrit, brièvement motivé (al. 3). Si la personne concernée refuse de se soumettre à l’injonction de la police, le ministère public statue (al. 4).

Les considérations précédentes relatives au prélèvement et à l'établissement d'un profil ADN valent également pour la saisie de données signalétiques selon l'art. 260 al. 1 CPP, à la différence près que cette dernière peut également être ordonnée pour une contravention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_336/2019 du 3 décembre 2019 consid. 3.3 et les arrêts cités ; voir aussi ATF 141 IV 87 consid. 1.3.3).

3.3. En l'espèce, l'ordonnance querellée ne peut être justifiée par l'élucidation des infractions initiales; et le Procureur ne le prétend pas, même s'il relève que l'instruction de la cause est toujours en cours à la suite de l'opposition à l'ordonnance pénale. Il est reproché au recourant d'avoir menacé les forces de police alors qu'elles procédaient à l'interpellation d'un co-prévenu, refusé de reculer malgré les sommations de police et pris la fuite malgré les injonctions de cette dernière. Aucun contact, justifiant l'établissement d'un profil ADN, n'est retenu ni même évoqué, le Ministère public précisant qu'aucun bien n'avait pu être saisi; en particulier, les dommages à la propriété sont reprochés à des co-prévenus du recourant, et non à ce dernier. En outre, aucun relevé de traces n'a été effectué sur les lieux permettant une comparaison avec le profil prélevé; en tous les cas le Procureur ne le prétend pas. Quoi qu'il en soit, l'intention du Ministère public ne pouvait être de comparer le résultat des prélèvements litigieux avec de telles traces, puisqu'il a prononcé une ordonnance pénale à l'encontre du recourant, sans autre acte d'instruction, avant même d'avoir rendu la décision querellée.

Le Procureur expose que la police était régulièrement prise à partie lors d'attroupements de jeunes, souvent difficilement identifiables. Il soutient que, vu ses antécédents et les circonstances de son interpellation, le recourant pourrait être concerné par des faits de violence à l'égard de la police.

Cette motivation ne permet pas à la Chambre de céans de comprendre s'il est fait référence à des infractions passées ou futures et le Procureur ne les précise pas clairement. Rien au dossier, et en tout cas pas les antécédents du recourant, ne révèle des indices sérieux et concrets laissant penser que l'intéressé pourrait être, ou avoir été, lié à ce type d'infraction. En effet, la condamnation de 2018, pour infractions à la LCR, à l'art. 19a LStup et de dommage à la propriété, toutes commises le même jour, ne laisse pas apparaître de violence envers la police pas plus que celle pour délit contre la LF sur le Service civil.

En tout état de cause, les faits concrètement reprochés au recourant, qui ne visent aucun dommage matériel ni aucune lésion physique, ne paraissent pas remplir le degré de gravité exigé.

Ainsi, la mesure litigieuse, sans utilité pour l'instruction de la présente cause ou la recherche d'autres infractions, consacre une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux du recourant.

4.             Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et les échantillons d'ADN prélevés détruits, le Ministère public étant chargé de l'exécution de cette mesure.

5.             L'admission du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Ordonne la destruction des échantillons d'ADN prélevés sur A______ et charge le Ministère public de son exécution.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier:

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).