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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/17634/1991

AARP/347/2025 du 26.09.2025 sur AASS/29/1992 ( REV )

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION);DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;DROIT TRANSITOIRE
Normes : CPP.410.al1.leta; CPP.412.al2
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17634/1991 AARP/347/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 26 septembre 2025

 

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant en personne,

demandeur en révision,

 

contre le jugement AASS/29/1992 rendu le 9 décembre 1992 par la Cour d'assises,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

défendeur en révision.


EN FAIT :

A. Par courrier du 18 juin 2025, adressé à la Cour d'appel du Pouvoir judiciaire, qui l'a fait suivre le 20 juin 2025 à la Cour de céans, A______ sollicite la révision pour faits nouveaux du jugement AASS/29/1992 du 9 décembre 1992 rendu à son encontre par la Cour d'Assises, par lequel il a été reconnu coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 de l'ancien Code pénal [aCP]) et de contrainte sexuelle (art. 189 ch. 1 aCP) et condamné à une peine privative de liberté de six ans.

B. a. Dans le cadre de la procédure P/17634/1991, il était reproché à A______, né le ______ 1935, d'avoir commis des actes sexuels ou d'ordre sexuel alors qu'il était moniteur auprès du B______ de Genève sur deux de ses élèves alors âgés d'environ 13 ans, soit, au préjudice de C______ en 1983 et au préjudice de D______ en 1991.

Plus particulièrement concernant ce dernier, il était reproché à A______ les faits suivants :

-        au terme d'un cours d'entrainement de ______ sur l'Arve, un jeudi du mois d'avril 1991, alors que D______, né le ______ 1977, et lui se changeaient dans un bus, il a posé la main sur le sexe de D______, lui a caressé le sexe jusqu'à érection et a pratiqué sur lui une fellation sans aller jusqu'à l'éjaculation ;

-        lors d'un week-end de ______ en avril ou mai 1991, alors que les participants dormaient dans un tipi, il s'est étendu à côté de D______ et lui a saisi la main pour la porter sur son sexe sous son duvet, puis a inséré la main dans le sac de couchage de D______, baissé la culotte du pyjama de celui-ci et l'a masturbé jusqu'à éjaculation ;

-        lors d'un week-end de ______ les 19 et 20 mai 1991, alors qu'il se trouvait seul avec D______ dans un tipi, il a saisi celui-ci à bras le corps, l'a retourné puis serré contre lui avec force, baissé son training, puis l'a sodomisé, avant de lui signifier "tu diras rien, tu la fermes" ;

-        lors d'un entrainement sur le Rhône, un jeudi du mois de juin 1991, il a stoppé le ______ de D______ dans un endroit isolé et abrité des regards, a soulevé la ______ avec sa main pour caresser le sexe de D______, tout d'abord au travers de sa combinaison, avant d'enfiler sa main dans celle-ci et de lui saisir et palper le sexe.

A______ a nié les faits, tout au long de la procédure.

b. Par arrêt de la Cour d'Assises du canton de Genève du 7 décembre 1992, A______ a été reconnu coupable d'actes d'ordre sexuel sur des enfants et de contrainte sexuelle.

La Cour d'Assises a considéré les faits au préjudice de D______ comme établis. Dans la motivation de son arrêt, elle a affirmé qu'il n'y avait aucune raison de mettre en doute les déclarations du jeune homme, celui-ci n'étant "ni menteur (déclaration A______ : pièce 118), ni affabulateur (déclaration Q______ : pièce 459). Les actes décrits par D______ et ses réactions étaient parfaitement possibles selon l'expert E______ (pièces 722 ss.). En outre, D______ avait déclaré à l'époque à F______ qu'il avait fait l'objet d'attouchements sexuels de la part de A______ (pièce 132, 738). La crédibilité des déclarations de D______ est encore renforcée par le comportement que A______ a eu à l'égard d'autres jeunes garçons (déclarations G______ : pièce 104, H______ : pièce 106, I______ : pièces 200 ss., J______ : pièce 660, K______ : pièce 672, L______ : pièce 125) et par les tendances pédophiles de l'accusé (expertise Niveau : pièce 813)".

c. Le pourvoi formé par A______ contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation par arrêt du 24 août 1993 (ACAS/26/1993).

L'ensemble des griefs formulés par celui-ci – critiquant l'appréciation des déclarations des témoins et de la victime, en particulier s'agissant de la scène de sodomie, et sa demande d'entendre un expert sexologue en la personne du Dr. M______ et de verser son rapport au dossier – ont été rejetés.

d. A______ a versé à la procédure P/17634/1991 un document intitulé "Dossier de preuves" reprenant ses divers arguments, propres selon lui à prouver son innocence.

e. Les deux recours interjetés par A______ par-devant le Tribunal fédéral ont été rejetés le 17 novembre 1993.

f. A______ a purgé sa peine de prison et est en liberté (conditionnelle tout d'abord) depuis 1996.

g. Le 6 novembre 2020, A______ a déposé une plainte pénale contre D______ pour faux témoignage en lien avec les déclarations faites dans la présente procédure près de trente ans auparavant. Le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière, confirmée par la Chambre pénale de recours le 28 juillet 2021 (ACPR/493/2021), en raison de la prescription.

h. Le 9 janvier 2023, D______ a déposé une plainte pénale contre A______, ce dernier ayant le 21 octobre 2022, mis en ligne sur le réseau social LinkedIn, un commentaire ayant la teneur suivante : "Salut D______, je sais que tu es un homme droit. Il y a cependant une tâche qui te ronge: tes fausses accusations voici 30 ans, qui ont détruit ma vie. Toi et moi sommes les seuls à connaître la vérité. Va à la police, déclare que tu as fait de fausses déclarations et accuse ton avocat de t'y avoir incité. Ton âme sera ainsi en paix. Ensuite, écrivons un livre ensemble sur cette tragique erreur judiciaire que nous avons vécu (sic)".

Par ordonnance pénale du 9 janvier 2024, A______, lequel a admis être l'auteur de ce commentaire, a été reconnu coupable de calomnie. Suite à son opposition, cette procédure P/1______/2023 est actuellement pendante devant le Tribunal de police.

C. À l'appui de sa demande de révision, A______ fait valoir que toute l'affaire ayant mené à sa condamnation reposait sur "un machiavélique complot" fomenté en l'étude de Me N______ le 20 janvier 1992 et que les accusations de D______ étaient "de type post-hypnotique avec pour origine sa mère adoptive psychopédagogue".

Sa mère avait menti sur l'épisode de la sodomie, qui aurait eu lieu le 19 mai 1991, dans le but d'obtenir sa mise en détention et des dommages-intérêts de la part du B______ de Genève. À l'époque, personne n'avait pensé que D______ ait pu être influencé par le biais d'une hypnose pratiquée par sa mère, alors que les récits étaient truffés d'incohérences et de contradictions. Le mensonge avait été élaboré lors d'une rencontre entre D______, sa mère et leur avocat, Me N______ ; plusieurs scénarios avaient été élaborés, ce qui expliquait les divergences entre les récits de D______ et sa mère. Une vidéo de sodomie et des préservatifs dans leur boîte avaient été montrés au jeune homme. Les déclarations de D______ le lendemain dans le cabinet du juge d'instruction étaient le résultat de ce mensonge, sous l'effet de la suggestion.

Le juge d'instruction avait commis plusieurs erreurs en ne confrontant pas D______ à ses contradictions et en ne lui laissant que le choix de confirmer ses précédentes déclarations. Celles-ci ne concordaient pas avec plusieurs éléments de faits qu'il relevait. D______ avait ajouté de nouveaux faits au fur et à mesure, comme tout enfant qui ment. Le comportement de ce dernier, consistant à s'inscrire pour un nouveau semestre de cours de ______, était incompatible avec le fait qu'il venait de subir des faits aussi graves qu'une sodomie forcée, en juin 1991. En tous les cas, dans les circonstances telles que retenues par la Cour, une sodomie était objectivement impossible, ce qu'une reconstitution par des experts aurait prouvé. Le professeur O______, sexologue aux HUG, avait précisément écrit : "il est fort improbable que dans les conditions décrites la sodomie soit praticable". Les attouchements reprochés alors que D______ était sur le ______ étaient également irréalisables, ne serait-ce qu'en raison de la combinaison qu'il portait alors. De plus, un garçon de 14 ans aurait été capable de se défendre s'il avait été placé dans une telle situation ou simplement pu s'en aller.

Il clamait son innocence depuis plus de 30 ans. Il n'avait pas commis ces faits, lesquels lui faisaient horreur. Il sollicitait l'audition de D______, son frère, sa sœur, ses grands-parents, ainsi qu'une reconstitution, avec prise de position d'experts sur les divers actes reprochés. D______ allait immanquablement admettre avoir été poussé à mentir par sa mère et son avocat.

A______ produit une pièce postérieure à sa condamnation : une attestation, datée du 12 janvier 1996, d'une psychanalyste, P______, adressée à son avocat dans laquelle elle écrit : "M. A______ […] a suivi une psychothérapie chez moi à raison de deux séances par semaine, ceci du 18 août 1995 au 21 décembre 1995. À la suite de ces entretiens souvent pénibles, j'ai acquis l'intime conviction que M. A______ n'a sans doute pas commis l'acte de sodomie envers D______. Je vous signale que M. A______ clame son innocence en qui concerne ce jeune-homme et tous les faits y sont liés. […] Toutefois, il m'avait semblé souhaitable qu'il puisse poursuivre sa psychothérapie dans la mesure où il se dit "au bout de ses limites" et qu'il n'a qu'une obsession : obtenir sa réhabilitation, soit par une révision de son procès, soit par un dépôt de plainte en diffamation ".

EN DROIT :

1. Les demandes de révision formulées contre les décisions rendues avant l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale (CPP) sont traitées selon l'ancien droit par les autorités compétentes sous l'empire de ce droit (art. 453 al. 1 CPP). Elles peuvent néanmoins être traitées par la nouvelle juridiction d'appel compétente en matière de révision (art. 21 al. 1 let. b CPP), soit, à Genève, la CPAR (art. 130 al. 1 let. a et 129 al. 2 de la Loi sur l'organisation judiciaire [LOJ]). La procédure prévue aux art. 411ss CPP est dès lors applicable.

Les motifs de révision restent, en revanche, ceux qui étaient prévus par le droit applicable au moment où la décision soumise à révision a été rendue (arrêt du Tribunal fédéral 6B_41/2012 du 28 juin 2012 consid. 1.1 ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, 3ème éd. 2025, N. 3a ad art. 453 CPP). Cette réserve est toutefois sans portée s'agissant d'une révision en faveur du condamné, le motif de révision prévu à l'art. 410 al. 1 let. a CPP correspondant à celui de l'art. 385 CP, qui n'a pas été abrogé, respectivement de l'art. 397 aCP (faits ou moyens de preuves sérieux et dont le juge n'avait pas eu connaissance lors du premier procès) en vigueur lorsque la décision a été rendue et jusqu'au 31 décembre 2006 (arrêts du Tribunal fédéral 6B_324/2019 du 24 avril 2019 consid. 2 ; 6B_426/2018 du 5 juillet 2018 consid. 3.1).

2. 2.1.1. Aux termes de l'art. 410 al. 1 let. a CPP, toute personne lésée par un jugement entré en force peut en demander la révision s'il existe des faits ou des moyens de preuves qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère ou plus sévère du condamné (let. a).

Par faits, on entend les circonstances susceptibles d'être prises en considération dans l'état de fait qui fonde le jugement. Quant aux moyens de preuves, ils apportent la preuve d'un fait, qui peut déjà avoir été allégué. Une opinion, une appréciation personnelle ou une conception juridique nouvelles ne peuvent pas justifier une révision (ATF 141 IV 93 consid. 2.3 ; 137 IV 59 consid. 5.1.1).

Les faits ou moyens de preuve invoqués doivent ainsi être nouveaux et sérieux.

Ils sont nouveaux lorsque le juge n'en a pas eu connaissance au moment où il s'est prononcé, c'est-à-dire lorsqu'ils ne lui ont pas été soumis sous quelque forme que ce soit (ATF 137 IV 59 consid. 5.1.2). Le fait invoqué devait déjà exister avant l'entrée en force du premier jugement ; un fait postérieur ne saurait entrer en considération (ATF 141 IV 349 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_562/2020 du 23 juin 2020 consid. 2.4). En revanche, le moyen de preuve découvert postérieurement au jugement et le fait qui existait déjà au moment du jugement, mais qui n'a été révélé qu'ensuite, doivent être considérés comme nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1083/2021 du 16 décembre 2022 consid. 2.3).

Ils sont sérieux lorsqu'ils sont propres à ébranler les constatations de fait sur lesquelles se fonde la condamnation et que l'état de fait ainsi modifié rend possible un jugement sensiblement plus favorable au condamné (ATF 145 IV 197 consid. 1.1 ; 137 IV 59 consid. 5.1.4).

2.1.2. À teneur de l'art. 412 CPP, la juridiction d'appel examine préalablement la demande de révision en procédure écrite (al. 1). Elle n'entre pas en matière si la demande est manifestement irrecevable ou non motivée ou si une demande de révision invoquant les mêmes motifs a déjà été rejetée par le passé (al. 2).

Cet examen préalable et sommaire porte principalement sur les conditions de recevabilité de la demande de révision (par exemple la qualité pour recourir, le respect des conditions de délai et de forme de la demande, le caractère définitif du jugement entrepris, l'existence d'un motif de révision sur le plan abstrait, etc.). La juridiction d'appel peut également refuser d'entrer en matière lorsque les motifs de révision invoqués apparaissent d'emblée non vraisemblables ou mal fondés
(ATF 143 IV 122 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_273/2020 du 27 avril 2020 consid. 1.1), ou encore lorsque la demande de révision apparaît abusive (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1110/2019 du 18 décembre 2019 consid. 1.1.2 ; 6B_324/2019 du 24 avril 2019 consid. 3.1).

2.2.1. En l'espèce, le demandeur se contente de discuter les différents éléments de preuves déjà appréciés par la Cour d'Assises en son temps. L'entier des griefs développés dans sa demande de révision ont été traités par celle-ci, puis la Cour de cassation, en particulier s'agissant de la crédibilité des déclarations de D______.

L'hypothèse, soulevée par le demandeur, que les déclarations de D______ au sujet de la sodomie auraient été induites par le biais d'une hypnose pratiquée par sa mère, ne se fonde sur aucun élément concret. Il en va de même de la thèse d'un complot, organisé avec l'avocat de la famille, que le demandeur avait déjà imputé aux plaignants dans la procédure d'origine.

Quoi qu'il en soit, la seule pièce nouvellement produite par le demandeur, soit une attestation de sa psychanalyste datant de 1996, est impropre à remettre en question le verdict rendu par les juridictions successives sur la base d'un dossier complet et contradictoire. Elle ne renseigne que sur l'opinion de ce médecin-traitant, ayant été amené à suivre l'intéressé durant quatre mois (seulement), postérieurement au jugement dont la révision est demandée. Or une telle opinion / appréciation personnelle ne peut justifier une révision. Ainsi, inapte à ébranler les constatations de fait sur lesquelles se fonde la condamnation du 9 décembre 1992, ce moyen de preuve, quoique nouveau, n'apparait pas sérieux au sens de l'art. 410 al. 1 let. a CPP.

Les motifs de révision invoqués apparaissant d'emblée mal fondés, il ne sera pas entré en matière sur la demande, qui sera déclarée irrecevable.

3. Vu l'issue de la procédure, le demandeur sera condamné aux frais, lesquels comprendront un émolument de jugement de CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 14 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare irrecevable la demande de révision formée par A______ contre le jugement AASS/29/1992 rendu le 9 décembre 1992 par la Cour d'Assises dans la procédure P/17634/1991.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel par CHF 595.-, qui comprennent un émolument de jugement de CHF 500.-.

Notifie le présent arrêt aux parties.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

Le président :

Fabrice ROCH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

20.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

0.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

595.00